La tête légèrement inclinée en avant, Malcom avançait d'un pas rapide sous une averse printanière qui avait réussi à le tremper entièrement. N'y tenant plus, il avait raccourci son trajet dans l'espoir de s'abriter le temps que les nuages disparaissent à l'horizon. Qu'on croit au destin ou non, quelqu'un devait bien se moquer de lui pour qu'il se retrouve face à la cathédrale St Gilles comme premier choix.

Malcom leva les yeux sur l'édifice, s'attardant sur les moindres détails de son architecture. Les grandes portes lui paraissaient surchargées, surmontée d'autant de saints hommes qui lui semblaient autant de mises en garde s'il tentait de pénétrer l'enceinte. Il secoua la tête, réfractaire, et poursuivit son chemin en longeant la cathédrale sans plus y accorder un regard.
Certains diraient de lui que les remords l'accablaient, mais rien ne pourrait être aussi faux. Il ne faisait pas partie de cet univers plein de bons sentiments aux relents hypocrites. Il risquait certainement de faire fondre en larmes son interlocuteur s'il devait un jour se confesser. Les meilleures blagues étant les plus courtes, mieux valait qu'il évite ce lieu autant que possible.

Contrairement à la cathédrale, les portes du St Edward's Hotel lui paraissaient accueillantes ainsi ouvertes. A se demander si quelqu'un attendait de la visite dans un endroit jugé aussi macabre. C'était un endroit qui lui conviendrait bien mieux, même si l'odeur du massacre s'était substituée à celle, bien moins appétissante, du deuil.
Il s'était attendu à être seul, mais quelqu'un se trouvait là, à prier. D'après sa tenue et son attitude, il avait certainement affaire à un homme d'église. Malcom eut un moment d'hésitation, jaugeant quelle situation risquait d'être la moins ennuyeuse pour lui... Puis une idée fit son chemin et il se décida à avancer. Le silence du St Edward's Hotel ne fut pas troublé par le bruit de ses pas, si feutrés qu'il ne parvint pas à déconcentrer le religieux muré dans cet instant privilégié.

Il se pencha avec lenteur, retenant sa respiration et...
- Bouh !

Il se redressa en espérant avoir réussi son petit effet. Bien sûr, Malcom aurait pu se contenter de rester à l'entrée le temps que la pluie se calme... Mais quitte à devoir attendre, autant occuper son temps utilement. Il pourrait peut-être le renseigner sur certains sujets... Dans le cas contraire, ne pas l'entendre prier était déjà un plus.

- C'était vraiment trop tentant... Bon retour parmi les vivants.

Se passant une main sur le visage pour en retirer quelques mèches plaquées par l'eau, il tendit l'autre à son interlocuteur.

- Malcom. Vous travaillez à la cathédrale ?

Il fallait croire qu'il n'avait pas suffisamment la tête d'un démon sorti tout droit des abysses... Il avait espéré une réaction un peu plus vive tout de même. Bondir au sol ? Réprimer un hoquet de stupeur ? Voir même le bassiner avec une prière de protection contre le mal ou autres artifices... Non, le pasteur avait simplement sursauté. Quelle déception. Pourtant l'ambiance se prêtait à merveille à sa tentative : Pluie battante et ciel obscur, vieux bâtiment abandonné à l'issue d'un massacre et surtout cette solitude poignante.
Malcom poussa un léger soupir, dépité. Vu la façon dont il le détaillait, il craignait presque qu'il le confonde avec un ange : De quoi lui donner la nausée. Et voilà qui lui conseillait de ne pas reproduire l'expérience avec d'autres...

- C'est justement la raison pour laquelle j'avais pris la peine de soigner mon entrée. Mais ça ne fait rien, je m'en contenterais.

La plaisanterie était finie et il ne chercha pas à s'étaler davantage. Les plus courtes restent les meilleures et Malcom n'avait pas pris la peine de l'interrompre que pour lui causer une frayeur. Il fit quelques pas en arrière pour s'installer sur le banc le plus proche, les bras repliés sur le dossier. Son interrogation était suffisamment déroutante pour qu'il ait besoin de s'assoir immédiatement... Sérieusement ? Comment pouvait-on le confondre avec un homme d'Eglise ? Il ne put contenir un bref rire, décontenancé.

- Vous plaisantez j'espère ? J'ai peut-être une gueule d'ange mais ce n'est que la deuxième fois que je m'aventure dans une église... Même si, plus exactement une seule fois, puisque je l'ai évité pour venir directement ici.

Une fois, oui. A six ans, peu après sa fugue... Parce qu'il avait faim et que les hommes d'Eglise sont souvent disposés à aider un gamin errant. Mais ils avaient commencé à poser trop de questions et il avait fui au plus vite avant qu'on ne tente de le ramener chez lui. Depuis, Malcom n'avait pas trouvé le moindre intérêt à s'attarder dans pareil édifice.

- Je suis de passage. Je viens aussi de Glasgow.

Ca sonnait étrange, de venir de quelque part. Il était de partout, mais Glasgow commençait doucement à s'imposer comme un foyer plus permanent que d'autres. Peut-être serait-il amené à se recroiser finalement... Il n'aurait pas parié là-dessus au premier abord.
Il suivit le parcours du chapelet d'un regard absent, se demandant quelle stratégie conviendrait la mieux pour aborder le seul sujet qui était susceptible de l'intéresser avec un pasteur. Il choisit d'être parfaitement franc, car un homme pieux ne pouvait que louer cette qualité.

- Je ne vous ai pas dérangé pour me confesser. Je me disais que vous deviez en connaître un rayon sur les démons et leurs rejetons, d'autant plus si vous traînez entre Glasgow et Edimbourg... Vous n'êtes pas affecté à la cathédrale St Mungo sans raison particulière, je me trompe ?

Le Père Joakim semblait sourire en toutes circonstances, de ces sourires amicaux et chaleureux qui incitaient certainement à tout lui confier. Malcom avait surtout l'envie débordante de lui retirer. De mettre à mal ses convictions, d'insinuer le doute dans son esprit... L'envie de briser, tout simplement.
Le sourire qu'il lui rendit était dépourvu de chaleur et de bienveillance, mais il le laissa s'assoir à ses côtés sans le tourmenter davantage. Ses questions sur les semi-démons suffiraient bien à le faire. Face à la surprise qu'il lut dans son regard, on ne devait pas venir souvent le consulter sur les vieux ennemis de l'Eglise. Sujet épineux ? Certainement. Assez pour qu'il se plonge dans ses pensées et qu'une once d'hésitation ternisse enfin le tableau. Quand il ouvrit la bouche, ses paroles commençaient à manquer de conviction pour le métamorphe. Il aurait dû s'en douter... Il était vraiment tombé sur le mauvais pasteur. D'autres se seraient empressés de le renseigner et de l'armer contre ces créatures du Mal.

- J'en ai rencontré une, récemment. Une petite brune à l'air totalement inoffensif... Jusqu'à ce qu'elle déchaîne son pouvoir et que je perçoive l'influence démoniaque au fond de son regard. Un pouvoir étonnant qui lui permettait de manipuler le sang à sa guise et d'en faire une arme létale. Elle m'aurait certainement tué, si je lui avais laissé l'occasion.

Il lui jeta un regard en coin, jaugeant ses réactions. On en apprenait souvent beaucoup en quelques mimiques sur ce que certains se refusaient à dire. Les hommes d'Eglise n'étaient-ils pas des spécialistes en terme de privation ?

- Je me demande où se situe la limite de leur pouvoir. Qu'est-ce qui les empêcherait de noyer les rues sous des torrents de sang ? Vous imaginez ?

Le regard se fit plus franc, plus appuyé. Ca lui allait mal, de faire croire qu'il s'en préoccupait réellement. Que les semi-démons tuent des milliers d'innocents grâce aux pouvoirs des enfers l'indifféraient, mais ça ne pouvait pas être le cas du Père Joakim. Il pencha la tête, avec un air interrogateur.

- Ca ne vous a jamais intéressé, de connaître la nature exacte de votre ennemi et comment le combattre ? Qu'attendez vos supérieurs de vous, en vous envoyant en première ligne à Glasgow, en tant qu'Emissaire de la Paix ?

Toujours ce sourire chaleureux... Rien de plus qu'un masque qui l'empêchait de discerner ses véritables pensées. Il réfléchissait un peu plus longtemps que nécessaire pour répondre à des questions dont les réponses étaient aussi évidentes. Ce n'était qu'une affaire de conviction... Etait-il tiraillé par sa conscience ? Malcom en apprenait beaucoup de ces silences, mais pas autant qu'il aurait voulu.
Il rejeta la tête en arrière et toussa un rire. Voilà que le Pasteur lui parlait de l'humanité des semi-démons... Il croyait vraiment à de pareilles conneries ? Même les humains se changeaient en bêtes dès qu'ils goûtaient au sang de leurs semblables. Il n'existait pas autant de différences entre les espèces que la plupart souhaitait le croire... Plus on plongeait profondément, moins il devenait évident d'inverser la tendance.

- Je veux bien croire que leur part d'humanité les limite atrocement dans l'utilisation de leurs pouvoirs démentiels... Mais on ne peut pas les rappeler à la raison uniquement avec de bons sentiments. Je suppose que le propre des pasteurs est de voir le bien partout. J'espère pour vous que vous ne croiserez jamais leur route : Vos belles illusions risqueraient de voler en éclats, juste avant qu'ils ne vous ôtent la vie.

Un jour, ce cher pasteur se ferait trahir par ces mêmes idées qu'il défendait avec tant d'acharnement. Les personnes douées de bonté comme lui connaissaient toujours un destin tragique. Malcom était maintenant convaincu qu'il n'apprendrait rien d'intéressant venant de lui. Il risquait seulement de le farcir de belles pensées jusqu'à en vomir. Fort heureusement, il ne cherchait pas à le convaincre du bien-fondé de son entreprise et le remettre dans le droit chemin... Le gardant comme simple témoin de sa future déchéance.
Il se retourna un peu, suivant le regard du Père Joakim sur le Jésus crucifié. Finalement, c'était peut-être bien le sort qu'il désirait ardemment connaître. Malcom secoua lentement la tête, une lueur amusée dans le regard.

- Je me demande bien quels actes si répréhensibles auraient pu commettre un aussi saint homme que vous... Enfin, vous avez choisi le meilleur endroit pour mourir. Vos pères supérieurs n'ont pas totalement tort, vous feriez un excellent martyr.

Le métamorphe tourna la tête vers la porte de sortie, interpellé. La pluie s'était finalement arrêtée et il était temps pour lui de reprendre la route. Il avait fort à faire ailleurs. Le pasteur ne lui en avait pas appris autant qu'il le souhaitait, mais après tout, mieux valait pour lui qu'il ne se mêle pas à ces conflits d'espèces. Les hommes bons avaient toujours tendance à mourir prématurément.

- Il va être temps pour moi de vous laisser. Merci pour vos conseils... Si je peux vous en donner un en retour : Restez éloigné des conflits de Glasgow et vous aurez peut-être la chance de voir un lendemain, même si je crains que personne ne soit épargné par la tourmente.

Il le salua d'un signe bref, comme ôtant une casquette invisible, avant de quitter l'appui confortable du banc. Ses mains regagnèrent ses poches et Malcom s'éclipsa comme il était venu, en retournant dans l'ombre.