| Gardes Erin prêt de toi. Si je ne suis plus là, laisses là à Morgane si tu préfères ton humain. Ne laisses rien passer. Et prépares toi à la guerre. Elle revient. |

Je me redresse, toujours dos à lui, et avant même que j'ai pu me retourner, je le sens de nouveau contre moi. Cette étreinte, je me demande un court instant si elle existe réellement, si ce n'est pas mon inconscience qui se joue de moi. Mes mains glissent le long de ses bras et je prends conscience de sa présence, je ferme les paupières doucement, savoure encore ses lèvres qui glissent sur mon cou. J'enserre ses bras, mes paupières s'ouvrent et il me faut quelques secondes pour répondre, alors que mon regard se perd par-delà la fenêtre.

« Je la garderais près de moi, ne t'en fait pas. Je ne vais pas l'exiler, mais j'aurai besoin de temps avec elle. Elle saura trouver sa place, quoi qu'il arrive, que ce soit auprès de moi, auprès de ma sœur ou d'une tout autre personne. » Je fais une pause, appréciant le moment dans ses bras, ma tête cherche le contact de la sienne doucement et tranquillement. J'ai l'impression d'avoir les pieds dans deux mondes bien distincts. Phénomène étrange, troublant. « Elle est déjà présente... » soufflais-je entre mes lèvres. C'était plutôt la vérité, elle est déjà là, à nos portes, et la mort va frapper de nouveau. Je glisse entre ses bras pour me retrouver face à lui, n'effaçant rien de la proximité qu'il y avait entre nous. J'en avais encore besoin. Mes bras passent autour de son cou, une main glisse vers son omoplate tandis que l'autre remonte vers sa nuque et la base de son crâne. J'effleure ses lèvres, baiser furtif, et glisse vers sa joue, sa mâchoire, son cou. Baiser brûlant, l'ardeur est toujours présente.

Je sais que la leçon n'est pas la meilleure possible dans notre situation. Comme toujours, je fais ce que je peux avec ce que j'ai, même si ce n'est pas la solution optimale. Jana le mérite, mais plus que tout le reste c'est Krystel que je sers. Elle veut que ses filles prennent le relais. Elle veut que les choses s'arrangent une fois que nous aurons trépassé. Je ne peux que suivre ce désir, cette volonté profonde. Je dois faire coïncider mes moyens avec les finalités de ma Reine, de ma déesse vivante. Je sais déjà que Jana a dépassé le cadre de ce que je lui apprenais. Que déjà, elle ressent de l'affection, de l'amour, pour moi. Elle est là, à me regarder, à me couver de ses yeux sombres. Elle m'aime. Je le sais. Elle m'aime pour ce que je représente. C'est une erreur, que j'ai essayé de lui prouver. J'espère qu'elle ne s'autorise à maintenir cette parenthèse ouverte que jusqu'à ce que je la laisse ici, nue, dans ce manoir froid et semi désert. J'espère qu'elle a compris que si elle devait faire de ses émotions sa principale force, elle doive aussi s'en détacher. Cette situation que nous vivons ne fait pas exception. Elle se laisse aller à mon étreinte, l'approfondit en me maintenant contre elle. Son regard est maintenant rivé dans l'obscurité de la nuit. Elle savoure l'instant, et se projette déjà dans l'avenir. Elle me rassure quant à Erin. Je souris.


| Sois bonne avec elle. Elle donnerait sa vie pour ta mère, pour moi. Elle est la personne la plus loyale que je connaisse, mais elle est encore moins douée que moi dans ses relations avec autrui. Donnes lui un but. Reposes toi sur elle. J'ai parlé d'une mission à sa mesure à De Valombre. Tu verras les détails avec lui. |


Jana se retourne, m'effleure, m'embrasse. J'y réponds, un court instant. C'est Krystel, que je veux. Il est temps pour moi de donner ma dernière leçon.


| Ma dernière leçon est sur la tempérance. Tu vas être Reine. Tu peux réclamer ce que tu veux. Mais ta malédiction va consister à ne pas avoir tout ce que tu veux. Pas le plus important. Tu combleras ce manque en enfantant, plus tard, quand tu te sentiras prête. |


Je l'embrasse sur le front, puis me sépare doucement d'elle. Je ramasse mes vêtements, mais sans les enfiler. Je lui offre un dernier sourire, pâle et éphémère, puis me détourne d'elle. Il est temps de se plonger dans ce dernier combat.

Qu'allais-je tirer de cette soirée ? Rien. Si ce n'est la satisfaction de lui avoir à peu près tout dit, d'avoir profité jusqu'au bout, jusqu'à la dernière minute. Car oui, c'était cela présentement. J'abaissais mes barrières dressées devant lui, en sa présence. J'allais manquer cruellement d'attention et d'affection, j'allais perdre un être qui m'était ô combien cher. Et il y avait Torben... une autre personne, un autre homme irremplaçable, inégalable presque. Je m'étais déjà avoué ce que je ressentais, mais j'avais fait le choix de me retirer, de garder au plus profond de moi ce que je pouvais ressentir. Car, soyons honnête, cela n'allait pas aux vampires, cela ne me convenait pas. J'étais loin d'être une femme ordinaire. J'étais déjà morte, l'âme humaine remplacer par un cœur mort. Et pourtant, de par cette étreinte, je pouvais ressentir chaque filet électrique remonter le long de ma peau froide. Nous n'étions pas faits pour être ensemble et je m'étais fait à cette idée. Qu'est-ce qui m'avait pris ? Qu'est-ce qui lui avait pris ? Mon désir était si intense à son égard, dès lors qu'il avait brisé la distance, me provoquant même, c'était la fin, le bouleversement. Un ouragan. Et pourtant, bientôt, tout cela ne sera qu'un rêve devenu éphémère. Je devrais faire son deuil, et oublier chaque moment précieux vécu avec lui. Oublier... pourquoi cela m'est-il aussi difficile alors que j'étais amnésique ?

Mes yeux se perdent dans l'obscurité de la nuit omniprésente. Je le vois, je le sens... rien ne sera plus comme avant, quelque chose se trame. Je sais déjà ce que s'est. Je me revois dehors, face à ses portes plus tôt alors que j'étais venue avec un but, déterminée à croiser le chemin de ma Mère pour une dernière discussion. Et me voilà à apprécier le contact de sa peau chaude sur mon dos, ses bras m'entourant. Je me demandais s'il simulait tout cela, s'il ne faisait cela que pour m'apaiser un peu. Quoiqu'il en soit, je ne devrais plus réfléchir sur la relation entre nous, d'un côté ça allait peut-être m'alléger, mais me laisser un cruel vide. Ses mots me ramènent à la réalité qui me poignarde presque, contrastant soudainement avec nos ébats consécutifs où je ne pensais à rien d'autre.

« Je ferais ce qu'il faut, ne t'en fait pas. Ne t'inquiète pas pour elle, tu peux pleinement te concentrer sur ton seul et unique but désormais. »

Je lui fais face, pendant quelques secondes, je m'enivre de son contact, de son odeur, avant que mes bras ne retombent de chaque côté de mon corps, prenant de la distance alors que mon regard parcoure son visage, ses lèvres d'où viennent ses mots. J'oublie presque tout ce qu'il a dit plus tôt et bloque un instant sur le mot enfanté. J'arque légèrement un sourcil, avant de revenir impassible.

« Ça viendra peut-être après un millénaire, et encore... » soufflais-je, le ton très bas même si Torben avait pu entendre mes mots en tendant l'oreille. Ce n'était pas dans mes objectifs actuels, et est-ce que ce le sera un jour ? Pour l'heure, je dirais que jamais je n'enfanterais. Je n'étais pas assez mature, je ne me canalisais pas, alors à quoi bon penser à cela ? Mes réflexions s'arrêtent alors que je sens ses lèvres sur mon front.
Voilà, c'est fini. Je ne peux plus profiter, je ne veux plus. Je veux quitter ce lieu sans même avoir un seul dernier regard à lui consacrer. Je ne vois pas ce dernier sourire qu'il me fait, mon regard est déjà loin, le souvenir dans ma tête également ; mais mon corps ressent encore chaque frottement, chaque caresse, chaque instant passé sous la chaleur de sa peau. En une fraction de seconde, mes affaires disparaissent, et ma présence également.