Les choses bougent à toute vitesse et de nuages bien sombres s'amoncellent au dessus de nos têtes. L'époque est dangereuse, disait autrefois mon père. L'époque est dangereuse, et les ennemis des loups garous nous cherchent, nous traquent pour nous abattre. C'est comme ça depuis la nuit des temps. Aujourd'hui, c'est peut être pire. Au début des Années Sanglantes, les choses étaient confuses et seule l'inconstance de certains loups à l'époque avait suffit à tous nous mettre en danger. Aujourd'hui, nous n'y étions plus pour rien. On était attaqué malgré la trêve. Oui, la guerre n'avait jamais vraiment terminé et les consignes étaient à la sécurité. On continuait à tirer la couette du côté des humains, pour ne jamais rien laisser passer. Et on avait quand même été attaqués. Directement. Malgré nos précautions. Mary était morte, mise en pièces par un de ces sauvages à crocs. Je ne portais pas Mary dans mon cœur, mais il y avait eu du bon en elle. Elle ne méritait pas de finir comme ça. La violation était grave, mais nous autres lycanthropes étions trop peu nombreux. Dans n'importe quel sens, le problème qui était le miens me semblait insoluble. C'était incroyable, j'étais incapable de trouver une solution qui ne nous mettrait pas tous en danger. Mes tripes appelaient à la vengeance, mon cœur à la sécurité de mes proches. Je ne pouvais pas concilier ces deux choses, mais je ne pouvais pas passer à côté non plus. Les choses avançaient de plus en plus vite.


J'envoyais un message à Savannah. Il fallait qu'on parle. Je lui donne rendez vous dans un fast food, pour casser la croûte, en profiter pour être ensemble.


Père et fille, ou peu s'en faut. Je me mets en route peu avant l'heure pour esquiver la circulation. Il n'en faut pas beaucoup plus pour que j'arrive en retard, mais j'arrive juste à temps malgré tout. Je retrouve la jeune fille à l'intérieur, visiblement frigorifiée. Je viens l'embrasser sur le cuir chevelu pour la saluer.


| Bonjour petite! |


Je la dévisage une seconde, me rendant compte qu'elle apparaît fatiguée, troublée. Je passe trop peu de temps avec eux en ce moment. Je me fige, la dévisageant toujours.


| Eh, calmes toi, je vais pas te … Manger. |


Po-po-popo-po-po ! Blagounette du jour ! Alors que la file s'allonge pour prendre commande, je presse ma presque-fille de s'y caler avec moi pour pas qu'on patiente trop pour manger.


| Je t'ai appelée parce qu'il faut qu'on parle de pas mal de trucs, fillette. Il faut qu'on parle de la situation dans laquelle on est tous. Mais d'abord le plus important. |


Je tire un papier de ma poche et lui tend.


| Les papiers définitifs d'adoption. Tu n'es plus mineure très longtemps mais... Si tu ne veux pas aller au bout, c'est ta dernière chance. Personne ne te force, Sav'. C'est à toi de décider. |

Je ne le montre peut être pas à fond, mais je suis assez nerveux à l'idée de reparler de l'adoption à Savannah. Oh bien sûr, je sais que l'idée l'avait emballée, plus que ce à quoi je me serais attendu. Les jeunes étaient pourtant tellement changeants. Je n'avais pas eu beaucoup l'occasion de parler à Savannah ces derniers jours, presque aucun mot depuis l'assassinat de Mary. Je ne savais pas de quoi elle était au courant par ce qu'elle avait entendu ce soir là, une fois que nous étions rentrés, ou ce qu'avait pu voir avec elle Isadora par la suite. Je ne savais pas du tout, mais le fait était qu'en en apprenant plus sur les circonstances de la mort de la Lupa de la Meute, la jeune fille serait peut être moins tentée de s'exposer ainsi à la vindicte de nos ennemis. Drôle et terrible place que la sienne. Elle n'était pas une louve, mais elle vivait autant dans notre monde que dans celui des humains. C'était difficile pour elle comme pour nous, mais Isadora désirait tout autant que moi éviter à sa fille l'aléa et la souffrance indicible d'une contamination lupine. Savannah ne le voyait peut être pas comme ça, mais elle était encore jeune. Je suris quand elle me demande si ça va, et lui répond de manière neutre.


| Oui ça va. et toi? |


Sav' sourit à ma vanne un peu facile. Entre nous, c'est souvent le concours de jeux de mots ou de traits d'esprit, pas forcément super rigolos à chaque fois mais nous saluons malgré tout la tentative à chaque fois qu'elle se présente. Je souris en retour.


| Tu plaisantes ? C'est cet humour délirant qui m'a permis de séduire ta mère. |


Bon ok, Isadora se fichait souvent de moi quand j'essayais de plaisanter, mais elle aimait ça quand même. Je crois qu'elle aussi aimait saluer mes tentatives, cette petite illustration d'un inconscient infime qu'il me restait malgré toutes les épreuves de la vie. Je savais que mon épouse, si elle pouvait parfois être espiègle, était bien plus ardue à dérider que moi. La jeune fille s'inquiète que je ne prenne pas mon temps.


| Non, ne t'en fais pas. Mais tu sais que mon petit problème de fourrure ne fait pas de moi l'être le plus patient du monde, et j'ai horreur de faire la queue. Normal, pour un grand chef tribal comme moi, pas vrai? lançais je plein d'ironie, pour détendre la situation le mieux possible


Un léger sourire en coin vient souligner l'amusement naissant en même temps que la satisfaction sur mon visage, lorsque la jeune femme comprend où je veux en venir. Sa question me fait éclater d'un grand rire qui attire sur moi quantité de regards des personnes se trouvant dans la file. Et la voilà qui hésite, ce qui me fait rire plus encore. J'ai vraiment eu raison de faire ce papier ; je le sens dans le fond de mes tripes. Je la serre dans mes bras, riant toujours.


| Parfait, ma chérie. Dans ce cas, il va falloir que tu t'habitues à ton nouveau nom de famille... Ta mère sera contente pour nous. Bon, j'ai une faim de loup mais honneur aux dames ! Choisis et si t'as des questions, fonces. Après il sera trop tard! |

Savannah me rappelait tellement sa mère, si humaine et pleine d'entrain. Comparer Savannah humain à Isadora lycanthrope pouvait sembler bien peu avisé, dans le sens où la différence d'espèce induisait une faille monumentale entre les deux jeunes femmes à touts points de vue. Pourtant, Isadora restait malgré tout différente des loups que j'avais connu pendant toute ma vie, car elle était devenue lycanthrope à la suite d'une morsure. Comme toutes nos femmes d'ailleurs, jusqu'à la naissance des jeunes enfants loups de mon épouse. Quoiqu'il en soit, on reconnaît de suite le lien de parenté entre les deux Doyle... Ou plutôt les deux femmes Valentyne. La jeune fille me précise qu'elle est contente de me voir. Je la regarde non sans une certaine douceur et un léger amusement.


| Moi aussi je suis content, c'est pas assez souvent qu'on se retrouve comme ça pour manger ensemble |


Il faut dire que je pouvais là dans l'immédiat trouver un nombre incroyable d'excuses qui pourraient être tout à fait véridiques. Les problèmes de sa mère, ceux des jumeaux, la Meute, le procès que j'avais engagé contre les individus qui avaient révélé mon identité... Que l'on n'avait toujours pas identifié, et une plainte contre X met énormément de temps à aboutir. Entre ça et les funérailles de Mary, les menaces que faisaient peser sur nous les vampires ou encore les papiers que je devais sans arrêt régler. C'était assez incroyable quand on y pensait, mais c'était comme ça. La jeune fille continue de me taquiner. Elle a déjà une sacrée répartie. J'ai presque peur de ce que cela pourrait donner auprès des garçons.... C'est donc que quelque part, je dois être prêt à devenir son père ou quelque chose dans ce genre là... Et elle enchaîne sur un peu de sarcasme. Dis donc, on a quand même un sacré débit de conneries à la longue, vous pouvez me croire !


| C'est elle qui en a... Après tout, il y a un paquet de petites louves comme elle qui aurait bien voulu sa place... | répondis au tac au tac


Et voilà que nous parlons maintenant d'un sujet autrement plus sérieux. L'adoption son nom et tout ça. Mais je la sens hésiter, comme si quelque chose la retenait ? Je préfère ne pas bêtement paniquer ; j'attends qu'elle m'en dise plus d'elle même avant de savoir quoi penser de cette espèce de retenue dont elle fait preuve. Je souris finalement devant son hésitation. Savannah était comme Isadora, elle avait une histoire. Et je ne voulais pas entrer un peu plus dans son existence pour tout bousculer, alors là vous pouvez en être certains.


| Bien sûr, tu n'es même pas obligée de vouloir mon nom, si tu préfères continuer de t'appeler Livingston... Je ne te force à rien, petite. |


Je la considère d'un regard doux. Je ne veux pas la décevoir, surtout pas quand elle me jette ce genre de regards...


| Pour la conduite, je préférerai que ce soit moi oui. Entre nous, ta mère est dangereuse quand on lui confie une voiture... Pour le reste, c'est également le cas. Et tu seras ma fille aux yeux de la Meute.... Même si cela ne t'inclues pas plus dedans. |


Je profite qu'on nous interpelle pour commander les sandwichs pour me sortir de là. La serveuse fait des yeux ronds quand j'annonce qu'il m'en faudra trois pour moi et que la petite va commander aussi. Je règle le tout, bien sûr. C'est moins qui invite.


| Tu as d'autres questions, pendant qu'on y est ??

Malgré le sérieux du sujet que nous étions en train d'aborder avec Savannah, je n'avais absolument aucune idée de ce que je pourrais adopter comme technique pour aborder des sujets encore plus douloureux. Parce que je ne voulais pas tenir Savannah à l'écart de ce qu'il se passait autour d'elle, j'étais convaincu que ce n'était pas vraiment respectueux. Elle était plus intelligente et plus mature que cela, et je savais aussi que si elle apprenait tous les dangers qui pesaient sur notre famille par d'autres personnes que moi même, je serais vernis. Elle allait m'en vouloir à mort... Et même, dans tous les cas j'avais l'impression que c'était toujours mieux si je lui en parlais de moi même, honnêtement et sans langue de bois. Savannah était entre deux univers distincts et dangereux ; elle devait comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui l'attendait. J'aime tellement quand Savannah fait de l'esprit ; elle ne ressemble jamais autant à sa mère et elle paraît parfois si innocente que c'en est rafraîchissant avec tout ce que j'ai à gérer en temps normal... je pars d'un petit rire


| Oh, tu sais, je crois que ta mère sait très bien surveiller son « territoire »... |


J'avais déjà vu Isadora, de fait, transformée et aggressive, à montrer les dents devant qui m'approchait. J'aimais toujours la voir dans cet état, ça me glorifiait l'égo et ça faisait toujours plaisir à voir tout cet intérêt porté à mon endroit. Bref, ce n'était pas vraiment ça le sujet de notre conversation du jour, il fallait que je prenne garde à bien me recentrer sur l'essentiel. Je souris alors que je commence à engloutir mon premier sandwich à grandes bouchées affames.


| D'accord, il faudra qu'on pense à bien noter ta volonté de garder aussi ton ancien nom, sur le papier, sinon ils risquent de nous faire un schmilblick pas possible. Mais je n'ai rien contre, vraiment. |


Je comptais en effet la rassurer du mieux possible à ce sujet, qu'elle ne pense surtout pas que je me pense contraint et forcé, déçu de sa décision, parce que ce n'était absolument pas le cas. La jeune fille me sourit quand je parle de la Meute. Ouf, elle même n'a pas l'air déçue. Pourtant, elle hésite, comme si elle aurait souhaité me dire autre chose. Je sais ce qu'elle ressent, du moins je m'en doute.


| Tu fais partie de cette famille, Savannah. Tu fais partie d'une famille de gens qui t'aiment et pour qui tu comptes. Tu n'as pas besoin d'être louve pour cela. Et autrement tu es lycéenne, tu as la chance de pouvoir faire des études, de trouver un travail normal. Ta place est parmi les tiens et parmi les hommes. |


Je parlais, bien entendu, des hommes avec un grand H, sous entendu l'Humanité.


| Mais en tant que fille de l'Ulfric, il y a des choses que tu dois savoir. As tu tout compris ce qu'il s'est passé ces derniers temps, entre la perte de mon poste dans l'équipe de Rugby d'Edimbourg et notre déplacement à Wolfheaven? |

La territorialité est quelque chose de très important chez nous autres, lycanthropes. On se sent très porté sur ce qui est à nous et ce qui ne l'est pas ; cette simple phrase résume à elle seule la majorité des rapports entre loups affiliés à la Meute ou non. Je ne sais pas si la jeune fille peut vraiment comprendre ce dont je parle. Pour les humains, les histoires de possessions passent à un rôle finalement secondaire. Il y a des assurances, on relativise, l'argent finalement est la principale monnaie d'échange pour presque tous les rapports... Ce qui n'est absolument pas le cas chez nous autres lycanthropes. Chez nous, il s'agit avant tout de respect et d'honneur, et on ne transige pas là dessus. En s'en prenant à quelque chose qui appartient à quelqu'un d'autre, on se retrouve très vite à devoir se battre, pour l'honneur, pour le devoir. Ce sont des choses qui nous parlent à nous autres lycanthropes. C'est comme ça que nous fonctionnons depuis la nuit des temps, en nous basant sur nos instinct les plus primaires. Nous ne connaissons absolument aucune autre manière de fonctionner, c'est comme ça que l'on a toujours fait et que nous ferons toujours. Nous nous étions donc mis d'accord sur son nom ; manière de dire que l'on pouvait toujours s'arranger.


| Non non, c'est à moi de le faire. Si les écritures sont différentes on risque de se poser des questions... |


Je commençais à me caler doucement avec le premier sandwich, bientôt englouti. Je me régalais avec la sauce pimentée, mais ça manquait encore un peu de viande à mon goût. Bah, peu importe. L'important est de pouvoir se caler à peu près correctement. Et ici, c'était souvent le cas, même si ça me revenait cher. Je me rends compte que Savannah attend plus de nous, tout en sachant que ce n'est pas possible. Elle souhaite en effet prendre une part plus active à tout ce qu'il se passe, je le sens. Quelque part, les chiens ne font pas des chats, et sa mère aurait elle même eu l'impression d'avoir été mise en cage... Ainsi donc, elle est au courant pour Mary. Comment l'a t'elle appris ? Ce soir là, elle était dans Wolfheaven avec les petits, Isa et Mike pour les protéger. Elle a dû entendre des bruits de couloir. Il fallait que je pense à sermonner quelque peu mes loups, il y avait des choses qui ne se disaient pas aux enfants. Ce qu'elle dit sur l'impression de faire partie de la famille me blesse et je sais que cela mettrait sa propre mère dans tous ses états, mais je n'ai pour le moment pas trop le choix je dois temporiser, trouver quelque chose d'intelligent à lui dire. Je la laisse terminer sa longue tirade de tout un bloc. J'essaie de réfléchir à ce que je pourrais lui dire, de manière aussi honnête qu'intelligente. Ca n'a vraiment rien de facile, vous pouvez me croire...


| En aucun cas tu es un membre à part de la famille, Sav'. Tu as peut être l'impression que c'est le cas, mais je t'avoue que nous n'avons jamais pensé à faire de différences. La preuve. Tu viens avec nous à Wolfheaven alors que c'est d'ordinaire interdit aux humains. Simplement, les jumeaux réclament plus d'attention que toi de la part de ta mère, et de mon côté... |


J'hésite avant de poursuivre, certain de la désapprobation d'Isa à mon sujet.


| Tu penses peut être que ce serait plus simple si tu serais louve, mais je peux te certifier que ce ne sera jamais le cas. Tu risquerais de mourir, et tu serais à tout jamais enchaînée à la Meute. Tu as l'opportunité de grandir et de mûrir au milieu d'une famille aimante, et plus encore, au milieu d'une Meute. Profites en. Et fais tes propres choix. Tu dois vivre ton humanité pleinement, petite. C'est ce que tu es. Et ça ne change rien à l'amour que ta mère et moi te portons. |

Savannah n'aura probablement jamais conscience de la chance qu'elle avait d'être humaine, d'être normale dans un monde qui ne digérait pas la différence. Un jour prochain, je lui parlerai de mon enfance. Pas pour qu'elle me plaigne, ça non. Pour qu'elle se rende compte qu'elle a de la chance, qu'elle a un cadre particulier dans lequel elle peut se développer sans trop de soucis. Cela ne voulait pas dire que la normalité était à assimiler à une vie plate, fade et sans goût. Non, absolument pas au contraire. Elle avait un large panel de choix et de décisions à prendre dans sa vie, une liberté comme je n'en connaîtrais probablement jamais de pareille. Il fallait qu'elle se saisisse de son destin, et mon rôle à venir en tant que père était de l'aider dans cette direction. Je me rendais bien compte que ce rôle n'allait pas être de tout repos, bien au contraire. Savannah, je ne le répéterai jamais assez, ressemblait énormément à sa mère ce qui avait le don de me rendre la vie plus difficile mais ô combien plus intéressante. Quoiqu'il en soit, je ne voulais pas qu'elle aie le début de l'impression de ne pas être aimée. Qu'elle soit différente oui, personne ne saurait le nier. Ce serait de l'hypocrisie absurde et totalement imbécile. Mais la différence est une force. Comme je le disais, elle avait le pied entre deux mondes, bénéficiant des deux... Mais doublement en danger. C'était comme ça. A nous d'y remédier, ses parents. A nous de lui donner les armes. Elle en a déjà quelques unes. Je n'aimais pas trop pour autant la tournure que prenait la conversation, et c'était peu de le dire.


Elle est visiblement gênée en reprenant la parole. Je la détrompe aussitôt.


| Ce n'est pas tant un privilège qu'une obligation. Personnellement j'étais très heureux en dehors de Wolfheaven. Mais nous devons nous protéger. Et tu es autant en danger que nous, pour la simple et bonne raison que tu fais partie de la famille, que tu es humaine et nous non. C'est par mesure de sécurité. Et on sait très bien que cela ne facilite rien pour toi, mais pour le moment nous n'avons pas vraiment le choix... |


Je soupire en l'entendant parler du fait de devenir louve. Ses explications sont confuses, et elles me convainquent qu'à moitié. Je repose la nourriture, avale la bouchée et fais passer le tout avec une bonne lampée de soda.


| Là il va falloir que tu précises. Parce que je comprends absolument rien de ce que tu me racontes. Tu me causes pas de soucis ni de tords. Tu ne me déçois pas non plus. Je sais de source sûre que ta mère est extrêmement fière de toi. Quelles sont ces emmerdes ? |

HRP:

Je savais à quel point les jeunes gens pouvaient se laisser miner par des problèmes éminemment personnels et sans point de comparaison possible, les considérait comme insurmontables. C'était déjà mon job, mais aujourd'hui plus que jamais je devais faire en sorte que Savannah se sente bien dans ses baskets. Je savais que je pouvais dire quantité de choses pour la faire relativiser quelque peu, mais je ne voulais pas non plus qu'il puisse y avoir motif à la heurter par des histoires sanglantes de mon enfance passée au sein de la Meute. Je me demandais ce que savait la jeune fille de mon propre père. Si elle l'avait rencontré... Elle aurait eu droit à une toute autre éducation, que j'ai ou non mon mot à dire. Quoiqu'il en soit, je devrais peut être lui parler de mon merveilleux géniteur. Cela pourrait lui faire comprendre pas mal de choses. Je me rends compte qu'avant tout, la jeune fille a besoin de se trouver, et il m'est de plus en plus évident que nous n'y parviendront pas si aisément que cela. Il fallait qu'elle trouve sa place ; la rassurer était important mais ça ne pouvait pas tout faire, tout réussir. Il fallait que les choses viennent d'elle, et pour cela il fallait qu'on lui montre que les décisions étaient aussi importantes à prendre qu'à assumer. Il fallait qu'on la responsabilise, en fait. Et dans le monde dans lequel nous vivions, c'était plus difficile que jamais contrairement à ce que l'on pourrait penser. Quoiqu'il en soit, il est évident que la jeune femme se sent perdue. Il lui faut un moment pour trouver ses mots et je l'écoute, terminant les derniers reliefs de mon repas pour me concentrer sur mon gobelet de soda, alors que ma fille me confie ses peurs et ses doutes.


Bien sûr qu'elle a peur pour nous. Elle nous aime, malgré les brouilles du quotidien. Peur pour elle ? Je comprenais aussi. Je ne pouvais pas faire grand chose contre ça... Ou alors, peut être... Cela allait être dur de le faire accepter à Isadora.


| Arrêtes ton char petite. Tu n'es ni source de problèmes ni base d'insatisfaction bien au contraire. Tu penses que je voudrais devenir officiellement ton père si tu étais tout cela ? Pour ta mère aussi, tu comptes plus que tout. Au contraire de tout ce que tu penses, tu nous rappelles avec beaucoup de force ce que nous sommes, en plus du loup qui sans cesse bouscule nos émotions et nos sens. Tu es ce qui nous relie à l'humanité, Savannah. Tu es ce qu'il y a de meilleur en nous, crois moi. Et ta mère comme moi même tenons énormément à ça. Si tu entendais ta mère, parfois... Elle dit souvent que tu es sa plus belle réussite, et tu ne sauras sans doute jamais à quel point elle a souffert de te perdre, il y a des années. |


Je repose mon gobelet vide ; il ne faut pas que je traîne plus que cela. Les urgences de mon office, comme d'habitude. Je pèse un instant le pour et le contre d'une idée avant de le lui exposer


| Pour ton aptitude à te défendre... Je ne vois personne de mieux qualifier pour t'apprendre et te rassurer que ta mère. Elle a éduqué et presque élevé même, les plus jeunes de nos louves. Elle sait aussi se battre... Je lui en toucherais deux mots si tu veux. |


Je me relève en enfilant mon manteau, et esquisse un sourire.


| Les choses s'arrangent toujours, Savannah. Tu verras. D'une manière ou d'une autre. Mon travail est justement de faire en sorte que tout le monde aille bien. Ne t'en fais pas trop, d'accord? |

HRP: