Qu’est-ce qu’il se passait ? Si je le savais moi-même. J’avais reçu le sms de Mary comme tout le monde apparemment sans avoir une explication de plus. Depuis, mon portable n’arrêtait pas de sonner. Les miens s’inquiétaient à juste titre face au message solennel de la Lupa et ne pas savoir leur répondre me frustrait à un point impensable. Parce qu’apparemment, elle avait jugé bon de me laisser aussi dans le mystère, ce qui n’était pas pour me rassurer. Elle conviait ma communauté sans me consulter et ça, sans rien m’expliquer. Ça ne me plaisait vraiment pas et je présageais le pire. Cette réunion était trop officielle à mon goût et sachant que je serais un des principaux participants, j’aurais préféré tout de même être au courant avant de m’y retrouver confronter. J’avais directement pris la route dès que j’avais posé les yeux sur son message et avais dû rapidement adopter l’oreillette pour pouvoir décrocher tout en conduisant. Je passais donc l’ensemble du trajet à apaiser les changelins les plus angoissés tout en étant moi-même plongé dans l’incertitude la plus totale. Kate avait été la première à m’appeler pour me demander le pourquoi du comment. De toute évidence, ça ne l’enchantait pas de devoir faire une heure de route sans savoir de quoi il en retournait. Surtout qu’apparemment, mon bras droit était alité avec une fièvre de cheval et une grippe terrifiante. Cette nouvelle avait fini par faire grimper ma nervosité en flèche mais je maîtrisais mon sang froid autant que possible. Ça ne servait à rien de spéculer dans l’absolu, on saurait très vite à quoi s’en tenir. Par chance et par choix à vrai dire, vivre non loin de Wolfheaven avait bien des avantages, surtout quand la chef de la meute décidait de nous convier à la dernière minute. J’arrivais dans les premiers au domaine - heureusement. Je me dépêchais de rallier le lieu du rendez-vous et trouva la mise en scène assez parlante.

Je m’approchais du cercle prudemment et analysais chaque détail qui pourrait me permettre d’anticiper les prochaines heures. La menace qu’elle avait fait planer déjà par écrit, semblait s’intensifier à mesure que je m’approchais. Je pu discerner les coups, les morsures qu’avaient subi les trois loups placés au centre de l’animation. Merde. Ca craignait et pas qu’un peu. Je rassemblais toute mon énergie et mon calme, fixais mon masque habituel pour ne rien laisser paraître avant de m’avancer. Je croisais à tour de rôle les regards des changeurs alors que je m’avançais directement vers les trois protagonistes, enseveli par le silence le plus absolu, quasi religieux. La tension était tellement palpable qu’elle coupait le souffle de l’assemblée. Je me postais face à Mary, lui adressais un signe respectueux de tête ainsi qu’aux deux autres loups à ses côtés et froissais l’absence de bruit d’un murmure qui n’était adressé qu’à la Lupa. « Bonsoir Mary. » Mes intonations restèrent basses, mesurées, sereines malgré le fait qu’intérieurement, j’étais agité par diverses émotions plus contradictoires les unes que les autres. « J’aurais aimé être au courant avant que tu ne convies les miens ici. Était-ce à ce point nécessaire ? Qu’est-ce qu’il se passe ? » J’avais conscience que toute l’attention était fixée sur nous et que mon interlocutrice ne semblait pas dans de bonnes dispositions. Qui les avaient attaqués ? Comment ? Pourquoi ? Et bon sang, pourquoi ne pas m’avoir prévenu moi seulement - et Alan  pour en discuter ? Pourquoi avoir appelé tout le monde ? Cette situation était et allait être épineuse, je n’en doutais pas un instant.

Je n'ai pas vu mes premiers jours à Glasgow passer. Suite à ma rencontre avec la lupa, Mary Wellesley, j'avais gagné un hôtel en centre-ville, le temps de régler les nombreuses démarches administratives liées à mon installation. Mais enfin, j'étais muté. J'allais pouvoir m'installer à Wolfheaven le temps de trouver un appartement, et souffler un peu. C'était du moins ce que je croyais jusqu'à ce que je reçoive un SMS de Mary sur mon smartphone.

Autant pour la soirée télé. Il me faut encore une fois prendre la route. Au ton du message envoyé, je sens que la soirée risque d'être tendue. Qu'a-t-il bien pu se passer, pour que l'on soit ainsi sommés de se rendre à Wolfheaven ? Je n'ai aucune idée et n'ai pas le moindre moyen d'en savoir davantage. Je n'aime pas ça du tout.
Je passe une veste en cuir sur mes épaules, au-dessus de mon tee-shirt noir, prends les clefs de ma voiture de location et sors de la chambre d'hôtel. Je vais bientôt savoir ce qui se trame au QG. Inutile, pour le moment, de trop m'en inquiéter. Je n'aimais déjà pas être appelé de cette façon par mon ancienne meute, mais avec celle-là, c'est pire encore. Je connais à peine leur visage, n'ai même pas encore eus le temps de prendre mes marques. J'ai la sensation d'être un morceau de puzzle intégré de force à un endroit qui n'est pas sa place. Ni même son puzzle d'origine.

Bref, j'accélère en direction du nord de Glasgow, pestant à chaque feu qui me retient. Les minutes s'écoulent, et je me mets aussi à craindre d'arriver en retard. Pour un premier jour d'école, ça la ficherait mal.
Heureusement, Wolfheaven ne tarde pas à apparaître, fadement éclairé des rayons d'un soleil harassé par une journée à briller. Le haut mont grandit au fur et à mesure que je m'approche, révélant son impressionnante majesté. L'altitude grimpe soudain, et je me sens happé par cette atmosphère de mystères caractérisant les sites chargés d'histoire. Et puis, plus vite que je le pensais, me voilà presque au sommet. Je gare la voiture, défais ma ceinture et sors. Il me faut respirer une grande goulée d'air tiède, afin de rassembler mon courage et m'avancer vers les murailles dévorées par la végétation. Mais je me fige, car cet air que je respire m'apporte une odeur ferreuse, que je reconnais entre mille. Le parfum si commun, pour moi, du sang. Ou plutôt, de sangs. Il n'y a pas que l'odeur caractéristique des miens, dans cet amas d'hémoglobine.
Mes jambes me guident plus rapidement vers le sommet du mont, avant que je n'aie le temps de m'en rendre compte. Je les découvre alors, tous en cercle autour des chefs. Les exécuteurs sont tâchés de ce nectar qui imbibe mes narines et m'entête. Ils portent, aussi, des blessures qui ne mettent heureusement pas leurs jours en danger. Devant Mary elle-même, un type se tient debout, et je flaire que leur face à face est légèrement tendu.

Moi aussi, je suis tendu. Je ne sais pas trop où me mettre. Je me contente bêtement d'incliner la tête en guise de salut, mais mes sens sont en alerte. Je me tiens prêt à ausculter l'un des blessés si nécessaire, mais, ne sachant si mon expertise sera sollicitée, je m'approche du cercle et attends qu'il me soit permis de prendre place parmi les autres. J'ignore comment cela fonctionne, ici. Je me sens complètement gauche devant tant de solennité, car les us et coutumes que nous avions en Belgique ne sont peut-être pas les mêmes, ici. Nous ne pouvions rejoindre le cercle sans avoir salué comme il se devait l'ulfric et sa lupa, et que ceux-ci consentent à nous laisser s'assoir. Je me sens con à attendre obséquieusement la permission, mais au moins ne passerai-je pas pour un malpoli. Puis, je ne suis pas le seul debout. Maintenant que mon attention a cessé de se focaliser sur les surprenantes et non moins inquiétantes blessures des exécuteurs, je remarque du coin de l'oeil une jeune femme non loin de moi. Ce n'est pas une louve, cela dit. Bien que mon odorat soit gêné par les nombreux effluves qui émanent, je ne la reconnais pas comme l'une des miennes. Une méta, sûrement. Je m'en désintéresse donc aussitôt.

Hayden et moi étions en chasse. J’avais l’impression qu’un siècle s’était écoulé depuis la dernière fois que nous avions fini un peu plus tôt le boulot pour aller courir. Il faisait vraiment beau et Savannah ne dormait pas à la maison. Bref, le moment idéal. J’avais vraiment été contente quand il m’avait demandé de le rejoindre à 17h sur le domaine des loups. A peine étais-je arrivée que nous nous étions élancés dans la forêt. Nous avions trouvé très rapidement notre proie, que nous avions chassé puis dégusté à deux, avant d’aller de nouveau courir, juste pour le plaisir de passer du temps ensembles. Cela m’avait manqué, et j’avais l’impression de revivre, que mes ennuis s’envolés. Et puis un hurlement, suivi d’un second. On s’était stoppé tout de suite dans notre élan et si nous courrions, ce n’était plus pour nous amuser, mais pour foncer vers la source de ce qui semblait un combat.

J’étais arrivée la première, de quelques secondes et avais sauté à la gorge d’un métamorphe sous forme de loups qui s’apprêtait à attaquer Mary. Hayden arriva juste après, et fit de même. Ou du moins j’imagine. Je n’avais pas vraiment eu le temps de m’attarder sur ce qu’il faisait, trop occupée de mon côté. Si le métamorphe ne m’avait pas posé de problème, le loup de la meute beaucoup plus. Acculée au début par le pouvoir d’un semi-démon qui vint brûler plusieurs fois ma fourrure, et un de mes soi-disant frère, la tâche était plus ardue. Je ne sais pas s’il s’agissait de Mary ou Hayden, mais quand l’enfant du diable cessa d’user de ses capacités, je pus enfin me lancer dans un combat équitable avec le traitre. Oui équitable car j’étais blessée et lui moins fort que moi. Nous échangèrent beaucoup de coup de griffes et de morsures et il me fallut une bonne demi-dizaine de minutes pour le dominer. Je n’achevais pas sa vie, le laissant tout juste en vie. C’était à Mary de décider de son sort. Lorsque j’eu fini, mon regard balaya la scène. Il y avait du sang partout, et des corps jonchant le sol. Encore sur leurs pattes se trouvaient Mary, reconnaissable à son pelage et à son odeur, Hayden et moi… Je lâchais un léger gémissement en m’apercevant que parmi les morts se trouvaient Andrew. Je vins vers son corps, mais il n’y avait plus rien à faire. Sa vie s’était envolée. Je poussais une longue complainte tandis que la Lupa s’occupait du cas du traitre. Puis nous avions installé le loup sans vie sur le dos d’Hayden, le plus robuste d’entre nous et nous avions regagné Wolfheaven, rejoints en chemin par d’autres membres de la meute qui remplacèrent Hayden afin de le soulager.



La suite se passa tout aussi rapidement. Nous n’avions pas vraiment eu le temps de souffler. Il fallait d’abord s’occuper de la dépouille du notre. Transformés en humain, on enfila des vêtements puis accompagné de plusieurs loups, je m’étais enfoncée avec des pèles dans la forêt. Hayden lui était, il me semble resté avec Mary. Je ne sais pas trop. Tout ce que je sais c’est que lorsque je revins une bonne demi-heure plus tard, on nous dit de rejoindre le lieu de rassemblement et que tout le monde, loup et métamorphe avaient reçu cet ordre. Lorsque j’arrivais quelques loups étaient déjà assis autour de notre Lupa, qui me fit d’ailleurs signe de me placer à côté d’Hayden. Sans un mot, je fis alors cela, rendant juste un vague signe de tête aux loups qui me saluèrent ainsi. Bien vite le cercle se compléta, et si quelques métamorphes s’étaient mélangés aux loups, la plupart s’était regroupé entre eux. Une dizaine de minutes plus tard, à l’heure, Camille arriva. Je lui fis un vague sourire, à son signe de tête, qui s’envola lorsqu’il demanda à Mary le pourquoi de cette réunion. Il fut suivi de près par une métamorphe, à qui je fis signe de prendre place et de ne pas rester planter debout devant nous. Si l’attitude du leader des métamorphes était légitime, la sienne non. Elle devait prendre place comme tous les autres et attendre, comme tous les autres. Car à la dernière nouvelle, elle n’était ni le bras droit de celui que j’appréciais beaucoup, ni même son co-leader. Je suis aussi signe au nouveau dans la meute de s’installer. Sans aucun doute, il ne devait pas trop savoir s’il pouvait ou non. Je lui accordais un léger sourire en lui faisant un signe de la main de s’installer. Après tout, même si je me méfierais de lui au début, il était un des miens. Et il était en plus médecin. Vu les contusions et toutes les brûlures que nous avions encore avec tous les trois, son aide ne sera sans doute pas de refus plus tard. J'avais gardé pas mal de cicatrices des années sanglantes. Si je pouvais m'en épargner des nouvelles, j'étais plus que partante.

Je pestais. Si la voiture n’avançait pas plus vite, j’allais arriver en retard. Ok, je ne pestais pas, j’étais énervée. Ce n’était pas tant que je craignais d’arriver en retard, là n’était pas la question. Nous étions le 15 août et c’était ma semaine de congé. J’avais réussi à prendre une semaine de repos, loin de l’agence, loin de tout souci professionnel, et voilà qu’un autre problème se présentait, alors que j’étais en vacances. Bordel ! Cette réunion avait intérêt à être importante, et même plus que cela, sinon je repartirais direct sans demander mon reste. J’avais quitté l’appartement précipitamment, y laissant un Alan malade comme un chien. C’était le cas de le dire. Cela faisait presque une semaine qu'il ne se sentait pas bien, et deux jours à présent qu’il restait alité, en mode larve, complètement vidé de ses forces, sous traitement. Deux jours que je m’évertuais à le soigner à grands renforts de médicaments, mais, jusqu’à présent, aucune amélioration ne pointait le bout de son nez. Et voilà maintenant que je devais me taper une heure de route d’Édimbourg à Glasgow, pour rejoindre Wolfheaven et leur réunion dont on ne savait rien. Joie !

J’avais été tentée de ne pas y aller. Vraiment. Qu’est-ce qui pouvait être si important pour qu’on nous dérange en début de soirée de la sorte ? En recevant le sms de Mary, j’avais haussé un sourcil interrogateur, et j’avais directement tenté de joindre Camille pour en savoir plus. À ce que j’avais compris, il était déjà dans la voiture pour se rendre au lieu de rendez-vous. Et il ne savait pas ce qui se passait. Ah. Bon. Ok, génial. Si notre leader ne connaissait même pas les raisons de cette réunion lancée par la Lupa, ça ne présumait rien de bon. Alan avait tenté de se lever pour faire mine de m’accompagner. Je l’avais repoussé dans le canapé, avais remis correctement les couvertures sur lui, et lui avais ordonné de rester là. S’il venait, je ne donnais pas cher de sa santé. Il avait mollement rétorqué qu’il devait être là, en tant que bras droit de Camille, mais j’avais su me montrer convaincante et il avait dû se plier à mon avis. Encore heureux. La situation puait déjà assez pour que je doive en plus le surveiller et surveiller son état physique.

Je devais me dépêcher si je ne voulais pas manquer le début et me faire mal voir par les personnes présentes ce soir. Je rassurai vite fait Alan quant au fait que j’allais être prudente ce soir – après tout j’allais devoir l’être, pour moi, et pour notre futur bébé – et sortis de l’appartement en prenant veste et foulard. L’air pouvait être frais les soirs de mois d’août, et je ne voulais pas risquer de tomber malade moi aussi. Qui nous aurait gérés alors Alan et moi, tous deux alités dans notre appartement, incapables de faire le moindre geste sans gémir ? Rapidement, je rejoignis ma voiture garée en bas de chez nous, et mis le contact. Les routes étaient dégagées en ce début de soirée, et heureusement. Je n’avais jamais aimé conduire quand la circulation était trop dense. Et puis, j’étais déjà assez nerveuse comme ça, mieux valait ne pas aggraver mon état d’anxiété.

Lorsque je parvins enfin à Wolfheaven, beaucoup de métamorphes s’y trouvaient déjà. Les loups s’étaient assis en cercle, et les changeurs les avaient rejoints, choisissant de se placer les uns à côté des autres néanmoins. Je vis Camille de dos, affrontant verbalement Mary. Leur échange semblait tendu, ainsi que les épaules de notre leader qui allait devoir se passer de son bras droit ce soir. J’espérais que tout allait bien se passer. Promenant mon regard sur les loups, je vis qu’Isadora et Hayden portaient tous deux de violentes traces de lutte sur leurs corps, et du sang séché s’étalait sur eux, diffusant l’odeur particulière du sang autour d’eux. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Un frisson me parcourut, en me disant que c’était visiblement quelque chose de grave. Saluant vaguement d’un faible sourire les métamorphes et lançant un signe de tête discret aux loups qui daignèrent lever leurs yeux vers moi quand j’approchais du cercle, je finis par m’asseoir avec les miens, attendant que l’objet de cette réunion soit porté à notre attention. Le silence qui régnait sur notre cercle était intimidant. Mais cela me permit d’entendre distinctement ce qu’Hayden finit par répondre à Camille, comme tous les membres de l’alliance présents. La surprise me fit ouvrir légèrement la bouche, articulant un « Quoi ? » inaudible, avant de la refermer aussi subitement que je l’avais ouverte. Je jetai un coup d’œil furtif à mes compagnons, guettant leur réaction.

Hors-Jeu:

J’étais dans une fureur sans limite. Pourtant mon corps ne laissait rien percevoir. Mes poings n’étaient pas fermés. Mes yeux ne lançaient pas des éclairs. Mon visage était neutre. Mais à l’intérieur, c’était un chaos qui se déchainait. Je luttais contre mon loup qui voulait sortir, massacrer tous ses métamorphes inutiles à présent pour nous. Il voulait se venger, déchiqueter leurs carnasses, les torturer, et en faire des exemples. J’étais prise d’une folie meurtrière que je gardais en moi, que je me devais de contrôler. J’étais la Lupa, l’exemple de mes loups. Je ne pouvais pas faire ce que je voulais, et laissais assouvir mes plus bas instincts, mes plus basses envies. Face à mes loups, je me concentrais sur leur odeur réconfortante, pour calmer l’animal en moi. Je m’étais enfilée aussi un steak saignant avant cette réunion que j’avais organisé juste après mon attaque. Si je ne l’avais pas fait les exécuteurs auraient du m’enfermer et Hayden gérait le problème à ma place. Et cela était, bien entendu, hors de question. Cependant, si je lui avais dit qu’il représenterait son père, ce n’était pas qu’une lubie mais une manière supplémentaire pour rester maitresse de moi-même. Et, au cas où je n’y arriverais pas, qu’il puisse me remplacer au pied levé. Quant à l’autre imbécile de louve qui s’était rattrapée ses dernières années, mais que je ne pouvais toujours pas piffrer, elle était à côté d’Hayden et à notre hauteur car la spoiler aurait été une atteinte à son acte. Je devais le reconnaitre : elle avait risqué sa vie pour me protéger, alors qu’à sa place, j’en aurais profité pour justement prendre la position de Lupa en tuant celle qui avait été affaiblie pas les combats. En ce sens Elle et son Propriétaire étaient faibles, et forts. Faibles car peu ambitieux. Forts car possédant un sens accru de la fidélité et de ce qui était bon pour la meute. Je pouvais au moins leur reconnaitre ça…

Quand les métamorphes arrivèrent, je ne leur fis aucun salut. Je gardais mon regard fixé sur mes loups, laissant la diplomatie, pour le coup, au placard. Je fus cependant forcée d’y faire appel quand Camille se planta devant moi en demandant des explications. Je levais les yeux vers lui, un regard à présent glaciale, contrastant avec mon visage neutre. Qu’une de ses « copines » en plus reste à côté de lui et s’accapare une place qui n’était pas la sienne me dérangeait encore plus au plus haut point. Pour qui se prenaient-ils ? Se pensaient-ils plus supérieurs que mes loups. Quelque part, ce fut mieux que ce soit Hayden qui réponde à l’homme. Pour ma part, je pris juste la peine d’avancer vers la métamorphe et de la forcer à plier sous ma force et à s’asseoir comme tous les autres. Je lui lançais d’ailleurs N’oublie pas qu’elle est ta place et ne prêtant pas à une autre que cette dernière Je la relâchais aussi sec, et fit signe à Adam de s’occuper de l’héritier de mon ulfric. Me tournant vers toute l’assemblé, un regard toujours terrible, je les jaugeais un part un, jugeant leur réaction, écoutant leurs battements de cœur, pour repérer un autre traite, une autre anomalie… Je m’arrêtais sur la femme Dougal un sourire un peu cruel aux lèvres. Voilà qui était intéressant… Je revins vers Camille et finis par lui dire J’attends une explication pour ce qui s’est passé. Trois de tes métarmorphes ont essayé d’attenter à ma vie. A la dernière nouvelle Angelina, Gabriel et John étaient sous ta responsabilité. Avant de lancer les miens sur ta « communauté » en réclamant la compensation pour la vie de mon loup, j’attends d’abord tes explications

Toute ma concentration était focalisée sur le trio qui me faisait face, bien que je veillais à surveiller partiellement ce qui m’entourait. Je pouvais entendre les pas des nouveaux arrivants mais je ne leur accordais pour l’instant aucun regard car le vrai spectacle se déroulait sous mes yeux. Je fixais la Lupa avec calme et sang-froid attendant des explications concernant cette réunion improvisée. Elles ne sortirent cependant pas de sa bouche mais bien d’Hayden, son exécuteur. Mon regard passa de leur chef au fils de l’Ulfric alors qu’il donnait sens à cette mise scène. Une série de jurons troubla mes pensées durant une fraction de seconde suivit de près par une horde de questions plus désarticulées les unes que les autres. Comment ? Pourquoi ? Qui ?  Je ne comprenais pas. Et de toute évidence, eux non plus. Un des leurs avait péri en partie sous les assauts des nôtres. Ceci expliquait donc la théâtralité du moment et le rassemblement. C’était une intimidation, voir une potentielle vengeance. Ce qu’elle me confirma d’ailleurs à la suite en prenant la parole à son tour me forçant à lâcher les traits de Valentyne pour venir cueillir les siens. Elle se déplaça d’abord et je la suivis silencieusement des yeux alors qu’elle forçait Elecktra à s’asseoir. Je me mordis l’intérieur de la joue, ne supportant pas qu’elle touche aux miens sur qui elle n’avait normalement aucune autorité. Néanmoins, je jetais un regard plutôt éloquent à la rouquine en lui faisant comprendre qu’elle avait tout intérêt à ne pas répliquer et à obéir. Inutile d’aggraver stupidement la situation avec une attitude rebelle complétement insensée. Il fallait calmer le jeu d’abord. Ils étaient en deuil et le désespoir allié à l’impulsivité des lycans ne devait jamais être traité à la légère.

Mary revint se planter devant moi et entreprit alors de m’exposer sa rancœur. Elle réclamait justice et je me doutais qu’elle préférait d’abord mettre la main sur les métamorphes avant de remettre en question ses loups. C’était légitime. Nous avions beau nous côtoyer, jamais nous ne serions leurs égales. Nous étions trop différents les uns des autres mais pas forcément incompatibles, je continuais de le penser. Je ne me laissais pas démonter par ses accusations, ni par la force de ma culpabilité, de mes propres émotions. J’avais été trahi tout autant qu’elle jusqu’à dernière nouvelle. J’avais toujours voué une confiance presque aveugle à ma communauté et c’était sûrement ma seule erreur dans ce cas précis. Cependant, elle parlait des miens tout en sachant que les siens étaient en jeu également. Elle semblait momentanément l’oublier, il m’apparaissait clair qu’elle cherchait un coupable et que je me trouvais tout indiqué. Très sereinement, après quelques secondes de battement à rassembler ma pensée, je repris la parole en adoptant toujours une attitude neutre, posée malgré mes propres incertitudes et les menaces qu’elle venait de proférer.

« Je comprends ta colère, elle est justifiée mais ne condamne pas mon espèce pour des faits isolés qui ne sont pas représentatifs de l'ensemble. J’ai peut-être manqué de discernement et de vigilance mais je n’ai pas cherché à instiller la révolte ou à orchestrer un quelconque attentat contre les vôtres. Jamais, je n’aurais imaginé que nous subirions une mutinerie. Et je suis prêt à assumer la responsabilité de ma négligence si c’est que tu souhaites mais je te rappelle que les miens ne sont pas les seuls en cause. Avant de réclamer justice, nous devons comprendre pourquoi ils s’en sont pris à ta vie. Les miens n’ont aucun intérêt à t’attaquer, nous n’avons rien à y gagner et tu le sais. Nous avons toujours apprécié votre aide et votre protection. J’ignore qui est à l’origine de ce mouvement mais qu’il ait grossi dans mes rangs ou dans les tiens ne changent fondamentalement rien au problème. Aucun de nous ne l’a vu venir et le plus important à l’heure actuelle, c’est de savoir pourquoi et qui est concerné. Face à cette crise, il est important que nous restions solidaires et tu sais que je ne laisserai pas ce crime impuni. » Elle me connaissait suffisamment pour savoir que j’étais quelqu’un d’honnête, respectant autant notre alliance, que la meute. J’espérais qu’elle entendrait raison désormais. En attendant, je restais en alerte, à l’affût de chaque son, mouvement, respiration m’entourant conscient que tout ça ne tenait qu’à un fil.

Je vais rapidement chercher mon kit du parfait médecin, que j'ai laissé dans le coffre de ma voiture. Heureusement, j'ai toujours de quoi pourvoir aux premiers soins lors de mes déplacements, car j'aurais été, sinon, bien démuni pour soigner les exécuteurs.
Je reviens aussi vite que j'étais parti et traverse le cercle, pour m'accroupir auprès d'Hayden et poser ma caisse de soins à côté de moi. C'est lui qui, de prime abord, me paraît le plus amoché. Je lui demande de retirer sa chemise afin de pouvoir ausculter ses blessures. Comme je m'y attends, les dégâts les plus gros viennent des brûlures, car déjà, les plaies ont entamées leur processus de guérison. Un humain aurait fini dans mon service, aux urgences, avec de telles traces sur le corps. Heureusement, nous, loups, pouvons encore déconner avec des brûlures au second degré sur le torse et les bras. Néanmoins, je me désinfecte les mains, enfile une paire de gants et nettoie d'abord les plaies. Ôter les corps étrangers est le meilleur moyen d'aider les cellules à se reconstruire proprement, loup ou pas. Je désinfecte ensuite avec une compresse stérile, mais ne peut rien faire de plus pour les brûlures que d'appliquer une bonne couche de Flammazine. Il n'est certainement pas nécessaire d'en faire davantage, de toute façon, bien qu'il faudrait renouveler l'opération le temps de la cicatrisation complète, si Valentyne et sa compagne ne veulent pas finir avec de vilaines traces en souvenir.
Je m'attarde un peu plus longtemps sur la morsure qu'Hayden porte au coude. Le traître qui lui a fait ça n'a pas raté son coup. Il faut suturer pour que la peau reprenne forme plus vite. Le moindre mouvement à cet endroit risquerait de re-déchirer les tissus fraîchement reformés.
« Il faut suturer. Je vais appliquer un anesthésiant local, ce sera rapide et indolore. » dis-je en sortant le crochet adéquat et du fil. Je m'exécute rapidement, tout en me demandant comment débusquer les traîtres qui se trouvent peut-être parmi-nous ce soir. Ceux-là doivent être en position de faiblesse, puisque leur but était de venir à bout de notre lupa. Or, la lupa est toujours-là, et bien décidée à réclamer justice. Voilà quelque chose qui a toutes les chances de mettre les coupables mal à l'aise, si par chance, ils ont quelques scrupules.

Après m'être assuré d'un questionnement muet, auprès d'Hayden, qu'il n'avait d'autres plaies que j'aurais loupé, je me dirige vers l'exécutrice, pour l'ausculter avec le même soin que j'ai porté à son compagnon. Il est difficile de ne pas être distrait par ce qu'il se passe, et je dois me concentrer pour exécuter ma tâche. J'ai encore moins de cartes en main que les autres, pour comprendre la situation, et elle me paraît hautement illogique, comme venait justement de le signaler Valentyne. Quel bordel, vraiment... Autant que j'y réfléchis, je me demande ce qu'aurait à gagner un semi-démon au meurtre de Mary, si tenté qu'il ait été l'instigateur de cela. C'est ce qui m'apparait le plus logique, de prime abord, mais peut-être est-ce, après tout, car j'avais toujours eu du mal à appréhender et comprendre la trahison, quand bien même j'ai eu toutes les difficultés du monde à m'intégrer à ma première meute, et à être en paix avec ma nature.

L’atmosphère s’était tendue d’un seul coup, répandant sur nos corps une chape de plomb faite de surprise, de colère, d’incompréhension et de beaucoup de suspicion. Je n’aimais pas du tout ça. Je n’avais jamais été partisane d’un surplus de conflits. Mon histoire personnelle faisait que j’avais connu les conflits, je savais qu’il était parfois impossible d’avancer sans en déclencher un. Mais je détestais quand les personnes qui s’affrontaient amplifiaient le combat au maximum, oubliant même parfois ce qui les avait menés là. Je connaissais les conflits. Je voyais bien que là, nous allions y arriver, si personne ne faisait rien. Car l’événement déclencheur avait eu lieu. Et il avait été assez puissant pour nous faire nous rassembler en ce lieu, peu de temps après son passage. Les conséquences risquaient d’être déplaisantes pour tout le monde et il fallait que quelqu’un fasse quelque chose pour éviter ça. Mes yeux se reportèrent sur le dos de Camille, qui affrontait toujours Mary.

Celle-ci parla enfin, accusant Camille d’être le responsable de la tentative d’assassinat dont elle avait fait l’objet. Cela me scandalisa. Pour qui se prenait-elle ? Pour accuser notre leader de la sorte ? Notre communauté était tout aussi importante à nos yeux, aux yeux de tous les métamorphes qui y prenaient part, que leur meute l’était pour les loups ici présents. Nous avions confiance en notre communauté. Et si j’avais bien entendu d’ailleurs, les métamorphes n’étaient pas les seuls à l’avoir attaquée. Il y avait des loups aussi dans le groupe rebelle. Et un semi-démon. Alors pourquoi ne se focalisait-elle que sur Camille et les changeurs ? C’était du grand n’importe quoi. Qu’elle s’occupe d’abord de dénicher les traîtres dans son camp, et qu’elle laisse Camille gérer les métas en interne. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi elle avait demandé cette réunion de tous les membres de l’alliance. De plus, elle n’avait même pas prévenu Camille de l’objet de la réunion avant de nous faire tous venir. C’était irrespectueux envers lui et du coup envers toute notre communauté.

Je fus également révoltée par la façon dont elle s’adressait à lui. Comme à un subalterne. Quand est-ce que les loups allaient cesser de nous voir comme inférieurs à eux ? Nous étions censés être une alliance, donc faite de deux communautés différentes, mais qui se devaient d’être sur le même pied d’égalité. « La compensation pour la vie de mon loup ? » Non mais vraiment, elle ne trouvait pas qu’elle abusait un peu là ? On était où ? Dans l’ère primitive de "œil pour œil, dent pour dent" ? Une vie d’un loup a été prise donc une vie de changeur doit l’être aussi ? Je n’en revenais pas de la façon dont elle disait ça, avec désinvolture, comme si c’était normal. Alors que je sentais la colère monter en moi, bien qu’aucun de mes traits ne le fasse ressentir à l’extérieur, Camille lui répondit d’un ton si posé que je me demandai comment il faisait pour rester aussi calme. L’écoutant attentivement, ne voulant pas louper une miette de ce qui se passait ici, sous mes yeux, je me retrouvai à acquiescer lentement à ses propos. Il avait raison. Quel intérêt aurions-nous eu à attaquer Mary ? Il fallait être réaliste, les métamorphes avaient besoin de la protection des loups. Ils avaient de plus un moyen de pression énorme sur nous : ils connaissaient notre nature et étaient dès lors capables de le révéler au monde entier, simplement s’ils se sentaient offensés par nous d’une quelconque manière.

Mon regard dériva ensuite vers Hayden, qui avait pris la parole pour répondre aux propos de Camille. Bien, il semblait avoir un peu de bon sens celui-là. C’était au moins déjà ça de pris. Si lui écoutait ce que notre leader avait à dire, s’il le croyait, Mary serait peut-être plus encline à le faire elle aussi. Je tentais alors de me souvenir de tout ce qu’Alan avait pu me dire sur Mary, Hayden et Isadora, qui étaient parmi les trois les plus importants de la meute, avec l’Ulfric absent. Il les connaissait beaucoup mieux que moi, et si je connaissais leurs noms, c’était uniquement parce que lui m’en avait parlé. Je faisais partie de la communauté et de l’alliance, certes, mais j’avais tout d’abord refusé d’en faire partie. Je ne les avais rejoints que vers la fin de l’année 2013, après être retournée avec Alan. Et même après, je n’avais été présente qu’aux réunions "obligatoires", sinon je préférais ne pas trop me montrer. Je soutenais Alan, et c’était tout. Je savais qu’il ne portait pas Mary et Hayden dans son cœur, ce qui me donnait d’office une mauvaise opinion d’eux. Néanmoins, le loup semblait écouter Camille, et il gagnait par là un point dans mon esprit.

Je n’aimais pas l’attitude générale de certains métamorphes. Si je pouvais apprécier leur leader, il n’en était pas vraiment de même pour les autres. Nombreux d’entre eux se comportaient comme des enfants gâtés, prenant ce que nous pouvions leur offrir et leur apporter, et ne rendant rien en retour. On pouvait sentir que beaucoup nous voyaient comme des monstres sanguinaires, des êtres immoraux ou maléfiques. En attendant, nous les avions toujours protégé au péril de notre vie, préservé leur anonymat comme ils l’avaient souhaité. On les laisser venir sur nos terres, et profiter de ces dernières. Et en retour qu’avaient-ils fait ? Certains s’étaient battus, mais pas tous. Et depuis les années sanglantes, ils s’étaient tous reposés sur leur laurier, pensant qu’ils avaient payé leur dette. Prétentieux comme ils étaient, ils ne se rendraient même pas compte que l’alliance était complètement en leur faveur et pas du tout en faveur de la meute.

Et maintenant certains d’entre eux s’en étaient pris à Mary.

Si le motif restait flou, le fait était quand même le même. On avait attenté à sa vie, et j’étais pour une fois d’accord avec elle. Je jetais un regard désapprobateur à Hayden, qui, en effet, disait qu’il y avait aussi un loup, propos soutenus par Camille. Pour autant,, il y avait plus de métas. Je soupçonnais d’ailleurs ce qui avait pu pousser le loup à attaquer celle qu’il aurait du protéger. Sans que l’on me donne d’autorisation alors que le médecin s’occupait d’Hayden, je déclarais L’affection… Si l’un des notre vient à trahir notre Lupa c’est sans aucun doute parce qu’il s’est pris d’affection pour l’un d’entre eux. Un loup n’aurait jamais trahi les siens volontairement, sans raison. Il n’avait rien à y gagner, rien du tout. Nous avons un ulfric, et même si ce dernier vient à décéder, Hayden prendrait sa place. Par contre, si Mary vient à mourir, le pacte entre nos deux espèces serait briser, car Jonathan n’aurais jamais pardonné un tel acte contre son pouvoir. Regardant en direction de Camille, je finis par lui demander Combien d’entre vous pensent que nous ne sommes qu’une menace pour vous ? Des tortionnaires même ? L’exemple de votre métamorphe en est bien la preuve. Elle s’est levée à vos côtés pour vous soutenir, comme si nous étions des ennemis. N’en avons-nous pas fait énormément pour vous ? Cela n’est donc pas suffisant ? Nous vous protégeons des vampires, tous autant que vous êtes, surtout toi Camille ! Et pourtant lorsque vous tous, vous voyez les miens, ce ne sont que comme des monstres… Vous n’êtes que des ingrats, voilà ce que vous êtes J’étais en colère, oui très en colère contre ces changeurs. Sans doute le fait que Johan se soit pointé avec l’une d’entre eux y était pour quelque chose. Pour autant, j’avais raison, et je le savais. Si j’aurais du me taire, je ne me gênais pas à présent pour l’ouvrir. Mon compagnon avait été blessé. Ma Lupa aussi, ainsi que ma personne. Mes sentiments étaient légitimes.

Isadora n’était qu’une sotte qui parlait trop. Elle n’avait pas tort dans ces propos, et je partageais son raisonnement. Dieu sait que je déteste ça ! Bref. Pour autant, elle dévoilait ces cartes trop tôt trop vite et me mettait au pied du mur. Avant que quelqu’un ne lui réponde, je pris la parole à sa suite Merci pour cette analyse…. Me tournant ensuite vers Camille Qu’as-tu à répondre à cela ? Peux-tu me soutenir que mon exécutrice est dans l’erreur et qu’aucun des tiens ne veut briser cette alliance ? Je balayais de nouveau l’assemblé   Que ceux qui pense que cette union doit se finir se lève donc tout de suite et prenne la parole s’il le désire. Ne soyez donc pas timide changeur anonyme. Car vous le voyez, mes loups, pour la plupart ne se gênent pas pour afficher leur opinion. Pour autant, si la majorité l’emporte en sa faveur, ils accepteront la décision et se comporteront avec vous comme ils l’ont toujours fait. Allons donc, il est grand temps de faire entendre votre voix. Ainsi plus aucun d’entre vous n’aura besoin d’aller trouver des semi-démons pour me tuer. Car sachez-le, il faudra un groupe beaucoup plus important pour venir à bout de moi La majorité de mes loups s’étaient levés, montrant leur désaprobation concernant la suite de cette alliance. Beaucoup pensaient comme Isadora, et je ne pouvais pas leur en vouloir. Si pour ma part, je ne prendrais pas part à la décision, je leur laissais le choix. Nous étions une meute et je devais penser à ses intérêts avant les miens. Il n’était plus question que d’autres de mes frères périssent à cause de minables métamorphes qui ne méritaient pas qu’on continue à les protéger. Nous n’avions plus rien à y gagner, mais j’avais tout de même tenu jusque-là mes engagements envers Camille, même si les siens rejetaient ce dernier. Si les choses devaient changer, c’était ce soir ou jamais. J’attendais donc leur réponse, et leur positionnement, non sans une certaine impatience. Quelque part, j’attendais un faux part de la part de l’un d’eux pour laisser ma vengeance s’assouvir. J’avais une furieuse envie de violence et ma louve également. Si on me donnait l’occasion de la libérer, je ne me gênerais pas. Pas après ce qui était arrivé ce soir….

Mon regard évoluait d’Hayden à Isadora puis à Mary alors qu’ils avaient pris à tour de rôle la parole tandis qu’un des loups – une nouvelle recrue dont j’avais déjà oublié le nom, s’était glissé entre nous pour panser leurs plaies. Nous passions donc de l’acquiescement partiel à la haine puis à la démence et tout ça en l’espace de quelques minutes. Evidemment, c’était vraiment le moment de remettre en cause l’alliance quand les loups venaient d’être profondément blessés par la perte d’un des leurs. Ils étaient d’une lucidité incroyable en ce moment, tout à fait, oui. Quelle bonne idée, toute la meute baignait dans une émotion négative et prendre des décisions aussi lourdes dans un instant aussi peu « objectif » émotionnellement était vraiment la meilleure chose à faire. Bravo. Pas du tout impulsif, pas du tout irréfléchi, non, non. Tout ceci allait trop vite, ils allaient trop vite en besogne. Elle cherchait quoi là ? Ils cherchaient quoi ? A assouvir leur vengeance ? Juste à nous montrer qu’ils ne nous aimaient pas ? Tout ceci devenait ridicule et complètement injuste. Au premier raté, il fallait donc tout abandonner ?  Notre aide, ils s’en foutaient tous, c’est ça ? On ne leur servait à rien, on ne faisait qu’abuser de leur gentillesse, c’est ça ? Ingrats ? J’étais tellement ingrat que je me pliais en quatre pour satisfaire Mary et ses lubies fantasques. Non, je ne devais pas me laisser affecter par ma colère et encore moins par la leur. Ils étaient tous irrationnels et extrêmes car en deuil. Je pouvais le comprendre, le concevoir. Je les savais moins maître d’eux-mêmes que nous. De plus, la mort d’un de leurs frères avait une symbolique qui m’échappait sûrement et que je ne pourrais sûrement jamais tout à fait comprendre. La force de leurs liens était trop surnaturelle et trop ancrée en eux pour qu’un métamorphe puisse la saisir totalement. Il fallait être réaliste. Pour autant, il m’était encore difficile de faire abstraction du ton qu’ils employaient sur moi, de la façon dont ils étaient en train de traiter l’affaire. La culpabilité, la victimisation, les menaces. Je devais être la figure de proue de l’apaisement vu qu’apparemment, nous n’étions pas beaucoup à savoir rester calme et posé ce soir. Je vis des lycans se lever, ça ne me surpris même pas. Avant que les miens ne montrent leur désaccord ou non, je comptais ajouter ma pensée. Je ne pouvais pas rester là, impuissant, docile face à cette tournure d'événements complètement hallucinante.

Je restais toujours très stable, toujours serein quand je m’adressais aux deux femmes face à moi. « Explique moi alors Isadora ce que les miens auraient à gagner eux ? Ceux qui m’ont rejoint ont toujours été libres et consentants. Ils peuvent partir quand ils veulent. Je n’ai jamais forcé personne à rester et ils le savent tous. Alors pourquoi s’en prendre à Mary ? A moins d’être fou ou de vouloir la mort… Personne de censé ne ferait ça. » Ca me semblait tellement tomber sous le sens. Je revins prudemment jauger la Lupa.  « Mary, tu te trompes d’ennemi. Tu laisses ta colère altérer ton jugement. L’alliance n’est pas le problème et à ce que je sache, personne n’a jamais exprimé cette haine insensée que vous vouez aux miens. En tout cas, pas devant moi. Affection ou non, ça ne change rien que la menace vienne des deux côtés. D’ailleurs, nous ignorions tout du pouvoir du semi-démon et encore moins son implication. Pourquoi le cerveau des opérations proviendrait de nos rangs comme vous le laissez sous-entendre ? De toute manière, je le répète. La question n’est pas de nous pousser dans nos retranchements et mettre en défaut, en jeu ce que nous avons construit au fil de ces années. Nous nous sommes battus à vos côtés en risquant notre vie. J’ai perdu des miens comme vous avez perdu des vôtres. Nous n’avons peut-être pas la même structure, le même code mais nous restons un ensemble, une communauté. Je n’ai jamais nié que votre protection nous était importante d’ailleurs, Isadora. Je viens de le reconnaître à l’instant. Tout comme je comprends et entends votre colère. » Tout le monde était calme autour de nous et mes seules paroles avaient eu pour but d’apaiser l’assistance, pas de pousser à la révolte. Je ne comprenais pas ce sursaut de folie soudain venant de la part d’Isadora.

« Elecktra n’a pas fait cela dans le but de vous offenser. Je ne pense pas que vous soyez notre ennemi mais vous êtes en train d’agir comme si l’ensemble de la communauté était le vôtre. Vous croyez que c’est vraiment le bon moment et la meilleure situation pour mener l’enquête et affronter ce drame ? Un ultimatum ne peut pas aider à y voir plus clair et encore moins à trouver justice correctement dans ce cas-ci. Ne condamnez pas toute notre espèce pour un fait isolé perpétré par une minorité.  Nous avons toujours le même ennemi commun, toujours les mêmes objectifs. Et s’il y a vraiment un vent de discorde entre nous, nous pouvons très bien régler ça autrement que de cette façon. Ceci n’est pas la seule option. » Est-ce que mes mots changeraient quoique ce soit ? Je n’en savais foutrement rien. Mais on ne pourra jamais me reprocher de ne pas avoir tout fait, tout donner pour cette alliance, pour qu’elle fonctionne. Je tenais les loups en respect, je tenais à notre pacte tout autant même si nos différences nous éloignaient toujours plus les uns des autres. Nous devions collaborer, pas seulement pour mériter leur protection mais pour lutter contre les vampires. Nous n’étions pas en guerre avec eux mais contre les buveurs de sang. Les conflits internes étaient une perte de temps que nous devrions traiter avec bien plus de sagesse et de prudence. Toute cette mise en scène aurait très bien pu se résumer à cinq personnes et sans menaces ou coup bas. Mais Mary ne me faisait pas suffisamment confiance pour ça et peut-être ne me traitait-elle pas au sérieux  d’ailleurs ? Mes efforts avaient-ils été vains ? Toutes ces années passées à consolider notre entente, à me vouer corps et âme à cette lutte, gaspillées par un crime qui n’avait ni queue, ni tête ? Je me sentais tout aussi trahi qu’elle.

Je n’avais rien contre Camille, mais je n’étais pas pour autant convaincu vraiment par ses propos. Pourquoi ? Parce que j’étais en colère contre l’un des siens, et je considérais cela comme une traitrise finalement. Oh certes orchestrée par ma Lupa, mais pas condamnée par Camille. J’étais persuadée que Stella avait manipulé Johan pour l’éloigner complètement de moi, du danger que l’on s’imaginait que je pouvais représenter. J’avais sombré quelque part à cause d’elle, et je n’arrivais toujours pas à digérer ça. J’avais gagné une merveilleuse rencontre oui : Hayden. Pour autant, je restais encore rancunière. C’était trop frais, encore trop douloureux finalement. C’était pour cela que je suivrais Hayden. Son positionnement sera le mien d’ailleurs car j’avais conscience que je n’étais pas objective que tout, et que lui le serait. J’ai foi en lui, et il a ma totale confiance. Le seul à la posséder, à la mériter, à avoir réussi à l’obtenir. Alors avant de me décider, j’attendais de voir ce que tu lui déciderais.

Mais il n’en eut pas vraiment le temps, ni l’occasion surtout. Alors que la majorité des métamorphes se positionnait contre l’alliance, comme la plupart des loups, deux d’entre eux sortirent du lot. En quelques secondes, ils s’étaient transformés en deux prédateurs : un ours et un tigre. Tout se passa très vite. Ils s’orientèrent vers Camille, qui se retrouva assaillit par le tigre, plus rapide, mais tout autant féroce. L’ours lui s’attaqua à Elecktra qui, sur son passage, le gênait. Le sang du leader commença à se répandre sur le sol. Mon premier réflexe fut de me positionner devant Mary, mais lorsque les loups furent plus nombreux autour d’elle, je vins m’interposer entre les crocs du félin et la chair du métamorphe meurtrie. Je ne pouvais m’empêcher de bénir l’espèce à laquelle j’appartenais, qui me rendait plus forte physiquement, même sous ma forme humaine. La gueule du tigre se referma sur mon bras droit alors que ses griffes s’attaquèrent avec beaucoup de maladresse à mon buste, sans arriver à l’atteindre plus que ça. Ce méta n’avait pas l’habitude d’être sous cette forme-là, il n’y avait pas vraiment de doute la dessus. Si je m’étais mise dans une telle position, c’était d’une part, parce que Camille était une personne importante – je l’avais défendu lui et non pas l’autre métamorphe hautaine -, d’autre part parce qu’il était une personne que j’appréciais. Et enfin, parce que je savais que contrairement à la sienne, ma vie ne serait pas en danger. Je guérirais des blessures que j’encaissais, beaucoup mieux que lui, et je pouvais contenir la bête temporairement, le temps que mes frères puissent muter sous le couvert des bois et venir achever ces traitres.

La situation va de mal en pis. Je dois dire que je n'aime pas les métas, néanmoins, leur chef demeure raisonné et ses propos cohérents, face à notre lupa. Cela dit, je ne le connais pas. Il m'est tout bonnement impossible de savoir si cet homme dit, ou non, la vérité. Mon instinct tend à lui accorder le bénéfice du doute. Vraiment, il n'a pas la tête d'un type trempant dans un sale coup.
En fait, j'ai l'impression d'être face à la dispute d'un vieux couple. Chacun à ses torts et ses raisons, mais l'émotion et la peine, trop récente, trop fraîche chez les miens, rend la discussion difficile. Impossible, quand on voit le comportement de ces métas. En leur jetant un coup d'oeil, je vois passer l'outrage, la colère ou la déception dans leurs yeux, comme si nous étions davantage des ennemis en sursis que des alliés. Leur chef se comporte bien, mais pourtant, il est vrai que nous n'avons pas l'air d'avoir obtenu leur confiance. Isadora n'a pas tort. L'attitude protectrice de la nana – dont j'ai oublié le prénom – n'avait rien à faire dans une entrevue de chef à chef, quand bien même nous autres sommes présents. Tout le monde a à savoir que des traîtres s'élèvent dans nos rangs. Tout le monde doit être prévenu. D'ailleurs, le meilleur moment pour les débusquer est maintenant, alors qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils désiraient en ratant l'assassinat de la lupa.
À moins que... ce fut exactement ce qu'ils désiraient. Plomber l'alliance des loups et des métas nous affaibliraient. Mais alors, pourquoi un loup aurait-il participé à une telle embuscade ? Qu'un loup tente d'assassiner sa lupa m'est incompréhensible. Comment peut-on vouloir affaiblir spécialement sa meute si l'on cherche à s'en prendre à l'alliance, lorsqu'on sait que c'est de la meute que la survie d'un loup dépend, majoritairement ? Même pour moi, qui suis moins peiné et, de fait, moins aveuglé par la peine et la colère ressentie à la perte d'un frère, la situation n'a aucune logique. Je ne comprends pas.

En parlant de logique... Aussi logique est le discours qu'est en train de faire le chef des métas, autant il me donne envie de grogner. Le loup en moi a envie de montrer les crocs tandis qu'il disserte sur un ton moraliste, comme l'on reprend, avec patience et mesure, un enfant indiscipliné. Si ses mots avaient jusqu'alors été empreints de bon sens, la façon dont il répond maintenant à Mary n'est pas digne de propos que l'on se tient, publiquement, entre chefs de clan.
La crise fait surgir des défauts dans les comportements de chacun mieux que n'importe quel autre guet-apens. Mais qui chercherait-on à atteindre en nous affaiblissant de la sorte ? La meute, le clan des métas, ou les deux ? Qui allait y gagner ?
Alors qu'on invite loups et métas en colère à se lever pour rompre la paix qui nous rassemble, je suis incapable de me lever à l'instar de la majorité. Autant je n'aime pas les métas, autant je peux me montrer impulsif et borné, autant la situation me parait trop grave pour agir par soutien, par colère ou inimitié, sans chercher à comprendre davantage la situation.

Je n'eus plus le temps de réfléchir à cela. Tout à coup, deux créatures surgirent du cercle, avant que j'aie le temps de discerner le léger mouvement qui a précédé l'action. Un tigre fuse d'un saut sur le chef méta et je me mets en rempart devant mes chefs, malgré mon incompréhension et ma surprise. L'instinct, m'ôte toutes mes questions sans réponses. Alors que le sang de nos alliés gicle, je suis les miens dans l'ombre des fourrés, courant le plus vite possible tandis que d'autres restent sous leur forme humaine protéger les chefs.

Cela ne fait que quelques jours que je suis intégré à cette meute, et pourtant, me voilà au milieu d'eux, égal à eux, avec le même désir de protéger les miens et faire payer aux traîtres. La colère, la soif de revanche, est aussi communicative qu'inextinguible. Je plonge dans l'ombre d'un buisson, au pied d'un arbre, et dans un grondement sourd d'animal, m'arrache à ma peau d'homme. Le loup, que je sens réprimé depuis trop de temps, s'échappe de mes entrailles avec force, et mon hurlement se transforme en grognement féroce, sanguinaire.
La première chose que je vois en bondissant des fourrés est l'exécutrice, encore sous sa forme humaine, aux prises avec le méta qui s'en était pris à son chef. Mon poil se hérisse tandis que je fonce à toute allure sur le changeur. Mon cœur bat avec une force folle, l'adrénaline me tourne la tête. Je sens mes babines découvrir mes crocs tandis que la hargne, la peur, l'angoisse, l'incompréhension de ces dernières semaines se compriment pour ne faire qu'une émotion, transformées en bulle de fureur. Bulle qui remonte ma gorge et éclate aux portes de mon esprit lorsque je saute sur le tigre, crocs en avant, avec pour seul désir de lui déchiqueter la peau. Je vise la nuque, dans mon saut, dans l'espoir de lui faire lâcher Isadora et le mettre en respect.

Mes dernières paroles moururent dans l'air, un flot de mots qui perdit toute sa combativité et son sens quand je vis sous mes yeux, les miens se lever. J'étais surpris et pas positivement. J'avais la sensation de me faire doublement trahir ce soir. Personne ne m'avait exprimé son mécontentement lors de nos réunions, pourtant la question revenait. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais vraiment rien. C'était donc ça mes limites ? Les limites de cette bataille pour la liberté ? Réalisaient-ils seulement dans quelle position nous allions tous être ? Ça ne concernait pas que moi et la Reine des vampires, nous avions tous besoin d'alliés. Nous avions besoin de plus de temps pour en discuter, pour trouver des solutions, pour arranger ça. On ne pouvait pas tout faire tomber sans alternative, sans essayer de réparer la mauvaise communication persistante de toute évidence entre nos deux espèces, décidés impulsivement que nous mettions à terme à une collaboration qui marchait jusqu'ici. Bien sûr, nous avions encore beaucoup à apprendre, nous étions trop indépendants. Je savais que ça ne serait pas évident mais après avoir traversé ces 7 ans d'enfer, j'aurais cru que les miens en tireraient des leçons, des enseignements même. Était-ce la paix factice qui leur faisait croire que tout cela ne méritait plus de durer ? Je voulais leur parler, je voulais qu'on me laisse un peu de temps bordel, rien de plus. Nous étions acculés dans un coin sans avoir eu une seule chance de défendre ce que nous étions jusqu'ici. Et Alan n'était pas là. Peut-être mieux comme ça ? Je n'en savais rien. Un duo fendit l'assemblée que je continuais de fixer avec un air grave. C'est là que le peu de civilité que la situation avait su mobilisé, vola en éclats. Et je n'avais encore une fois rien vu venir. Quand les deux métamorphes que j'avais identifié se transformèrent, j'eus à peine le temps de jeter un regard à Kate. Il fallait qu'elle s'écarte. Et avant que je puisse esquisser le moindre mouvement, me transformer moi-même, une masse imposante fondit sur moi. Je tombais en arrière très vite et ma tête heurta le sol violemment. Je ne percevais plus rien durant quelques instants – ni son, ni décor, avant qu'une douleur sourde et terrifiante me transperce l'épaule droite. Des crocs. Il me mordait. Et pas n'importe où. Il savait qu'en s'attaquant là, je ne pourrais pas m'enfuir par les airs en oiseau.

Comment en étions-nous arrivés là ? Des griffes se fichèrent sur ma poitrine me plaquant un peu plus sur le sol alors que mon instinct de survie avait réussi à me faire me débattre pour l'écarter - vainement. J'essayais de réfléchir mais la souffrance rendait mes facultés cognitives évanescentes et désordonnées. Quelqu'un s'interposa, je voyais des ombres danser au-dessus de moi et ses dents me lâchèrent. Le poids de l'animal ne m'opprimait plus la cage thoracique et je pus reprendre ma respiration. Je peinais à retrouver conscience mais je me forçais à émerger de ma brume interne et à encaisser les élancements à peine supportables des plaies que la bête m'avait infligé. Je tentais de me redresser une première fois - sans succès. Je commençais à réaliser doucement le remue-ménage autour de moi comme des bruits lointains à peine perceptibles. Je devais faire quelque chose. Il fallait protéger Kate, les métamorphes, Mary. Il fallait que je me débrouille mais je devais me relever. Je parvins juste à m'accouder sur mon bras gauche et à discerner l'horreur de la situation. Une vraie mutinerie. Le félin venait d'être pris d'assaut par un loup et... Isadora ? Je voulus me mettre debout pour les aider mais je ne parvenais pas à bouger. Ma main se posa sur mon épaule machinalement. Je ne savais pas ce que j'essayais de faire car je n'arriverais jamais à colmater l'hémorragie simplement comme ça. Une colère froide se muait en moi aussi intense que la souffrance que j'endurais physiquement. Oui, comment en étions-nous arrivés à nous entre tuer ? Pourquoi en étions-nous arrivés là? Des métamorphes transformés arrivèrent dans ma direction pour me protéger. Il fallait que je me relève, que je me transforme, que j'agisse. Je ne voulais pas crever d'une façon aussi stupide et je refusais d'assister à la destruction de notre communauté ainsi que de cette alliance.

L’ocelot en moi grogna aux propos d’Isadora. Celle-là, je n’allais pas l’aimer, si elle continuait de la sorte. « Un loup n’aurait jamais trahi les siens volontairement, sans raison. Il n’avait rien à y gagner, rien du tout. » Oui bien sûr, parce que les métas, eux, ne sont pas fidèles, et ne savent vraiment pas ce que l’alliance nous apporte. Était-elle à ce point aveuglée par sa colère contre nous ? Ne voyait-elle pas que nous non plus n’avions rien à gagner  à attaquer Mary et à briser l’alliance ? Il fallait être fou pour déclencher de telles hostilités maintenant alors que la paix venait enfin d’être mise sur pied entre humains et créatures surnaturelles. « Et pourtant lorsque vous tous, vous voyez les miens, ce ne sont que comme des monstres… Vous n’êtes que des ingrats, voilà ce que vous êtes ». Pitié. Voilà qu’elle jouait la carte de  l’ingratitude. Je me retins de rouler les yeux vers le ciel, ils auraient bien été capables de voir à quel point ils m’énervaient et je n’avais pas spécialement envie d’attirer l’attention sur moi. Je restais parfaitement calme en extérieur, ne bougeant presque pas depuis le début de la réunion.

Puis soudain, Mary enchaîna, posa une question à Camille, demandant s’il se portait garant de notre fidélité, mais elle n’attendit même pas sa réponse, s’adressant à l’assemblée directement pour une autre question. Sauf que ce n’était pas qu’une simple question. C’était un acte qu’elle nous demandait de faire. Était-elle folle elle aussi ? Voulait-elle vraiment que l’on brise l’alliance là, maintenant, comme ça ? Mes yeux s’arrondirent un instant, alors qu’elle finissait de parler. Si Isadora m’avait déjà énervée, les propos de Mary ne firent que monter ma colère intérieure. Je sentais l’ocelot gronder de plus en plus fort, voulant s’exprimer mais je le contenais encore pour l’instant, attendant de voir ce qui allait se passer. Déjà, plusieurs loups s’étaient levés, ainsi que quelques métamorphes. Mais que faisaient-ils ?! Je n’avais jamais été à cent pourcents pour cette alliance. Déjà la communauté de changeurs m’était apparue comme une menace pour notre espèce. Mais j’avais tout de même rejoint l’alliance fin 2013, pour Alan. Et depuis, si je gardais toujours en moi certains griefs contre cela, j’avais vu qu’elle pouvait avoir des points positifs. Cependant, en cet instant, soudainement, je ne savais plus quoi penser. Les loups voulaient-ils avoir notre peau ? Qu’allions-nous faire si l’alliance venait à se rompre ? Nous n’étions pas prêts. Nous n’avions rien prévu pour une telle éventualité. Bon sang, quelle merde !

Je me retrouvai alors encore une fois à acquiescer aux propos de Camille. Il restait d’un calme surprenant et je n’étais pas sûre qu’à sa place, j’aurais pu l’être autant. J’étais bien trop en colère contre tous ces loups qui nous accusaient de tous les maux alors que nous ignorions tout de cette attaque. Et le semi-démon dans tout cela, comme disait Camille, il ne comptait pas ? Pourquoi étions-nous les seuls visés comme cerveaux de l’opération ? J’avais très envie de me lever. Je l’avouais. Cette alliance allait nous mener à notre perte. Mais je savais aussi que la briser ne mènerait qu’à un chaos encore pire. Alors je restais bien fermement ancrée sur le sol, ne faisant pas un mouvement, me contentant de les fixer tous, pour montrer que j’écoutais attentivement ce qui se disait.

Mais, alors que je patientais assise, soudain, deux métamorphes se levèrent d’un bond et se transformèrent sous nos yeux, l’un en ours et l’autre en tigre, avant de se jeter violemment sur Camille. Il eut le temps de me jeter un coup d’œil rapide avant de se faire submerger par la force des deux changeurs. Ma bouche s’ouvrit sous le choc, poussant un cri qui se perdit dans le vacarme que cela déclencha. Elecktra, sur leur passage, se fit piétiner par l’ours, et j’hurlais à nouveau, en me dressant sur mes pieds. D’autres firent de même et je me perdis soudain dans le chaos qui se déclencha dans l’espace qui nous accueillait. Des cris s’étiraient dans l’air, certains de douleur, d’autres de rage, et, dans un brouillard, je crus apercevoir Isadora qui s’interposait entre le tigre et Camille. Est-ce qu’elle cherchait à protéger notre leader ? Je vis du sang par terre, à côté de son corps étendu, et je voulus me diriger vers lui mais à ce moment-là, je basculai, poussée sur le côté par quelqu’un, roulant sur le côté. Un loup ? Un métamorphe ? Impossible de le dire parce que quand je me redressai, appuyée sur le coude, il avait disparu dans la bataille. J’avais roulé à quelques mètres de l’affrontement et j’hésitais maintenant sur ce que je devais faire. Je voulais me battre avec les miens, Camille avait besoin de moi, Elecktra avait besoin de moi, les miens avaient besoin de moi… Mais il y avait autre chose d’important. Mon bébé. Si je me battais, qui savait ce qu’il allait m’arriver et ce qu’il allait lui arriver ? Tous ces arguments tournaient dans ma tête et je ne savais pas quoi faire. Il me fallait me décider et vite.

Une seconde plus tard, le regard de Camille en tête, je descendis d’un pas aussi rapide que je le pus le sommet du mont où nous nous étions tous réunis, prenant garde de m’abriter derrière de grosses pierres pour ne pas que l’on me voit. La végétation était importante aussi et elle m’aidait à me cacher. Je ne désertais pas. Je préservais ce qui me restait.

Si Camille avait dans un sens raison, il n’en restait pas moins qu’Isadora n’avait pas non plus tord. J’entendais les deux discours, et proposa aux métamorphes de s’exprimer. La majorité d’entre eux se levèrent, montrant bien que l’exécutrice avait mis le doigt sur un point on ne peut plus juste. Mes loups me suivraient. Peu importe ma décision finale, ils l’appliqueraient tous, comme ils l’avaient fait par le passé. Pour les métamoprhes, leur hiérarchie était beaucoup plus faible, plus lâche et plus libérale. Cela nous avait amené à la situation qui était en train de se dérouler sous nos yeux. Camille avait voulu bien faire, je m’en doutais bien, mais il affaiblissait son espèce en étant aussi peu dur, en n’attendant aucun retour de la part de ses congénères. Tous ne le respectaient pas, et j’étais sûre que beaucoup l’avait rejoint pour les avantages et rien d’autres, sans ressentir une véritable volonté de communauté.

Deux d’entre eux s’étaient changés et avaient pris pour cible leur leader. Alors que mes loups non transformés faisait aussitôt barrage entre moi et les potentiels ennemis, laissant à leurs frères l’opportunité de pouvoir se transformer et revenir plus forts, les métamorphes fuyaient à l’abris. Même la femme du bras droit de Camille n’avait pensé qu’à son bien être à elle, et non pas à celui de toute la communauté. C’était là la différence entre les loups et les métamorphes. Parmi mes loups, il y avait des hommes ayant des enfants, de jeunes enfants. D’autres en avaient à naitre. Ils avaient une famille, une vie qu’ils aimaient. Pourtant, ils comprenaient l’importance de ma survie. Hayden ne s’était pas précipité au secours d’Isadora, même si la perte de cette dernière lui serait douloureuse. Non, il me protégeait moi, alors que je savais qu’il ne m’appréciait pas. Le nouvel arrivant n’avait pas hésité à se jeter sur le tigre et soulager l’exécutrice qui avait pris le parti de protéger Camille. Parce qu’aucun des siens n’étaient capables de le faire, et parce qu’elle savait l’importance qu’un chef avait dans une organisation. Je savais pour autant que si ma vie était en danger elle me choisirait moi, sa Lupa, sa chef.

Ce qui m’embêtait c’était que je ne pouvais pas muter. Hors de question de le faire devant tout le monde, comme venait de le faire Hayden. Et puis, il me fallait pouvoir parler pour diriger les opérations. Ainsi ordonnais-je à plusieurs loups de s’interposer entre moi et les métamorphes, à un autre d’aller aider Adam et Isadora, et à deux loups de repousser l’ours s’il venait à approcher de trop près. J’envoyais certains des miens à Wolfheaven, protéger les plus jeunes résidant dans la maison. Surtout des louves d’ailleurs, qui se montreraient plus féroces. Je gardais autour de moi des loups qui savaient se battre. Je posais ma main sur le pelage d’Hayden, lui faisant comprendre que je comptais sur lui. Mes sens étaient en éveil, et je me tenais prête pour la suite. Si l’état de Camille m’inquiétait un peu –après tout il était un de mes collaborateurs-, je savais que la louve le protègerait un max, même si elle devait être gravement blessée. J’avais vu que la gueule du fauve s’était refermé sur son bras. J’espérais qu’elle ne perdait pas de mobilité sur le long terme et qu’elle ne serait pas touchée grièvement. Sinon je devais former une autre éxécutrice et je n’en avais pas vraiment envie.