La scène qui se déroule sous mes yeux me parait inouïe. Après avoir combattu côte à côte pendant des années, voilà que loups et métas semblent sur le point de faire voler notre alliance en éclats. Cette unité à laquelle Camille aspirait n'était-elle qu'une utopie, le rêve immatériel d'un jeune homme trop idéaliste ? Jamais je ne pourrai me résoudre à croire ça. Sa cause m'a sauvée, je suis sa cause, l'incarnation de sa lutte. Comme tous les autres métas ici. Comment peuvent-ils se dresser contre lui après ce qu'il a fait pour nous ? Autant la colère des loups m'est compréhensible et justifiée, autant la révolte des miens m'exaspère au plus haut point. N'ont-ils donc aucune reconnaissance, ni envers leur leader, ni même envers ceux qui furent leurs protecteurs, leurs compagnons de guerre pendant si lontemps ? Sommes-nous si différents que nous ne puissons faire bloc alors que nos deux espèces sont menacées ? Je n'arrive pas à le croire. J'ignore qui peut bien être derrière la tentive de meurtre de la lupa mais il peut se frotter les mains. Son plan a fonctionné à la perfection. Les esprits s'échauffent et, à ce rythme, nous n'allons pas tarder à nous entretuer. Que pourrais-je faire si cela arrivait ? J'aimerai me lever et leur dire à tous que l'ennemi cherche à nous diviser, que la mort de ce loup, Andrew, ne saurait être vengée par le sang des membres de l'alliance à laquelle il appartenait lui aussi, pour laquelle nous nous sommes tous battus. Que les loups cherchent à assouvir cette vengeance est naturel, j'image que cela fait partie de leurs codes. Nous avons beaucoup à apprendre d'eux. La preuve, malgré tout l'amour que je lui porte, je ne peux que constater que les dissenssions sont nombreuses dans nos rangs et que Camille n'a pas su imposer son autorité. J'aimerai pouvoir dire à mes congénères de prendre exemple sur les lycans, toujours prêts à se sacrifier pour les leurs, faisant passer l'intérêt de la meute avant tout. Une telle solidarité est loin d'être évidente chez nous, semble-t-il. Ils nous faudra l'apprendre pourtant  si nous voulons survivre. Comme les loups devraient apprendre à mieux dominer leurs instincts bestiaux dans leurs propres intérêts. Je n'ai jamais rien eu contre eux, bien au contraire. Si tous ne nous ont pas accueillis à bras ouverts, ils ont veillé sur nous malgré tout, nous accordant leur protection. Et Sarah ? Nos différences ne nous ont pas empêchées de devenir amies que je sache ? Au contraire, elles nous ont rapprochées.

Je reste prostrée dans l'herbe, incapable de moufter même si je l'avais voulu. Je suis l'échange de plus en en plus vif entre nos dirigeants tout en priant pour que les choses se décantent mais, à l'inverse, la discussion prend un tour tout à fait désagréable quand la lupa nous demande de prendre position. Stupéfaite, je vois la majorité de mes congénères se dresser contre l'alliance, et donc contre Camille. Je ne crois pas qu'il m'ait vu en arrivant. Contrairement à la plupart des autres métas, j'étais allée me dissimuler juste derrière un groupe de trois lycans, tous imposants, de façon à ne pas me retrouver au premier rang. Les timides sont de grands stratèges et, quand j’aperçois le regard de Mary, je me dis que j'ai bien fait... Aussi , je ne comprends pas tout de suite la raison de la soudaine agitation qui règne, ces types me cachent la scène. Je me lève d'un bond et ouvre de grands yeux, mon cœur manque un battement. Deux métas changés, l'un en tigre, l'autre en ours, se ruent sur Camille. *Ne pas confondre vitesse et précipitation.* Les conseils de Sarah résonnent dans ma tête. Le tigre, plus rapide, atteint mon Lancelot et le jette à terre. Figée sur place, c'est avec stupeur que je vois Isadora se jeter entre eux avec le courage digne d'une Walkirie. Plusieurs loups envoyés par Mary leurs viennent maintenant en renfort, tandis qu'un autre se jette déjà à la gorge du fauve. L'ours, lui, poursuit sa charge meurtrière en direction de Camille, piétinant une méta au passage. Malgré sa blessure à la jambe, je la vois amorcer sa transformation et se ruer à la poursuite des assaillants. Aurait-elle perdu l'esprit ? J'entends la lupa lancer deux de ses loups à la poursuite de cette seconde menace mais je doute qu'ils parviennent à stopper la charge avant que Camille ne soit touché.*Analyse mais ne réfléchis pas trop.*

Faisant fi de toute pudeur, j'ôte mes vêtements en un tour de main et Lui ouvre la porte de mon âme puis de ma chair. Mon corps se recouvre de poils, il mesure maintenant environ un mètre de long, de puissants muscles roulent sous ma peau encore parcourue de décharges et la vitesse de ma course est soudain décuplée. Je dépasse sans mal le léopard blessé et aperçois les deux lycans qui nous talonnent. L'ours se rapproche de Camille dangereusement. Irréversiblement ? Non, je dois l'arrêter coûte que coûte. *Beaucoup encore il te reste à apprendre, jeune Padawan. Présumer de tes forces tu ne dois pas.* Il est plus fort que moi mais je suis plus rapide, plus agile et probablement plus intelligente. Mes pattes arrières se tendent comme des ressorts  et je bondis férocement sur le dos du traître. Je tente d'enrouler mes pattes autour de son buste puissant pour y ficher mes griffes acérées en même temps que ma gueule cherche à lui saisir la gorge, lui lacérant le dos et les flancs de mes pattes arrières avec frénésie.
Je me montrais peut-être trop téméraire mais il n'y a rien que je ne ferai dans l'intérêt de Camille. Quelle que soit l'issue du combat, j'aurais défendu les miens : les membres de l'alliance, métas comme lycans.

Je percevais l’agitation- l’ébullition même, autour de moi alors que je restais toujours immobile. Chaque mouvement que je tentais d’exécuter amplifiait la douleur jusqu’à me couper le souffle. Plus je remuais, plus j’avais conscience d’amplifier l’hémorragie. Je ne servais plus à rien, si ce n’est à contempler en témoin silencieux le massacre sous mes yeux. C’était tellement frustrant que ça me faisait enrager. Je détachais mon regard du combat le plus proche de moi entre Isadora, un loup et le tigre pour observer ce qu’il se passait autour de ma position. Où était Kate ? Je ne pensais pas qu’elle soit dans mon environnement proche et priais pour qu’elle soit déjà loin. C’est là qu’une masse imposante entra dans mon champ de vision restreint par ma fatigue et ma souffrance, il fonçait droit sur moi. Je l’identifiais à force de concentration comme un ours. Un éclair ébène fondit sur lui à peine  ce constat effectué. Mon cœur remonta dans ma gorge à cette vision. Enola. Enola était en train de se battre devant moi et je ne pouvais rien faire. Ma protégée était en danger et je ne pouvais rien faire. Merde. Elle se fit mordre, j’étouffais un grognement et tentai de me redresser mieux que ça. Je ne pouvais pas la regarder se faire blesser, c’était insoutenable. Un loup fonça alors dans ma direction et je fus forcé de rouler sur moi-même afin d’éviter son assaut. Quelque chose, quelqu’un s’interposa cependant rendant ma seule action inutile. Je crus reconnaître celui qui venait probablement de me sauver la vie. Il s’effondra à mes pieds – mort ? Une nouvelle victime, un nouveau nom, une nouvelle braise pour ma culpabilité. Son opposant s’orienta alors vers Mary qui j’espérais, se portait bien. Je ne parvenais pas à me retourner pour évaluer sa situation. Elle avait sa garde et le fils de l’Ulfric pour veiller sur elle. Ça devait aller, ça devrait forcément aller.

Mon regard revint vers Enola toujours au prise avec l’un des nôtres. Il fallait que je lui dise… Il fallait que quelqu’un garde un des traitres vivant, il fallait au moins en interroger un. Il fallait savoir pourquoi. Pourquoi cette mutinerie ? J’essayais d’articuler avant de partir dans la brume qui s’emparait de mon esprit. « Il faut en sauver un… Il faut… les interroger. Il faut ... com...prendre. » Personne n’avait dû m’entendre au milieu des combats et je ne pouvais pas hurler. Je n’en avais pas la force. Le tigre semblait neutralisé non loin de moi. Je fixais toujours la panthère jusqu’à ce que ses contours deviennent incertains, qu’elle devienne totalement floue. Une tâche jaune l’avait rejoint. Elecktra ? Ma tête tournait atrocement, les sons semblaient étouffés, lointains, désarticulés. Je sentais mon hémoglobine rouler sur mon bras, mon rythme cardiaque devenir de plus en plus incohérent. J’avais perdu trop de sang et j’en perdais encore. Non, ça ne pouvait pas finir comme ça.  Nous ne nous étions pas autant battus pour que ça finisse comme ça. Et Becky, Becky qui m’attendait sans savoir que je ne reviendrais peut-être pas. Cette dernière pensée m’accompagna dans l’inconscience alors que je continuais de lutter contre l’opacité des ténèbres.

Cette saloperie de tigre est plus réactif que je ne le pensais, et bien que je lui saute à la nuque, il se débat et me repousse avant que je n'ai le temps d'enfoncer mes crocs dans sa chair. Babines retrousséees, les yeux agrandis de fureur et le poil droit sur le dos, je repars à l'assaut à l'instar d'Isadora. À deux, nous parvenons à l'affaiblir, mais avant que nous parvenions à l'abattre, le métamorphe me lance un coup de griffe que je ne peux éviter. Un jappement m'échappe, mais plutôt que de reculer, je bondis à nouveau sur lui, en même temps que l'exécutrice. Je vois rouge, furieux, et le sang excite ma férocité. J'agis non plus comme un homme mais comme une créature sanguinaire, et je sens ma mâchoire claquer sur la chair du tigre, ainsi que le sang envahir ma gueule. Un grondement sourd m'échappe tandis que, la mâchoire serrée, je tire sur sa chair jusqu'à ce qu'il s'effondre, inerte.

Je me tourne alors vers l'ours, mais celui-ci est déjà aux prises avec une autre métamorphe, qui semble avoir l'avantage sur lui. Ce n'est plus ma priorité, à présent : près de moi, le chef méta semble sur le point de sombrer dans l'inconscience, alors qu'un des nôtres git à ses pieds. Je sens l'odeur de la mort, et m'approche pour humer le corps du loup. Il est bien mort, et je ne doute pas que c'est pour sauver le métamorphe qu'il a donné sa vie, tout comme Isadora s'est interposé entre lui et le tigre.
Ma rage s'estompe, mais j'agis toujours instinctivement lorsque je saute souplement près de Fontayn et l'agrippe par son vêtement. Sous ma forme de loup, je ne peux pas faire plus ; il faut que je l'éloigne. Je dois reprendre forme humaine. Je serai plus utile ainsi qu'en combat. Il n'y a que moi, ici, qui puisse sauver le chef, avant que l'hémorragie dont il est victime ne vienne à bout de lui. Mes sens aiguisés de loup, en plus de mon expérience, me disent que son état est critique.
Je le traîne vers les fourrées où je me suis transformé quelques instants plus tôt, avec l'espoir qu'un allié vienne nous couvrir tous deux en cas d'assaut. Puis je plonge dans mon abri de fortune. Douloureusement, péniblement, je m'efforce de reprendre forme humaine. Mes genoux heurtent le sol et je reprends mon souffle, avant de sauter dans mon jean que j'avais abandonné là. Puis, ne sachant si j'ai le temps et la possibilité de récupérer ma trousse de premiers soins abandonnée au milieu du combat, je m'empare de mon haut dont j'arrache une manche, pour comprimer les plaies de Fontayn. Je ne peux pas faire grand chose de plus en attendant que ça se calme, et je dois rester en alerte. Cependant, je lui parle pour qu'il ne sombre pas :
« Vous m'entendez ? Concentrez-vous sur ma voix, restez avec moi. Je suis médecin urgentiste, vous allez vous en sortir, ne vous en faites pas. » 
Une plaie traverse mon corps et saigne encore, mais je sais que ce n'est rien. Je ne m'en soucie pas, trop soucieux de mon environnement proche pour m'arrêter sur la douleur et la ressentir. La plaie ne tardera pas à se résorber, de toute façon. C'est trop superficiel pour que je m'en soucie.
J'ai besoin de matériel, mais je ne peux plus lâcher maintenant que j'ai commencé une compression. Je regarde aux alentours, priant pour qu'aucun adversaire ne surgisse à nouveau et tente de terminer le travail.

Wolfheaven prenait place au sommet d’un grand mont. Il m’avait fallu de longues minutes pour l’escalader, alors que j’avais emprunté un chemin balisé. Là, je la dévalais dans l’autre sens, mais je n’avais pas pris le risque de prendre le même chemin. Du coup, je me retrouvais à demi-enfoncée dans la végétation qui se développait sur le mont, en milieu d’arbres et de pierres. Heureusement, ma nature de métamorphe me donnait un sens de l’orientation naturel, et il m’aidait à situer ma position actuelle par rapport à la route en contre-bas, où j’avais garé ma voiture en arrivant. Mais je descendais très lentement, car je faisais attention où je mettais les pieds. Je n’avais pas pris le temps de me transformer, cela me ralentirait par la suite car je devrais faire l’opération inverse pour reprendre le volant du véhicule. J’avais jugé cela plus rapide de descendre en étant sous ma forme humaine.

Mais je compris mon erreur lorsqu’un loup sauta sur moi par derrière, me jetant sur le sol violemment. Je réussis à amortir la chute avec les paumes de mes mains, pour protéger mon ventre, et je roulais immédiatement sur le côté, me repliant sur celui-ci, comme en position fœtale, pour protéger mon bébé. Je sentis des crocs se resserrer sur différentes parties de mon corps et des griffes lacérer mon dos, avant que je ne puisse réagir correctement. La colère qui avait envahi mon corps et mon esprit un instant plus tôt, alors que Camille se faisait d’abord agresser verbalement par Mary, Isadora et Hayden, puis physiquement par les deux métamorphes rebelles, qu’Elecktra se faisait attaquer par l’un des deux et qu’Enola se ruait pour protéger notre leader, ressurgit subitement sous cet assaut dont je ne comprenais rien. Cette louve – car j’avais pu enfin remarquer qu’il s’agissait d’une femelle et non d’un mâle – m’avait attaquée par surprise, alors que je fuyais les combats pour me protéger, et elle croyait que j’allais me laisser faire ? Elle ne savait pas à qui elle avait à faire !

J’avais totalement conscience que, seule, je ne pourrais avoir le dessus sur elle. Les loups étaient beaucoup plus forts physiquement que nous, c’était un fait. Mais la force ne faisait pas tout. Alors qu’elle levait la patte pour me frapper une nouvelle fois, toutes griffes dehors, je réussis à rouler hors de portée d’elle, dévalant en même temps la colline sur quelques mètres à peine, avant de m’arrêter au pied d’un arbre. Ne prenant pas plus de temps pour réfléchir, la colère guidant mes instincts, je passai de l’état d’humaine à ocelot en une seconde à peine. Immédiatement, je me mis sur mes pattes, feulant et grondant à l’égard de la louve qui arrivait en courant vers moi. Mais je n’avais nullement en tête l’idée de me battre avec elle. Si je faisais ça, je savais que je courais à ma perte et qu’on devrait sûrement aller annoncer à Alan que j’avais péri sous ses attaques. Je n’avais pas très envie que cela arrive. Si bien qu’en un bond agile, que je faillis louper de peu à cause des blessures que la louve avait faites sur mes jambes et mes bras alors que j’étais encore sous forme humaine, je grimpai à l’arbre qui avait arrêté ma glissade la seconde précédente. C’était un chêne imposant, comme accueillaient beaucoup de forêts des alentours de Glasgow et d’Édimbourg. Je savais parfaitement qu’une fois à l’abri dans ses branchages, aucun loup ne pourrait venir m’y déloger. J’aimais énormément ma forme ocelot, non seulement pour cette raison mais aussi parce qu’il est un animal très agile, petit et léger. De plus, ma fourrure me permettait de me fondre dans le paysage forestier. Je n’aurais aucun souci à me mettre hors de portée de cette louve agressive et visiblement rebelle, elle aussi.

Grimpant sur une branche un peu plus haute, de manière à être totalement sûre de ne plus pouvoir être atteinte par la louve, je m’y installais dans une position mi-couchée mi-assise, toujours en alerte, mais reprenant des forces après l’attaque que je venais de subir. Je léchai quelques plaies, sachant très bien que cela ne suffirait pas à les soigner néanmoins. Mais elles allaient devoir attendre que je sois loin de tout danger.

Hayden était de ses loups que j’aimais particulièrement. Férocement et physiquement parlant bien entendu. Je n’en avais que faire de sa personnalité. Ce n’était pas le plus important. Il avait le sens du devoir, et connaissait sa place. Il était loin d’être désagréable à regarder en plus. Si je n’avais pas encore jeté mon dévolu sur lui, c’était uniquement parce qu’il m’avait contrarié en affirmant sienne Isadora. Pour autant, le revoir en pleine action après les années sanglantes avait quelque chose d’attirant, et d’appréciable. J’aimais voir un loup en action, je l’avoue. Surtout lorsque ce dernier est prêt à sacrifier sa vie pour la mienne. La luxure était un de mes péchés favoris, je l’admets et l’absence de Jonathan dans ma couche commençait à se faire ressentir, rendant encore plus attirant son fils. Ce dernier ressemblait à son père plus qu’il ne le pensait. Je retrouvais la bestialité de mon consort, sa férocité et sa vigueur. Si les circonstances n’étaient pas aussi désastreuses, je me serais sans aucun doute jetée juste après sur le rugby man. Quel gâchis d’avoir choisi une femme telle que l’exécutrice. Elle avait beau s’être reprise, jamais je ne pourrais lui accorder beaucoup de crédit. Je la détestais et ça ne changera pas tant qu’elle sera encore en vie. J’espérais que ses blessures lui soient fatales. Quoi que, lui pourrir la vie était quelque chose qui me plaisait grandement…

Je n’avais pas peur pour ma vie. Contrairement à celle de Camille, elle n’était pas en danger, clairement pas. Le loup qui se tourna vers moi se retrouva face à un de mes féroces gardes du corps. Si Hayden fut le premier à se jeter sur lui, il fut suivi par trois autres. Je ne donnais pas cher de la vie du traitre qui méritait son sort. Pour autant, cela me posait quand même un problème : il nous le fallait en vie si nous voulions en tirer quelque chose. J’avais repéré une louve se jetait à la poursuite d’une métamorphe. Et aussi emmerdant que cela était pour moi d’envoyer mes loups l’aider, j’ordonnais à deux d’entre eux de la ramener vivante. Elle était jeune, ils n’auraient pas de mal à la maitriser. J’envoyais le reste de ma garde achever les métamorphes qui s’étaient levés contre moi et contre Camille. Je n’avais aucune pitié pour eux, pas après ce qu’il avait fait. Je rejoignais escortée de deux hommes le couvert des bois, à l’endroit ou Adam s’occupait du leader des changelins, après avoir demandé à ce que l’un d’eux ramasser le nécessaire de premiers soins par terre. Je dis alors à ma jeune recrue Fait tout ce que tu peux pour le maintenir en vie. , puis me penchant vers Camille recrue Ton heure n’est pas encore venue mon cher ami. Je fis signe aux hommes de le porter et de l’amener jusqu’à Wolfheaven, retenant juste que instants Adam par le bras. Je me collais à lui pour lui glisser à l’oreille de telle manière à ce que personne ne puisse entendre mes mots Il est ta priorité. Arranges-toi pour le droguer pendant les jours à venir. Il n’est pas question qu’il quitte Wolfheaven ou qu’il émette cette idée tant qu’il ne sera pas sur pied. Je me fous des moyens employés, seul le résultat m’importe. Tant qu’il ne sera pas intégralement rétabli il ne doit pas reprendre conscience.

Camille n’avait pas de chance, et son état m’inquiétait un peu. Je n’avais pas confiance en Adam. Il était trop nouveau dans la meute pour que je puisse lui accorder du crédit. Je devais bien reconnaitre qu’il maitrisait son sujet. Pour autant je restais méfiante. Si je le laissais faire, c’était uniquement parce que j’avais d’autre chat à fouetter. Je ne pouvais pas me permettre de m’inquiéter outre mesure de ce qu’il faisait. Je faisais barrage de mon corps à mes ennemis, faute de pouvoir faire mieux. Mon bras me faisait atrocement mal, mais les renforts arrivèrent vite et me permirent de souffler un peu. L’ours ne fut rapidement qu’un mauvais souvenir. Je pensais la situation tournée en notre faveur, mais c’était sans compter sur la trahison de deux loups. Je n’avais pas du tout vu venir cela, clairement, si bien que je n’eus pas vraiment le temps de contrattaquer aussi vite qu’il l’aurait fallu. Cela couta la vie à Seth, qui s’interposa juste à temps, sacrifiant sa vie pour celle de Camille. Je sais pas vraiment ce qu’il me prit, mais je tombais à genou, secouant le corps du loup sans vie, comme pour essayer de le ranimer. Trop de loups étaient tombés pendant les années sanglantes et cette vision me rappelait toutes ses vies perdues. Des larmes de rage coulèrent de mes yeux alors que je me relevais. Je ne pouvais pas laisser cela impunie.

Malgré les douleurs qui me tiraillées de partout, je courais à l’abri des regards et me changea en louve en un rien de temps. Je savais que tirer sur mes forces n’était pas une solution, pas une bonne chose, mais j’étais trop en colère. J’étais animée d’une rage qui annihilait tout le reste. C’était comme si mon côté humaine avait totalement disparu, ne laissant place qu’au sauvage animal gris et blanc. Je revenais à peine deux minutes plus tard sur le « champ de bataille », et mon premier réflexe fut de me jeter sur le loup qui était aux prises avec Hayden. Il était capable de se débrouiller tout seul oui, j’en avais conscience. Ou du moins mon côté humaine en avait conscience. La louve en moi ne voyait que danger pour son compagnon et voulait venger son frère tombait. Ma mâchoire se referma très vite sur la chair du traitre, que j’arrachais à pleines dents sans me préoccuper d’autres choses. Je lui donnais de nombreux coups de croc, jubilant sous ses lamentations de douleur. Je ne pouvais pas me montrer tolérante ou éprouver la moindre pitié. Non, je n’en étais pas capable en cet instant. Lorsque des loups approchèrent, je me plaçais rapidement entre eux et Hayden, montrant mes crocs ensanglantés, grognant furieusement. Il n’était pas question qu’ils fassent, ne serait-ce qu’un pas de plus. Il n’était pas question qu’un loup approche d’Hayden. Il n’était pas question que je laisse un potentiel traitre lui faire de mal. J’avais beau avoir une pate en charpie, que je ne posais d’ailleurs pas au sol, des traces de brûlures, et de morsures sanguinolentes un peu partout, j’en restais pour autant féroce. Dans l’état d’esprit dans lequel j’étais, je n’aurais pas même laissé Mary ou Jonathan s’approcher. Les seuls que je n’aurais pas été capable d’attaquer auraient été mes enfants… Et Johan… Mais aucun d’eux n’étaient présents donc la question ne se posait pas. D’ailleurs, mes frères changèrent d’objectifs. Peut-être leur avais-je fais peur ? Peut-être avaient-ils compris que nous n’avions pas besoin d’eux ici ? Allez savoir. Seul le résultat comptait, même si je continuerais à « monter » la garde et à protéger celui que je ne supporterais pas voir tomber. Il n’avait pas besoin de moi, une part de moi en avait consciente. Mais elle était ridiculement petit comparée à celle qui avait peur de le perdre.

Par chance, personne ne m'a suivi. Enfin, par chance. Disons que les traîtres ont de quoi être occupés, avec tous les loups et les métas qui leur ont sauté sur le poil. Tandis que je reste immobile, à maintenir le point de compression sur la plaie la plus importante et la plus dangereuse, je me demande à quoi rime ce commando suicide qui vient d'avoir lieu. Ont-il voulu tuer le chef méta en nous prenant par surprise ? C'était un acte stupide, qui n'a aboutit qu'à la mort. Les derniers hurlement de douleur s'éteignent et je sais que mes frères et sœurs ont eu raison de ceux qui nous ont trahi. Je continue à parler au leader des changeurs, quand bien même il n'est plus en état de me répondre. Je lui ai demandé de crisper les doigts s'il m'entendait, mais il n'a pas réagi, ou je n'ai rien distingué de très explicite. Il a certainement sombré, et cela n'est pas pour me rassurer.
Il faut que quelqu'un vienne, que l'on m'apporte mon nécessaire car pour l'instant, je ne peux rien faire de plus. Le temps me semble long depuis que la clameur des combats à cessé, pourtant, il ne s'est sûrement pas passé plus de deux minutes avant qu'une silhouette escortée de deux autres apparaisse dans mon champ de vision. Je lève les yeux et distingue aussitôt Mary, s'avançant avec la grâce et la sensualité d'une reine malgré le critique de la situation et l'anxiété générale. Elle est assurée, charismatique, traits qu'elle partage avec la lupa de ma meute d'origine. Instinctivement, cela me rassure, comme si je trouvais, à travers un visage méconnu, quelques traits d'un faciès que j'ai souvent côtoyé.
Tandis qu'un des deux loups escortant Mary pose ma boîte magique de médecin près de moi, je lève les yeux vers la lupa, qui m'ordonne de garder le méta en vie avant de se pencher sur lui pour lui signifier qu'elle n'a pas encore décidé de l'abandonner à son sort.
Je ne perds pas de temps et prépare rapidement Fontayn, afin qu'il puisse être déplacé sans courir de trop grands risques. Il suffit que les deux loups s'y prennent comme des brutes pour le transporter et cela aggravera les blessures du changelin, aussi, je me permets de leur donner mes instructions sur la façon de procéder. Je vais pour les suivre, oubliant la présence de la lupa tandis que je suis concentré sur la tâche qui m'incombe, mais celle-ci me retient et je sens la chaleur de son corps se poser sur ma peau. Puis c'est son souffle qui vient cajoler mon oreille, tandis qu'elle prend la parole dans un murmure. Le message est on ne peut plus clair. J'acquiesce, en tournant légèrement la tête dans sa direction.
« Je ferai en sorte qu'il soit rétabli au plus vite. Son état est grave mais j'ai déjà vu pire. »
Je ne sais pas si c'est un réflexe à la con de médecin qui veut rassurer, mais je souris, en prime. Je me doute que la lupa est autant concernée par le rétablissement de Camille que je le suis. C'est-à-dire, dans un souci purement professionnel, ou pour elle, politique.
Lorsqu'elle consent à s'éloigner de moi, estimant que le message est passé, je ramasse ce qu'il reste du vêtement que j'ai utilisé en bandage de fortune ainsi que mon matériel. C'est quand même un beau miracle que mon nécessaire soit encore majoritairement utilisable, alors qu'il a été abandonné au beau milieu d'un combat. La bonne fortune a dû vouloir sourire au chef des métamorphes. À moi, maintenant, de faire le reste pour qu'il s'en sorte.

Je commençais à glisser dans les limbes, je me sentais m’éteindre peu à peu. J’allais crever. J’allais crever aussi bêtement et aussi amèrement. Ce n’était même pas sous les assauts d’un vampire que j’allais perdre la vie mais sous les coups d’un métamorphe. Dire que je voulais me racheter pour eux, dire que j’avais tout mis en parenthèse pour œuvrer pour notre liberté, pour que nous ne soyons plus des cibles. Tout ce que nous avions accompli en sept ans, réduit à néant en à peine quelques heures. Ils avaient le droit de bien rigoler tous - les miens, les loups, Krystel et tous les autres. J’avais tout raté. Il fallait que Kate et Enola soient en sécurité. Alan... S’il avait été là… Mes pensées devinrent décousues. J’eus l’impression qu’on me tirait mais je ne savais pas si je devais ce fait à mon imagination ou à la réalité à laquelle je commençais à échapper. Je sombrais dans les limbes et émergeais faiblement quelques poignées de secondes plus tard quand une voix m’interpella. Je ne savais pas qui essayait de communiquer, je n’avais pas compris le message. Je voulais me battre et je voulais tout abandonner. C’était une vraie dualité. J’avais mal, mon épaule était fichue. Ne plus savoir voler était pire que la mort. Je dramatisais tout ? J’étais sur un fil niveau conscience et ma nature angoissée réveillait tout ce flot de pensées négatives. Je ne m’en sortirais pas même si on s’agitait il semblerait au-dessus de moi. Je ne voyais plus rien. Je respirais à peine.

Plusieurs minutes s’écoulèrent et j’oscillais toujours plus vers l’inconscience. J’entendais les sons, je devais me concentrer pour les percevoir mais je ne les comprenais pas. Au milieu de ma confusion et de ce combat contre mon pouls toujours plus faible, de nouvelles intonations. Le message ne passa pas mais quelque part dans mon subconscient cette voix signifiait quelque chose, elle fit faire une embardée à mon cœur épuisé. Il fallait craindre cette tonalité. On allait peut-être m’achever après tout. Mes doigts cherchèrent à s’emparer du poignet qui s’affairait au-dessus de moi. Je partis à tâtons comme l’aveugle que j’étais devenu. « Il… Kate… Enola… aidez… » Moi, c’était trop tard. Il fallait qu’ils abandonnent et qu’ils s’occupent d’elles. Je me sentais définitivement partir. Je relâchais la pression contre celui qui me faisait face et laissais retomber mollement ma paume au sol. Rebecca… Comment allait-elle être prévenue ? Comment allait-elle pouvoir me pardonner de l’abandonner comme ça aussi lâchement ? Je redessinais mentalement ses traits une dernière fois avant de sombrer totalement. C’était fini. Tout était fini. 28 ans et la seule chose que j’aurais accompli n’aurait mené nulle part. Je mourrais anonyme et tout ça deviendrait un exemple erroné d’une cohésion entre nos espèces. Je crevais sur un échec cuisant.

Le chêne sur lequel je m’étais perchée pour être hors d’atteinte de la louve devait être déjà âgé car son tronc était large et ses branches s’élevaient bien haut encore au-dessus de la branche sur laquelle je m’étais arrêtée sous ma forme ocelot. Je reprenais mon souffle petit à petit, entendant la louve gronder en bas, furieuse de ne pas avoir su finir le travail avec moi. Bien, j’étais ravie de lui avoir donné du fil à retordre. Elle avait peut-être cru pouvoir attaquer facilement une métamorphe esseulée, mais elle s’était trompée, car j’étais toujours en vie. Blessée certes, mais en vie. Et je pensais avoir pu préserver correctement le petit être qui grandissait dans mon ventre. Le reste n’avait pas d’importance. Mes plaies ouvertes dues aux coups de griffes et de dents finiraient bien par se cicatriser et même si j’en garderais certainement quelques traces, je m’en fichais. Tout ce qui comptait était notre futur bébé. Je pensais soudainement à Alan, qui avait déserté mes pensées quand le danger s’était présenté à moi. Il devait certainement s’inquiéter, j’avais dit que je le tiendrai au courant autant que possible mais j’avais laissé toutes mes affaires dans la voiture quand j’étais montée sur Wolfheaven, laissant mon véhicule garé en bas du mont. Bon sang et il allait me voir rentrer pleine de sang séché, et pleine de coups. Et j’allais devoir lui annoncer que je ne savais absolument pas ce qui était arrivé de Camille. Merde !

Je me sentais responsable de l’avoir abandonné. Qui savait ce qui lui était arrivé après mon départ ? J’espérais qu’il avait été protégé de l’attaque des métamorphes rebelles mais je ne pouvais qu’espérer. Enola était restée à ses côtés et elle était puissante au combat, elle avait sûrement su l’aider. Oui, il ne pouvait pas être trop mortellement blessé, non ? Ne pas savoir son sort me rendait folle. Et imaginer la réaction d’Alan me traumatisait déjà. Il allait vouloir faire quelque chose. Et dans l’état dans lequel il était je ne pouvais le laisser faire. Il allait se tuer s’il bougeait du lit. J’allais devoir l’empêcher de faire des bêtises alors que je n’étais déjà pas bien moi-même. Pour ça, je devais d’abord rentrer chez moi. Hors de question de remonter là-haut, même pour voir comment Camille allait, alors que la bataille faisait peut-être encore rage. Camille allait bien. Je devais m’en persuader. Je n’avais que ça à quoi me raccrocher de toute façon.

Jetant un coup d’œil en bas, je vis que la louve se retournait brusquement, comme si un adversaire venait de surgir. Ce qui était effectivement le cas. Je vis deux loups se jeter sur elle pour la maîtriser, mais ils évitaient de la blesser trop fortement, comme s’ils voulaient la garder en vie. Évidemment, elle était l’une des leurs avant tout. Et si les métamorphes pouvaient tous mourir pour la traîtrise d’un seul, les loups préservaient ce qui avait un jour fait partie de leur meute. Je leur reconnaissais là un point très fort, car les métamorphes restaient malgré tout beaucoup plus individualistes, malgré la communauté mise sur pied par Camille et Alan. C’était un fait et c’était difficile de changer cela. La meute de loups, elle, avait toujours pu compter sur les siens alors que les changeurs avaient une histoire bâtie sur le secret, le caché et la fuite. Ils évitaient de se montrer, de s’attacher trop à d’autres gens ou de se regrouper. En créant la communauté, les deux hommes avaient fondamentalement changé ce que nous étions. Mais passer de l’état solitaire à celui de groupe ne se faisait pas sans difficultés.

Les deux loups lancés à la poursuite de la louve rebelle finirent par avoir le dessus sur elle et s’éloignèrent en l’emportant avec eux. Une fois sûre que la route était dégagée, je pris mon temps pour redescendre de l’arbre qui m’avait aidée, et vérifiai encore une fois en utilisant mon odorat que plus personne ne se trouvait à portée. Satisfaite de constater que j’étais seule, je me quittai ma forme animale pour ma forme humaine, récupérai mes vêtements qui gisaient sur le sol où je les avais abandonnés et repris la direction du bas de Wolfheaven, rejoignant la route où je m’étais garée de longues minutes plus tôt. Mes blessures me faisaient souffrir mais je tâchai de ne pas y penser. Une fois assise au volant de ma voiture, je pris le temps de souffler un peu avant de faire démarrer le moteur. Qu’allais-je bien pouvoir dire à Alan ? Lorsque je mis la voiture en marche finalement et repris la route d’Édimbourg, la question tournait encore dans ma tête.