Des loups en duel [Livre II

Un sifflement joyeux passait par ses lèvres, alors qu'il conduisait prudemment jusqu'à la maison. La chaussée était glissante et entendons-nous, ce n'était pas le moment de tenter le diable en ayant un nouvel accident. Il en avait eu son quota pour quelques vies. La musique accompagnait son sifflement. Une belle journée au travail, même si très occupée, de par l'habituelle occupation du temps des Fêtes. Ça irait mieux dans deux jours, ça irait mieux pendant son congé bien mérité.

Dans deux jours, Isadora allait venir à la librairie pour lui confier la garde des jumeaux, puisqu'ils pratiquaient une garde partagée à son sens harmonieuse. Beaucoup de choses s'étaient débloquées, depuis l'alliance définitive entre métamorphes et lycanthropes, et le scandale de la mort de Camille et de l'article affreux sur la louve avait renforcé leur lien. Elle pouvait avoir confiance en lui, malgré tout ce qui était arrivé, et Johan faisait tout en son pouvoir pour se montrer digne de cette relation qu'ils reconstruisaient prudemment. Et être exemplaire avec leurs enfants était très important. Être plus ferme plus autoritaire, savoir les gérer, savoir rassurer Isadora sans lui donner l'impression de décider pour elle, manier correctement ses mots pour que tout semble parfait. Idéal.
Et pour le moment, tout allait... correctement. Il pensait.
La voiture s'engagea sur la route du port et il se raidit brusquement en voyant qu'une autre voiture était garée dans son entrée de maison. Une voiture qu'il connaissait, notons-le, mais qu'il ne s'attendait pas du tout à voir ici. Pas sur son territoire.

Prudemment, tendu, il gara sa voiture, coupa le contact et en sortit en dévisageant l'homme qui l'attendait devant sa porte. Nul autre qu'Hayden Valentyne, pour tout vous dire, à la hauteur duquel il arriva après avoir attrapé son sac rempli de livres à éplucher et de commandes à finaliser dans la soirée. « Hayden. » Une salutation un peu surprise, mais polie. Trouver Hayden ici était tellement inattendu qu'il ne savait pas quoi dire. Réellement. « Entre. »

Comme s'il avait le choix. Comme si son Ulfric venait simplement flâner sur son porche sans aucune arrière-pensée, pour le plaisir de sortir de Wolfheaven.

Laisser pénétrer l'homme dans sa maison était affreux. Tout son loup s'y répugnait, mais il fit violence à son animal et laissa le mâle dominant entrer dans son antre. Sa maison vieillotte, son héritage soigneusement entretenu, où les traces qu'il vivait à la fois seul et avec deux jeunes enfants étaient visibles. Seul des loups avaient foulé cet endroit et il ne discerna aucune nouvelle odeur. Mais désormais, l'endroit allait puer Hayden. Ça allait sentir l'Ulfric dans tous les coins. Et ça ne devait pas non plus plaire à Hayden, en fait, de se retrouver ici. Pourquoi était-il ici, d'ailleurs ? Quelque chose de grave, peut-être. Était-il arrivé quelque chose aux enfants ? À Isadora ? Il se mordit la lèvre, contenant ses questionnements. Johan déposa son sac sur le banc à l'entrée et se déchaussa, avant de retirer son inutile manteau trop léger. Ils étaient bêtes, tous les deux là, à attendre. L'élégant libraire hasarda une proposition polie, la moindre des choses en fait :

« Je... te sers quelque chose à boire ? »

Qu'il refuse. Qu'il lui dise ce qu'il voulait ici, dans le vestibule, et qu'on en finisse.

Il restait constamment des choses à mettre au clair, des imprévus qui menaçaient le fragile édifice que je cherchais à bâtir depuis mon accession somme toute involontaire. Il y avait d'abord eu la conduite de Mary, que pour le coup j'avais prévue depuis bien longtemps. La Lupa était quelqu'un de beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraissait ; elle était dans le genre totalement imprévisible. J'en avais appris des vertes et des pas mûres, sur elle et sur ce qu'elle avait fait dans le passé. Repousser ses avances avait demandé autant d'efforts, mais d'un autre type. Il n'y avait tout simplement pas d'alternative à cela. J'aimais isadora, et je ne voulais pas mettre en danger notre histoire. Trop tard, vous allez me dire. J'ai tué mon Ulfric et ai pris sa place. Forcément que dans ces conditions, on ne pouvait pas trop estimer de la suite des événements... Mais en plus des difficultés que me causaient les deux femmes à mes yeux les plus importantes de la Meute, il y avait cette sombre affaire de dénonciation calomnieuse. Franchement, je n'avais pas besoin de ça. Pas après avoir dû reprendre à l'ordre Charlie, confié une mission délicate à Mirah et ai recruté un nouvel exécuteur. Cela faisait beaucoup. Amener les métamorphes au sein de la Meute serait peut être l'événement le plus décisif de mon existence d'Ulfric, ce qui me ferait entrer dans l'histoire des chefs de clans lycanthropes. Mais cela avait amené son lot d'emmerdes, en plus de tout le reste. L'assassinat de Camille, la fronde de certains changeurs plus, et pire même, celle de mes propres loups. Pour certains d'entre eux. Et au milieu de tout ce bordel, il y avait toujours une épine qui commençait à me faire douiller.

Johan.

Pourquoi n'était il pas mort ? J'étais d'un naturel plutôt pacifique, mais mon père comme la vie m'avaient appris à me montrer violent et autoritaire quand il le fallait. Je ne souhaitais la mort de personne, à de rares exceptions près. Mais franchement, ça n'aurait pas facilité la vie à tout le monde que ce type soit bel et bien mort comme le voulait l'histoire à l'origine ? Il avait partagé les meilleurs et les pires moments de l'existence de ma compagne, et il continuait d'avoir une influence sur elle que je détestais. Avoir mis les choses au clair avec elle le jour où j'avais perdu ma carrière en même temps que mon identité réelle était dévoilée à la presse n'y changeait rien. Il avait su la calmer. Pire. Il l'avait fait devant toute la Meute, alors que celle ci me mettait en difficulté devant l'un de mes choix les plus importants, fondateur d'une nouvelle famille lupine. Les gens, mes frères et sœurs, avaient tous vu l'homme calmer ma compagne qui n'était pas ma lupa. On n'arrête pas les on-dit, et jusqu'à il y a quelques mois, je me fichais des histoires qui pouvaient courir sur moi. Mais plus maintenant que je suis Ulfric, que j'ai une famille à moi et que j'ai la charge de dizaines de mes congénères. Je devais m'affirmer, mettre les points sur les I. Venir jusqu'ici a pourtant été difficile. Si je ne suis pas lâche, je me demande si je ne vais pas faire pire que mieux. Pourtant je ne connais qu'une solution au problème qui m'occupe. Je toque. Il ouvre. Il se rend compte de la raison de ma venue.

| Merci |

Répondais je simplement, le suivant alors qu'il se dessapait. Je restais immobile. Face à face, il me propose un verre. Fondamentalement, je n'ai rien contre lui.

| Boire un verre alors que je viens te demander de ne plus approcher Isadora me semblerait de trop. Non ? |

Autant aller de but en blanc. Je soupire.

| Je sais que vous avez une histoire en commun, que vous avez vécu des moments extrêmement forts. Vous avez même eu des enfants, les premiers de notre espèce à ce que l'on sache. Mais je ne permettrais plus que votre proximité passée empiète sur la Meute. Quand tu la calme, quand tu la réconfortes, quand tu lui parles devant les autres... Cela piétine mon autorité. Cela sape les bases de mon pouvoir. Tu sais ce que nous sommes. Le sexe est important. Les contacts physiques aussi. Mais quand tu approches Isadora, les gens s'imaginent que tu continues de la baiser, ou si ce n'est pas le cas, que vous en avez toujours envie. Que tu es prêt à me tenir tête pour ma compagne. Je ne peux pas permettre qu'il existe la moindre ambiguité. Isadora est ma femme, désormais. Elle est ma compagne. Je ne peux plus te laisser l'approcher, autrement que pour discuter de vos enfants. Toute autre discussion ou entrevue entre vous laisserait planer la rumeur d'une rivalité, d'une nouvelle instabilité potentielle au sein de la Meute. Nous ne sommes pas rivaux, n'est ce pas? |

Comme si Hayden avait lu dans ses pensées, il préféra tout de suite aborder le sujet épineux. Ce pourquoi il était ici. En fait, ça ne surprenait pas vraiment Johan qu'il lui parle directement. Il ne connaissait que peu l'homme devant lui, mais la franchise était une de ses qualités, apparemment, il ne pouvait qu'apprécier la chose. Ça et qu'il ne tourne pas autour du pot.

Il s'appuya contre le mur du vestibule, les bras croisés sur son torse, geste défensif, de protection, inconscient. Chaque mot que prononçait Hayden allait directement dans le sens de sa propre pensée – et il en avait mêm parlé à Isadora, suite à la réunion avec les métamorphes. Que sa présence n'aidait sans doute pas Hayden et que malgré tout ce qu'ils feraient tous les deux, ils resteraient toujours des loups. Des loups territoriaux, des loups attachés à la même louve, des loups partageant tant bien que mal la même famille. Il n'avait même rien à objecter à son Ulfric à ce sujet, parce qu'il avait raison et qu'il le savait.
Ses ongles s'enfonçaient dans sa paume, ses dents mordillaient sa lèvre, pour qu'il se retienne de parler. Difficile, mais faisable. La question finale vint, purement rhétorique. Comme s'il pouvait répondre autre chose que ce qui était attendu... Un mouvement négatif de la tête. Mécanique. Presque un soupir.

« Non. Nous ne sommes pas rivaux. » Si Hayden n'avait pas été son Ulfric, peut-être. Qui sait ? Peut-être Johan aurait-il lutté pour reprendre sa place légitime auprès de sa compagne, de la mère de ses mères. Sans doute, même. Il était un loup pacifique, mais cette situation savait toujours énerver chez lui une fibre agressive qu'il ne se reconnaissait pas. Oui, si Hayden Valentyne avait été un simple loup, ils auraient été rivaux. Et ce n'était pas le cas.

Johan décroisa ses bras, mit ses mains dans ses poches. « Mon but n'était pas de mettre à mal ton autorité. Rien de plus vrai. C'est tout de même ce qui est arrivé et je m'en excuse. » Il s'excusait d'avoir offensé Hayden dans sa position de dominant, oui, mais il ne s'excusait aucunement de son acte. Ce serait mentir et ce ne serait même pas crédible. Il avait calmé Isadora parce que c'était ce qu'il devait faire. Parce qu'il était désormais son frère, et elle sa sœur, et que c'était ce qu'il devait faire. Cela ne servait à rien d'épiloguer sur le sujet, par contre, et le libraire préféra revenir aux propos tenus par l'ancien joueur de rugby. « Par contre... Comment dire. Une hésitation dans ses mots. Il se massa la nuque, mal à l'aise. Hayden avait aimablement exprimé son désir, sa demande, mais il était encore en droit de s'y opposer, s'il expliquait correctement ses raisons. Regagner la confiance d'Isadora n'est pas facile et que je ne sais pas si je vais y arriver un jour. J'aimerais qu'on soit capable d'avoir une bonne relation elle et moi. D'être amis, ou au moins de pouvoir avoir une garde partagée harmonieuse. Je t'ai juré fidélité et obéissance, en tant qu'Ulfric, et si tu désires que je ne l'approche plus devant la meute, je le ferai. » Et c'était ainsi qu'il le voyait.
Il ne profiterait pas de cela pour chercher les rendez-vous à tout prix. Il n'agissait pas de façon à reconquérir le cœur d'Isadora. Mais Hayden ne pouvait pas décider de l'entièreté de sa vie, de leurs vies, parce qu'ils étaient des loups.

Ce que j'étais venu faire était difficile. Cela pouvait même continuer à avoir l'effet inverse de ce que je désirais, à savoir saper toujours plus mon autorité sur la Meute. D'un autre côté, je n'avais plus vraiment le choix. Si je ne voulais pas perdre tout respect de la part de certains, surtout les mâles, je me devais d'agir. Certaines femelles commençaient à penser qu'elles allaient pouvoir avoir leur chance, et que si leur jeu de bassin est suffisamment bon, elles évinceront peut être Mary de sa place par la même occasion. C'était incroyable comment chez nous autres, lycanthropes, les instincts primaires prenaient toujours le dessus. Ce qui rendait d'ailleurs notre petite expédition un peu dangereuse. Je risquais fort bien de faire dégénérer les choses avec Johan, j'en avais totalement conscience. Mais arrivé à un moment donné, je n'avais plus le choix. Je devais crever l'abcès. Je n'aimais pas ça. Donner un ordre que je jugeais personnel, arbitraire. Mais plus qu'un ordre, j'essayais de faire comprendre au loup que c'était mon propre animal qui l'entendait ainsi, et pas uniquement le statut. S'il voulait se battre pour Isadora, il allait me trouver. Elle était ma femme, et plus que ça à un niveau presque animal, elle était ma femelle. Les loups ont tendance à avoir une énorme fierté en matière de partenaires, et s'ils aiment bien se partager eux mêmes du fait de pulsions terribles, ils ont du mal à partager leurs partenaires. Pendant des siècles, la seule chose qui guidaient les meutes en matière de rapports entre mâles et femelles était uniquement la loi du plus fort. Il était bon que certaines choses ne changent pas, car j'estimais avoir une légitimité moins forte avec Isadora que Johan. Ils avaient eu des enfants, ensemble. Et moi, je n'en aurais probablement jamais.

Je vois que mes paroles affectent le loup. Fondamentalement, je n'ai rien contre Johan. Si je devais être objectif, le mec avait l'air plutôt gentil et sympa, pour un loup. Mais il existait un désaccord fondamental et irrémédiable entre nous.

Il me confirme que nous ne sommes pas rivaux. Il me confirme aussi le mal indirect qu'il cause à mon emprise sur la Meute. Je n'aimais pas son approche suivante... Je soupirais.

| Parce que tu pourrais vraiment me promettre que la voir simplement, tu en serais capable ? On aime la même femme, Johan. Je sais comment je serais à ta place. Je sais que je ne pourrais pas résister. Je sais que si tu as l'opportunité, tu prendrais une place plus grande auprès d'elle. Je sais que si cela devait arriver, tu coucherais à nouveau avec elle. Je ne laisserais pas ça arriver. J'ai confiance en elle, ce n'est pas la question. Mais nous sommes des loups. Quoi que nous fassions, nous restons mi hommes mi bêtes. C'est pourquoi je ne veux plus que tu la voies, en dehors de vos rapports parentaux. Parce que si vous vous voyez, qu'il arrive quelque chose... Même sans parler de coucherie... l'un de nous devra tuer l'autre. Tu t'en rends compte? Cela détruierait la Meute, les enfants, et Isadora. Tu dois passer à autre chose. C'est la seule solution qui nous préserve du sang coulé. |

Je soupirais, parce que j'allais dire une connerie que je regrettais déjà.

| Mais je ne peux pas te l'ordonner. A ta place, je refuserais. Je ferais tout pour être à nouveau avec elle. |

Il était effaré par le discours d'Hayden. Qu'est-ce qu'était venu chercher son Ulfric, en vérité ? Il ne comprenait strictement pas sa démarche et il n'était pas sûr d'où il voulait en venir. Ou de vouloir savoir où il voulait en venir. Il voulait qu'ils ne se voient plus jamais et qu'ils deviennent des étrangers ? Après tant d'années à la pleurer, à la croire morte, il était hors de question que le libraire restreigne ses contacts avec son ancienne fiancée sous prétexte de jalousie de l'époux légitime.

Son nez se fronça en une moue critique. « Pourquoi te poses-tu des questions, si tu as confiance en elle ? » Qu'est-ce que ça faisait, qu'Hayden n'ait pas confiance en lui ? À ce qu'il savait, ce n'était pas à lui qu'il était marié. Il devait avoir suffisamment confiance en Isadora, plutôt, confiance qu'elle n'irait pas voir ailleurs. Bon sang, même Johan avait confiance qu'elle n'irait pas voir ailleurs, avec lui ou avec un autre.
Oui, ils étaient des loups. C'était difficile de l'oublier. Mais ils n'étaient pas que ça. Il en avait assez de toujours se faire ramener à cette condition, comme si tout esprit logique ne pouvait passer par-dessus ses instincts, ses envies. Il sentait ses ongles se planter encore plus profondément dans ses paumes, ses mains toujours dans les poches de ses pantalons, tandis que sa colère montait. Et qui était-il pour venir lui parler que s'il lui prenait l'envie de se commettre avec son ancienne compagne, ils allaient devoir se battre en duel ? Pensait-il qu'il ne le savait pas ? Il n'était pas un enfant, il n'était plus un jeune loup qui avait besoin de se faire éduquer sur les principes et les bases de la meute. À lui parler ainsi, Hayden lui donnait l'impression d'être un enfant particulièrement stupide et à la compréhension lente.

Pour conclure en lui disant de passer à autre chose et que lui-même refuserait. Bien là, c'était le pompon.

Johan laissa échapper un petit rire cynique, ressemblant plus à un aboiement qu'à un éclat de rire. Quelque chose de triste, aussi, dans cet aboiement. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Hayden ? J'aime Isadora. Je l'aime assez pour respecter le choix qu'elle a fait de t'aimer, de t'épouser et de vivre avec toi, même si à chaque fois que je sens ton odeur sur elle, ou sur nos enfants, ça me met en rage. Sa voix était devenue un peu métallique. Plus froide encore. Parce que ça lui donnait envie de tuer, de hurler, de défendre ce qu'il considérait comme son territoire, comme sien – alors que l'humain lui rappelait toujours que la Valentyne ne lui appartenait pas. Il était un homme jaloux, un homme possessif, mais le monde ne tournait pas autour de lui et de ses demandes. Ni autour de celles d'Hayden Valentyne. Je ne m'approcherai pas d'Isadora devant la meute autrement que pour nos rapports parentaux, ou dans une situation extrême qui demande d'un frère qu'il vienne au secours de sa sœur. Mais en tant qu'humain, je ferai bien ce que je veux. » Parce que comme il l'avait souligné, il ne pouvait rien lui ordonner. Il ne pouvait l'obliger à rien.

J'ai du mal à accepter ce que je suis venu faire ici. Parler, donner des ordres sur la sphère privée... je n'aimais pas ça. Mais d'un autre côté... Je n'aimais absolument pas en tant qu'époux de voir Johan ainsi proche d'Isadora. J'avais du mal à le supporter. Comme tous les loups garous, je défends mon territoire, mes plates bandes. Ma femme en fait forcément partie ; la territorialité sous tend tout ce qui est important dans notre existence. Mais au delà de ça, Johan et Isadora ne comprenaient pas que leur attitude l'un avec l'autre, si elle était normale d'un point de vue humain, ne l'étais pas chez nous. Chez nous, les gestes et les contacts physiques sont monnaie courante, et véhiculent bien souvent le sexe. Et le sexe veut dire pouvoir. Si les gens pensaient que ma propre femme pouvait aller voir ailleurs, alors ils ne me respecteront plus et feront n'importe quoi. Je souris jaune, intérieurement. Ils commençaient déjà à le faire, n'importe quoi. Et pas qu'un peu. Mais quand même. Je suis Ulfric. Ma compagne est intouchable, et pour des loups l'attitude de Johan est ambiguê. Je sais qu'on rie de moi derrière mon dos, et si c'était parfaitement égal à Hayden l'exécuteur ce n'était plus le cas depuis mon changement de statut.

| Totalement. Isadora se donne à fond dans tout ce qu'elle fait. Elle ne m'a pas laissé supposer qu'il pouvait se passer quelque chose ; je ne le suppose pas. Je viens pour mettre les choses au clair une fois pour toutes avec toi, car votre attitude me nuit en tant qu'Ulfric. Je ne veux pas donner plus de grain à moudre aux gens qui doutent de ma capacité à commander, pas plus qu'ils n'en ont déjà ces derniers temps. |

Johan rit, ce qui me fait froncer les sourcils. S'il croit que je suis venu pour rire, il se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'au coude et je peux d'ailleurs l'aider à ce petit tour de force physique si c'est vraiment ce qu'il désire. Je comprends ce qu'il me dit. Je l'accepte. Car j'en ferais de même. La fin de ses paroles me fait froncer les sourcils. Je fais un pas vers lui, me figeant bien en face.

| Bien nous sommes d'accord. Devant la Meute, plus de contacts, plus de connerie comme j'ai pu le voir la dernière fois. Si Isadora remet en question mes choix d'Ulfric, tu n'as pas à aller la calmer. Tu n'as pas à aller la voir du tout. Pour le reste. |

J'inspirais profondément.

| Fais ce que tu veux tant que tu ne te mets pas dans une position qui sent trop mauvais pour toi, Loup. Et tout se passera bien. |

j'expirais, maintenant. J'avais encore tellement de choses à lui dire, à lui demander. Sur les meutes scandinaves, sur la procréation de louveteaux et sur ce qu'il s'en souvenait... Tant de choses qui impliquaient la Meute. Mais je n'avais pas envie de poser toutes ces questions.

| Si nous sommes d'accord, je ne te gâcherai pas la soirée plus longtemps. |

Il était un homme généralement passif, au caractère paisible, et même en tant que loup, il était du genre obéissant. Seulement, avec le temps, il avait appris à détester qu'on lui donne des ordres, surtout qu'on lui en donne sous forme humaine. De pourquoi cette discussion si désagréable avec Hayden, si tendue. Il serrait les dents et acquiesçait en silence, globalement, et il avait bien senti que sa précision sur ses activités humaines n'avait pas plu à son Ulfric. Pas pour rien qu'il s'était permis de lui rappeler qu'il n'avait pas du tout à aller voir la louve devant la meute – même si c'était une situation urgente selon lui.
Parfait alors. Qu'il se débrouille. Il ferait ce qui était nécessaire, de son côté, pour ne pas être dans une position qui sentait mauvais pour lui et pour tout le monde, comme il l'avait si bien dit. Il ferait ce qu'il pouvait. Il avait un don pour se foutre dans les embrouilles, tout de même.

Johan hocha doucement la tête quand Hayden proposa de partir – enfin. « Nous sommes d'accord. » Pour qu'il foute le camp et sur ce qu'ils venaient de discuter.

Il se rendit subitement compte de ce qu'il avait dit avec un naturel désarmant. Il venait de dire qu'il aimait Isadora – sans en être gêné, sans y voir un problème. Alors qu'il l'avait dit à son époux, à son compagnon, à son Ulfric. Il était fou. Lui qui refusait toujours de venir sur cet épineux sujet, qui se contentait des non-dits et du silence pour que les autres devinent ses sentiments, avait librement déclaré qu'il aimait Isadora.

Il était définitivement fou, oui.

Le Valentyne tourna les talons et passa la porte, que Johan avait rouverte par politesse et habitude. Il faudrait bien qu'il apprenne à être moins poli, une fois de temps en temps. Il héla cela dit le loup, avant qu'il parte définitivement. « Hé... Un petit silence, une sécheresse sur sa langue, comme s'il hésitait à lui dire ce qu'il voulait lui dire. Planté comme un idiot dans sa porte. Joyeuses Fêtes. Et... je suis certain que tout va s'arranger. Tout ça. » Ça. Ça Isadora, Ça la meute, Ça les divers problèmes qui parsemaient sa récente nomination comme Ulfric de leur meute. Ça ne voulait sans doute rien dire pour Hayden (ils n'étaient absolument pas proches) et il se sentait débile d'avoir dit ça – il aurait voulu lui parler de la PES, de la PES qui savait pour les métamorphes, des loups, mais il ne pouvait pas. Pas maintenant. Tout comme il sentait que des questions vivaient dans l'esprit de l'autre homme. Il allait exploser, bientôt, la colère était retournée gronder dans son ventre et n'attendrait pas plus longtemps. Un jour. Ils se parleraient comme d'un loup à un Ulfric. Une épaule haussée. « Enfin. Bonne soirée. »

Et surtout pas merci d'être passé.

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