Si le putsch avait été avorté, et une nouvelle monarchie célébrée avec ses deux Reines, le quotidien n’en était pas plus divertissant. Je ne m’intéressais guère aux cancans des vampires insipides qui étudiaient tous les faits et gestes des héritières régnantes, et encore moins au pathétique affiché des intrigants. Un peu plus, et je me serai retrouvée en Angleterre à l’époque de ma déchéance. Qu’il était facile dès lors de se jouer des humains nobles, qu’il doit être facile actuellement de se jouer de ces vampires parvenus, indignes d’en être. On ne pouvait pas dire que seule l’élite était destinée à devenir vampire, comme ça aurait du l’être. Je devais malgré tout changer d’air, retrouver un autre environnement. M’éloigner de ce quotidien morne et lassant. Je n’avais été investie à ma nouvelle position qu’il y avait peu, et rien n’était gagné pour autant. J’aurai été stupide de me reposer sur mes lauriers, et de considérer que ma rédemption m’était acquise. Je n’étais pas une bleue, je devais rester sur mes gardes. Comment aurais-je pu savoir ce que Badenov avait réellement avancé ? Il aurait tout aussi bien pu donner la vérité aux Reines, et me placer ici pour qu’elles puissent mieux me surveiller. Rien n’était improbable, rien n’était à écarter, si ce n’était que je n’aspirais, ce soir là, qu’à un peu de tranquillité. Un peu de tranquillité, et une présence distrayante, loin de ces intrigues ridicules de vampires en soif de potins. Peut-être aurais-je du prendre autant de faibles d’esprit au sein des Sanguinistes, pour mieux les faire éradiquer… Peut-être était-ce une idée, pour le futur, et pour asseoir la légitimité de la position des Reines. Ce qui n’était pas gagné, il fallait le dire.

Mais ce soir, je comptais ignorer toute machination, toute ambition politique et guerrière, toute manipulation de la population vampirique, tout souhait d’action, pour me détendre. Je me rendais dans mon appartement, dont il faudrait probablement que je change, pour me délasser dans un bain et prendre soin de mon apparence sous toutes les coutures, pour terminer par les ongles ornés d’un délicat vernis foncéaux reflets reflets rouges. Une robe assortie, un bracelet en or blanc, des escarpins noirs, et j’étais parée pour me rendre au Damned Angel. Ironie de ce nom, qui aurait pu être approprié si je n’avais pas négocié mon salut. J’entrais, sans m’avancer davantage, pour sonder les gens présents. Tous ne semblaient pas sous l’emprise de substances déplaisantes. Parfait. Je m’asseyais au comptoir, commençant avec un Tru Blood. En espérant quelque chose de plus savoureux, pour plus tard.

Je me regarde dans le miroir, réfléchissant tout en me coiffant. Torben avait raison. Cela n’allait pas être aussi simple. Sans doute allait-il se méfier plus que d’autres. Mais je n’avais pas 50 solutions pour l’approcher... Les solutions les plus simples sont souvent les meilleurs non ? Hum, j’espérais en tout cas. J’aviserai bien au fur et à mesure… L’improvisation, ça peut être cool… la spontanéité, l’authenticité, tout ça...
Tu parles… Peu importe. Je verrai.
Les derniers jours étaient passés rapidement alors que je me démenais pour essayer de trouver quelques noms et renseignements utiles, tache relativement aisée au final. J’avais passé plus de temps à chercher une tenue en fait… bon plusieurs… et à lire des trucs sur lui, Philipp McBorough, des articles sur sa campagne, sur lui, sur son passé. Si on m’avait dit que je m’intéresserais à la politique… Bon, je ne m’y intéresse pas, pas vraiment… Mais il fallait bien que je sache de quoi parler, ou tout du moins ne pas avoir l’air trop écervelé, un minimum concernée quoi.

Mais tout ça, les recherches sur le net, ou ailleurs, finissaient par me rendre folle. Je tournais en rond. Fallait que je sorte. Aussi, sur un coup de tête, j’avais décidé de faire un tour dehors, dans l’idée de voir ce que je pouvais trouver dans les bars.
Je remonte mes cheveux, me fais une queue de cheval haute. Avant de l’enlever. Ouais, laissons comme ça.
Je sors la robe bleue nuit toute neuve, avant de me glisser dedans. J’enfile mes escarpins noirs, hop, de naine je passais à une taille respectable, un bracelet en argent, et je suis prête.
Je sors sans but précis, c’est un peu le souci. Après pas mal d’hésitations, j’atterris au Damned Angel. Bar qui peut être sympa et agréable tant qu’il n’y a pas de gros lourds… le problème des « bars à vampires » c’est qu’il y en a souvent au final.

Je rentre et regarde rapidement autour de moi. Au pire, je serais bien vite partie, pas vrai ?
Je me dirige vers le comptoir, pour commander… ah, bah, comme ma voisine. Je lui jette un coup d’œil. Blonde, grande, fine. On pourrait presque dire fragile, je souris malgré moi. Oui, j’ai arrêté de juger sur les apparences depuis bien longtemps… surtout quand la personne concernée à un verre de Tru Blood dans les mains effectivement.
Je m’installe à côté d’elle, hésite un instant, mon verre à la main. J’vais pas rester accouder au bar comme une conne tout la soirée. Autant … faire connaissance non ? Et c'est pas comme si je connaissais tout un tas de nocturnes...
Oh, et pis, au pire, elle m’envoie chier non ?

« Pour faire dans le genre totalement ringard, et je m’excuse d'avance du manque d’originalité, je ne vous ai jamais vu ici. Vous venez souvent ? » Je lui souris. « Oh, moi, c’est Lucy. »

Qu’attendais-je réellement, de cette sortie dans un bar dont je n’étais clairement pas familière ? Pas que j’y semble déplacée, j’avais pour moi cette assurance et ce charisme qui faisaient que j’étais à même de sembler à ma place partout où j’allais, pour peu que je le décide. Jamais je ne doutais de ma légitimité, et cela m’avait ouvert bien des portes. Bien avant même que je ne devienne la créature de la nuit que j’étais. J’entendais bien à ce que ce soir ne soit nullement différent. Me fondre dans le décor me permettrait de profiter davantage de la soirée, et de déceler assez facilement un humain à mon goût. Mais il n’y avait nulle précipitation à avoir, et j’ignorais les quelques regards qui s’étaient tournés vers moi à mon entrée, tout autant que ceux plus graveleux et méprisables qui détaillaient ce que ma robe dévoilait. Des humains auxquels je n’accorderai aucune importance, assurément. Je commandais une boisson que l’on m’apporta, réchauffée, dans un verre à cocktail, comme s’il s’agissait d’une consommation banale que n’importe qui aurait pu prendre. Une manière de rassurer les humains, de toute évidence, d’éviter d’exposer devant eux notre principal aliment, bien qu’ils n’attendaient que de nous en offrir. Je réprimais le sourire sarcastique qui menaçait de poindre sur mes lèvres, en voyant le bâton luminescent et le parapluie plongé dans le verre dont le contour était orné de sucre imprégné lui aussi de sang synthétique. Pathétique.

Je fus arrachée à ma contemplation, peu intéressante, par une de mes semblables… ravissante, il fallait le dire. Petite, qui aurait pu passer pour une proie, si elle n’était pas dotée de crocs. Enfin, peut-être était-elle une menace pour les humains, mais probablement pas pour moi. Elle ne semblait pas me connaître. Ainsi, elle ne devait pas faire partie de ces imbéciles qui gravitaient autour de la royauté, sangsues prêtes à se gorger de leur sang, par cupidité bien plus que par le goût ou la nécessité dont nous faisions preuves lorsque nous nous abreuvions d’humains… ou de métamorphes. Bref. Vivait-elle en marge de la société vampirique ? Je n’avais pas souvenir de l’avoir vue, précédemment. Que ça soit durant les années sanglantes, ou à une quelconque assemblée de la Reine. Nous étions nombreux, mais bien moins qu’avant, et j’étais très attentive à mes semblables. Bien que j’ai longtemps peu pris part aux évènements royaux.

Qui était-elle ? Elle était jeune, en tout cas. Rafraîchissante, par sa spontanéité. Sans doute n’avait-elle aucune idée de mon identité. Aucune idée de la position de Conseillère que j’occupais, depuis peu. C’était très bien, en soi. Circonvolutions politiques ou royales n’auraient pas leur place, pas ce soir. Peut-être pourrais-je prendre le temps de réfléchir. À la mort de mon créateur, par ma faute. Par ma volonté. Il ne m’avait pas apporté ce qu’il m’avait promis, malgré tout ce qu’il m’avait appris, il en avait payé le prix fort. Cela n’avait pas du le surprendre. Pas après les circonstances de notre rencontre. Cela importait-il réellement, de toute façon ? Non. J’en doutais. Je ne voulais pas réellement le savoir. Je répondais à la vampire, d’une voix chaleureuse.

« Freyja. Très peu, mes… goûts et mes obligations m’ont plus souvent appelée ailleurs. Mais je vous retourne la question. »

Elle comprendrait ce qu’elle souhaiterait, concernant mes goûts.

Je ne sais pas trop ce que j’attendais de cette sortie. J’avais juste besoin de me changer les idées, voire peut-être de trouver quelque chose, quelqu’un pour m’y aider. Non que je pensais trouver quelque chose de très intéressant dans ce genre de bar. Mais bon, quelque chose qui ferait passer le temps ? Sans trop savoir, je m’étais pourtant apprêtée comme pour un rencard. D’un autre côté, le meilleur moyen de trouver quelqu’un pour se divertir reste de le séduire. Ou de l’hypnotiser… Mais c’est moins drôle en réalité. Et puis, enjôler, charmer, plaire, attirer c’est tellement plus flatteur et divertissant.
Et c’est un jeu pour lequel je suis plutôt douée… Enfin nombre de nocturnes le sont c’est vrai, mais moi je l’avais toujours été. Non, ne m’enlevez pas le peu de talents que j’ai, quel qu’ils soient…

Toutefois, ce ne fut pas un humain qui attira mon attention. Ni une humaine non. Ce fut une vampire, assise au bar en train de siroter un verre. Je sais qu’elle est plus âgée que moi. J’en rirais presque. Evidemment. Ils ne sont guère nombreux ceux plus jeunes que toi qui sont encore présents… Mais je restais nulle pour juger l’âge des personnes. Les fortunes, les intérêts, ça je me débrouillais. L’âge par contre, humains comme vampires, j’étais incapable de l’évaluer…
Mais ses fringues. Ses bijoux. Ses chaussures. Le tout valait une petite fortune. Et lui allait à la perfection, d’accord, je l’avoue. Elle était plus grande que moi, je veux dire même si elle n’avait pas de talons et moi oui, elle serait plus grande que moi… comme la plupart des gens soit, mais quand même. Et j’avais beau chercher dans ma mémoire, je ne me souvenais pas l’avoir croisé… faut dire que je n’avais pas croisé tant des nôtres que ça… et la plupart étaient morts aujourd’hui…

Je lui souris et l’aborde de la façon la plus nulle dont on m’ait jamais abordé… d’accord, je trouve ça drôle. Oui quand c’est des gros lourds, j’ai envie de les cogner, oui, quand c’est moi, je trouve ça débile et ça me fait rire. Et alors ?
Je continue de sourire alors qu’elle m’observe, me juge, me jauge. Oh, qu’elle pense ce qu’elle souhaite, je n’ai rien à prouver, ni à démontrer. Je suis juste moi. Et c’est bien suffisant.
Mon sourire se fait plus grand alors qu’elle me répond. Freyja donc. J’hausse légèrement un sourcil.
Je secoue la tête en riant.

« Non. Enfin je suis venue quelques fois. Pour être honnête, je voulais juste sortir, sans trop savoir où aller.
Dans les bars de ce genre … » Je jette un coup d’œil autour de nous, secouant la tête en grimaçant, quand je croise des regards… grossiers. «… on ne trouve en général rien de bien intéressant. »

J’hausse les épaules, et revient vers elle, souriant à nouveau.

« Mais il y a parfois de bonnes surprises.

Et si ce n’est pas trop indiscret…qu’est-ce qui a bien pu vous amener ici ce soir ? »

Le temps où j’avais abordé des inconnus sans arrière-pensée, sans volonté de leur extorquer de l’argent ou une nuit tout sauf innocente était loin… Il n’avait que peu existé. Voire jamais, à vrai dire. Ca n’avait par ailleurs aucune importance. Je ne cherchais pas à cultiver de liens dépourvus d’intérêt, n’avais jamais aspiré à une telle chose. Quel besoin en aurais-je eu ? Aucun. Mais était-ce parce que je savais que quoi qu’il arrive, je ne serai jamais seule ? Peut-être. Etait-ce encore le cas, maintenant que toute ma « famille » vampirique était décimée ? Est-ce que ça avait la moindre importance ? Je ne le croyais pas. J’avais abandonné ma famille de sang, il y a de cela plusieurs décennies maintenant, pour me marier de l’autre côté de l’atlantique, sans regarder une seule fois en arrière, pourquoi devrais-je me soucier des liens que je cultivais, pourquoi devraient-ils dépasser le stade de l’intérêt ? Même ce soir, ça ne serait guère plus. Utiliser le premier hère qui se présenterait à moi, pour me distraire et m’éloigner un instant de mes responsabilités.

Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’est qu’il s’agirait d’une de mes semblables… ingénue, à sa manière, et particulièrement alléchante. Etait-ce pour cela que je ne me moquais pas de sa façon de m’aborder, me parant d’un sourire suffisamment communicatif pour lui faire comprendre que je ne comptais pas m’isoler comme j’avais prévu de le faire ? Peut-être. Le fait est que cela n’importait pas. Je ne venais ici que pour décompresser, et la petite semblait tout à fait adaptée à cela. Je lui avançais la chaise à mes côtés, acquiesçant à ses propos. « Des humains qui n’arrivent même pas à penser intelligemment pour ouvrir les cuisses d’une femme sans recourir à la force. » J’étais dans le vrai, si j’en croyais leurs regards lubriques, affamés et assoiffés. Rien de bien digne.

Je fixais mon interlocutrice, souriant toujours, comme si je n’avais pas brièvement observé les imbéciles présents et que rien n’avait interrompu notre tête à tête – si l’on pouvait nommer notre discussion de cette manière. « D’agréables surprises, même.

Disons que j’ai ressenti le besoin de m’immerger dans un lieu inconnu où l’on n’attend rien de moi. Mais ça n’a que très peu d’importance. On peut aller s’asseoir à une table, plutôt que de faire les piliers de bar, si vous le souhaitez. »

Au mieux, quand je sors d’habitude, je repars au mieux avec un humain pour la soirée… au mieux il est intéressant et ne se débrouille pas trop mal… mais oui, ça reste rare. La plupart sont tellement arrogant et stupide. Et je ne dis pas ça parce que je suis nocturne. Non, c’était déjà le cas quand j’étais humaine. La plupart des hommes, et certaines femmes, sont juste… idiots, grossiers et gauches. Qu’ils soient humains, nocturnes, loups ou autres bestioles n’y change rien.
Souriante et amusée, je me dis que pour une fois mon errance aura peut-être une finale plus intéressante que d’ordinaire.
Elle me sourit, avant de me montrer la chaise à ses côtés. Je m’y déplace, sans me défaire de mon sourire tout en l’écoutant alors qu’elle me répond. Je ris à sa remarque.

« Oui. Malheureusement pour eux, c’est rarement très rentable au final. Mais ils ne comprennent pas… Si certains pouvaient apprendre que la délicatesse ou le savoir-faire marchent aussi bien, ce serait un grand progrès… » Je fais la moue, me passe la langue sur la lèvre et souris à nouveau. « Même si j’avoue que la douceur ne fait pas toujours tout… »

Mais oui, de bonnes surprises se mêlent parfois à l’ivraie. Et je suis ravie qu’elle me considère comme l’une d’elle visiblement.
Je l’observe, la tête penchée sur le côté. On attend beaucoup d’elle en général ? Et c’est dans ce genre de situation, avec ce genre de personnes, que je regrette le plus de ne pas m’être davantage intéressée au monde qui m’entoure. Oui, bon, ça me saoule en général. Les complots, la politique, les jeux de pouvoirs… P’tre parce que ouais, j’en ai aucun de pouvoir, du coup, j’suis d’office hors-jeu, c’est gavant… Mais c’est pas comme ça que ça va changer, j’sais bien. Si je survis assez longtemps, je verrais bien…Et savoir qui est qui peut être assez sympa… Genre là, je saurais dans quel guêpier je me jette, ou pas…
Enfin, toute façon, le problème ne se pose pas, vu que je n’ai plus aucun contact en place… nulle part.

« Oui, c’est une bonne idée, j’aurais moins l’impression d’être un buffet sur patte... Alors que ça devrait être l'inverse... »

Je me lève, prenant mon verre, me tourne vers la salle et aperçoit une table vide dans un coin. Parfait. Je lui souris en lui désignant la table et m’y dirige, sans attendre de serveur ou autre. Je lui fais signe de s’y installer, avec un sourire amusé. Ouais, galante jusqu’au bout de mes ongles argentés. Oui, il m’est arrivé d’avoir des clientes. Et oui, mine de rien, la plupart des femmes ujaiment ce genre de trucs simplistes… voir débiles… Mais bref.
Je la laisse s’asseoir, avant de m’installer non loin d’elle. Je regarde rapidement autour de nous, avant de revenir vers Freyja.

« Et si vous ne traînez pas dans les bars sordides de ce genre, comment occupez-vous votre temps libre Freyja ? »

Ouais, tout dans le tact. Et non, p’tre que je me trompe et qu’elle bosse comme moi, mais j’en donnerais pas ma main à couper…

HRP:

La jeune vampire sera une distraction bienvenue – belle et agréable, qui plus est. Son rire tinte à mes oreilles de façon délicieuse. Oh, il s’agira assurément d’un divertissement enivrant, plaisant. Elle n’est de toute évidence pas rompue aux manipulations vampiriques… C’est très probablement dû à son jeune âge – pour peu que je ne me trompe pas à ce sujet. Je fais signe au serveur, de nous servir du Tru Blood. Il ne s’agirait pas de faire une esclandre, en nous nourrissant à même la veine – quoi que je ne verrai aucun inconvénient à partager nos sangs et plus. Mais pas en pleine lumière. Sa langue qui parcoure ses lèvres rouges et bien dessinées augmente cette envie, pourtant. Mais pas en l’instant. Chaque chose en son temps, et l’idée est d’en savoir plus sur ma vis-à-vis. Ce geste de sa part a l’air inconscient, mais est-ce réellement le cas ? J’ai vu mon lot de femmes manipulatrices, et rien ne me dit qu’elle en est pas une. Mais peu importe, je ne suis pas née de la dernière pluie, et si elle cherche à me soutirer quoi que ce soit, il est peu probable qu’elle y arrive. Et ma venue ici n’était nullement planifiée, notre rencontre ne peut qu’être une coïncidence.

« Nous pourrons leur faire passer cette impression, si vous le souhaitez. Mais il faut composer avec leur faiblesse humaine, incapable de passer outre l’attractivité qui nous est propre. D’autant plus quand ils ont en face d’eux des femmes peu banales au physique qui ne l’est pas non plus. »

Si je m’englobais dans cette description, elle était en premier lieu destinée à la vampire en ma compagnie. Inutile de nier la véracité de la chose. Je la suis pour parcourir la table, sentant les regards nous suivre. L’abri de l’alcôve fut le bienvenue, promettant une soirée des plus intéressantes. Je lui souris, en l’entendant. Je ne compte pas mentir, sans m’étendre pour autant. « Je m’entraîne à servir aux mieux nos Reines, notamment au sein de leur armée. Il est nécessaire d’être prêts à préserver les nôtres, par ces temps… » Comment réagirait-elle ? Etait-elle pro monarchie ? Considèrerait-elle que je parle de tous les vampires ? Etait-elle au putsch raté ?

« Et vous, Lucy, quelles sont vos occupations et passe-temps ? »

Je lui plais. Autant qu’elle me plait ? Peut-être. Des marques visibles aux signes infimes, on apprend rapidement à déchiffrer les indications de son interlocuteur, pour peu qu’on le veuille. Et là… Je le sais, je le vois. Elle ne cherche pas spécialement à le cacher, tant mieux, parce que chez les nocturnes âgés, c’est plus compliqué oui quand ils jouent les statues de marbres.
J’ai déjà fait plus pour bien moins d’intérêt montré à mon égard, mais je ne peux me permettre d’aller davantage vers elle. Pas ici. Pas alors que nous sommes entourés en majorité de sombres crétins. Leur faiblesse humaine. N’y a-t-il que les humains qui ont ce genre de faiblesse ? Je n’en suis pas sûre. Les autres, nous autres en particulier, sommes juste plus doués pour le cacher. Et oui, plusieurs siècles de vie peuvent grandement diminués les pulsions et choses de ce type il est vrai.
Mon sourire s’agrandit. Que de compliments joliment tournés.

« Non, peu m’importe, ils ne comptent pas réellement.
Mais je peux toutefois les comprendre. Comme vous avez dit, beaucoup réagiraient de la sorte vis-à-vis de femmes aussi plaisantes à regarder. »

Et si elle parlait peut-être, sans doute, de moi, comparé à elle, je me trouve bien fade. Bon, ok, p’tre pas fade non plus. Mais elle… Je ne sais pas qui elle est, mais m’est avis qu’elle est loin d’être une nocturne aussi jeune et lambda que moi. Et de loin.
Nous nous dirigeons à l’écart, vers une table, un minimum à l’abri du regard des autres.
Hummm. Oui, travailler pour les Reines semble déjà davantage plus… adapté à ce qu’elle dégage.
Je pose délicatement mon menton dans le creux de ma main, et lui souris.

« Mes occupations semblent beaucoup moins intéressantes que les vôtres. Je travaille principalement comme serveuse, ici et là. » J’hausse les épaules. Rien de flamboyant ou d’impressionnant. Je ne suis personne. Elle par contre… Ce n’était certainement pas le but de ma venue. Ni même de mon approche. « Rien de passionnant ou qui ne soit bien utile, contrairement à vous. Je n’ai pas de but grandiose, ou primordial. Je n’en ai pas trop eu l’occasion. D’un côté, ça me simplifie sans doute l’existence. Tout en la rendant beaucoup moins fascinante que la vôtre je suppose. »

Je souris. Non, parce que j’aurais pu en avoir l’occasion, du mauvais côté, mais j’aurais pu. Rester avec Julien, et suivre son objectif, stupide et suicidaire.
Et je commençais à penser qu’à force de croiser des gens plus ou moins importants, j’allais bien finir par arriver quelque part. Enfin, j’allais bien finir par monter plus haut tout du moins non ? Mais bon, ce n’était pas pour ça qu’elle avait attiré mon regard la jolie vampirette.

« Quant à mes passe-temps… Dois-je vous confesser qu’à part le shopping ou le cinéma, je n’ai guère de passe-temps bien avouables ? Ou tout du moins pas de ceux que l’on peut exprimer à haute voix au milieu de tant d’oreilles indiscrètes. »

Cela fait bien longtemps que je ne me suis laissée aller ainsi avec une inconnue, sans dessein particulier. La jeune vampire, car elle l’est c’est certain, en a-t-elle ? Je doute qu’elle sache qui je suis. Je ne suis pas, n’étais pas, importante dans la hiérarchie vampirique. Et ça n’est que trop récent pour qu’elle soit au courant. Oh, elle saura, tôt ou tard, mais quelle importance ? Elle ne pourra pas m’utiliser. J’utilise les gens, et l’on ne m’utilise que quand je laisse faire. Quand l’intérêt est trop important pour que je ne me laisse pas prendre au jeu. Comme ma survie, quand Torben m’a utilisée pour démanteler les Sanguinistes. Oui, ma survie est un enjeu qui vaut beaucoup de sacrifices. Mais trêve de digression. Ce soir, le plaisir primera. Inutile de penser à tout ce qui va m’incomber. Profiter, sans m’abandonner entièrement, sera le maître mot de la soirée.

Je la dévisage, alors que je réponds à sa question. Nul sursaut de surprise, ni d’intérêt par ailleurs. Elle ne cherche pas à en savoir plus. Ou elle est très intelligente et dissimule son intérêt, ou elle est simplement innocente et ne m’approche réellement pas à dessein. Fort bien. Je ne trahissais de toute façon rien. Je n’avais rien à trahir. J’avais beau servir Leurs Majestés, je n’étais pas au fait de grand chose. Pas encore. Mon temps viendrait. « Je m’engage à servir nos Reines, rien de glorieux, rassurez-vous. Mais pourquoi avoir choisi d’être serveuse ? Ne souhaitez-vous pas vous investir pour le peuple vampire ? Je m’arrêtais un instant, la laissant réfléchir à ma question, et m’interrompre si elle le souhaitait. Je ne vous juge pas, rassurez-vous. J’ai du mettre fin à cette activité récemment, mais j’étais moi-même croque-mort il y a peu. Je me suis, à vrai dire, engagée dans l’armée des nocturnes rouges qu’à la suite des années sanglantes. Y avez-vous participé ? Quand avez-vous rejoint les nôtres, Lucy ? Et votre créateur ne pourvoie t’il pas à vos besoins, pour que vous ayez besoin d’être serveuse ? »

Je m’arrêtais de nouveau, souriant, avenante. « Pardonnez mon insatiable curiosité, vous n’êtes évidemment pas obligée de répondre. Peut-être est-ce un choix, après tout. C’est une position intéressante, qui vous permet de voir beaucoup de gens, je suppose. Sans grande fascination, peut-être, je ne saurai le dire, mais divertissante et diversifiée, à défaut. N’est-ce pas ? »

Je posais mon visage sur ma main, la fixant, nous rapprochant sensiblement. Souriant, même, en l’écoutant. Pensait-elle m’effrayer, ou me rebuter, avec ces passe-temps peu avouables ? Oh, je n’étais pas vampire à avoir froid aux yeux. C’était le cas pour peu d’entre nous, d’ailleurs. Lui souriant à nouveau, je reprenais la parole. « Oh, je doute que beaucoup puisse nous entendre, si nous parlons à voix modérée. Notre ouïe devrait nous suffire à pouvoir converser tranquillement. A moins que vous ne souhaitiez pas en parler, ou que vous préfériez que nous allions à l’abri des oreilles indiscrètes, évidemment. Je me reculais légèrement, maintenant toutefois le simili d’intimité créé par mon changement de posture. Mais dites moi, Lucy… Souhaiteriez-vous une vie plus… aventureuse ? Plus fascinante ? Votre emploi semble vous lasser, si je ne me trompe pas ? »

Je souris alors qu’elle reprend la parole. Et plus elle m’interroge, plus mon sourire s’agrandit. Je finis par rire légèrement. Finalement, ce n’est pas moi qui me montre curieuse et qui cherche à en savoir tant sur l’autre. Est-ce simplement de la curiosité ou cherche-t-elle à découvrir si je cache quelque chose ? Est-ce que cela a une importance ? Non aucune. Bien.

« Cela fait beaucoup de questions effectivement. »

Je l’observe un instant, me passant la langue sur les lèvres. Que puis-je lui dire ? J’ai été franche avec Torben, puis-je l’être avec elle ? Certes, la Mort n’est plus ce qu’elle était, pourtant, il aurait eu l’opportunité de me tuer, ou de me faire tuer pour tout ce que j’avais dit. Et elle… A quel point est-elle dangereuse ? A quel point pensera-t-elle que je n’aurais pas dû survivre ?

« Pour vous répondre…
Mon créateur est mort il y a quelques années. Peu de temps après m’avoir transformée en vérité. Quelques mois tout au plus. Je ne vais pas me plaindre, je suis bien mieux sans lui. Il n’était pas vraiment ce qu’on peut appeler très conciliant… c’était même plutôt le contraire. Mais je me suis retrouvée… un peu à la dérive du coup. Pas vraiment seule, mais c’était compliqué. J’ai combattu aux côtés de certains, ici ou en Europe, durant les Années Sanglantes. Mais je ne suis finalement pas restée avec mes … compagnons. Je n’étais pas tout à fait du même avis qu’eux sur certains points. »
Je passe à nouveau ma langue sur mes lèvres. Oh, elle demandera sans doute des détails. Tu vas lui dire ? Pour Nikos, pour Julien ? Tu vas lui dire que depuis que tu es née, tu n’as traînée qu’avec des traitres et des parjures ? Je suis sûre qu’elle sera ravie. Ouais. Sûre….

« Quant à mon métier. C’est un peu celui que je faisais avant tout ça. Avant d’être recrutée de force. Et quand j’ai quitté ceux avec qui j’étais, je me suis retrouvée seule. Et être serveuse nécessite sourires et adresse. Et un tant soit peu de mémoire. Ce sont des choses que je maîtrise. » J’hausse à nouveau les épaules en souriant. « Et oui, ce travail me permet de rencontrer beaucoup de personnes. Certaines se révèlent intéressantes et surprenantes. »

Des rencontres douces ou plus brutales. Les deux me vont, j’suis pas bien difficile… tant que la personne me plait, qu’elle est intéressante.
Et elle, en face, me plait. Elle se rapproche, presque imperceptiblement. Elle me sourit alors que je parle de passe-temps. Que va-t-elle imaginer ?

« La plupart n’écouterait pas, préférant sans doute se faire leur propre version de ce que l’on se dit. »

Je lui souris. « Mon emploi, même s’il me permet effectivement de rencontrer bon nombre de personnes, n’est ni vraiment motivant ni vraiment recherché. Même s’il me permet de satisfaire une certaine curiosité, je suis trop impulsive ou franche, pour rester longtemps de toute manière. Il ne m’amuse pas. Alors, si je m’y ennuie de surcroit… Oui, j’ai tendance à me lasser dans ce cas.
Une vie plus fascinante comme vous dites me conviendrait sans doute bien davantage, mais je n’en ai guère eu la possibilité jusqu’à présent. »

Je l’observe un instant, sans me départir de mon sourire.

« Et vous, votre vie est-elle passionnante ? Vous convient-elle ? »

Beaucoup de questions ? Peut-être bien. Mais elle n’en semblée pas offensée, sinon elle ne rirait pas ainsi. Oh, elle est certes jeune, et par conséquent peut-être plus prompte à se laisser aller à rire, mais tout de même. Je dévisage ses gestes, ses expressions, pour en savoir plus sur la jeune vampire, qui cherche visiblement ses mots, ce qu’elle peut dire. Oh, ne me cache rien, petite, je le saurai tôt ou tard. Ne me prends pas pour une menace, car alors peut-être en deviendrais-je une. On ne cache jamais que ce qui peut nous nuire, je suis bien placée pour le savoir.

« Etait-il jeune, pour succomber ainsi, très peu de temps après vous avoir créé ? Cela correspondait peu à ce qu’elle décrivait, cependant. Un vampire jeune aurait désiré s’amuser et profiter de tous les instants avec un autre vampire tout aussi jeune que lui et créé par lui, prompte à lui obéir. Peut-être était-ce le cas, et était-il désireux de profiter sous tous les aspects de Lucy. Mais elle n’en aurait pas parlé ainsi, alors. Du moins le pensais-je. Qui était-il, sans vouloir me montrer indiscrète ? Vous pouvez bien sûr vous abstenir de me répondre, si le sujet ne vous met pas à l’aise. Avez-vous été recueillie par d’autres de ses enfants ? »

Je marquais une pause volontaire, pour lui laisser le temps de réfléchir à ce qu’elle souhaitait. « Je n’ai perdu mon Sire que récemment, mais j’ai moi-même été en conflit avec lui, bien qu’il ait été à mes côtés plus longtemps. Je comprends l’incertitude, lorsque l’on est laissée à l’abandon, malgré la mésentente. J’espère que vous n’en avez pas trop pâti. »

L’incertitude ? Je n’avais jamais autant gagné que quand j’avais contribué à la défaite et à la mort de Charles, et je n’avais que brièvement douté de ma décision, après sa disparition. Le vide que j’aurai du ressentir n’était pas là… Peut-être parce que je n’avais guère eu le temps d’y penser. Peu importait. L’essentiel était de ne pas le faire comprendre.

« Il est bon d’avoir un repère connu, quand tout part à la dérive, quand on est un nouveau né… J’ai personnellement été répudiée par la famille de mon mari, quand il est décédé, je n’avais ni logement ni entourage, et j’ai été mordue ainsi, force est d’avouer que ne pas avoir d’ancrage dans la réalité est compliqué… »

D’une certaine manière. Quand la transformation n’est pas une bénédiction, comme elle l’avait été pour moi. Je lui souris, écoutant ses confidences sur sa vie, sur son métier. Je ne réponds pas, en revanche, à sa remarque concernant l’attention des humains. Elle a raison, en quelque sorte… Certains, pourtant, boiraient notre parole comme parole d’évangile, sans réussir à réellement en saisir le sens.

« Pourquoi ne pas commencer par vous engager au service de ces Majestés ? Quant à ma vie, on ne peut pas dire que je m’ennuie, non… Bien au contraire. Je suis satisfaite de ma place. »

Je l’observe toujours alors qu’elle parle d’elle et de son propre créateur. En conflit ? Etait-ce réellement ce qu’on peut appeler un conflit me concernant ? Oui. Peut-être. Pouvait-on avoir conflit avec lui et rester debout et entier à ses côtés par la suite ? Moins sûr. Je n’avais jamais poussé aussi loin. Pas eu le temps non plus en même temps. Quant à l’incertitude et l’abandon…
Je soupire, avant de sourire à nouveau, en regardant le fond de mon verre. D’un sourire toutefois moins enjoué, plus discret. Ok. Puisqu’il faut.

« Il était loin d’être jeune. Il était âgé. Très âgé. Plus que vous sans aucun doute. Il n’a pas réellement… succombé. Il a été tué par bien plus vieux et plus fort que lui en réalité. » Je relève les yeux vers elle, et me passe la langue sur la lèvre avant de poursuivre. « Il s’appelait Nikos. Il a été tué au début des Années Sanglantes par la Reine Krystel et sa Mort. » J’hausse les épaules. « Je ne suis encore en vie uniquement que parce que je n’étais pas là à ce moment-là. J’aurais sans nul doute fini dans le tas de cadavres qu’ils ont amoncelés à deux. Il était vieux et important, vous devriez le connaître… n’est-ce pas ? »

Je reprends la parole après m’être arrêté quelques secondes en la regardant.

« Ses autres enfants étant morts avec lui, étant la seule survivante, je… j’ai eu quelques difficultés. Je me suis réfugiée si je puis dire auprès de celui chez qui il m’avait envoyé. J’ai combattu à ses côtés durant la guerre. Je suis restée un certain temps avec… avant de partir. »

Ça s’est dit. On verra déjà comment elle réagit à la mention de Nikos, pas vrai ? Il était mort certes, mais sa disparition n’était en rien dû au hasard, ni à une quelconque bataille parmi d’autres. Elle avait été décidé et administré par Elle, l’autorité suprême. Aurais-je dû périr ? Sans aucun doute.
Pourtant, à postériori, malgré mon métier et mon absence évidente d’implication dans toute politique et autre, je ne m’étais pas si mal débrouillée. Je n’étais pas devenue folle. Je n’avais pas succombé à insensée soif de sang. Je m’étais même détachée de personnes dangereuses, alors même qu’elles étaient mon seul ancrage comme elle le disait si bien. Bon, j’avais esquivé et réussi à me stabiliser oui grâce à un boulot.
Elle non plus, ça n’avait pas dû être évident. Quel âge avait-elle pour avoir été répudié ? J’hoche la tête.

« Oui. Quand on a l’impression que rien n’est réel. Que personne ne peut, ou ne veut, vous aider. Je crois que si je n’avais pas trouvé quelque chose, même si le boulot de serveuse peut paraitre bien superficiel et méprisable, j’aurais juste sombré… Et je ne voulais pas. Alors j’ai saisi ce que j’avais. »

Et c’est à mon tour de l’interroger sur elle, sur son métier. Je souris alors qu’elle me questionne à nouveau.

« Parce que je n’en ai pas trop eu l’opportunité jusqu’à présent. Parce que… Parce qu’avec mon histoire, mon passif, c’est d’autant plus compliqué que de rencontrer des personnes et de se présenter ainsi à elles. » Je fais un geste vague. « Tout ça n’aide pas les gens… comme vous… à me faire confiance. Quand bien même je n’y suis pour rien. C’est mon héritage en quelque sorte… je fais avec. »

J’observe les réactions de la jeune vampire. Embarrassée ; peut-être réfractaire à mes questions. Qui sait ? Elle n’est plus aussi avenante, en tout cas, que lorsque nous nous sommes rencontrées, quelques instants plus tôt. Je reste impassible, mais ses propos m’alertent, bien évidemment. Un vampire très âgé, décimé par plus fort que lui. Rares sont les vampires réellement âgés, encore en vie. Les années ont eu raison d’eux, pour bien des raisons. La traitrise, principalement, pensais-je. Était-ce le cas de son créateur ? Je n’aurai su le dire. Je gardais le silence, la laissant toutefois continuer à s’exprimer. Elle ne me semblait pas aussi assurée qu’elle voulait le faire croire. Cette recherche de mon regard, ce geste tellement humain que de passer sa langue sur ses lèvres, tout cela montre qu’elle est mal à l’aise, à évoquer cela. Quand bien même elle feint le désintéressement.

« Vous êtes donc exemptée de tous soupçons quant à une autre association avec le traître… Sans quoi vous ne seriez plus ici. Ce n’est pas rien, d’être progéniture d’un grand maître. Vous n’auriez pu, je suppose, disparaître. Mais sans le connaître personnellement, j’ai évidemment entendu parler de lui. Qui ne l’aurait pas ? Avez vous été mieux traitée, à partir de sa fin ? »

Me confierait-elle le nom de celui qui l’avait recueillie ? J’en doutais. Peut-être la questionnerais-je, plus tard. Pas encore. Et peut-être n’avait-ce aucune importance. Si nous recensions tous les vampires pris en charge par tel ou tel vampire… Peut-être devrions-nous le faire. Cela aurait évité à Guillemaud d’avoir tant de soutiens. Peut-être. C’était trop tard pour le passé, mais nous pourrions agir en ce sens, éviter ces alliances néfastes.

Je la regarde, d’un air interrogateur, cependant. La Mort de la Reine ? Aussi, est-elle courant. Ça ne semble pas être une rumeur, pour elle. Bien sûr, elle est avérée, mais elle ne semble pas en parler comme une potentielle réalité, mais bel et bien comme quelque chose qu’elle sait. Ou peut-être me trompais-je.

« Vous dites plus vieux et plus fort que lui. La Reine, évidemment, mais cela concerne-t-il Sa Mort également ? Que savez-vous, à son sujet ? Vous semblez y accorder davantage de crédit qu’à une simple légende urbaine, qui pourrait n’être qu’une identité donnée à un réseau d’assassins chargés des basses besognes de la Royauté vampirique et de sa cour. »

Si l’on pouvait qualifier les choses ainsi. J’acquiesce, en l’entendant parler de son travail. Évidemment. Je n’y vais toutefois pas par quatre chemins, lui demandant pourquoi ne pas s’investir davantage. Elle le pouvait, c’était certain. Son passif ? Je suis curieuse d’en savoir plus, ne parle t’elle que du fait d’avoir été engendrée par un traître ? Peut-être.

« Rien n’est irrémédiable, Lucy. Qu’est-ce qui pourrait, de votre passif, vous empêcher de servir Ses Majestés ? Peut-être cette rencontre, ce soir, est-elle un moyen de prétendre à cela. Si vous faites vos preuves. »

Si elle était loyale. La question devait se poser, vu son créateur. Je lui glissais un papier, sur lequel je notais mon numéro. La balle était dans son camp. Cette rencontre arrivait, peut-être, sur sa fin. Mais à Lucy de saisir l’opportunité que se présentait à elle.

Dire qu’à la base, j’étais sortie pour m’amuser et passer le temps. Et me voilà, en train de parler de moi. Non parler de moi pouvait passer et même être amusant, sur certains points. Là, je me retrouvais à parler de ma création et de de Nikos…Et même si depuis tout ce temps, j’avais réussi à me faire une raison et à m’en sortir sans lui, en parler n’était toujours pas évident. Principalement parce que c’était un traitre oui. Parler d’un truc et risquer de se retrouver morte pour ça, c’était franchement pas cool.

« Exemptée ? Par la force des choses sans doute oui. » Je grimace légèrement. « Un grand maître… Oui, je suppose que je devrais être reconnaissante. Et oui, j’ai bien mieux été traitée par la suite. J’ai été entraînée. Parfois menée au front durant les Années Sanglantes, et de vous à moi, j’ai bien peut de ne pas être faite pour ça. Mais dans l’ensemble… oui. Les années suivantes, malgré la guerre, malgré la perte de mon maître, ce sont bien passées. » En compagnie d’un autre traitre, mais bon, j’vais pas non plus nouer le nœud de la corde de suite hein.

Je la fixe un instant alors qu’elle m’interroge sur la Mort… Torben… Je souris.

« Oui, cela pourrait être un réseau je suppose. » Je secoue la tête. « Mais je me trouvais non loin lorsqu’ils sont … intervenus, la Reine et lui, chez Nikos. Assez proche pour les voir à l’œuvre, tous les deux.... et assez loin pour pouvoir fuir avant d’être vue… » J’hausse les épaules avant de boire une gorgée. « Alors la légende urbaine a été assez réelle pour moi. » J’hésite une seconde. Oh pis tant qu’à faire, au point où j’en suis. « Et je l’ai revu par hasard, il y a peu. Bien loin de l’image que j’avais conservée de lui et de cette nuit-là en toute franchise. » Moins… dangereux dans un sens, paumé… et plus accessible. Et… ouais bon…. Non, ça je passe. Tout comme le fait qu’il m’ait embauché… Mon sourire s’agrandit. « Comme quoi, le boulot de serveuse n’est franchement pas si mal. On y rencontre toutes sortes de personnes. Des personnes qu’on pensait mortes. Qui relèvent de mythes pour la plupart des autres.
Il était à moitié saoul. On a discuté un peu. Il ne me connaissait pas. Ce fut divertissant. »

Divertissant… c’est le moins que l’on puisse dire.
Qu’est-ce qui pourrait … A part Nikos et le fait que je ne devrais pas être là ? … ah, oui, Julien aussi. Je l’observe alors qu’elle me passe son numéro de téléphone. Sérieux ? Bosser pour elle ? ou pour les Reines ?
Je tends la main, effleurant ses doigts au passage en prenant le papier.

« A proprement parler rien ne m’en empêche. Mais ce que les autres pensent ou croient empêche bien souvent d’avancer. Que ce soit chez les humains ou les nocturnes. »

J’avais déjà trop parlé. Je n’avais pas ce que j’étais venue chercher, et nous aurions sans doute pu passer davantage de temps ensemble, mais… Parler de Nikos m’avait un peu emmerdé pour le coup. Et quoiqu’elle en dise, je n’étais pas certaine que ça se passe si facilement.

« Je vous remercie Freyja. Je ne manquerais pas de vous contacter.
Et j’ai passé un agréable moment, j’ai été ravie de vous rencontrer. » Je lui souris. Oui, malgré tout, c’était sincère. « Mais je vais malheureusement devoir vous laisser pour le reste de la nuit. »

Je me lève sans trop lui laisser le temps de réagir et contourne la table. Fuir moi ? Non… presque pas… Je m’arrête et me penche après avoir hésité une seconde. Au point où j’en suis… Avec un sourire, je dépose un léger baiser sur ses lèvres.

« Merci pour tout. »

Et là, oui, je me sauve ok.