L'ardent creuset de la guerre m'attendait. Les escarmouches reprenaient avec force ces derniers temps. Les humains retraitaient toujours au sud sous couvert de l'évacuation, mais il fallait aussi signifier que nous ne pouvions profiter de ce succès provisoire à cause de l'arrivée de tous ces loup-garous scandinaves, tout au long de la semaine écoulée. Jana m'avait indiqué qu'elle avait perdu une bonne cinquantaine de vampires en combats brutaux de nuit, et que sa position risquait d'être débordée de jour. Je n'avais aucun homme à lui envoyer, j'en recrutais mais pas assez vite pour combler les rangs des pertes. Il n'y avait tout simplement plus assez d'humains favorables aux vampires, et Krystel comme moi-même refusions d'en embrigader par le simple pouvoir de l'hypnose vampirique. Cela ne produirait jamais de bons combattants, tout en ne faisant que parodier la loyauté. J'avais besoin de fanatiques, de types et de gonzesses dévouées à la cause des vampires et à l'idée d'une humanité unie sous la bannière du corbeau de ma Reine. J'étais dans cet entrepôt de Glasgow, ce soir-là, la tête penchée sur des cartes, sur des rapports et des communications des russes. Il nous fallait plus d'armes, plus d'équipements. Un vampire même nouveau-né peut faire du dégât même à poil. Ce n'est pas le cas d'un humain dans une guerre surnaturelle. On a besoin d'armes, d'équipements, de nourriture, de fournitures médicales, d'un minimum d'entraînement, de munitions et de tout un tas de matériel pour nous véhiculer, nous reposer ou nous retaper.


Nos fusils étaient américains. Lorsque les vampires des Etats-Unis avaient pris tout le Midwest, nous avions récupéré les usines d'armement. Le seul problème tenait au transport, mais on se débrouillait via le Canada plongé en plein Chaos. Nos pare-balles, casques et autres protections étaient russes pour la plupart. Les munitions aussi. Les explosifs étaient artisanaux, et les tenues étaient récupérées dans les anciens dépôts militaires de la British Army. Et je manquais toujours de recrues. Beaucoup de mes hommes, après un drill intensif de quelques semaines, tombaient à la première embuscade.


Avoir un flingue, des balles en argent et des protections tactiques ne font pas de vous le chasseur de loups de l'année.


Rien que la semaine passée, j'avais perdu 55 types dans une embuscades à Inverness. Patrouille de routine, pour empêcher les autorités humaines de reprendre la ville et pour virer les quelques jeunes loups transformés de force. Ils étaient tombés sur une cabale de semi-démons. 55 tués en moins de dix minutes. On avait retrouvé les corps déchiquetés, et même les meilleurs experts de la Reine n'avaient aucune idée du pouvoir qui avait pu causer de telles blessures. Le Roi au nord, était le seul à ne pas me réclamer de renforts. En fait, il ne me réclamait rien du tout, ne faisant pas confiance à mes unités paramilitaires humaines. Seule la Reine s'en préoccupait. Et ce soir, je devais rencontrer quelqu'un qui pouvait peut être m'aider à renforcer cette milice naissante.


J'entends une voix dans mon dos, mais ne sursaute pas. Je suis habitué aux vampires, depuis le temps que je sers la Reine. Elle y va de son petit commentaire.[/i]


| Je n'ai pas à aimer ce lieu et toi non plus. Il est simplement utile. On bombarde les entrepôts pleins, or ici, il n'y a rien. Je ne tiens pas à mourir dans un tir de drone britannique... Quant au reste, as-tu toujours tes contacts à Londres ? J'ai besoin d'hommes. Des accros au V par défaut, mais si tu as de vrais militants des droits des vampires, ça m'arrangerait. L'armée fait vachement plus attention à nous empêcher de contaminer la basse-Angleterre avec les troubles, mais ne fait pas grand chose pour empêcher toute entrée sur notre sol. |

Hors RP:

La guerre est avant tout déterminée par la variable nombre, contraintes logistiques et tension du moral. J'avais des hommes, mais le rythme des pertes allait croissant et si pour le moment je parvenais peu ou prou à maintenir mes unités suffisamment aptes pour être efficaces, il fallait tout de même souligner que le réservoir n'allait pas tarder à se tarir, ce qui n'allait plus tarder à changer la donne. J'avais besoin de sang neuf, au sens figuré, et assez rapidement. Un maillon au ralenti, et c'était toute la chaîne d'acheminement en troupes et en munitions qui n'allait pas tarder à se tarir. La vampire me sourit alors qu'elle était visiblement amusée de la situation. Au moins certains semblaient-ils toujours ressentir un plaisir quelconque à la situation. Ce n'était pas mon cas. Pas depuis que Krystel m'avait fait sien. Maintenant, j'exécutais ma mission sans me poser plus de questions, sans m'autoriser quoi que ce soit. Maintenant, je ne vivais pas. J'exécutais. Je pesais le pour et le contre de sa proposition.


| Tu me dis qu'il y a un groupe dans le centre du pays, des militaires retournés, qui recrutent pour nous et sabotent les lignes de ravitaillement ennemies ? Cet atout n'est pas à négliger, mais leurs actions vont finir par très vite être connues. On ne peut pas provoquer des accidents trop longtemps sans que quiconque s'en aperçoive. |


Les actions répétées avaient toujours ce fâcheux inconvénient d'attirer l'attention, quelque chose dont je me passerais bien. Ce qui comptait finalement, était un travail de sape plus lent mais plus efficace que quelques coups d'éclat. La vampire fait comme chez elle et commence à regarder mes cartes et mes informations. Je commençais à me rendre compte que sa solution ne pouvait qu'être temporaire.


| Tu vas me faire croire que par un unique tunnel, des militants dispersés dans tout le pays peuvent s'assembler en un seul après midi ? Ca me paraît totalement utopique. IL faut prévoir des points de rassemblement et des itinéraires sûrs pour éviter d'attirer l'attention, regrouper tout ce petit monde... Et ensuite, l'équiper et l'entraîner. |


Je soutenais le regard félin de la vampire quand elle se rapprochait vers moi. Puis, elle franchit les limites en se saisissant de ma cravate mais je ne baissais les yeux ni ne manifestais la plus petite gêne.


| J'ai le même souci, mais c'est pareil pour les gars d'en face. Les aguerris tombent et il faut les remplacer. Mieux les commander est aussi une solution... |

J'avais lancé une petite pique, presque anodine, mais pourtant bien réelle. J'estimais que la majorité des chefs de guerre vampires, qu'ils soient officiers ou sous(officiers, n'usaient de leur force qu'à grand renfort de stratégies éculées et franchement totalement inefficaces dans quantité de cas. Je devais leur reconnaître qu'ils savaient plutôt bien occuper les forces de sécurité humaines, celles qui étaient de moindre qualité, et ils avaient aussi manifesté un talent certain pour la traque de lycanthropes. Rien n'était encore parfait mais il y avait de l'amélioration. Quoiqu'il en soit, nos effectifs fondaient lentement mais sûrement comme neige au soleil. La vampire joue distraitement avec le pendentif qu'elle a en collier, se focalisant sur mes paroles et leur impact. Je prends une petite moue dubitative alors qu'elle m'explique que beaucoup des combattants qu'elle voulait recruter étaient prêts à se flinguer pour la cause. Franchement, on a toujours l'impression de toucher des cracs, dans cette vie. Mais il faut quand même bien souligner que quand les balles fusent et que vos copains se font dévorer par des bestioles poilues, les plus téméraires voient leurs ambitions à la baisse. Je ne me range pas encore non plus à ses arguments, ayant bien compris qu'elle tenait à cette idée mais j'avais du mal à véritablement saisir l'intérêt de ces gens ; prêts à se suicider, mais il ne fallait pas les gaspiller ? Me prenat-elle pour un boucher qui n'avait plus la tête sur les épaules ? Si c'était le cas, elle faisait une erreur.


| Certes, mais qu'est ce que la perte d'un dépôt quand nos vampires peuvent se nourrir sur le terrain ? Il faut qu'on utilise nos munitions au bon moment, et pas dilapider nos ressources pour protéger des acquis qui sont de toute manière éphémères de par leur nature. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous disperser. J'aurais tendance à croire que cette arme que tu proposes n'est pas si absolue, et qu'elle ne pourra être utilisée avec efficacité qu'en une seule fois. Les risques sont trop grands qu'ils se fassent découvrir, si on essaie d'être trop gourmands. |


IUl fallait toujours viser à un niveau cohérent vis à vis de ses moyens, c'était une leçon que l'on apprenait à la dure pendant toute guerre, pendant tout conflit. Quoiqu'il en soit, je ne voulais pas me risquer à une stratégie coûteuse en moyens ; nous ne pouvions plus vraiment nous le permettre. L'heure était à l'optimisation de nos capacités, quelles qu'elles soient. La vampire me précise qu'elle est sûre de l'anonymat de son plan, de sa discrétion d'exécution. Si en titre je n'en répondais qu'à la Reine des vampires, la nocturne rouge qui m'accompagnait ce soir conservait pourtant toute latitude dans la dépense en hommes et en moyens sous son contrôle ; je ne pouvais pas lui imposer grand chose sinon la jouer au bluff et à l'appel à la raison. Je notais qu'elle acceptait déjà un certain niveau de pertes, inhérent à l'exécution de son idée. Je me rappelais toujours de cette citation, sans jamais pouvoir la recadrer dans son contexte ; on ne fait pas d'omelette sans casser les œufs. Je reconnaissais cela dit que son idée ne manquait pas d'un certain panache, et nous pouvions en récolter quelques fruits sans trop de souci, du moins en apparence.


| Soit. Je te laisse organiser cela, mais je ne peux pas garantir que je pourrais m'occuper de tout le monde à leur arrivée, s'il y a des survivants aux différentes tentatives, bien sûr. Erin n'étant pas là, j'ai quantité de choses à régler et la Reine s'inquiète de l'évolution du conflit en Amérique du Nord, j'ai pas mal de chats à fouetter, si tu vois ce que je veux dire. |


La nocturne change quelque peu de sujets en me confiant qu'elle se reproduirait bien, engendrant une descendance pour alimenter en chair fraîche le broyeur qu'était la guerre. J'allais répondre quand nous fûmes interrompus par des coups frappés contre la porte. Je lui dévoile un sourire carnassier.


| Si c'est une équipe humaine, je te les laisse si tu as faim. Leur sort m'indiffère. |

Il en fallait beaucoup pour me faire réviser ma position sur des faits stratégiques. Il fallait s'armer de patience, y aller fait après fait sans chercher à me brusquer ni à m'imposer. J'avais toujours été dans mon élément dans ce genre d'endroit, à planifier des opérations. Quand j'étais Ravezdka, reconnaissance de ma division blindée, c'était ma partie préférée de la chose. Ok j'avais toujours eu un léger penchant pour le pan-pan bien senti, mais là c'était différent. Tenir sa vie et celle d'autres personnes dans le creux de sa main, tout risquer sur quelques mots ou quelques gestes autoritaires, c'était grisant. Je n'avais jamais été porté sur les mathématiques, mais résoudre des problèmes réels et concrets avait été une nouvelle révélation, pour moi. J'étais dans mon élément. La vampire se rapproche et je la jauge du regard. Je ne nourris aucune confiance en elle, m'attend toujours au pire à chaque fois. Ce n'est pas personnel. Je n'ai confiance en personne en dehors de Krystel. C'est ainsi. Je n'ai même pas vraiment confiance en moi, au final. Je sais qu'un jour ou l'autre, je ne serais plus assez fort et plierais sous le choc. C'était comme ça. Je la dévisage toujours.


| Comme tu veux. |


Inutile d'épiloguer sur ce sujet. La vampire contourne la table et tire la chaise de métal pour s'y asseoir, croisant ses jambes. J'ai compris depuis longtemps que les vampires n'étaient jamais concentrés ou anxieux à la manière des êtres humains. Ils étaient souvent nonchalants d'habitude, comme elle maintenant. Ce détachement vis à vis des choses tenait au fond que, puisqu'ils n'étaient plus humains, les nocturnes rouges ne considéraient jamais les choses avec la même sévérité et dangerosité que nous autres. Pour le meilleur et pour le pire, d'ailleurs. L'Histoire des vampires était jalonnée d’individus qui, éloignés de leur ancienne mortalité, s'effondraient devant la plus grande adversité. Au delà de ces murs retentit un hurlement. Une voix d'homme. Humain. J'avais appris à saisir la différence. Un type qui vient de passer de vie à trépas. La nocturne rouge continue d'accrocher mon regard, visiblement déterminée à ne pas rater une miette des événements de la soirée. C'était, je l'imaginais, tout à son honneur. Mon regard ne quitte pas le sien, qui n'a plus grand chose d'humain si l'on se passionne pour les reflets qui encadrent ses pupilles.


| Moi, je le sais. Les vampires sont bien peu capables d'évoluer. Ils se battent comme ils le font depuis des décennies ou des siècles. Les humains, eux, s'adaptent en permanence. Opposons-leur un avantage et il ne leur faudra qu'un certain temps pour trouver un contre. Ils ont des drones, de l'aviation, des blindés. Même un vampire ne sait pas démolir un char. Il leur faut juste de la patience et de la prudence. C'est tout ce dont ils ont besoin. Nos ressources s'épuisent plus vite que les leurs. C'est pourquoi il nous faut une victoire décisive. On ne gagnera pas avec tes petits tours de passe-passe ni tes complicités. Cela ne suffira jamais. |


Comme une bête avide de sang qu'elle est, Amelia se lèche le pourtour des lèvres, comme pour savourer le propre goût ou se rappeler de celui du sang sur ses lèvres. Je n'ai pas peur, jamais, mais je n'ai aucune confiance en ce prédateur, cette bête. Etrange association que nous deux, que moi et tout vampire alors qu'ils étaient mes pires ennemis jusqu'à récemment. Elle sous-entend sa soif de sang et de luxure mais cela ne m'émeut pas. Je haussais les épaules.


| Je ne m'inquiète pas. Advienne que pourra. Et si cela devait échouer, ce ne sera pas moi qui devrait risquer ma vie à m'expliquer devant eux. |


Le Roi et la Reine, les deux plus puissants êtres en ce monde. Ils adulaient la réussite tout autant qu'ils abhorraient l'échec. C'était ainsi. Dehors, la bruit de la lutte. Je restais calme. Chacun son rôle, et celui des jeunes vampires dans le couloir était de mourir pour nous s'il le fallait. J'avais plusieurs hommes dans les environs, et lorsque la nocturne rouge me laissa seul un instant, j'activais mon oreillette d'une pression. L'équipe était sortie, abandonnant les vampires à leur sort. Ils avaient trouvé le véhicule qui avait mené les agresseurs ici. Une simple patrouille. Des conscrits, qui pensaient s'illustrer dans une boucherie facile. Dommage pour eux, ils étaient tombés sur meilleurs tueurs qu'eux. Mes hommes les avaient massacrés tandis que la seconde moitié de leur section se faisait étriper par la vampire. Lorsque celle-ci revint, je la rassurais.


| Mes hommes ont éliminé le véhicule et le reste de leur équipe, à cinquante mètres plus haut, sur la grand route. Une patrouille. Mes hommes sont en train d'identifier leurs insignes mais tu as raison. Cet endroit est compromis. Si on reste ici plus de cinq minutes, on prend le risque de se manger un missile ou un obus. Ces connards ont peut-être eu le temps d'indiquer notre position. Tu avais encore quelque chose à me dire, ou on se sépare là? |