Dix-huit ans. Ma majorité approchait, ma libération de la tutelle sous laquelle j’avais été placée, suite à la disparition de mes parents adoptifs, de ceux qui étaient devenus la famille que je n’avais jamais eue. J’allais encore au lycée, pour ne pas attirer l’attention sur moi, ni sur la meute. Pour sortir un peu, en journée, pour ne pas vivre dans la peur de Constance, dans l’ennui constant de rester en permanence sur le territoire de la meute. Mais je supportais difficilement le tout. Ne pas être libre de mes mouvements ne me convenait pas, mais que pouvais-je y faire ? Je n’allais pas tuer la vampire seule, bien que l’envie soit là. Je n’en étais pas capable. Je devais continuer à avoir peur, voilà tout. J’avais quand même le cadeau de Darren accroché à mes clés, protection dérisoire mais réconfortante. Elle ne m’était pour autant d’aucun secours, à l’instant. Quel courage pourrait-elle m’apporter, pour quémander un rendez-vous à l’Ulfric et lui faire part de ma demande ?

Comment évoquer avec lui mon désir de remplacer Mirah, partie depuis bien longtemps, de reprendre son flambeau ? Evidemment, elle ne sortait pas de nulle part, mais qu’en savait-il ? Je n’avais évoqué, et encore très brièvement, mon désir qu’à la Lupa, mais elle ne pourrait en attester, elle était morte, maintenant. Mirah ne pourrait pas non plus témoigner en ma faveur concernant mes connaissances de ses recherches – elle ne savait pas, après tout, que je l’espionnais, et que j’avais étudié les nombreux documents qu’elle conservait, ceux auxquels elle avait accès, ses réflexions à ce sujet… souvent pertinentes, parfois complexes, mais toujours intéressantes.

En attendant, je ne pouvais plus reculer. J’étouffais, et je vivais excessivement mal mon obligation à me rendre au lycée. Il était temps de faire quelque chose pour me sortir de ce cercle vicieux. Que cela implique de me confronter à l’Ulfric, de dépasser l’aspect intimidant que je lui conférais, et de lui demander d’occuper officiellement la position qui était celle de Mirah, et aussi un salaire en échange de cela. Je frappais à la porte de son bureau, et entrais suite à sa réponse. Je m’agenouillais pour saluer l’Ulfric, ne me relevant et ne m’asseyant que sur un signe de lui. Je déglutissais, pas réellement à l’aise. Sa prestance naturelle me donnait envie de me recroqueviller à l’autre extrémité de la pièce. Je m’efforçais malgré tout de me tenir droite, et de ne pas paraître faible. Devais-je prendre la parole ? Si je ne le faisais pas maintenant, je ne le ferai jamais.

« Je suis venue vous demander une… faveur. Ou vous proposer mes services. Je m’interrompais, ayant l’impression de manquer d’air. Et d’être rouge comme une tomate, ce qui était probablement vrai. Je voudrais… prendre la place qu’occupait Mirah. En attendant son retour. Si vous m’y autorisez. Travailler à temps plein auprès de vous, en tant qu’historienne. J’ai longtemps observé ses travaux, lu ses notes, ses commentaires, réfléchi à tout cela. J’ai consulté les archives ici. Je pourrais m’y consacrer. Je suis bientôt majeure, je pourrais abandonner le lycée qui, disons le, ne me sert à rien. Je pourrais payer pour le fait que j’occupe une chambre et vive ici depuis novembre, en effectuant ce travail d’historienne et d’archiviste, au lieu de me procurer difficilement l’argent que Roxane m’avait dit devoir donner à la meute en échange du fait que je vive ici. Ca me serait bénéfique, et à la meute aussi. Si vous m’y autorisez. Je baissais la tête, et exposais la nuque, en signe de soumission, laissant le silence s’installer, alors que je venais de dire beaucoup, trop peut-être, d’un coup.

J'avais rappelé Isadora pour connaître sa décision finale quant à la petite affaire qui nous occupait. J'avais voulu en savoir plus, connaître exactement sa position sur tout ce qui était en train de se passer, et voir si elle prenait le rôle que je lui offrais sur un plateau d'argent. Au delà de ça, j'avais envie de prendre de ses nouvelles ; je ne savais pas à quoi elle occupait sa journée et j'avais de mon côté réussi à bien avancé sur les préparatifs du procès que je faisais à mon ancienne équipe de rugby ; j'avais relu tout le dossier envoyé à mes avocats, et rédigé mon propre témoignage. Plusieurs coups de téléphones échangés pour mettre au point les détails, puis je m'étais occupé de rappeler le gérant provisoire de la Lune Bleue. Il avait encore fallu régler un certain nombre de détails, scanner des documents, les vérifier et les valider. Les affaires de Mary étaient toujours en suspend pour la plupart, et le tout n'avançait pas vraiment. C'était assez désespérant. J'avais l'impression que les choses m'échappaient, et ce n'était absolument pas une bonne chose, bien au contraire. Les affaires courantes de la Meute n'attendaient pas et je prenais du retard à tous les niveaux ; il me fallait vraiment une nouvelle Lupa. J'angoissais un peu aussi pour les missions que j'avais attribuées à mes subordonnés. Dangereuses, ces petites escapades. Mais il fallait bien que l'on s'active si l'on ne voulait pas rester en plan. J'étais aussi considérablement travaillé par tout ce que m'avait proposé Mc Borough...


Ah. J'avais oublié mon rendez vous qui justement toquait à ma porte. Je ne savais pas trop ce que je pouvais faire, rangeais en toute vitesse mes papiers. Inutile de montrer de l'impatience devant la jeune fille qui me rendait visite, métamorphe jeune et bridée, manquant d'expérience, surmontant petit à petit les affres de ce qu'elle avait subi dernièrement pour prendre en main son destin. Je l'appelle ; qu'elle entre donc, alors que je referme le tiroir de mon bureau. Je la salue d'un sourire qui se veut rassurant, tandis qu'elle s'agenouille, me présentant sa nuque en guise de salut. Déjà au fait de nos traditions... Je lui fais signe de se relever, et elle semble déjà bien bouleversée par cette rencontre, qu'elle a pourtant voulue, non?


Je l'écoute me parler de son projet, de sa demande.


| Je vois, tu as l'air d'avoir pas mal réfléchi à ce projet. On a encore quelques experts en histoire et en traditions de la Meute, mais aucun qui ne prenne vraiment ce travail à temps plein. Je serais pour te redonner le rôle ; ce serait un signe encourageant pour tous les changeurs de formes. Cependant, je m'inquiète un peu de ton délaissement des études. Ne crois tu pas au contraire qu'il serait bénéfique pour toi de continuer des études, peut être axées sur l'histoire justement ? Tu y acquérerais des outils, une méthode de travail, te permettant de déterrer notre passé... Et la Meute peut accorder des prêts étudiants à ses jeunes, tant qu'il y a un retour sur investissement qui soit possible... |

Le sourire sur son visage apaise un peu mon inquiétude, mais il m’impressionne quand même grandement, et je suis un peu gênée malgré tout de déranger quelqu’un de son importance. Surtout pour une demande que j’ai peut-être tort de me permettre de faire, une demande qui n’a peut-être pas lieu d’être. Peut-être a-t-il quelqu’un de plus compétent et de plus à même de faire ça, en fait. Je ne suis, après tout, que lycéenne, et j’ai à peine dix-huit ans. Il veut peut-être quelqu’un avec davantage d’expérience. Avec plus de… je sais pas, sagesse ? D’esprit critique, d’intelligence ? Mais je pouvais aussi apporter une nouvelle vision à la meute, non ? Plus… ouverte, plus jeune ? Je ne voulais pas tout remettre en cause, loin de là, mais tous les textes étaient vieux et plus au goût du jour. Je le croyais, en tout cas. Il suffisait de voir l’état des choses dans la meute. Dans la meute mixte. Dans tous les textes que j’avais lus, aucun ne faisait mention de métamorphes, et pourtant les loups ne pouvaient pas ignorer leur existence, n’est-ce pas ? En tout cas, ici, maintenant, on était dans la meute. On faisait partie des leurs, même si beaucoup ne nous accueillaient pas à bras ouverts. Il fallait toujours du temps, pour s’adapter aux nouveautés et aux changements. Un jour, j’en étais sûre, la norme serait que nous soyons ensemble sous le contrôle d’un même Ulfric, côte à côte, semblables, égaux. Mais peut-être étais-je utopiste. En tout cas, bien que j’ai des difficultés à m’en sortir, j’étais fière de faire partie de la meute de quelqu’un comme Hayden Valentyne. Quelqu’un d’ouvert et de favorable au changement. Même s’il m’impressionnait, me faisait un peu peur. Mais la vérité, c’était qu’être historienne serait un grand honneur pour moi. Je n’étais même pas sûre d’être à la hauteur, mais je voulais essayer ; de tout mon cœur. De toutes mes forces. Faire de mon mieux.

Je parlais d’une traite, et m’arrêtais presque de respirer, en attendant son verdict. Est-ce qu’il avait au moins le temps de m’écouter ? Il devait avoir beaucoup à faire, et je lui volais de son temps. Mais c’était important, non ? De reprendre le flambeau de Mirah ? De ne pas laisser à l’abandon toute cette tâche, de ne pas abandonner le fait de consigner les grands événements de la meute, de ne pas vivre que pour le futur en faisant fi du passé, des erreurs comme des succès ? Oui, j’en étais certaine. Je me relâchais légèrement, en l’entendant reconnaître que j’avais bien pensé le projet, que je n’avais pas dit ça à la légère. Que l’on avait besoin de quelqu’un de réellement dédié à ça, au sein de la meute, et que peut-être, je pourrais prendre cette place. Mes yeux trahissaient mon espoir à cette perspective, j’en étais persuadée, mais je m’efforçais de ne pas le considérer comme acquis ou de ne pas me montrer trop joyeuse, au cas où. Et j’avais bien raison ; je déchantais moins en entendant la suite. Je baissais à nouveau la tête, reconnaissant la justesse de ses propos, me soumettant à son bon sens. Mais je ne pouvais pas retourner au lycée, en permanence. Je ne pouvais pas la supporter. La peur de voir Alois, de la voir me dénoncer… Non, je ne pouvais pas. Devais-je lui dire ?

« Je… Vous avez raison, bien sûr. Mais je ne peux pas vraiment retourner au lycée. Enfin, je peux, mais… La jeune fille qui était dans la même famille d’accueil que moi, Alois, m’a menacée et agressée… Elle m’a vue me transformer sans le vouloir, pour l’empêcher de… m’embrasser de force et plus, et elle veut me dénoncer. J’ai failli être vendue au directeur de la PES comme ça… Charlie et monsieur O’Mora m’en ont sortie. Et je n’arrive pas à suivre, je suis perdue, j’ai peur d’être exposée à Constance, je ne sais pas si vous vous souvenez, j’ai peur de beaucoup de choses… Et je suis incapable de me défendre… Est-ce que je pourrais suivre des cours ici ? Les petits le font. Je serai attentive. Et assidue. Et j’essaierai de rattraper mon retard. Et d’avoir mon diplôme. Et j’essaierai d’entrer à l’université, et de me montrer digne de votre confiance, et de la place que vous voudrez bien m’accorder, je vous le promets. Mais je ne veux pas abuser… Je demande trop, peut-être. »

Je relevais la tête, essayant de montrer toute ma conviction de faire au mieux, malgré ma gêne de demander autant, de dépendre à ce point de la meute. De me montrer si… faible.

Le savoir est le pouvoir, personne ne pourrait jamais le nier. En savoir plus que tous les autres était un avantage total, surtout dans un monde comme le notre où la maîtrise de l'incertitude est la chose qui fournit le plus d'aplomb, le plus de contrôle des événements. Ce n'était pas l'information en elle même qui donnait de la puissance, mais le fait d'être le seul à la maîtriser la plus parfaitement possible. Pour en arriver dans n'importe quel domaine à un niveau si élevé de savoir et de contrôle, il fallait avant tout passer par l'acquisition de savoirs élémentaires, d'une base sur laquelle construire tout le reste. Mon père avait estimé que je n'avais rien à faire dans le circuit étudiant des humains, il avait parfait mon éducation et mon apprentissage par le savoir ancien et respecté des loups et louves les plus âgés de la Meute ; il était un de ces partisans de l'expérience envers et contre tout. J'avais acquis une maîtrise parfaite, la plus complète possible, de plusieurs choses, incluant la transformation lycanthropique, le combat avec d'autres dominants. Je ne savais rien de quantité de choses, qui aujourd'hui me manquaient. Ce qui nous amenait justement au cas de la jeune métamorphe qui se trouvait devant moi. Elle pouvait aider à réparer de profondes lacunes de mes loups et de moi même sur notre propre histoire, sur nos traditions. Pis encore, je savais que les métamorphes n'avaient absolument aucune conscience de ce qu'ils avaient été dans le passé. Un regard neuf pouvait sans doute apporter beaucoup de choses. Mais pour ce faire, Alexis Lindon devait se plier à une discipline de travail sans doute plus stricte que ce à quoi elle avait l'habitude. J'attendais de voir sa réaction à mes paroles avant d'embrayer sur la suite ; je ne voulais pas la brusquer, et attendais qu'elle se force à se découvrir.


La voilà qui baisse la tête une fois encore ; intimidée. Il fallait qu'elle apprenne à montrer plus d'aplomb, pour survivre dans ce monde aussi bien que dans la Meute en elle même.


La jeune fille reprend mes paroles, me dit qu'elle ne veut plus du lycée. Je souris d'un air compatissant, attendant de voir si elle avait des arguments ou s'il ne s'agissait que d'un vague caprice. Je gardaisle silence en entendant parler de cette sombre histoire de famille d'accueil. La vie n'était jamais facile, pas vrai ? Et elle semblait l'être moins encore quand on était une jeune fille métamorphe, que l'on n'était pas prêt à affronter tout cela.


| Je ne peux pas t'adopter, je ne peux pas non plus te retirer à la famille d'accueil. Mais si tu n'es pas en sécurité là bas, je peux appeler dans la journée le Premier Ministre et soulever le problème avec lui. Cela ne peut peut être pas être réglé... Mais je peux peut être te trouver une échappatoire. Mais étudier ici ne remplacerait pas tout. TU verras, la faculté c'est quelque chose de formidable. Tu pourrais vivre ici, étudier en internat la semaine. Tu pourrais commencer tes travaux avec toute la rigueur qu'on peut attendre d'une jeune étudiante motivée. Et tu pourrais avoir un nouveau départ, plutôt que de t'enfermer ici... La Meute est tout ce que nous avons, Alexis. Mais il n'est pas bon de ne vivre que pour elle, que par elle. Tu dois aussi te faire tes propres expériences, qui t'aideront à mieux la servir. |

L’Ulfric n’était pas effrayant. Impressionnant, oui, mais les deux fois où je l’avais vu personnellement, il avait toujours été aimable. Et protecteur. Je ne comprenais pas bien pourquoi, bien que je sache qu’être membre de la meute me permettait de bénéficier de sa protection. Mais ça me semblait tellement inespéré, depuis que Constance m’avait capturée, que j’en étais toujours surprise. Il me faudrait du temps, pour m’habituer à l’idée de faire partie de la meute. Même si l’étude de l’histoire de la meute m’aidait à comprendre davantage. A mieux assimiler leurs coutumes. Je ne savais pas réellement celles qui étaient d’usage ou non, mais je pourrais le constater petit à petit. Je le pensais, du moins. J’écoutais ses paroles, qui avaient du sens. Là encore, je ne savais pas bien comment répondre, ou comment prendre ces remarques pour m’aider à choisir. Mes parents, mes nouveaux parents, ceux qui m’avaient adoptée, ne m’avaient pas vraiment guidée, aiguillée sur un certain chemin. C’était difficile, et je n’avais que très peu, trop peu, été avec eux, finalement. Ca me faisait encore mal, de me dire qu’ils étaient vraiment morts. Mais ça n’était pas le moment. Je ne pouvais pas me laisser envahir par la tristesse que je ressentais. Non. Je devais être forte, et assumer mes choix. Les affirmer. Je ne voulais pas retourner au lycée. Il ne me restait que quelques mois, je pourrai les passer à apprendre à Wolfheaven. A rattraper mon retard, plus efficacement. Passer mon diplôme quand même. Et ensuite partir réellement à l’université ?

« Je ne voulais pas vous donner l’impression de vous demander à m’adopter, Ulfric. Et je l’ai déjà été par des membres de la meute. Mais ils sont morts, maintenant. Mais je n’ai que jusqu’à mi février à devoir échapper à la justice, au système qui a perdu ma trace il y a presque deux ans. Je peux continuer à me cacher, à ne pas y retourner. Vous saviez que j’étais venue ici, pour être protégée de Constance. Ils ne m’y retrouveront pas, n’est-ce pas ? Et ils n’ont pas le droit de me mettre sous tutelle après mes dix-huit ans. Je suis prête à aller à l’Université, l’année prochaine, et à travailler dur pour passer mon diplôme du lycée, pour rattraper tout le retard que j’ai accumulé en séchant les cours. Même si je dois le faire toute seule, si je dois y passer mes journées et mes nuits. Mais je ne retournerai pas au lycée. Je n’arrive à rien, je ne suis pas, je suis perdue, démoralisée, effrayée de ce qui peut m’y arriver. Accordez-moi de suivre des cours par correspondance, et je serai appliquée comme jamais, et de même l’an prochain. Et je ferai le maximum de recherche sur l’histoire lupine. J’essayerai de comprendre le maximum d’anciennes traces de tout ça. Et je ferai de même sur les métamorphes, si vous le désirez. »

Si je devais renoncer à la place que je demandais, je le ferai, plutôt que de retourner au lycée. J’espérais qu’il ne m’y forcerait pas, mais mon choix était fait. Malgré mon goût pour les recherches historiques, pour les légendes lupines, pour tout ça.

« Je verrai mes amis, Darren, Savannah, mon frère, je trouverai autre chose que la meute, mais ne m’obligez pas à m’y retourner. »

Je suis l'Ulfric, je dois toujours agir, penser, préparer avec un coup d'avance sur tous les autres. Je ne peux jamais me montrer faible, ni ne laisser la moindre ouverture à qui que ce soit. Je suis obligé 'anticiper l'avenir lointain alors que je n'ai aucune idée de la situation dans trois mois. C'est peut être l'exercice le plus difficile dans la pratique du pouvoir ; reconnaître, anticiper, calculer, viser et investir le plus justement possible. Je sais bien que je fais de mon mieux et que cela ne suffira jamais tout à fait. Mais c'est ainsi. C'est mon fardeau de leader, que je devrais porter jusqu'à ce qu'on me remplace ou jusqu'à ce que je meure ; en général pour les gens de mon statut ces deux événements spont plutôt liés vous pouvez me croire. La jeune femme en face de moi était en pleine découverte d'elle même, de ses capacités, de son avenir. Il y avait tout un monde à bâtir, qui s'étalait devant ses yeux. A elle de trouver les pièces qu'elle désirait et de les agencer dans le bon ordre ; à moi de la conseiller, de la guider. Ce fardeau m'éprouvait à chaque jour qui passait, mais j'y prenais goût. J'étais né et avais été élevé pour ça. Je regardais la jeune métamorphe d'un air compatissant alors qu'elle continuait son histoire. Pas de chance, ces orphelins en avait toujours manqué, mais cela importait peu finalement. Ce qui comptait c'était la présence de la Meute, sa force, son caractère, son empathie. Nous pouvions l'aider à se tirer de presque n'importe quelle situation. Elle a de la force de conviction. Je dois trancher. C'est difficile. Choisir ce que l'on doit faire, ce que l'on peut faire, ce qu'on doit à tous prix éviter. Je tranche, parce que c'est ce que je suis. Je suis l'Ulfric.


| Tu retourneras au lycée parce que tu ne peux pas fuir tes problèmes, petite. Tu es dans la Meute, maintenant. Tu dois affronter les difficultés et les surmonter. Nous en sommes tous passés par là. Enfant, j'ai dû me battre quantité de fois contre des loups plus âgés, bien plus entraînés et massifs que moi. Mon père m'a emmené voir des prostituées alors que je n'étais encore qu'un enfant, pour que j'apprenne à me reproduire quand le moment sera venu. Toute ma vie j'ai dû me battre pour ma place. Tous ont subi le même destin. Je pourrais te raconter des histoires à te dresser les cheveux sur la tête. Le lycée est une épreuve pour tout changeur ; je me rappelle ce que c'est. Mais tu dois les surmonter pour devenir plus forte. T'appuyer sur la Meute, pour réussir là où tu échoueras seule. Fais toi aider, accompagner s'il le faut. Mais réussis. C'est à ce seul prix que tu gagneras le respect des autres, qui justifiera ton nouveau statut. La Meute peut tout donner à ses membres, elle demande juste du courage et de la volonté en retour. Qu'est ce qui ne va pas, au lycée? |

Jamais je n’aurai cru faire face à l’Ulfric, et tenter de défendre mon opinion, de le convaincre du bien fondé de ce que je disais, et du fait que je ne devais pas retourner au lycée. Je ne savais pas s’il se montrait réellement convaincu, mais je me devais d’essayer. C’était le plus important. Ne pas céder, face à un avis qui ne me convenait pas. J’étais bien consciente de l’obligation que j’aurai, de lui obéir, s’il ne se rangeait pas à mon avis, mais je me devais d’essayer, voilà tout. Ne voulais-je pas devenir capable de défendre mes intérêts et mes opinions ? D’être digne de la meute ? C’était une première étape. Ou peut-être faisais-je fausse route, peut-être que je me plantais sur toute la ligne, et que je faisais affront à l’Ulfric, mais je ne le croyais pas. Il me réprimanderait, si c’était le cas, de toute façon, je le savais. J’espérais seulement qu’il serait clément, un minimum, si j’avais fait une bévue… Ça ne serait rien de grave, après tout, n’est-ce pas ? Mais cela contredirait ce que je disais, et mon désir de percer à jour l’histoire des loups, de m’intéresser de plus près à cela. Ça nécessitait que je connaisse les usages, les coutumes, les limites de l’Ulfric et des Ulfric avant lui. Que je sois irréprochable. N’est-ce pas ?

Je baissais la tête, et déglutissais, avant de plonger mon regard dans le sien, déterminée. Je n’étais pas entièrement d’accord avec ce qu’il me disait, mais il devait avoir ses raisons. Il devait vouloir ça pour mon bien. Je l’espérais. Je ne pouvais pas en douter, en tout cas. Je l’écoutais attentivement, en tout cas, même si je ne comprenais pas encore bien où il voulait en venir. Bien sûr, affronter le lycée n’était surement pas aussi terrifiant que de combattre des loups plus âgés, ou horrible que d’avoir affaire à des prostituées pour servir de père pondeur, mais… Etait-ce vraiment indispensable ? Aller à l’université serait déjà difficile. Je n’avais jamais pensé faire des études, jamais pensé pouvoir y accéder, bien que je me débrouille en cours malgré tous ceux que j’avais sciemment manqués, jamais pensé avoir un futur autre que celui de voleuse. Alors ne pouvais-je pas me faciliter la vie, en prenant quelques mois à étudier en solitaire, avant d’affronter cet univers qui me terrifiait ? Il semblait que non. Mais pouvais-je réellement m’appuyer sur la meute ? Vraiment ? Comment ?

« Monsieur… Ulfric… Ils sont détestables. Moqueurs. Alois, plus que tout. Elle me veut du mal, je vous l’ai dit. Et si… Si je cède, à mes envies, et que je me transforme devant tous ? Que je les blesse, plus que de raison ? Que je fais ça à n’importe qui ? Je l’ai déjà fait, dans la maison de ma famille d’accueil, avant de fuir, c’est comme ça qu’elle l’a dit à la PES. Et si je ne m’arrêtais pas ? Je ne sais pas contrôler ces pulsions. Je ne sais pas blesser sans aller trop loin, non plus. Et si, même si je sais qu’Alois a été tuée par Charlie et qu’elle a été exclue pour ça… et si j’en blessais d’autres, qui ne valent pas mieux ? C’est dangereux. Ca n’est pas que mon inconfort, qui est en jeu. »

Je n’avais pas réellement voulu lui avouer que j’avais peur de moi, peur de ce que j’étais capable de faire. Je ne voulais pas avouer cette faiblesse, mais je n’avais pas pu faire autrement. Je savais que j’étais indigne des loups, à ne pas embrasser cette puissance, ces capacités, et un danger pour la meute. Et s’il décidait de m’exécuter ? Que je ne pouvais rien apporter de bon, que mon instabilité n’était pas compensée par mes connaissances des recherches de Mirah, par ce que j’avais moi-même recherché ?

Commander veut dire prendre des décisions difficiles. Cela signifie que je dois pouvoir me sacrifier ou en tout cas museler mes sentiments. Fondamentalement parlant, je n'ai absolument aucune envie de contrevenir aux désirs de la jeune métamorphe, bien au contraire. J'aime être agréable aux gens qui m'entourent, faire le bonheur de ceux que je considère depuis toujours comme mon véritable peuple. Pourtant, je devais prendre des décisions dans le sens de l'intérêt général. En plus, j'avais toujours cru que se confronter aux difficultés ne pouvait que rendre plus fort, que ce n'était qu'en étant en difficulté que l'on évoluait pour parvenir à se surpasser. Alexis semblait être quelqu'un e bien, une métamorphe pleine de promesses pour l'avenir qui pouvait être particulièrement utile à la communauté. Je ne niais pas cela. Je me demandais parfois si je n'étais pas un peu trop comme mon père à considérer que la confrontation est un excellent moteur pour l'esprit, autant que pour le cœur. Depuis que jétais Ulfric, je me rendais compte que j'employais beaucoup de ces techniques. Ca ne me plaisait absolument pas, mais sa philosophie du pouvoir avait imprégné mon esprit depuis tellement longtemps qu'une dissociation serait vachement plus difficile, d'un coup. Je n'aimais pas ça mais je devais prendre la décision. C'était comme ça. Quand je ressentais la source de la nécessité, je ne pouvais pas la combler pour l'ignorer.


La jeunesse est perturbante à bien des égards, pour nous autres changeurs de forme. Ce que je sais, c'est qu'elle n'acceptera peut être pas très bien mes paroles et mes ordres. Peut être qu'elle se rebellera, ou ne verra pas leur utilité avant un bon moment. C'est comm e ça. J'ai vécu pire que ce genre de discussion dans un bureau. Je pèse le pour et le contre.


| Et moi, je te crois capable d'y arriver. Parce que tu sais qu'en faisant partie de la Meute, les conséquences de tes actes ne te touchent plus uniquement, mais concernent tous ceux que tu as pu rencontré, apprécié ou détesté ces derniers mois. Ces gens quoi que tu penses d'eux ne sont plus des inconnus pour toi. Je pense que ta motivation à ne pas les décevoir ni leur porter préjudice de quelque manière que ce soit est suffisamment forte. Quant au contrôle sur toi même, c'est une période difficile que nous connaissons tous. Nous avons fait depuis longtemps le choix de vivre parmi les hommes ; nous sommes habitués à ce mode de vie. En cas de difficulté, tourne toi vers tes aînés. Ashleigh a su depuis longtemps faire de ses pulsions animales ses meilleures alliées Roxane sait les dominer et Isadora sait les canaliser. |


Je lui avais proposé des femelles changelins pour la simple et bonne raison que confier ses pulsions les plus secrètes se fait généralement plus facilement auprès de quelqu'un du même sexe. Savannah, par exemple, préférera toujours sa mère pour les discussions délicates, dirons nous. C'est ainsi que notre société tourne, et cela risque de l'être tant qu'elle ne sera pas asexuée. Ce qui est impensable chez les loups, de par notre conception biologique de la reproduction.


| Affrontes tes peurs aujourd'hui pour pouvoir les supporter demain. Avais tu encore quelque chose à me dire, jeune changeuse? |

Pourquoi me croyait-il capable d’arriver à surpasser mon appréhension, mon dégoût même, des gens que je fréquentais au lycée ? Il avait raison, bien évidemment, mes actes n’avaient pas d’influence que sur moi, peu avant, mais encore moins maintenant. Mais quelle importance cela avait-il, dans ma décision de ne pas aller à l’école, d’essayer de terminer le lycée à domicile ? J’avais déjà accepté d’aller à l’université, pour exploiter au mieux ma curiosité vis-à-vis du passé lupin et des métamorphes, alors à quoi bon m’infliger un tel désagrément ? Je n’osais poser mes questions à haute voix, bien consciente qu’il n’avait pas à m’en fournir les réponses mais que je devais les trouver moi-même – enfin, c’était bien ce qu’il voulait, non ? Je n’en savais à vrai dire pas grand chose, mais il me semblait bien qu’il souhaitait m’apprendre par là quelque chose. En tout cas, une chose était certaine, ça ne marchait pas. Je ne savais pas quel enseignement retirer de tout cela, mais peut-être trouverais-je, plus tard. Je ne pouvais l’affirmer. Peut-être Roxane et Cha…, non, juste Roxane, pourrait m’aider à y voir plus clair. Je le lui demanderai, si elle avait du temps. Elle en avait moins, j’avais l’impression. Ou alors peut-être que je n’osais pas la déranger. Peut-être lui en voulais-je un peu, aussi, de m’interdire de voir Charlie. Mais ça n’était pas le moment pour y penser. J’acquiesçais, espérant qu’il ne manquerait pas mon hochement de tête.

« Roxane m’aide déjà, et Ashleigh m’a proposée de m’aider à réussir à me transformer en louve… Elles m’ont été d’une grande aide, monsieur. Je ferai de mon mieux, pour tout. Pour ne pas me laisser submerger. Pour le bien de la meute. Et j’essaierai de me montrer digne de la place que je vous demande. Merci pour votre attention, Ulfric. Je n’ai rien d’autre à dire, non, je ne vous dérange pas plus longtemps. »

Le saluant comme il se devait, peut-être un peu trop longuement, je me retournais, et passais la porte que je fermais doucement, rejoignant ma chambre et mon lit, espérant relâcher la tension qui m’habitait.