Je passe un coup de fil à Tom en sortant du bar. Il me demande où je suis, comment je vais. Je lui explique que je reste sur Edimbourg pour la nuit, que je vais bien. Que je suis ivre, mais je me souviens comment mesurer sommairement mes constantes. Je lui envoie mon rythme cardiaque, lui disant par téléphone que si comme d'habitude mon organe cardiaque montre quelques signes erratiques, je suis toujours sur mes pieds et que tout va bien. Il accepte, à condition que je l'appelle le lendemain matin pour lui faire part de la marche à suivre pour mon retour. J'en profite pour lui demander de contacter pour moi un ancien de mon unité, passé à celle d'Erin. J'ai besoin de quelques infos sur le réseau des Reines Rouges, et tester de quel poids je dispose encore à ce sujet. Bien entendu, je me rends bien compte que je ne peux pas demander n'importe quoi à n'importe qui. Mais ma position, étrange, me permet de disposer encore d'un certain crédit. On ne peut rien refuser tant que c'est correctement amené, au représentant vivant de la plus grande monarque vampire à ce jour... Tom ne pose pas de questions. Discret et efficace, il n'est déjà plus que mon aide. Je le considère comme un partenaire, aussi imparfait que je l'étais à son âge mais qui est vraiment prometteur. Il pourra faire de grandes choses, au nom de Leurs Majestés, s'il se laisse le temps d'apprendre et d'adhérer à la cause. Il ne me l'a pas dit, mais je suis certain que le bougre a pris ses précautions et crèche lui même à Edimbourg ce soir, comme toujours pour se tenir prêt en cas d'urgence.


Bref, une fois mon gardien rassuré, je me rends à mn hôtel non loin de là. J'y vais à pied, et je me rends compte que je suis perclus de crampes. Je ne suis pas fait pour les longues marches ; ma canne noire m'est toujours d'un grand secours quand je dois marcher sur des distances plus importantes que celles d'un cadre domestique. Ma prise est assurée, malgré la boisson, sur le pommeau sculpté en tête de corbeau, donc le bec tient, contre le cou de la créature, la couronne royale. Un magnifique R ouvragé entouré de lauriers vient orner le dessus du crâne de l'oiseau. Le symbole de ma Reine, pâle souvenir en comparaison de sa personne mais avec notre lien, je me suis aussi emparé de ce qu'elle était, de ce qu'elle représentait. Ce contact me rassure, et je m'appuie dessus pour retrouver la chaleur de la suite à l'Eternal Rest. Le personnel, discret et dévoué, me fait entrer par l'arrière et monter par le monte-charge de sécurité. La discrétion avant tout. A l'intérieur, je me fais monter un repas dont je ne touche finalement qu'assez peu ; perdu dans mes pensées je reste assis sur le canapé, caressant du pouce la tête de corbeau sculptée en me remmémorant de vieilles guerres et de profondes blessures. Dans ce tumulte de cris, de coups de feu, de fracas de tonnerre et d'explosifs, je sursaute presque en entendant finalement des coups contre la porte. L'alcool est redescendu, et je me lève pour aller ouvrir. Mes tripes se tordent, la perspective de la visite m'excite les sens en même temps qu'elle fouette mon esprit, le redirigeant vers l'action.


L'huis s'ouvre sur sa silhouette. Je souris ; elle s'est changée. Robe noire mettant en valeur une poitrine formée sans être trop aguichante, la robe est courte et dévoile des bas. Jolie, ben apprêtée, elle est à croquer. Beaucoup d'humains ont dû se laisser séduire pour abreuver la belle en sang frais. Je lui offre un léger sourire tandis que d'une main, l'autre s'appuyant sur ma canne, je l'invite à entrer.


| Ravi de te revoir, Lucy. Viens donc t'asseoir. |


Je la mène au canapé, ma démarche se faisant plus sûre, moins dépendante. Les courtes distances me réussissent mieux ; la balle qui m'a fracassé la hanche du côté droit et qui a été réparée par le sang de Krystel me lance moins quand j'exige moins d'elle. Krystel eut été encore en vie et notre lien ouvert, je n'aurais gardé aucune séquelle des blessures reçues dans l'embuscade. Je m'asseois dans le canapé de cuir, face à elle. Tout autour de nous, le luxe et l'opulence ancienne d'une monarchie de vampires ; vieilles tapisseries restaurées, tableaux de maîtres, meubles sculptés. Je tire de sousla table basse, dans le petit compartiment chauffé ingénieusement placé, un millésime de sang d'homme de Bohème, 28 ans, de 2011. Les anti-coagulants sont discrets, à l'intérieur. A l'accueil, on m'a certifié qu'il était bon. Je sors une coupe, débouche la bouteille et sers le verre à la nocturne rouge, tandis que je m'offre moi même un whisky hors d'âge. Je lève mon verre, la regardant d'un air appréciateur.


| J'ai pris quelques dispositions, pendant que tu... terminais ton service. Je pense que j'ai une opportunité à te proposer, mais cela exigera de toi un investissement personnel extrêmement fort. Tu vas devoir payer de votre personne à tous points de vue, et c'est dangereux. |


Je me penche vers elle, murmurant au creux de son oreille.


| Si tu acceptes, Tu ne pourras plus faire machine arrière. |

Je ne me rappelais pas de la dernière fois où j'étais venu dans cet hôtel. Du temps de la Reine Rouge première du nom, de cela j'étais certain. Mais je ne me rappelais plus si nous étions déjà venus ensemble. Il me semblait que non, mais je n'avais absolument aucun moyen pour m'en assurer. Ma mémoire, comme beaucoup de choses, n'était plus ce qu'elle était. Instable et chaotique, c'était cela qu'elle incarnait désormais, pour mon plus grand malheur. Mes capacités physiques semblaient au moins en phase avec quelque chose, me direz vous. Mais ce n'était pas pour autant que je baissais les bras en quoi que ce soit. Krystel et moi avions une histoire en commun, quelque chose de précieux que je n'oubliais pas. Que je n'oublierais jamais. Si les détails se faisaient parfois plus flous, ce qui comptait c'était tout ce que je retirais malgré tout de cette période de ma vie. La meilleure, et de loin. Celle où j'avais mis ma folie et mes compétences au service d'un véritable but.


La belle se débarrasse de son manteau, ce qui dévoile encore un peu plus toute la féminité et l'attraction de sa silhouette, qui me séduit, qui attire mon regard. Lucy m'écoute et détaille ce nouvel environnement en se saisissant de sa coupe. Je vois dans son regard l'expression d'un désir ardent, d'un désir brûlant. Je le partage. Je suis perclus d'appétits ce soir, d'appétits qui me rappellent ceux de ma Reine. Plus tôt dans la soirée, je m'étais surpris à avoir soif de sang. Cette soif est décuplée ; j'ai envie de mordre la peau fragile du cou de la vampire et de m'abreuver de son sang, de m'en faire un terrible shoot. Et de la prendre, de la prendre toute entière. Pour le moment, je ne fais que trinquer, et porter mon verre à mes lèvres. Le whisky me réchauffe ; mais ne me tourne plus la tête maintenant que j'ai le ventre plein. Je pars d'un petit rire quand elle se montre suffisamment intelligente pour avoir percé le danger.


| Tous les gens qui m'ont un jour approché sont morts, en fuite, ou ont été marqués à tout jamais, te voilà prévenue. |


La vampire m'embrasse, lasse de ce petit jeu, de cette attente. Je savoure le contact avant de l'approfondir. Nous nous perdons dans un baiser profond, d'abord langoureux puis plus vif, plus passionné. Drôle de manière de constituer mon réseau au service de la Royauté.

| Oh si, plus que tu ne le crois. |


Somme toute, j'avais une meilleure expérience des vampires qu'elle même ; j'avais vécu pendant un moment dans le corps et l'esprit d'une vampire vieillie de près de mille ans avec autant de souvenirs et de sensations différents que l'on pourrait l'imaginer. Elle m'embrasse encore, et je me tends toujours autant vers ce contact tandis qu'elle me parle de son appétit, de sa soif de sang.


| Ce ne serait absolument pas mon genre. | la taquinais je


je ne souris pas à son compliment, me contentant de repousser autant que possible l'attirance et la pulsion sexuelle induite par son sang dans mon corps autant que par le désir plus naturel que je ressens pour ce corps si désirable qu'elle m'offre sans pudeur. Je ne peux pourtant pas m'empêcher une autre petite plaisanterie.


| Oh, j'ai été à bonne école... |


J'essaie de me calmer autant que possible, alors que finalement j'y arrive je détaille mon amante du regard quand celle ci se rend vers le mini bar pour répondre à sa propre question, buvant à nouveau du sang à défaut de se jeter sur le miens. Ce qui n'est pas plus mal ; vu mon état elle m'achèverait sans doute. Mon torse se soulève à mesure de mes inspirations profondes, mais dont le rythme vacille encore. Saloperie de corps et de blessures de merde. Ses orteils viennent doucement taquiner mes sens, frôlant ma peau, alors que je continue de la détailler d'un regard appréciateur. Je replie mes bras derrière moi, au dessus de ma tête, pour me faire un oreiller précaire de mes mains mêlées. Je soutiens le regard de Lucy, vaguement amusé mais ne perdant de vue l'essentiel.


| Tu sais qui je suis, ce que je fais dans la vie. Ma Reine est morte, mais elle a des héritières. L'idée qu'elle avait pour le monde peut toujours germer et j'y suis toujours fidèle. Mes jours de terrain sont derrière moi. Maintenant, je peux toujours mettre mes compétences et mon expérience au service des nouvelles Reines Rouges... Et constituer un nouveau réseau d'espions est possible. Tu as toutes les qualités pour. Encore assez proche des humains, tout en restant définitivement vampire. Tu aimes la vie, et si ce travail est extrêmement périlleux, il te permettrait d'évoluer, de prendre goût à ton nouvel état. T'enrichir, aussi, si c'est ce que tu souhaites. J'ai besoin d'informateurs dans tous les milieux. Et besoin d'agents doués et loyaux pour se battre pour la paix que Krystel a toujours défendu. |

Qu'il est doux de s'abandonner à la caresse d'une femme, au confort de ses lèvres et aux attraits de son corps. Rien au monde ne peut remplacer cette félicité, bien qu'éphémère. Quand je pense à tous ces mois, ces années passées avec Krystel... Je ne peux pas me laisser abattre, car j'ai déjà connu quantité de choses à connaître dans ce monde. La guerre ne se termine jamais, les épreuves non plus. Cela ne veut pas dire que nous devons nous résigner à attendre la mort. Pis encore, celle ci n'a semble t'il eu aucune envie de me prendre ; je ne vais pas donc passer mon temps à l'attendre. Je ne peux plus être à proprement parler un homme de terrain. Cela ne peut pas m'empêcher de continuer à me comporter en tant que tel. C'est ce que j'ai toujours été, ce que je serais toujours, peu importe au final toutes les limites que l'on voudrait me poser ; je ne m'y plierais pas. Krystel avait toujours attendu ce genre de comportement de ma part, et je ne lui ferais pas défaut. J'étais après tout en train d'acquérir, peu à peu, le sentiment inaltérable qu'elle continuait de me juger par mes actes de là où elle était. Etrange, pour quelqu'un qui avait jadis renié sa religion pour la supplanter par une nouvelle, plus tangible. Mais c'était ainsi. La vampire se fait tactile, avant de se détacher à nouveau. Je ne sais pas encore ce que la belle aura à dire de ma proposition ; elle semble suffisamment éloignée des problèmes de son espèce pour ne pas trop s'en faire.


Pourtant, je sens, je sais, qu'elle a une expérience de l'anonymat et du travail souterrain. Les vampires qui travaillent dans des bars sont souvent particulièrement doués pour cacher leur nature, et leurs sens aiguisés accroît encore la rentabilité de cette place idéale... En sus, ses talents à l'horizontale pour sa jeunesse me paraissent bien développés. A moins qu'elle ai tout de cette nature sulfureuse qu'ont parfois certains nocturnes rouges, je dirais qu'elle arrondit ses fins de mois ou se sert malgré les apparences de cet emploi comme d'un terrain de chasse. La oilà qui joue de mon torse, des cicatrices qui le parsèment et de cette pilosité poivre et sel, même à cet endroit. Je ne fais pas partie de ceux qui s'épilent, je suis de la vieille école. Cela demande quelques petits arrangements pour dérouter la police scientifique, à la grande époque de Torben Badenov. J'essaie d'expliciter.


| Oui, c'est ça. J'ai toujours dirigé les services humains de la Reine, même si les gouvernants ont changé aujourd'hui je peux toujours gérer ce qui a fait ma spécialité ; les renseignements. Tu devras leur jurer fidélité sur ta vie, aussi. Si c'est ce que tu désires. |


Il n'y avait pas de meilleur ascenseur social que s'approcher des cercles du pouvoir. Je réponds à son sourire.


| J'ai bien peur que justement, la première leçon dans ce type d'emploi est de ne jamais faire confiance à quiconque. Mais nous avons déjà trouvé, je crois, de quoi entretenir une relation professionnelle sur des bases relativement solides... |


Des questions, à nouveau, alors que ses doigts continuent de dessiner des formes imaginaires sur mon ventre. Je ne sais pas trop ce qu'elle veut, encore. Je me fais le plus honnête possible.


| Tu devras surveiller le ou les personnes que je te demanderai de surveiller, en respectant les différents paramètres de ta mission. J'ai besoin d'agents dévoués, qui peuvent se donner corps et âme dans ce travail. Et miser leur vie et leur avenir. |


J'embrasse doucement le bout de son nez, avant de me redresser pour me resservir un verre d'alcool, alors que j'avais pourtant infiniment plus envie d'eau...


| Tu me verras régulièrement, bien sûr. Mais j'ai besoin de savoir quelles sont tes limites, si tu en as. Ce genre d'emploi ne s'arrange qu'avec difficulté, même aux plus petites contraintes... |

HRP:

Je ne peux pas faire comme s'il ne s'était rien passé, je ne peux pas faire comme si j'avais réussi à oublier qui j'étais, mes accointances pas plus que le reste. Mais cet instant avait été agréable. Il me faisait me sentir plus jeune que je ne l'étais, en bien meilleure santé également. On pouvait croire que je ne venais pas de subir la plus grande des pertes, que j'étais en pleine possession de mes moyens physiques et psychologiques. Les apparences avaient toujours été trompeuses. Maintenant plus que jamais. Je n'étais qu'une façade, le reflet parfait ou égratigné à dessein de ce que je devais être pour assurer la meilleure efficacité qui soit dans la poursuite des buts que je me fixais ou que l'on avait décidés pour moi. C'était comme ça que je devais concevoir les choses. Surmonter toutes les faiblesses, en particulier celles de ce corps fatigué, usé, que je me devais pourtant d'incarner d'une nouvelle stature, d'une force neuve, inédite. Je me devais d'évoluer pour ne pas mourir pour de bon, seul et inutile. Je dévoile un sourire à la vampire qui se tient toujours nue contre moi.


| C'est avant tout pour ta propre survie que je te dis ça... Etre toujours totalement vigilant, que tu sois informateur ou boulanger, c'est un critère de survie dans un monde comme le nôtre. |


Mon sourire s'agrandit rapport à son trait d'humour, et je laisse échapper un grognement d'assentiment.


| Oh crois moi, tu es loin d'imaginer à quel point... |


Payer de sa personne est le premier pré-requis de tout travail d'importance. Cela se jauge à l'aune des nuits blanches, d'un compte en banque crédité et débité de sommes folles, de sang, de sueur et de larmes. On n'arrête pas les sacrifices pour sa vocation. La mienne sert à la progression du monde et à la Reine que j'ai juré de servir jusqu'à cette mort qui refuse de me prendre. Même si elle l'a prise, elle. Peu importe. Les idéaux sont les seuls objets qui survivent jusqu'à la mort de leur dernier fanatique. En me redressant et en engloutissant une nouvelle rasade généreuse de whisky, je ris quand la vampire me dit qu'elle veut me revoir pour remettre le couvert.


| T'ais je laissé si forte impression? |


et voilà que la belle me reprend mon verre des mains et me tend de l'eau. Et la voilà qui se justifie, qui se tient prête à subir ma colère. Je suis en colère. L'alcool remplace, même de manière infiniment dérisoire, le terrible vide psychique qui me dévaste depuis la mort de Krystel. Nos personnalités s'étaient fondées en une seule, et maintenant qu'elle nétait plus là... Je prends la bouteille d'eau et la pose, mais mon regard se fait plus sérieux. Ses arguments sont valables.


| Je connais mes limites, je m'arrêterai quand j'en ressentirai le besoin et avant de les transgresser. Quant aux tiennes... J'ai besoin de personnes jouissant d'une liberté morale totale. L faudra peut être simplement espionner, scanner des documents, écouter des conversations. Ca peut vouloir dire baiser ou tuer. Faire du transport d'informations aussi... A toi de voir. Je ne te tends qu'une opportunité et tu as du potentiel pour ça. Mais j'ai besoin de volontaires ; rien ne vaut un cœur solide et une âme ambitieuse. Parce que je suis le servant de l'ancienne Reine Rouge, et j'ai encore du crédit auprès de qui de droit. |


Pouvais je dire que l'une des monarques actuelles était, par un malheureux concours de circonstances, ma propre ex-femme?Je suis honnête, parce que le mensonge ne permet que de louer. Moi, j'achète.


| Le monde bouge, Lucy. Il y a deux partis en lice aux prochaines élections. Je connais l'ancien mais mal le nouveau, et ces nouveaux venus en politique nouent des liens avec les vampires, avec les loups garous... J'ai besoin de savoir ce qu'il en est vraiment. Philipp Mc Borough, ça te dis quelque chose? |

J'essayais de faire comprendre à la vampire où je voulais en venir en matière d'espionnage ; je ne prenais que des gens qui n'avaient aucune limite, qui ne se laissaient embarrasser d'aucune morale, d'aucune autre éthique que celle du culte du résultat à tous prix. Le reste franchement nous importait finalement bien peu ; les motivations finales de la nocturne rouge ne pouvaient pas être un obstacle à ce que je pouvais lui offrir, à ce que ce nouveau travail pouvait lui apporter. Bien au contraire, même. La vampire se fait maligne ; je ne vois rien finalement qui puisse vraiment s'opposer à son recrutement, sinon les propres limites qu'elle pose à son adhésion au plan, aux perspectives que je lui offre. Elle est intéressée, elle n'aurait rien contre le fait de recommencer. Je ne sais où elle est la plus loyale, envers qui. L'idée que je lui ai soumise ne semble pas vraiment remporter son adhésion, bien au contraire. Il lui en faut plus et je m'en rends bien compte. Je sais déjà comment la décider, mais en ais je vraiment envie ?


Et surtout, est ce que mes envies sont toujours à suivre, est ce que j'ai encore ce genre de latitude, de liberté, aujourd'hui ? Seule la mort met fin au devoir. Et je n'ai toujours pas cané. Je suis toujours lié à ma Reine, à mon idéal, à mon devoir. C'est comme ça, et pas autrement.


| M'améliorer ? Je ne sais pas si à mon âge c'est encore possible ; je vieillis contrairement à toi... |


Lui lançais je, vaguement ironique. Je savais que j'étais un outil, et comme tout outil je m'use, je m'esquinte, je rouille pour un jour terminé brisé pour de bon. Je savais aussi que les stigmates des cruels revers du mois passé avaient achevé de me foutre en vrac à tout jamais. Ce désir de sang que je ressentais n'était qu'une des multiples facettes du vide comblé par la folie qui m'habitait désormais. Peu importent les événements, peu importent les revers. Je dois avancer ou mourir. Je ne sais trop comment prendre ses paroles. Elle semble vouloir de ce poste, de cet ascenseur social plein de dangers. Je ne réponds pas de suite. Elle m'a pourtant dit qu'elle préférait ne pas tuer, ne pas coucher pour accomplir ces missions. Je lui propose donc sa mission, de but en blanc. J'inspire profondément, avant de me relever, de m'avancer vers la salle de bain. Je me retourne face à la porte.


| Ma mission est de protéger la paix telle qu'elle est voulue par les Reines Rouges, et si guerre il doit y avoir, de leur fournir un avantage substantiel. Philipp Mc Borough est politisé, il va concourir aux élections de février face au parti du Premier Ministre. J'ai besoin de savoir qui il est, ce qu'il fait, qui il rencontre, et pourquoi. Je sais aussi que la constitution d'une équipe surnaturelle est en cours à la PES. J'ai besoin de quelqu'un qui soit dans cette équipe, ou qui l'approche personnellement peu m'importe. Dans les deux cas, haut niveau de danger. Mais je dois savoir ce qu'il prépare, je dois tout savoir de ses connexions, pour anticiper ses actions. En contrepartie, je peux te fournir un grade et le salaire qui va avec, dans l'Armée de Leurs Majestés, ou un salaire fixe. A toi de voir... |

Il n'en faut pas beaucoup plus pour que je pousse la vampire dans la direction souhaitée, de cela vous pouvez être certains. Nous parlons de nos âges respectifs. Elle est toute jeune vampire, elle ne mesure pas encore l'étendue de l'avenir qui lui ouvre les bras. Lucy n'a aucune idée de l'immensité du futur, cette notion qui risque d'ailleurs de s'effilocher avec le temps dans son esprit. Je sais bien que le mien au contraire, file à toute vitesse. Dès que je sors, dès que je mise ma vie sur la valeur et la tournure des événements, je prends un risque. Et pas qu'un petit, vous pouvez me croire. Raccourcir puis rallonger mon espérance de vie est devenue une de mes plus grandes spécialités. Sans Krystel, je serais mort depuis longtemps. Les premières fois où j'avais pris son sang, cela m'avait remis sur pied. Mes poumons dévastés par le tabac, l'appareil digestif par un alcoolisme qui me rapprochait de manière fulgurante de ma tombe... Et tout le reste, le cœur, l'esprit... Elle avait tout soigné avec son pouvoir, son sang, son idéal que j'avais épousé. Je lui offre un sourire qui a valeur d'évasion.


| On vieillit plus vite quand on exerce une profession comme la mienne. |


La perte de Krystel m'avait vieilli prématurément. Les bilans de santé étaient sans équivoque ; j'étais beaucoup plus vieux physiquement que mon âge ne l'aurait laissé entendre. Mon cœur était parfois bien instable, mes muscles avaient largement perdu de leur masse, mais os se faisaient plus fragiles, mais tout cela n'était rien à côté des chocs reàus dans mon système nerveux, contrecoup de la séparation psychique horriblement douloureuse avec Krystel. Mon esprit ne serait plus jamais le même non plus. A moi de composer avec, de contrôler, d'orienter cette folie qui était la mienne. Quoiqu'il en soit, la vampire se rend bien compte de l'opportunité que je lui propose. La belle sourit, admire la vue de mon corps pourtant dévasté, amaigri prématurément, d'aspect malade, fragile. Je n'étais plus le tueur au physique nécessairement athlétique. Mon corps n'était plus une arme. Je hoche la tête à ses paroles.


| Tu as le choix des armes. Ce qui compte, c'est le résultat. Auprès de lui le résultat risque d'être bien meilleur... Mais Mc Borough est un homme à femmes. Il risque de vouloir te manipuler, et voudra de toi. Il faut que tu sois prête pour le manoeuvrer comme il faut, que tu calcules tes mouvements, tes réactions. Je sais que c'est un travail épuisant... Mais qui sera récompensé. |

Je sais ce que je demande à la vampire, je sais ce que j'attends d'elle. Tout est clair dans ma tête, tout est limpide dans mon cœur. Je ne suis qu'un outil, un organisateur, qui modèle une organisation, qui prépare et anticipe. Je rassemble d'autres outils, je les rassemble dans un seul but. Ce qui compte avant tout, c'est de pouvoir être efficace. Souci principal. Comme toujours. L'acceptation de la vampire était déjà un défi pour moi, un premier test. Je lui demande de sacrifier sa vertu, sa dignité, pour un but plus grand. Un petit pas vers l'abîme que je connais déjà. Un petit pas vers l'abandon de tout ce qui fait une personnalité pour en rebâtir une nouvelle. Evincer l'individu pour promouvoir l'implication totale et le dévouement total à un objectif. Peut être en est elle capable, peut être pas. Je la sens ambitieuse, pourtant. Elle veut faire ses preuves, et rit avant de me confier sa stratégie d'attaque. Je me demande de plus en plus si elle n'est pas elle même en train de me manipuler, de m'amener là où elle veut comme elle veut. Lucy serait elle comme Swayne ? Peut être. Peut être pas. Je ne la connais pas encore assez, mais je vais y remédier. Fondamentalement, je ne m'en fais pas.


| Il va peut être se douter de la surveillance, de la mission qui te seras confiée. Il va te suspecter, c'est dans sa nature. A toi de le convaincre de ta franchise, ou à défaut de rentabiliser au moins le temps et les moyens impartis à ta mission... |


Je ne doute pas qu'elle parvienne à tenir Mc Borough par les couilles. Si la moitié des rumeurs qui courent à son sujet sont véridiques... Nous pourrions le surprendre aisément. Mais il n'est pas à sous estimer.Il a survécu à la guerre de l'ombre de la fin des années 2000, ainsi qu'aux Années Sanglantes. Et le voilà qui se lance dans la politique. Il n'en a pas fini avec l'échelle du pouvoir ; il compte bien continuer de la gravir à la vitesse d'un météore. Un plateau d'argent ? Son corps le figurait déjà.





| Juste pour savoir... Tu avais prémédité tout cela, ce soir, en me reconnaissant? Changer d'emploi et te vouer à celui qui tua ton créateur ? |

Je lui souris avec franchise.


| Non, cela voudrait dire que j'ai d'autant mieux fait de te choisir. |


Me manipuler était largement possible, mais c'était plus difficile qu'avec certains. Je regarde son corps nu, intact, frais, comme s'il ne s'était rien passé. Elle est belle à tomber. Elle aurait du succès dans cette nouvelle carrière. Je la laisse commencer à me savonner. Honnetement, cette nouvelle fois m'avait vidé de toute force ; j'étais encore bien plus fragile que je ne l'aurais cru, ce qui me poussa à me tancer vertement, à l'intérieur de ma tête. Je lâche un grognement plein de sarcasmes.


| J'aime cette ambition. Et oui, je peux t'aider à t'élever. Mon ancienne partenaire a aujourd'hui un rôle clef dans le Royaume de la Nuit. Mais saches aussi qu'ils sont peu nombreux, ceux qui m'ont suivi, à être encore en vie aujourd'hui. |


Je ferme les yeux en sentant ses mains sur ma peau. Cela fait du bien, de sentir que quelqu'un s'occupe de moi, même provisoirement et pour quelque chose d'aussi superficiel. Autrefois, Krystel pouvait passer ce genre de moment avec moi.


| Quant à m'aider, je vois difficilement comment tu peux t'y prendre. Tes tendresses de ce soir ont déjà failli me tuer ; je le sens dans mes os, dans mes muscles. Cela dit, si ton plan est de me tuer de plaisir, ça me va aussi. |