Nous sommes filles des torrents, soeurs des rivières [Livre II

Je contemple la Clyde à travers la fenêtre du rez-de-chaussée de la petite maison sur le port que j'occupe. C'était autrefois la propriété d'un vieux marin solitaire, mais elle me plaisait tellement que, lorsque Pandore et moi nous sommes mises à aménager des caches pour les semi-démons, pour nous abriter lorsque notre véritable identité est découverte par la PES, j'ai fait disparaître son occupant. J'ai donné son cadavre à la mer, en retirant ses clés de sa poche au préalable. C'était il y a quelques années. Depuis, c'est cette maison que j'occupe principalement lorsque je suis à Glasgow. Hors de question de retourner dans mon ancien foyer, là où j'ai vécu des heures heureuses avec Jessica : il doit être surveillé en permanence par mes ennemis. Et puis, le petit appartement me rappelle trop d'anciens souvenirs, et m'oppresse. Même si j'en suis encore légalement propriétaire, en tout cas si mes biens n'ont pas été saisis, j'en suis détachée en esprit... J'aime autant être ici, face aux vagues qui m'apaisent...
Aujourd'hui, j'attends quelqu'un. Fanny, très exactement. Une nouvelle recrue parmi nos rangs, jeune, mais avec un fort potentiel. Elle me déstabilise un peu : jusqu'à notre rencontre, j'ignorais que le pouvoir d'un semi-démon n'était pas forcément personnel. Le fait que, comme moi, elle maîtrise les liquides, est un peu dur à accepter. En même temps, c'est une bonne chose pour notre cause : je peux la faire bénéficier de mon expérience et l'amener plus vite à devenir une combattante redoutable. Pour moi, c'est moins sûr : je ne voudrais pas qu'elle devienne trop forte et que nous fassions doublon. Déjà que Pandore essaye de m'évincer de la tête de notre groupe, je n'avais pas forcément besoin d'une concurrence supplémentaire...
Cela dit, j'aime bien Fanny. Nos deux eaux peuvent se mélanger pour former un seul liquide puissant... Elle pourrait être une précieuse alliée aussi bien qu'une rivale. Pour le moment, je table sur la première option. J'espère que je n'aurais pas à m'en mordre les doigts.
Je l'attends donc pour une petite leçon. Elle n'est pas encore consciente de l'étendue des possibilités ouvertes par son pouvoir - par notre pouvoir. Moi, j'ai eu des années pour les explorer, et je lui révèle donc ce que j'ai appris. C'est fou ce qu'on peut repousser ses limites avec un peu d'imagination.
J'espère qu'elle ne sera pas en retard. A vrai dire, ces séances me procurent beaucoup de plaisir. J'aime jouer avec l'eau, et étonnemment, j'aime le fait de transmettre mon savoir à quelqu'un. Alors j'ai hâte de commencer...

Depuis que j'ai rejoint le groupe des semi-démons, je suis souvent sur les nerfs. Je le cache au maximum au sein de mon unité, d'ailleurs la plupart pense que j'ai simplement un copain que j'essaye de cacher des yeux de tous. C'est compliqué de concilier mon statut d'humain et celui de semi-démone.
La seule chose qui me motive à continuer, à ne pas redevenir une démone solitaire, ce sont mes rencontres avec Maryana. Ça calme mes angoisses et découvrir mon pouvoir sous un regard nouveau est extrêmement enrichissant. Maryana a beaucoup pratiqué au cours du temps, alors que moi après cette vingtaine d'année écoulé je ne m'en suis au final que peu servis. J'ai plus développé mes connaissance en terme de variété qu'en terme de puissance.

Il faut bien dire que nous n'avons pas forcément la même situation et la même vision du monde. Si je laisse mes pulsions m'emporter je devrais quitter l'armée. J'adore ce que je fais et je n'ai pas envie de le perdre, même si le chaos est tentant. Pouvoir faire souffrir en ayant la tête froide est déjà divin.

Quoi qu'il en soit aujourd'hui allait me permettre de me déstresser un peu, puisque nous nous étions mises d'accord pour nous retrouver au port, dans l'une des planques dédié au SD. Il faisait relativement beau, pour un mois de décembre, ce qui ne m’arrangeais pas particulièrement ... Plus le temps est clément plus les gens s'osent à mettre le nez dehors.
Arrivée devant la maison, je jette un œil à ma montre, 2 minutes de retard, rien de bien méchant quoi.
En frappant à le porte de l'adresse que Maryana m'a donc fourni, je me rend compte à quel point je suis chanceuse et privilégiée. Combien de personne ont eu l'occasion d'être aussi proche d'elle, de pouvoir évoluer grâce à ses connaissances et de frapper à sa porte ? Je suis surement la première. J'espère simplement qu'elle n'a pas l'intention de me faire disparaître pour s'éviter toute concurrence.

J'entends enfin des coups frappés à la porte. C'est Fanny, je le sais. J'ignore si notre pouvoir nous confère une sorte de lien, mais en tout cas, je reconnais sa manière de toquer entre toutes, alors même que je ne l'ai pas entendue si souvent que cela. Une manière qui me fait penser à des vagues se brisant sur le bois du battant.
Bref, je ne veux pas la faire attendre : il n'est bon ni pour elle ni pour moi que les passants remarquent de l'activité étrange autour de cette maison. Si des soupçons naissent dans leur esprit, nous serions obligés d'abandonner cette planque, et j'avoue que cela me chagrinerait : j'aime ce lieu avec passion.
Je prends tout de même le temps de vérifier l'identité de la personne qui vient de frapper par le judas. Même si mon instinct me dit qu'il s'agit de Fanny, je préfère être prudente et m'en assurer. La moindre erreur, et je tomberai aux mains de mes ennemis. Je ne peux pas me permettre de faute. Et je n'en ai jamais commis. Pour le moment.
Je reconnais les cheveux noirs et les yeux bleus de Fanny, et j'ouvre donc la porte, en prenant soin de me dissimuler au maximum derrière le battant afin de ne pas être reconnaissable de la rue : mon visage est passé au journal télévisé, et les passants le connaissent... Mais un bref regard m'apprend que le quai est désert. Je ne sais pas si Fanny a pensé à attendre qu'il se vide ou bien si c'est un heureux hasard, mais en tout cas, c'est parfait.
Fanny entre, et je la salue en disant :

- Bonjour, Fanny. Entre vite, nous avons beaucoup à faire aujourd'hui.

Cela dit, c'est le cas à toutes les séances. C'est ce que je me dis en fermant la porte. Plus vite Fanny parviendra à une maîtrise experte de son pouvoir, et plus vite elle pourra participer aux opérations des semi-démons. Sa formation de militaire est un plus qui me permet d'éviter de lui expliquer comment se servir d'une arme à feu, mais au niveau de la maîtrise de l'eau, elle a encore beaucoup à apprendre...
En bonne institutrice, alors que je me dirige vers le salon, je lui demande :

- As-tu travaillé depuis la dernière fois que nous nous sommes vues ? Tu sais que c'est important d'utiliser ton pouvoir pour devenir plus forte.

Cela rend aussi accro à cette magie qui court dans nos veines. Certains le déplorent, moi non. Il n'y a rien d'aussi bon que cette déferlante de puissance qui nous traverse. Ou d'aussi jouissif que les manipulations bien réglées que nous dirigeons dans l'harmonie. C'est d'ailleurs ce sur quoi je veux faire travailler Fanny aujourd'hui, et je lui annonce :

- Cette fois, je pensais te montrer quelques trucs qui se basent sur les simples gouttelettes. Pas très impressionnant, mais très efficace...

Mentalement, je me repasse les moments où j'ai employé mon pouvoir à petites doses pour des effets ciblés mais efficaces : éteindre un téléphone, tuer un homme en détruisant ses organes internes... Les possibilités sont multiples, à condition d'y penser.

Je n'avais nul besoin de tendre l'oreille pour savoir qu'elle était là, bien sur elle ne m'aurait pas donner rendez-vous dans le vide, mais j'avais cette sensation qu'elle n'était pas loin. Un peu comme dans certaine histoire de jumeau, oui voila c'était ma jumelle de don, et ça tissait quelque chose. Un petit quelque chose, mais quelque chose quand même.

La porte finit par s'ouvrir, Maryana dissimulé derrière la porte. Elle, avait intérêt à se dissimuler du regard des autres, alors que moi, j'avais plutôt intérêt à paraître la plus normale possible de façon à ne pas attirer l'attention. Après tout on remarque en général plus quelqu'un qui essaye de se camoufler plutôt qu'une simple femme qui se balade. Ou en tout cas ça parait moins suspect, justement ce que je cherche.

Maryana me salue et m'invite à entrer, ce que je ne tarde pas à faire. En effet je suis persuadée qu'on a beaucoup à faire et puis ... Je suis impatiente de commencer, comme toujours. Cependant il arrive forcément la question à laquelle je n'ai pas spécialement envie de répondre ... Est-ce que je me suis entraîné, pas vraiment, je n'aime pas le fait que mon pouvoir puisse m’entraîner dans des pertes de contrôle totale. Qu'est-ce que vous voulez ? Je suis militaire, le contrôle c'est mon train-train quotidien, dans ce métier, et désormais dans ma vie de tout les jours, si je ne contrôle pas mes actes je suis fichue. Bien sur je ne suis pas insensible au sensation qu'il procure, loin de là, mais je me suis habitué a vivre en trouvant un juste milieu à tout ça, en mémoire de ma mère, et dans la conviction que mes restrictions me sauverons la vie.

J'ai pas eu beaucoup de temps libre ces derniers temps, mais j'y ai tout de même travaillée un peu, par rapport à ce qu'on avait vu la dernière fois surtout.

De toute façon j'avais bien conscience que si je ne travaillais pas un peu mon pouvoir, et que je ne faisais aucun effort, elle se lasserait vite d'avoir l'impression de brasser du vent et en m'enverrais aller voir ailleurs. Ma curiosité et mon envie d'apprendre encore et encore sur moi même me poussait à faire au moins les efforts minimum. Et puis désormais elle sait qui je suis, les démons savent qui je suis, je ne peux pas me permettre d'être faible dans l'hypothèse ou l'un d'entre eux se retournerait contre moi. Il faut qu'il ait peur de moi, ou tout du moins qu'il ne soit pas tenté de s'amuser de moi simplement parce qu'il connaissent mes faiblesses. Ce qui sous entends qu'il faut que j'en ai le moins possible ... des faiblesses.

Maryana m'annonce qu'aujourd'hui on va se focaliser sur les gouttelettes, ce qui demande une précision énorme et beaucoup de concentration. La concentration je n'aurais aucun problème là dessus puisque c'est la dessus que se repose tout mon travail de militaire. En revanche la précision .. j'en avais avant, c'est ce qui m'a d'ailleurs aidé à tirer aussi bien, mais ça fait maintenant longtemps que je n'ai plus utilisé mon don sur des choses minimes. Le précision des armes je l'ai travaillé jour après jour, mais mon don je ne l'ai pas entretenu et je suis donc à peu près sur que j'ai perdu beaucoup dans ce domaine. Espérons que non.

Un travail de précision, je devrais arriver à relever ce défi.

Je lui souris, pour rien au monde je n'aurais préciser que ça me faisait flipper de pouvoir imaginer que de ne pas avoir pratiqué puissent peut-être me faire perdre en faculté. Je n'ai même pas envie de me dire que le fait que je ne veuille pas sombrer dans le chaos soit un facteur de recul de mes compétences ...

La réponse de Fanny ne me satisfait que moyennement :

- J'ai pas eu beaucoup de temps libre ces derniers temps, mais j'y ai tout de même travaillé un peu, par rapport à ce qu'on avait vu la dernière fois surtout.

Je sais bien qu'il est difficile de s'isoler pour manipuler son pouvoir lorsqu'on est encore inséré dans un tissu social et professionnel, comme Fanny, mais quand même. Il faut qu'elle fasse des efforts si elle veut arriver rapidement à un haut niveau de maîtrise. Et j'ai besoin qu'elle y parvienne rapidement : j'ai besoin d'alliés face à Pandore, et j'ai l'impression que pour le moment, Fanny est l'un des seules qui m'est plus loyale qu'à ma soeur.
Cela dit, je ne lui réponds rien, je ne la sermonne pas. Ce qui est fait est fait, et je ne veux pas la braquer contre moi. Je me contente de lui lancer un regard désapprobateur : j'espère que cela suffira à lui faire comprendre que je ne veux pas entendre une seconde fois ce genre de propos.
En tout cas, elle a l'air enthousiaste à l'idée de ce que je lui propose de faire :

- Un travail de précision, je devrais arriver à relever ce défi.

C'est en effet crucial, et je lui explique pourquoi :

- On trouve rarement du liquide en grandes quantités autour de soi, mais il y en a pourtant des parcelles partout. Rien que sur un corps humain : des particules de salive, un peu de sang, de la sueur... Tout cela, nous pouvons le contrôler. En même temps, de nombreux orifices permettent de faire pénétrer ces gouttelettes un peu partout...

Je marque une pause avant d'ajouter, un sourire mauvais sur mon visage :

- Imagine ce qui se passe lorsqu'une bille d'eau pénètre à l'intérieur de l'oreille d'un ennemi...

Je n'ai pas besoin de l'imaginer, juste de me souvenir. Le tympan qui crève au bout que quelques instants de pression. Le cerveau déchiqueté par l'eau en furie. Et tout cela, grâce à une simple goutte...
Ce spectacle, je ne le verrai pas aujourd'hui : je n'ai pas de victime sous la main. J'ai hésité à capturer un passant au hasard pour les besoins de ce cours, mais c'était tout de même un peu risqué. Inutile de se mettre en danger pour rien : si Fanny comprend l'idée, elle sera capable de faire le nécessaire lors d'une confrontation. J'explique donc l'exercice que je lui propose :

- Regarde la table : il y a une coupelle remplie d'eau, et différents cercles. Ton but est de faire passer la bille d'eau à travers eux, le plus vite possible.

Les cercles sont un bricolage de fortune : j'ai disposé des créoles, des bagues... J'ai récupéré le contenu de ma boîte à bijoux, et j'ai agencé le tout avec des ficelles et du scotch. Le résultat est plutôt pas mal, même si on voit bien qu'il est l'ouvrage d'un amateur.
Par contre, c'est avec professionnalisme que je tends le doigt vers la coupelle d'eau. Une goutte se forme et s'élève dans les airs, et je la fais passer dans le circuit à grande vitesse, sans la moindre erreur. Il faut dire que je me suis entraînée avant l'arrivée de Fanny... Quand j'ai fini, je me retourne vers elle et je lui annonce :

- A toi !

Je sais bien Que Mary' n'est pas enchantée par le fait que j'ai tendance à me restreindre dans l'utilisation de mes pouvoirs, mais comment lui expliquer ? Elle ne peut pas comprendre, non elle ne peut pas comprendre ce sentiment que moi même je ne comprend pas. Cette loyauté que je voue a l'image de ma défunte mère. Qui pourrait comprendre qu'un semi-démon, c'est aussi un semi-humain ? Dans mes veines coule le sang d'un humain remplie de bonté, et dans chacune de mes cellules cette humanité se bat sans relâche contre le démon qui me ronge. J'ai l'impression que je suis condamné a errer entre deux mondes.

En écoutant l'importance fondamental de l'exercice d'aujourd'hui, je n'ai aucun mal a imaginer l'effet que peut produire notre pouvoir de cette façon si infime. Après tout, un virus peut faire bien plus de mal qu'une bombe, alors pourquoi une goutte d'eau ne pourrait pas être plus destructrice qu'un tsunami. Bon d'accord c'est un peu exagéré, mais pour créer un effet majeur tel qu'un tsunami ou quelque chose de ce genre, il faut beaucoup d'eau. Alors que pour ce genre de technique un robinet qui fuit, la pluie, un vase fleurie, une goutte de sueur, une larme, le sang ... tout est bon pour toucher son adversaire, et on ne risque pas de manquer de ressource ou d'énergie. Parce que oui, utiliser son pouvoir a grande échelle peut être épuisant.

Dans un premier temps, Maryana me présente notre terrain de jeu, que je n'avais au départ pas plus remarqué que ça, gardant mes yeux rivés sur la semi-démone ou sur les quelques brides visible de l'extérieur. Aucun vue sur la rue, seulement une vue sur l'étendu d'eau apaisant et chaleureux dont le bruit a travers les murs me berce.
Sa démonstration est remarquable, bien sur tout le monde connait sa réputation et l'étendu de ses pouvoirs, mais la voir en action avec autant de précision est impressionnant. Je sais que je suis loin de se perfection, surtout que je dois l'avouer, le fait qu'elle m'observe me stress un peu.

- Bon, je vais commencer par essayer d'en faire passer une avant de me focaliser sur la vitesse.

Je me parlais là plus à moi même, de toute façon il était évident que si j'essayais tout de suite d'être parfaite sur tout les points j'aller me planter et me décourager. Autant progresser a pas de loup.
Mettant mes mains dans mes poches arrière, je fermais les yeux quelques instant pour me concentrer. Puis rouvrant doucement les yeux je voyais au dessus de la coupelle de l'eau flotter dans les airs, trop. Il me fallut deux reprises, rapide, pour diminuer cette masse en une goutte convenable pour l'exercice. Me mordant la lèvre inférieure, tic que j'avais systématiquement en utilisant mon pouvoir, je guidé cette petite masse de cercle en cercle. Ma concentration me fit défaut au moment où je sentais que la pression sur ma lèvre était trop importante. J'étais stressé, beaucoup trop, et cet exercice ne m'était pas habituel. Bien sur ma perte de concentration s'était accompagné de la chute libre de la goutte.

- Merde !

Sans le moindre regard a Maryana, je recommençais. Six fois. Allant plus loin a chaque fois, pour finalement me heurter a un problème que je n'avais pas encore perçu. Et que Maryana attendait surement que je remarque. La goutte était tout simplement trop grosse, un demi-millimètre de moins et je pouvais a coup sur y arriver.
Je changer donc mon fusil d'épaule, réduisant la taille de la goutte. Au bout du deuxième essai cette fois, j'atteignais enfin la fin du parcours. Pas assez vite, mais c'était déjà un grand pas en avant.

- Comment tu arrive a faire ? Je veux dire, pour la concentration ? J'ai l'impression que ma tête va exploser ...

Chaque petit coup de pouce pour réussir était le bien venu, nous étions la pour ça après tout.

Fanny m'a observée attentivement tout le temps de ma démonstration. Lorsque je lui annonce que son tour est venu de se frotter au parcours, elle semble assez tendue. Elle explique à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même :

- Bon, je vais commencer par essayer d'en faire passer une avant de me focaliser sur la vitesse.

Je hoche la tête. L'exercice est en effet conçu pour être progressif. Elle ne peut pas arriver au même résultat que moi du premier coup ! Et si c'était le cas, j'aurais de sérieux soucis à me faire...
Mais Fanny semble éprouver des difficultés. Une bille d'eau, bien trop grosse pour passer les anneaux, s'élève sans grâce, avec des à-coups. Puis retombe, tandis que mon élève s'exclame :

- Merde !

Je suis déçue. J'imaginais que la première partie ne poserait pas de problème particulier à Fanny. Soulever une bille d'eau, ce n'est pas si difficile, non ? Je suis sur le point de me mettre en colère, mais je n'explose pas, car elle retente sa chance. Plusieurs fois. Des échecs. Je m'impatiente, mais je constate qu'à chaque fois, elle progresse légèrement. Elle termine finalement le parcours, lentement. Puis elle me demande :

- Comment tu arrive a faire ? Je veux dire, pour la concentration ? J'ai l'impression que ma tête va exploser...

Je réponds du tac au tac, poussée par mon énervement accumulé :

- J'ai beaucoup d'entraînement. Si tu travaillais plus, tu aurais probablement de meilleurs résultats.

Je ne lui dis pas tout le fond de ma pensée. Devant ses balbutiements, je me suis rendue compte que mon pouvoir était réellement exceptionnel. Même lorsque j'étais petite, manipuler l'eau ne m'a jamais provoqué le moindre mal de tête. Certaines de mes tentatives m'ont causé des difficultés, certes, mais jamais au niveau de ce que je demande à Fanny. Je ne connais pas les obstacles que rencontrent les autres dans l'utilisation de leurs pouvoirs. Je crois vaguement savoir que Damon est limité dans le temps. Mais Fanny me permet vraiment d'avoir un point de comparaison fiable. Et de me rendre compte d'à quel point je suis exceptionnelle.
J'ai conscience que Fanny pourrait être vexée que je lui raconte cela. Alors, comme je veux m'en faire une alliée, je me tais. Je cherche un conseil que je pourrais lui donner et qu'elle pourrait mettre en pratique immédiatement, puisqu'elle m'en demande un. J'ai remarqué son état de stress. Je peux lui suggérer de corriger cela :

- Sinon, tu es très tendue, c'est mauvais. Tu dois être sûre de ton pouvoir pour imposer ta volonté à l'eau. Sans avoir peur de l'échec. L'imaginer, c'est déjà le susciter.

J'y pense très rarement : peut-être est-ce pour cela que je ne l'ai jamais connu. Depuis que je m'assume en tant que semi-démone, en tout cas. Avant... Je ne préfère pas penser à avant, à l'échec de mon couple, à la mort de Jessica. C'est le passé, quand je n'étais pas encore capable de m'affirmer. Maintenant, je suis forte, j'ai soumis un élément et bientôt, ce sera le tour du reste du monde.

On vous a déjà demander de résoudre un exercice de maths en regardant une mouche voler, ou en imaginant votre vie dans un monde parallèle ? J'imagine bien que non, en revanche toujours les jours vous faites un réflexe de certains calcul et ils vous paraissent toujours bien plus simple. Eh bien je me retrouve dans la même situation. La présence de Maryana me stress plus que tout autre chose, avant sa rencontre je n'ai jamais eu à m’entraîner devant qui que ce soit. C'est inné, c'est en moi, mais si j'y pense trop tout va de travers. Je suis capable de tuer sans en prendre conscience, emporté par ma colère, mais pas foutu de réussir correctement un exercice qui devrait être élémentaire.

Je sais que les compétence de ma professeur sont monté en pique par le passé, alors que moi je n'ai jamais développé plus que ça mon talent. Elle ne peut sans doute pas se mettre à ma place, comme je ne peux pas faire l'inverse non plus. Bien sur elle peut me faire la morale autant de fois qu'elle veut sur mon manque d'entrainement, j'en ai conscience, comme j'ai aussi confiance que ma part d'humanité est bien plus présente pour le moment chez moi que chez beaucoup de semi-démon. Enfin disons que je peux avoir des phases assez particulière où je me sens plus humaine que démone. Certains diraient surement que je suis tout bonnement instable et peu fiable, je n'irais pas jusque là.

Ma seule véritable compétence que j'ai pu remarquer au fil du temps, c'est que j'ai une aisance particulière pour séparer des liquides. Je peux séparer du sang qui serait dans de l'eau sans la moindre difficulté. Mais pour l'exercice qu'elle m'impose, je n'ai clairement pas cette aisance. Je n'ai pas la confiance qu'elle a en son pouvoir, simplement parce que je ne sais jamais si je vais déraper ou pas, me laisser emporter par une pulsion, faire n'importe quoi, ou laisser mon don prendre le dessus et m'abandonner à lui.

- C'est juste que je ne suis pas habituée à être observée, à vrai dire tu es carrément la première à le faire ...

Je plonge quelques instants mon regard dans le sien, devenu plutôt glaciale au vu de ma "performance". Puis je me retourne de nouveau vers ce foutu parcours. Je travaille mes souvenirs les yeux fermer pour n’imprégner, pour dépasser le stress. "L'imaginer c'est déjà le susciter" Je me repasse les sensations toujours différentes en fonction des divers liquides, cette impression de lourdeur du sang, et la légèreté plus incontrôlable de l'eau. Cette impression de s'étendre plus loin que soi même, comme si on pouvait se projeter dans ce qu'on contrôle. J'essaye tout bonnement d'arrêter de penser que je contrôle l'eau, mais plutôt de penser que je suis l'eau. Que je plane dans les airs, sortant de mon corps pour rejoindre ce fluide qui m'appartient pleinement. L'eau n'est pas mon élément de prédilection, mais il doit le devenir.

Les yeux toujours fermés, je fais alors monter une spirale d'eau de plus en plus fine, et je laisse finalement une goutte d'eau se détacher du dessus. Chacun sa technique non ? Copier n'est pas forcément la meilleur solution, il faut que j'apprivoise ce don à ma façon. Puis je rouvre les yeux, n'étant pas une machine qui aurait retenu tout le parcours d'un simple coup d’œil, et je recommence l'épreuve. Un temps relativement proche, mais beaucoup plus de précision et bien moins d'hésitation, c'est déjà mieux. "L'imaginer, c'est déjà le susciter." Je crois que je vais placarder cette phrase partout, et y ajouter qu'imaginer c'est aussi s'évader. Quoi de mieux que l'évasion pour faire naître la créativité ?

Cependant à la fin de ma tentative nouvelle, je ne me tourne pas vers Maryana, sachant que c'est très loin d'être parfait, très très loin ... Bien sur je suis contente de ma performance, il faut l'être. Mais je sais aussi que mon niveau est faible et que Maryana s'attendait a beaucoup mieux. J'aurais du m’entraîner, je le savais avant de venir, je savais que ça me porterait préjudice. Au moins je peux me réconforter en me disant qu'avec de l'entrainement je peux avoir un bien meilleur niveau. J'espère simplement que le fait que j'ai mis du temps à me calmer et à me plonger dans mes pensées ne l'aura pas mis encore plus sur les nerfs. J'ai pas vraiment envie qu'elle applique sa leçon sur moi, si vous voyez ce que je veux dire ...

En réponse à mes critiques, Fanny me confesse :

- C'est juste que je ne suis pas habituée à être observée, à vrai dire tu es carrément la première à le faire...

J'imagine qu'en effet, cela doit être intimidant pour elle de se trouver devant la chef des semi-démons, à tenter de maîtriser un pouvoir dont elle sait que je le possède à un degré bien supérieur au sien. Sa remarque me flatte légèrement, d'ailleurs. Mais je n'ai pas le temps de me complaire dans les douceurs de l'orgueil satisfait : après tout, je suis là pour être son professeur. J'hésite un instant à lui proposer de quitter la pièce : je sens l'eau de manière suffisamment fine pour percevoir le trajet de la goutte dans le parcours même avec une cloison m'en séparant. Mais ce serait mauvais pour elle. Elle doit maîtriser sa tension. En mission, elle risque de devoir utiliser son pouvoir non seulement en ma présence, mais face à des ennemis. Et le plus faible des ennemis peut être aussi intimidant que le plus puissant des alliés.
Je veux lui faire part de mes conclusions, mais je constate qu'elle s'est de nouveau replongée dans l'exercice : elle a fermé les yeux, signe de sa concentration. Je ne veux pas briser cette dernière, et je choisis de me taire.
Au bout d'un moment, l'eau s'élève en spirale au-dessus de la coupelle : une technique originale, différente de la mienne. Je choisis directement dans la masse la perle d'eau que je veux utiliser, quitte à l'affiner ensuite. Fanny, elle, semble tailler sa goutte au fur et à mesure. Tant que ça marche...
Elle la lance ensuite dans le parcours. Sans faute, et un peu plus rapidement. Ce n'est pas encore parfait, mais les progrès sont indéniables. J'esquisse un sourire. Essai après essai, elle dominera bientôt l'exercice. Lorsqu'elle rouvre les yeux, je la complimente :

- C'était mieux. Continue ainsi et tu y arriveras bientôt parfaitement.

Puis je lui fais part de mes observations concernant sa technique de départ. Je n'ai rien contre le changement qu'elle y a effectué, mais cela m'intrigue, et avoir des explications m'intéresse :

- J'ai remarqué ta spirale d'eau, au début. Si tu as choisi de procéder de cette façon, c'est que cela doit être naturel pour toi : sais-tu pourquoi ? Cela pourrait nous aider à trouver comment tu peux t'améliorer.

A mon grand soulagement, le nuage de colère qui planait dans la pièce s'était évaporé au fil de ma performance. Maryana, semblait déjà bien plus satisfaite et de nouveau encourageante. D'ailleurs elle me félicite, ce qui a pour effet immédiat de me faire sourire, moi qui m'attendait à ce qu'elle soit de nouveau déçu ... Comme quoi tout le monde peut se tromper. Et puis désormais je sais qu'il faut a tout pris que j'évacue le stress ou toute pensées négatives, il faut que je fasse le vide en moi pour ne pas faire n'importe quoi. Et surtout, surtout il faut que je respecte ce que mon corps me dicte et ne pas aller à son encontre. En oubliant surtout pas qu'on a chacun notre façon de faire.
Je suis persuadés que Maryana n'a pas conscience qu'elle m'en apprends bien plus que ce qu'elle avait prévu. Je n'apprends pas simplement a contrôler une goutte d'eau, non j'apprends que nous sommes tous unique, réagissant différemment à tout, avec des facilités et des difficultés différentes et que quoi que je fasse je n'aurais jamais exactement les mêmes compétences que Maryana. Oui elle m'en apprends sur moi même sans doute sans en prendre conscience. Mais n'est-ce pas le but d'un cours, de nous faire évoluer sur le maximum de point possible. On peut dire qu'elle n' faillit pas à sa tache.

Evidemment, la technique dont je me suis emparée n'a pas échappé à Mary' et elle en vient donc à me questionner là dessus.

- En fait, j'ai bien vu que ta technique ne me convenait pas, je ne sais pas exactement pourquoi mais ce n'était clairement pas efficace. Alors je me suis tout simplement dit qu'il devait y avoir une autre façon de faire et je me suis souvenu d'un truc que je faisais quand j'étais gamine. Qu'on a surement tous fait d'ailleurs. Ce jeu d'ouvrir le robinet au minimum pour faire un filet d'eau minuscule, juste à la limite ou finalement il ne fait que couler par goutte. Et j'ai alors pensé à la spirale, un peu comme si j'étirais une pâte pour la faire de plus en plus fine. Je ne sais pas si c'est très clair dis comme ça, mais pour moi ça me paraissait plus logique, et en le faisant beaucoup naturel.

Bien sur, ce qui me trottait dans la tête n'était pas forcément évident à expliquer, j'espérais qu'elle comprendrait. Après tout comment expliquer quelque chose qui nous apparaît comme une évidence ? Je mettrais ça au même niveau que la sensation qu'on ressent quand un autre semi-démon utilise son pouvoir, c'est palpable, mais trouver les mots pour l'exprimer est quasi impossible.

HRPG : Si ça te convient, tu peux clôturer dans ta réponse Very Happy

A ma question, Fanny répond par une longue explication :

- En fait, j'ai bien vu que ta technique ne me convenait pas, je ne sais pas exactement pourquoi mais ce n'était clairement pas efficace. Alors je me suis tout simplement dit qu'il devait y avoir une autre façon de faire et je me suis souvenu d'un truc que je faisais quand j'étais gamine. Qu'on a surement tous fait d'ailleurs. Ce jeu d'ouvrir le robinet au minimum pour faire un filet d'eau minuscule, juste à la limite ou finalement il ne fait que couler par goutte. Et j'ai alors pensé à la spirale, un peu comme si j'étirais une pâte pour la faire de plus en plus fine. Je ne sais pas si c'est très clair dis comme ça, mais pour moi ça me paraissait plus logique, et en le faisant beaucoup naturel.

Je l'écoute sans l'interrompre. Ce qu'elle dit est... intéressant. Même si nous avons le même pouvoir, nous ne perçevons pas l'eau de la même façon. Elle, elle la voit comme une pâte continue. Pour moi, il s'agit d'un ensemble de diamants, de petites gouttes à manipuler. La différence n'est pas énorme, mais j'imagine qu'elle influe sur notre pouvoir. Fanny a du mal avec l'exercice que je lui propose, mais d'un autre côté, elle aura probablement des facilités sur d'autres points. J'espère qu'elle ne les découvrira pas trop tôt : la position de maître face à son élève est confortable, et j'ai peur de ce qui arrivera si elle me considère un jour comme son égale. Ca plaira à Pandore, sûrement.
En tout cas, je hoche la tête et j'annonce :

- En effet. Nous avons une perception différente. Je ressens les gouttes d'une manière plus aigue.

Je fronce les sourcils. Fanny a réussi l'exercice : c'est tout ce qui était au programme aujourd'hui. Et je ne me vois pas en improviser un autre maintenant : j'ai besoin de temps pour assimiler le fait que notre pouvoir n'est peut-être, finalement, pas exactement le même. Qu'il varie en fonction de notre personnalité. Je le lui dis clairement :

- Je crois que j'ai besoin de temps pour réfléchir à cette différence. Et toi aussi, sûrement. Je pense qu'il vaut mieux qu'on s'arrête là pour aujourd'hui.

Je la regarde droit dans les yeux avant d'ajouter :

- Pour la prochaine fois, pour une fois, ce n'est pas t'exercer qui sera crucial, même si je ne peux que te conseiller de le faire. C'est de réfléchir à la manière dont tu perçois l'eau. Je ferai la même chose de mon côté, et nous en discuterons. Je pense que confronter notre point de vue nous permettra d'évoluer... Toutes les deux.

J'avoue franchement qu'elle peut m'apporter quelque chose, même si mon ton professoral ne laisse aucun doute sur mon sentiment de supériorité. Ambigus sont les sentiments que je ressens pour Fanny : à la fois crainte d'être remplacée et volonté de m'en faire une alliée, voire une amie solide. Une envie que je n'ai plus ressentie depuis longtemps...

Maryana avait l'air d'enfin percevoir que nous n'étions pas identique, que nous avions même une vision du monde bien différente. La preuve en était qu'elle avait l'air d'avoir fait un fixette que l'eau, alors qu'il existe bien d'autres matières liquides. Certaines on le les trouve pas avec autant d'intensité, mais chacune à ses propriétés, même si les connaitre n'est pas vitale au combat, j'ai toujours trouvait fascinant toute ces différences de la nature, cette variété sans fin.
Mais ce n'est pas un mal, loin de là. Nos visions respectives devraient nous permettre de voir plus loin, différemment, d'évoluer. Il n'est jamais mauvais de prendre du recul et de voir les choses sous un autre angle.

Ça ne me pose aucun problème, j'avoue aussi que ça me déstabilise un peu de pas du tout gérer les choses comme toi.

Je lui souris, d'un sourire rassurant. Je ne voudrais pas qu'elle le prenne pour une critique. Simplement je n'ai jamais était confronté à quelqu'un du même don que moi, et jusque là lors de nos rencontres je n'avais pas eu à exprimer mon points de vue, elle non plus d'ailleurs.

Je le ferais, surement en m’entraînant un peu. Je n'ai jamais vraiment eu à y réfléchir alors autant l'expérimenter un peu plus pour me faire un avis abouti. Et peut-être qu'il faudrait réfléchir sur nos perceptions pour les autres genre de liquide aussi ...

Je ne comptais pas beaucoup m’entraîner, mais c'est un mal pour un bien comme on dit. Je ne change pourtant pas d'avis quand à la manipulation de mon don, je ne veux pas basculer dans le chaos, pas entièrement, je veux rester maître de moi même.
Pour ma proposition au sujet des autres liquides, Maryana hoche rapidement de la tête. Ce qui ne veut pas dire grand chose, mais au moins elle a entendu ma proposition, il sera toujours temps de voir la prochaine fois si elle l'a fait ou non.

Après avoir dit au revoir à Maryana, je passe finalement le pas de la porte, après une brève vérification à l'extérieure. Des pensées plein la tête ... Où allait aboutir cette relation ? Où est-ce que cela aller m'emmener ? Surement à être une fugitive ... Et tous ces exercices, vont-ils seulement me permettre de me rendre compte que je suis bien plus incompétente que ma collègue semi-démone, ou qu'au contraire je suis en mesure d'atteindre son niveau avec un maximum d'expériences. Trop de questions, pas assez de réponses, et pas assez de contrôle, je n'aimais pas ça ... Mais ma curiosité gagneras toujours, j'ai besoin de savoir de quoi je suis capable, quitte a tout perdre autant le faire pour des raisons valables.

Scène close.

» Nous nous sommes déjà rencontrés? [Livre III - Terminé]
» Soudés, nous régnons. Divisés, nous périssons. Je veux y croire encore. [Livre II - Terminé]
» Sortie entre méta filles ! [Livre II - Terminé]
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» Les blessures nous rapprochent... [Livre II - Terminé]