Bénédiction, malédiction ? Qu’était l’immortalité en définitive ? Nombre d’anciens parmi les nôtres avait opté pour la seconde option à en croire les légendes de notre espèce, mais ceux-là avaient dépassé le millénaire. Avaient-ils fini par faire le tour de ce que leur existence pouvait leur permettre de faire et découvraient-ils un ennui mortel ? Pour ma part à presque trois cents ans l’immortalité était une bénédiction, elle permettait de pendre de multiples chemins et de se relever lorsque certains s’avéraient mener à une voie sans issue. Tant qu’il ne menait pas à la mort véritable, chaque chemin n’était qu’un passage menant à un autre. J’avais beau n’être redevenu qu’un simple vampire sans grade, sans titre et sans gloire, j’étais en vie. Et l’esprit plein de nouveaux plans.

Pour autant l’esprit le plus malin peut tenter d’imaginer d’appréhender les meilleures branches de l’arbre des possibles, le simple fait de ne pas être le seul à parcourir le monde participe à perturber tout ce qu’il pourra entreprendre. Sans me croire le plus malin c’était l’esprit empli d’une foule de questions que j’avais pris place dans une voiture des plus banales, véhicule conduit par un humain qui m’était totalement inconnu. Je n’étais pas d’ordinaire vampire à suivre un humain simplement parce qu’il me le demandait, mais ce soir cet individu-ci était porteur d’un message plus qu’intrigant. Il ne m’avait fallu que peu de temps pour comprendre qu’il était hypnotisé par un vampire puissant, son hypnotisme étant fort habile et bien ancré dans l’esprit de l’humain.

L’humain n’avait rien dit quant à l’identité de celui qui souhaitait me rencontrer mais il m’avait fourni quelques informations que peu de personnes en ce monde pouvaient connaitre. Pouvait-il s’agir d’un piège ? Ou encore un jeu vicieux de Krystel pour se débarrasser définitivement de moi ? Ses craintes à mon encontre l’amenant à m’éliminer pour de bon ? C’était là une possibilité parmi tant d’autres mais si elle voulait ma mort à moins de venir en personne m’exécuter, mon bourreau n’aurait pas la tâche facile. Krystel avait balayé mon engagement comme poussière au vent, tant pis pour elle. Quant à notre espèce qui étais-je pour estimer agir en son nom ? Avais-je seulement envie de faire ainsi ? J’avais toujours servi mon Maître, même lorsqu’il m’avait ordonné d’en faire de même avec sa maîtresse Krystel et je m’étais appliqué à suivre son ordre. Mais à présent qu’elle ne voulait plus de mon engagement, il ne me restait plus que Lui. Ou plutôt l’espoir qu’un jour il parvienne à reprendre sa place à la tête de notre espèce. Il était celui qui avait vaincu le soleil et l’argent, défiant les dernières lois de la nature qui nous assujettissent implacablement encore nous autres vampires. Nulle légende jusqu’à présent ne faisait part d’un tel cas en dehors de lui, Augustus, notre Roi.

Remisant toutes mes réflexions et questions dans un coin de mon esprit j’observai le paysage qui défilait par la vitre fumée de la voiture. Nous longions le Clyde et je devinais à la signalisation que les abords du port seraient probablement notre destination. Aucun de mes contacts n’avaient l’habitude d’établir le contact ici, cela pouvait signifier une information cruciale tout comme renforcer l’idée d’un piège. Il me fallait me préparer indiciblement à combattre pour ma vie, par mesure de sécurité. Le véhicule sillonna entre les nombreuses zones du port jusqu’à atteindre une portion autrefois occupée par de nombreux entrepôts et ayant laissé place depuis une vingtaine d’années à de nombreuses habitations. Mon chauffeur du soir finit par s’arrêter devant l’une d’entre elles et m’indiqua de sortir et d’y entrer sans en dire davantage ni me regarder. Je m’exécutai donc et observai la voiture disparaitre au coin de la rue avant de faire de nouveau face à la porte d’entrée de la demeure en jetant un regard d’ensemble à sa façade. Volets des fenêtres clos, aucune lumière. J’en fis rapidement le tour pour constater qu’il en était de même pour toutes les ouvertures de la maison et revins donc devant la porte d’entrée avant de poser la main sur la poignée. Ouverte.

Un humain aurait pris une grande inspiration avant d’entrer, comportement sans aucun sens pour un vampire, pour ma part je me contentai de me préparer au combat puis poussai la porte et m’engouffrai à l’intérieur la refermant après moi. Les lieux étaient plongés dans le noir quasi-total aussi avançai-je avec prudence et sans un bruit, alors qu’un faible halo de lumière au bout du couloir semblait être une invitation. Prêtant l’oreille à un éventuel son j’en fis donc ma destination et parvins jusqu’à ce qui semblait être le salon de la maison. C’est là que je le vis, au fond de la pièce, debout et me faisant face.

En un instant mon esprit se vida tant le fait de le voir véritablement face à moi me frappa comme une claque. Mes pensées d’espérer son retour n’étaient qu’un fol espoir, mais à présent que cela était une réalité j’en étais bouleversé. Mon Maître était de retour. La seconde suivant mon arrivée dans la pièce, je posai un genou à terre et inclinai ma tête, regard au sol, pour le saluer comme autrefois.

Mon Roi. dis-je sans fioriture pour le saluer véritablement, encore choqué par son apparition mais sans savoir ce qui m’attendait.

Tout est en place. Le plan minutieusement préparé arrive bientôt à son terme. L'Empereur déchu est tombé depuis longtemps, mais la Reine Rouge le rejoindra en enfer. Tout est prêt. Mes pions sont placés dans son entourage, dans celui des plus hautes instances humaines. Il est bientôt l'heure de passer à l'action. Bientôt l'heure de récupérer mon dû.


La vengeance.


L'acier froid qui mord la peau. L'argent qui brûle les autres, mais ne me fais ni chaud ni froid. Je repense sans cesse à ce moment là. Le moment où j'ai failli mourir. Où je suis presque mort. Où je suis passé de l'autre côté de la conscience. L'Ecosse. Je ne me souviens même plus l'année. Ce territoire sauvage, dans les monts brumeux, pins et lande. Odeur de mort, perspectives de carnage. Les semis démons me l'ont assuré. Caim me l'a assuré en personne. Cette bataille marquera la fin. Mes généraux sont prêts, le mot est passé. Ce qu'il reste de mes meilleures troupes est présent. Anciens sergents d'armes, mousquetaires et dragons des temps passés, tous des guerriers, tous des tueurs transformés au cours des siècles. Des centaines d'entre eux. Il y a aussi les autres, les nouveaux nés. Masse inepte, qui s'effondrera en viscères sanguinolentes dès le début du combat. Au premier rang de l'armée ainsi assemblée se trouvent les miliciens humains du serviteur le plus zélé de ma Reine, Badenov. Des centaines d'humains. Tenues de combat noires, protections et fusils modernes. Visières abaissées.


L'enfer se déchaîne, les combattants sont fauchés. Coups de feu, explosions, bruit du feu dévorant et hurlements de loups, jappements, râles d'agonie. Je fauche les lycanthropes et les semi démons par poignées entières, jusqu'à ce qu'enfin, nous détruisions Lilith. Son corps parfait explose sous la pression de notre puissance conjointe. Puis vient le moment, le moment tant attendu. Caim et moi nous retournons l'un contre l'autre. Ma garde massacre la sienne, et il massacre ma garde. Je prends le sang de son hôte, ce sang pourri et vicié, alors qu'il m'épluche littéralement, millimètre après millimètre. Un hurlement couve dans ma gorge. Il faiblit, mais je faiblis plus vite. L'humain de compagnie de ma femme intervient, meurs et nous achevons le démon. Je suis détruit.


Et quand je me réveille, je suis seul, dépossédé. Le monde m'a oublié. Ma Reine m'a enfermé.


Bientôt, elle sera morte. Cette Humanité perfide sera mise en coupe réglée, et les vampires régneront sans partage. Krystel mourra, mais pas avant que je ne ruine son esprit comme son corps. J'ai tué son fils ; je tuerais ses filles. Je tuerais son servant, que je sens dans sa tête. Tout cela arrivera très bientôt. Personne ne s'y attend vraiment, tout le monde vit ses ambitions et ses échecs comme si de rien n'était, comme si la paix régnait. Ce soir, j'ai donné rendez vous à la pièce maîtresse de mon plan. L'alternative. Et il arrive, face à moi. Il fait noir, mais nous y voyons comme en plein jour. Il est surpris et me salue. Je ne souris pas.