Je lui avais répondu que nous nous retrouverions à Edimbourg, aux jardins de Princes Street. J'avais raccompagné Cora un peu plus tôt dans la journée, et j'avais eu le temps de faire venir Erin et notre matériel. De mon côté, j'étais plutôt minimaliste dans ma préparation, comme d'habitude par ailleurs. Un simple costume, classe et sobre sans qu'il soit trop serré pour m'empêcher de me mouvoir avec une certaine aisance et une rapidité le moins émoussée possible. Je disposais toujours de mon arme de service, sanglée dans un holster d'épaule à couvert sous ma veste. Je l'avais pris pour me rassurer et me couvrir en cas de pépin externe, puisque je savais que même si j'étais plutôt doté de réflexes rapides, je ne le serais jamais assez pour pouvoir combattre un vampire assez vieux et entraîné qui commencerait sa course à bout portant. De ce fait, Erin serait placée sur la tour de relais radiotéléphonique la plus proche, un peu au dessus de la galerie d'art moderne du centre ville. De là haut, équipée d'un bon champ de vision et d'une lunette de visée nocturne, elle serait à même de me couvrir sans pour autant qu'elle ne soit détectable. L'idée était de me protéger au cas où les choses tourneraient mal. Tout le monde et même les vampires ressent le besoin urgent de se jeter à couvert quand les balles se mettent à siffler sans que l'on n'en détecte la provenance. Equipée en 12,7mm chemisée argent, la belle espionne était largement capable de démolir un vampire en un seul coup de feu, même mal placé. J'espérais pour autant que le rendez vous n'était pas un piège et que nous pourrions tous nous en tirer en un seul morceau. La soirée s'annonçait profitable, il fallait juste que toute cette prudence ne tourne pas à la paranoïa et n'handicape les pourparlers. Je sentais que la beauté blonde devait etre venue me voir pour me transmettre des informations sinon pour m'offrir sa reddition. J'étais arrivé à l'avance, pour flairer les mauvaises surprises. Minuit moins dix. Elle allait bientôt arriver, si elle n'était pas elle même en train de fureter et de m'épier. Quoiqu'il en soit, Erin n'a rien aperçu non plus ; je l'entends taper deux fois contre son oreillette. Tout va bien, rien en vue.


J'attends encore et je m'assoies sur le banc le plus proche, éclairé par un réverbère au style ancien. Il y a quelques autres personnes dans ce parc malgré l'heure tardive ; des gens sont en train de faire la fête un peu plus loin tandis que des jeunes sur ma droite à peut être trente mètres sont assis en cercle dans la pelouse et semblent jouer à un espèce de jeu de rôle où il est question de loups garous. Depuis que les vampires se sont révélés, nombre de parcs municipaux ouvrent leurs portes la nuit, ne serait ce que pour éviter la désertion de zones à l'abri des regards en plein milieu de zones urbaines, endroits propices aux chasses des nocturnes. Même s'il n'y a pas beaucoup de gens, il ne semble pas pouvoir se passer ici quelque chose de dangereux tant le nombre de témoins potentiels pourrait s'élever à un nombre qui ravirait le premier procureur venu. Bref. Je la sens d'abord venir, avant de la voir pour de bon. Merci à Krystel pour cette espèce de sixième sens dont je profite depuis que je suis à son service. Je me lève et m'approche d'elle, un infime sourire aux lèvres. Je lui tends la main. Je constate qu'elle semble en un seul morceau ; elle doit donc continuer de tenir les furieux qui sont sous ses ordres, et je suis satisfait qu'elle soit venue seule et en personne, même si cela ne l'empêche peut être pas d'avoir recouru aux services d'une ombre mortelle, comme moi avec Erin. Je reste sur mes gardes, mais je fais preuve d'un degré relativement élevé de confiance.


| Bonsoir. Ravi de vous voir ici... J'allais vous appeler à nouveau « prêtresse », mais je pense que pour cette deuxième entrevue nous pouvons passer un cap plus avancé dans notre confiance mutuelle, vous ne pensez pas ? Gommez donc cet avantage que vous avez sur moi en connaissant mon nom sans que la réciproque ne soit vraie. |


Je tourne un regard amusé vers les jeunes gens un peu plus loin.


| Je crains que je ne puisse vous proposer un rafraîchissement dans les circonstances présentes. Mais si les nouvelles que vous m'apportez sont positives, peut être vous proposerais je de poursuivre nos tractations dans un endroit plus fermé et plus intime. |

La Mort. Rien que ce surnom, qui était approprié pour lui de bien des façons, aurait du me faire craindre cette nouvelle rencontre, avec celui que j'avais vu par deux fois jusqu'à présent. Et pourtant... Je me préparais, relativement sereine. Je risquais moins à me ranger à leurs côtés, qu'à continuer sur le chemin entrepris. Mon dédain pour les règles en vigueur consistant à se comporter envers les humains comme s'ils nous étaient égaux n'avait d'égal ou de plus impérieux que mon désir de survivre dans ma non-vie. Et les deux n'étaient pas compatibles.

Et mon... arrangement, si l'on pouvait qualifier cela ainsi, avec Guillemaud ne me permettait plus de jouir de la liberté que j'avais acquise à former les Sanguinistes sur ordre de Charles. Être surveillée, bien que pas en permanence - j'en étais persuadée au point que j'aurai pu en mettre mon coeur sous un pieu -, n'était pas réellement compatible avec des activités annexes telles que celle qui consistait à présider des soirées arrosées et dignes des orgies du Parfum de Süskind, de même envergure, uniquement plus sanglantes. Et un peu plus organisées, tout de même.

Mais trêve de digression. Je devais garder à l'esprit mon entrevue du soir, et la préparation adéquate. Le masque serait superflu, mais je tenais quand même à me présenter à Badenov en le portant. Paranoïa ou simple mesure de précaution dans l'optique qu'il envisage de me descendre sitôt qu'il verrait mon visage et connaitrait, de fait, mon nom - et aurait donc les informations nécessaires pour traquer mes frères, sœurs et mon créateur ? Très certainement les deux. Sans aucun doute, même. Je n’avais pas confiance, malgré ses belles paroles de possible rédemption, et je n’y croirais que lorsque je le verrai. Et encore…

Mis à part mon masque, je me vêtais assez légèrement. Et m’armais de la même manière. D’un seul poignard. J’étais agile et rapide, et je n’aurai, je le savais, de chance qu’en combat rapproché. Ou du moins, je le pensais. Je ne devais pas sous-estimer Badenov, et encore moins sa prévoyance – cet entretien était loin d’être anodin, et nul ne savait quelle tournure il pourrait prendre. Ni lui ni moi. Et aucun de nous ne devait être prêt à prendre de risques inutiles. Même si, personnellement, je n’assurais pas mes arrières. L’avait-il fait, lui ? Je n’en avais aucune idée. Mais il était entrainé, et il n’aurait pas manqué de se dissimuler et de dissimuler ses acolytes de manière efficace. Qui avais-je, moi même, de susceptible d’effectuer cette tâche ?

Les… proches qui m’appréciaient étaient rares. Pas inexistants, mais pas au point de leur accorder ma confiance, ou même de leur confier une telle chose. Aliénor ? Pour peu qu’elle en saisisse l’opportunité, elle aurait pris l’initiative de précipiter ma véritable mort à ce que j’en sache. Spencer ? Si ça avait été mon style, j’aurai rit à gorge déployée à cette idée. Lui aussi, m’aurait vendue plutôt que de me secourir. Et Alexei ? Quel intérêt aurait-il eu à agir comme ça, si ce n’est de préserver sa source de sang ? Aucun. Non, je n’avais définitivement personne sur qui m’appuyer pour un tel service. Et je ne voulais guère que ça soit le cas.

J’arrivais en avance. Pour être préparée ? Pas le moins du monde. Pour me dissimuler à proximité du lieu de rendez-vous, et ne pas me faire surprendre s’il arrivait après moi. Question de logistique, et d’avoir le dessus. Je ne prêtais pas attention à la populace vulgaire et peu attrayante autour de nous, en me dirigeant vers lui – bientôt, leur sang serait presque remplacé par de l’alcool, et leur stupidité décuplée. Quant à ceux en cercle… On aurait dit une secte. Peut-être était-ce le cas. Encore des illuminés.

Il se leva alors que je m’approchais. Dans quel but ? Je restais impassible, mais son sourire bien que minimaliste m’apparaît étrange, de même que la main qu’il me tendait. Cela ne m’empêchait pas de reproduire son geste, pour ne pas le laisser attendre en suspend – mon but n’est, de toute évidence, pas de lui être hostile, et ne pas avancer ma main passerait pour tel. Faire fi de ma méfiance n’est pas possible, mon masque le prouve, mais ne pas la manifester à l’excès en refusant tout contact est nécessaire.

« Bonsoir. De même. Mettons que je réponds au nom Caroline Smith. »

Ce n’était pas faux, en soit… Mon nom humain. Que je ne portais plus depuis des années, sauf au regard de l’entreprise de mon défunt mari, sous prétexte d’être une descendante de celle que j’étais, à qui on a donné le nom de son ancêtre pour l’honorer. L’ironie de cela m’était doucereuse, en sachant que ma belle famille à l’époque m’avait mise à ma rue, et laissée à ma déchéance… Oh, je n’aurai pas cultivé mon amour des manigances et de la manipulation sans eux, pas plus que je n’aurai été celle que je suis aujourd’hui, âgée d’un peu plus d’un centenaire, je devais leur en être redevable… j’imagine. Autant qu’eux devaient l’être, car je leur avais épargnée une vie d’idioties.

Il ne pourrait, en l’instant, faire le rapprochement… Sauf si quelqu’un le faisait pour lui. Mais dans l’immédiat, je ne pouvais paraître que sincère – je disais la vérité après tout, même si lointaine et erronée. Il saurait ma réelle identité plus tard. Quand il m’aurait prouvé ne pas avoir à me méfier.

« Même assoiffée, ce que j’étais, en soi, je ne toucherai guère à leur sang vicié. Mais je vous suis reconnaissante de l’attention. »

Et sceptique, incroyablement sceptique.

« Commencer par vous livrer le nom de mon créateur – et de fait, indirectement, mon nom d’usage. Ce serait un bon début, n’est-ce pas ? »

Une proposition, mais pas un réel partage d’informations. Pas directement, du moins. Peut-être saisirait-il ce que ma phrase impliquait. Que le nom que je lui avais donné était mien, mais pas celui dont je faisais usage tous les jours. Qu’à partir de lui, il aurait bien plus d’information sur moi que quiconque. Qu’il pourrait y rattacher bien des choses. Charles ? Pas nécessairement. Il était intrinsèquement lié à lui, de toute évidence, car c’était ainsi qu’il m’avait connue avant de me transformer – quand je ne me jouais pas de la noblesse de l’époque en cherchant à extorquer à ces messieurs une infime partie de leur richesse, évidemment. En somme, je lui donnais de grain à moudre, mais toujours avec prudence et retenue. Et en attendant de savoir ce qu’il désirait plus en détail.

Spoiler:

Je prenais un air pas spécialement détendu, mais absolument pas apeuré ou stressé. Je suis professionnel. Pas détaché ; concentré. Je l'observe, je la dévisage. Mon regard ne la lâche pas. Mon instinct ne hurle pas aux limites de ma conscience : je ne me sens pas directement menacé. Bien. Je pourrais donc terminer proprement mon travail, ce qui était toujours bon à prendre et évitait bien sûr de passer par de sempiternels détours. Irritant, quand on se place comme il faut, quand on a instillé le mensonge et la vérité, et que toutes les pièces sont bien en place. Non, pas cette fois ci. J'osais espérais, je sentais presque à vrai dire, que je n'aurais pas de difficultés ce soir. Difficultés était vague et imprécis, ce qui me convenait très bien par ailleurs. Parfois, de simples contretemps. Et à d'autres moments, un carnage complet et imprévisible. Voilà pourquoi je ne sortais jamais sans quelques munitions et autres joyeusetés. Qu'elle vienne masquer me déplaisait quelque peu, cela brouillait son jeu plus que ce à quoi je me serais attendu. Calmement, j'analysais son attitude, et cela pouvait aussi bien vouloir dire qu'elle refusait ma proposition ou qu'elle préférait se laisser désirer quelque peu, entretenir le suspens sur son identité. Je n'étais pas homme à faire des concessions ; il me faudrait une excellente raison pour lui en faire à ce stade là de confiance entre nous. Cela dit, son jeu était masqué mais son intention limpide. Elle ne voulait pas m'abandonner le contrôle de cet échange, de cette conversation. Elle ne se révélerait que si elle le jugerait utile, quand elle le jugerait utile. J'acceptais cela, pas comme un compromis mais comme un amuse bouche. Si j'en avais assez des contretemps j'étais tout à fait disposé à affronter un minimum de résistance, qui donnait toute sa beauté à la réussite.


Ce soir, j'offrirais le cœur de la rebéllion des sanguinistes sur un plateau.


La belle blonde était assez légèrement vêtue, ne ressentant pas le froid de l'hiver. D'une classe et d'une sensualité certaine mais discrète. Etait ce dans ses intentions de me séduire ? J'en doutais. Mais comme nombre de vampires, la belle a pris l'habitude de charmer doucement ses interlocuteurs à leur propre insu. Du moins le suspectais je. Armée ? Rien ne me permettait de le confirmer, mais rien de l'infirmer non plus. Je préférais partir du principe que oui. Arme blanche, fine et courte. Faite pour tuer d'un seul coup de la pointe. Je notais l'information pour me préparer à cette éventualité. Mieux valait prévenir que guérir. La vampire prend ma main et me la serre sans rien de particulier ; elle semble simplement peu familière de ce genre de salut assez formel. Une ombre de sourire passe sur mon visage.


| Enchanté, Mrs Smith. |


Bien sûr qu'il ne s'agit pas de sa véritable identité. Je ne tire pas de conclusion hâtive de ce nouveau masque ; je n'ai pas assez d'informations pour pencher d'un côté ou de l'autre de la balance. La vampire jette un regard dénué d'intérêt aux humains qui nous entourent à une distance raisonnable. Mon sourire se fait légèrement plus prononcé.


| Je vous comprend. L'un d'eux prend de la drogue, et tous de l'alcool. Ils n'auraient qu'un piètre goût pour des papilles aussi anciennes et aussi raffinées que les vôtres. |


Une étincelle d'intérêt s'allume dans mon regard. Le nom de son créateur et son nom d'usage. Un bon début. Oui, elle n'a pas tord. Mais elle n'a pas encore saisi qu'elle ne peut transiger avec le pouvoir royal. J'incarne Krystel et sa force. Une Reine n'a pas de place pour la demie mesure.


| Vous pouvez commencer par cela. Mais vous savez aussi bien que moi que ce n'est pas tant pour cela que vous vouliez vous entretenir avec moi que pour me donner votre décision. Si je devrais deviner, je dirais que vous acceptez. Autrement, intelligente comme vous êtes, vous auriez choisi un autre endroit. Pour m'atteindre, pour me prendre. Vous savez qu'il n'y a pas de meilleur point de pression sur votre Reine que son servant humain. Vous ne m'auriez pas tué, non. Vous m'auriez... Vous auriez titillé sa curiosité, vous lui auriez fait parvenir un message. Que vous pouvez l'atteindre. Mais nous voilà ici, à cette heure, au milieu d'un parc animé. Je ne vois ni n'entend, ni ne sent, aucun autre vampire à proximité. Vous trichez peut être, ou peut être que j'ai vu à côté. Cela arrive, parfois. Je suis moins doué pour la politique que pour la... Que pour d'autres choses. Vous me détrompez, ou pouvons nous avancer? |


Je m'approche, sans peur. Je réduis mon seul avantage sur elle ; la distance. Distance qui me permet de dégainer et tirer, ma seule chance de l'abattre si on en vient aux mains. Je réduis et perturbe le champ de tir d'Erin. Je ne l'entends pas maugréer dans l'oreillette, mais je sais ce qu'elle pense. Elle et moi sommes pareils. Je montre à la vampire que je n'ai pas peur, que je suis sûr de moi. J'incarne sa Reine ; je ne suis pas n'importe qui. Et si je n'ai pas peur... Que doit elle ressentir, elle? Je sais qu'elle peut me tuer, me briser en un seul instant. Mais le propre de la monarchie, c'est la certitude de son pouvoir et de sa légitimité

Ni prétention ni relâchement distinct et présomptueux ne m’apparaissent, alors que je le jauge. Confiant mais pas effronté. Ce n’était pas pour me déplaire. Il ne me sous-estimait pas, et n’envisageait pas que je lui serai servie sur un plateau d’argent. Que je me servirai à lui sur un plateau d’argent – bien que ça soit le cas. Nul doute qu’il connaissait bien les miens, pour agir ainsi. Les nôtres ? Se prenait-il pour l’un de nous ? En était-il proche, par son essence ? Une question pour laquelle je n’avais pas tranché dans un sens ou dans l’autre. Mais elle n’avait pas lieu d’être actuellement. Non, son attitude était nettement plus importante. Outre le respect qu’il laissait percevoir, ou ce qui pouvait s’y apparenter, et ce peut-être pour endormir ma méfiance, je ne pouvais considérer son attitude pleinement franche et nullement menaçante. Première leçon de survie en milieu potentiellement hostile : ne pas sous-estimer son adversaire et ne pas gager que son comportement est favorable à une conduite pacifique. Force m’était de constater que c’était, en l’instant, le cas. Non sans incrédulité. Cela ne me rassurait guère. Instillait encore davantage la méfiance en moi.

Inutile de me concentrer sur l’impossible à déceler. Sa tenue, sa posture, pouvaient m’en dire beaucoup. Il n’était pas un intrigant, il me l’avait dit lui-même précédemment. C’était un homme de terrain, rompu à la prudence et à se préparer à l’extrême. Je ne pouvais envisager qu’il avait laissé au hasard plus de part que nécessaire. J’observais alors, gardant le silence. Sa force brute, naturelle, ne lui serait guère suffisant si confronté à moi. Quelles ressources avait-il à sa disposition ? Rien qui n’était pas savamment dissimulé. Rien qui devait m’apeurer – ne pas relâcher l’attention, mais ne pas céder à la pure paranoïa incontrôlable et qui me priverait de ma raison et de ma réactivité. Il était assurément armé, et sans sous-estimer cette évidence, je ne la laisserai pas m’atteindre.

Enchanté ? Une formule creuse, sans nul doute. Une excellente parade à une réaction plus naturelle face au nom que je lui ai donné. Son sourire ne m’amadoue pas, contrairement à sa capacité à savoir les substances consommées par les êtres pathétiques à proximité. Simple sens de l’observation, ou l’influence de son lien avec ma, nôtre, Reine ? S’il n’était pas réellement associable à notre espèce, et ma connaissance de l’étendue de ce qui les unit Krystel Raybrandt et lui est bien trop faible pour en juger – à mon grand déplaisir -, je ne pouvais que présumer d’une influence d’elle sur lui, qui lui aurait permis de déceler plus précisément ce genre de choses. Rien de concret, et rien que je n’expérimenterai un jour. Des suppositions, rien de concluant et rien qui ne me serait utile. Si la surprise ne transparait pas sur mon visage, pas pour l’instant, elle est sans nul doute bien présente. Ne pas le sous-estimer en est d’autant plus essentiel. Je ne peux savoir l’étendue de ses capacités, ni même si réellement la nature de sa relation avec le plus haut maillon de la hiérarchie vampire lui en apporte davantage. Je n’en suis que plus vulnérable et en danger – malgré mes avantages premiers incontestables.

Un ersatz de sourire apparaît finalement sur mon visage, alors que mes propos touchent leur cible. De l’intérêt. Un pas dans la bonne direction, légère victoire mais bien réelle comme me le prouvent ses yeux moins impassibles. L’artifice qui avait pris place sur mes lèvres s’élargit, devenant par là même bien plus sincère. Sciemment ou non, il diminuait ses capacités, les réduisait à quelques faits et compétences. Mais il était bien plus qu’un ange vengeur. Je ne pouvais estimer leur étendue, mais ses capacités analytiques n’étaient pas en reste. Sans nul doute qu’un bête exécuteur n’aurait pas pris la peine d’anticiper ma décision, de chercher les conséquences de ma présence ou même d’évaluer les potentielles actions que j’étais en mesure de faire. Il n’était peut-être pas doué comme il le prétendait, mais il n’était pas novice non plus. Badenov ne cessait de me surprendre – confirmant par la même la nécessité de ne pas me reposer sur mes lauriers. Rien n’était acquis, ma rédemption moins que tout.

« Charles Lachlan. Mes semblables et ceux parmi lesquels vous évoluez n’auront pas manqué de le voir combattre durant les années sanglantes. De me voir combattre à ses côtés – aux côtés de sa progéniture, de la leur et de la mienne. »

Premier risque. Calculé, mais non négligeable. Partager mon identité lorsque j’étais encore humaine était… dérisoire. Pas sans conséquence ni sans danger, mais contrôlé. Partager l’identité de Charles… Bien plus dangereux. Bien plus perturbant, et déplaisant. Le dévoiler équivalait à m’exposer pleinement – mon existence n’était clairement pas inconnue, sans quoi je n’aurai pas rejoint l’armée de la reine. Je n’avais pas grande importance, mais je m’étais tout de même fait remarquer. Tout pouvait naître de cela, du positif comme du négatif. Une estimation de mes aptitudes au combat comme trop dangereuses, ou au contraire y voir un atout. Mon contrôle, la perfection de ce dernier et de ma maîtrise des armes, bien que pas imperfectibles – aussi bien une menace qu’une arme parfaite en lui-même.

« Nul désir en moi de vous contredire, ou de corriger votre analyse. Ma présence ici va de pair avec mon acceptation, il n’en va pas autrement. »

Les dés étaient jetés. Mon identité offerte en pâture. Seul persistait mon masque, comme maigre barrière. Dérisoire. Inutile. Et pourtant. Je ne le retirais pas encore. Attendre sa réaction, voir si sa compréhension était optimale ou si des zones d’ombre persistaient. Ne pas présumer de la clarté de mes propos, ne pas me soumettre à mes impressions peut-être erronées. Rester sur mes gardes, encore et toujours.

La prêtresse, qui m'a donné une fausse identité, n'a jamais été aussi proche physiquement de moi qu'à cet instant précis. J'ose espérer qu'elle ne tentera rien, mon expérience autant que mon instinct me le soufflent sans détour, mais le passé a montré que je ne pouvais prétendre à l'infaillibilité en matière d'entrevues de ce genre. Non sans ironie, j'imagine qu'Erin s'est déjà adaptée à ce bouleversement de la situation d'engagement telle que nous l'avions convenue l'un avec l'autre. Je l'imagine très bien me tirer dessus pour atteindre la vampire si celle ci franchit le peu d'espace qui nous sépare toujours. Enfin, je le pensais avant de me souvenir qu'elle avait emporté de quoi estropier un éléphant. Me prendre une bastos de 12,7mm ça laisserait des traces... Et si effectivement la vampire allait probablement clamser j'avais de très fortes chances d'exploser de la même manière, immonde et dégoûtante, laissant des morceaux là où elle laisserait des fluides. Ragoûtant, vraiment. Je me renconcentre sur la vampire ; ici se joue une part non négligeable de l'avenir de la monarchie vampirique, de l'avenir de ma Reine bien-aimée et du mien également. Je n'ai pas le droit à la moindre erreur de jugement, et je suis donc pleinement ouvert à ma Reine pour puiser dans sa propre expérience et sa sagesse. Elle même est occupée ; la chose est difficile. Je n'abandonne pourtant pas. Je sens la vampire relativement fermée ; elle est clairement sur la défensive. Je ne sais pas si je peux faire quoi que ce soit pour la forcer à s'ouvrir ou à se détendre mais cela importe peu, finalement. Seul compte le message que j'ai à lui transmettre, et même au delà de cela ce qui compte c'est la réponse qu'elle compte formuler qui importe vraiment.


La belle continue de me jauger, sans doute notre petit jeu de pouvoir n'a t'il jamais cessé. Peut être que cette entrevue n'est pas ce que j'attends vraiment mais qu'une simple occasion d'en apprendre plus sur ce qu'il se passe. Je reste méfiant, moi aussi. On ne sait jamais ce que peut abriter l'esprit aiguisé d'un vampire vieux de plusieurs décennies si ce n'étaient plusieurs siècles. Il faut un moment pour que je lui tire ne serait ce que l'ombre d'un sourire, et aucun moyen de savoir si c'est bon ou mauvais signe. Son sourire se fait plus prononcé alors qu'elle me regarde toujours. Elle lâche le nom que je mémorise presque instantanément. Je ne suis pas homme à oublier une donnée aussi importante en pleine mission. Charles Lachlan. Cela ne me dit rien, mais je ne peux prétendre à une connaissance encyclopédique de l'espèce vampirique. Ce qui m'intéressait plus, cétait qu'elle venait de me révéler avoir sa propre descendance qui elle même s'inscrivait dans une lignée aux ramifications apparemment importantes.


| Vous me confirmez que l'idée de cette Fronde contre la Reine Rouge est la sienne, et que vous n'êtes qu'une espèce de sous traitante dans cette affaire? |


Il allait falloir creuser l'information de la descendance. Et si possible, capturer et soumettre à la question ce Lachlan. Si elle dit vrai, nous devrons l'exécuter. Si elle ment... Peut être que le laisser en vie ne serait qu'une épée de Damoclès de plus au dessus de sa tête. L'un comme l'autre me convenait, mais j'allais devoir en discuter avec ma Reine. Je note cependant que l'information a l'air véridique, ce qui n'augure que du bon pour la suite. Jamais un vampire n'aurait donné le nom de son créateur à un ennemi potentiel si cet ennemi n'allait pas se transformer en allié... A moins que ce double jeu que je suspecte toujours est bel et bien à l'oeuvre ? Peut être est elle en guerre contre ce Lachlan, créateur ou non, et qu'elle compte bien sur mon action pour s'en débarrasser. Je dois agir avec prudence et sans précipitation. La belle me confirme finalement qu'elle accepte ma proposition. Mon sourire s'accentue et devient franc, pour la première fois de nos rencontres.


| Ah, voilà qui va ravir notre Reine ! Je suis ravi de votre choix, je ne vous le cache pas. Encore qu'il reste une question épineuse à régler. Votre loyauté. Voyez vous il y a quelques semaines encore vous travailliez dans l'ombre pour provoquer un conflit aux proportions apocalyptiques et ourdissiez complots et traîtrises contre vos dirigeants. Je pense qu'il faudrait leur envoyer un message fort pour éviter pour de bon le billot, ne croyez vous pas ? Une action d'éclat. Quelque chose qui permettrait de ne plus jamais remettre en question votre loyauté... Il reste l'épineux problème, bien sûr, de toutes les ramifications de votre organisation. Et du fanatisme de vos suivants. Comment comptez vous régler pour de bon cette question, pour la gloire de l'Empire de la Nuit? |


Un test, encore et toujours. Et probablement le plus important de tous.

De par notre proximité, l’odeur de son sang envahissait pleinement mes sens, quoi que j’essaye d’en faire entièrement attraction. Je pouvais repousser ma faim et mon désir pour ces veines que je sentais palpiter. Je devais garder l’esprit clair, et il était tout bonnement hors de question que je succombe à ces pulsions que j’avais depuis bien longtemps appris à contrôler. Si ce rapprochement m’avait intriguée, m’intriguait encore, je ne pouvais faire abstraction des avantages indéniables qu’il m’offrait si Badenov essayait de se jouer de moi. Proches, mais pas suffisamment pour entraver mes mouvements, pour m’empêcher de saisir mon poignard et de tenter de le lui planter dans le cœur s’il voulait me nuire. Oh, il pourrait sans nul doute riposter et me mettre à mal si je parvenais à l’atteindre, si tant est qu’il lance une offensive et menace ma survie. Je ne pouvais toutefois croire que cela soit son but. Si tel était le cas, pourquoi se retrouver ici, pourquoi perdre son temps ? Pourquoi ne pas envoyer un vampire plus âgé et hautement dangereux à ma poursuite ? Il leur aurait été facile de mettre fin à ma seconde vie, et même de justifier cela si ça venait à être remarqué et dévoilé – dissidente, je l’étais, et traitresse aussi, après tout. Ainsi, malgré ma méfiance naturelle, je ne pouvais réellement me convaincre que le but de la monarchie vampirique était de se débarrasser de moi.

Sa question ne me fait ni chaud ni froid, ne me prend pas au dépourvu. De toute évidence, ils voudraient en savoir plus. Mais concernant cela, ça n’était pas un mensonge. Pas l’entière vérité, mais cet acte vindicatif à l’encontre de la Reine Rouge était bel et bien un ordre de Charles. Les libertés concernant l’étendue du mouvement… Un mélange de ses directives, mes décisions, et les influences de ses rejetons vampiriques les plus indignes. « Vous en avez ma parole. L’instigation de tout cela lui est imputable. La forme… un mélange d’influences diverses. » Saisirait-il toutes les gouttes que je distillais progressivement ? La proximité de Charles avec sa progéniture, avec nous, et celle qu’il exigeait entre nous ? Le fait que, si j’avais été mandatée pour exécuter cela, mes frères et sœurs, neveux et nièces vampiriques n’y étaient pas étrangers ? La seule inconnue serait l’implication de quelques têtes étrangères à notre fratrie. Inconnue pour le moment…

Il le saurait tôt ou tard, de lui-même ou par moi, de toute évidence. Comment accueillait-il toutes ces informations ? Je ne le savais pas. Son visage ne me révélait rien, pas plus que son corps ne le trahissait. Son contrôle allait de pair avec le fait qu’il soit de toute évidence rompu à ces exercices, et s’en sort très bien. A-t-il été formé par la Reine ? Il ne fait sans aucun doute qu’elle même doit être familière de ce genre de choses, d’autant plus par sa nature de vampire. L’impression qu’il fait sur moi est favorable mais aussi inquiétante. Il a plus d’un tour dans sa poche, et le sous-estimer ne serait conseillé à personne. Je ne peux m’empêcher de faire taire légèrement ma méfiance, malgré tout, lorsqu’il me sourit – tout aussi franchement que moi, quelques instants auparavant. Est-ce un rôle, un piège, un moyen de me pousser à en dévoiler davantage que ce que je ne l’aurai souhaité ? Il est bien trop tard pour reculer encore, alors qu’il questionne à nouveau ma loyauté. Je m’approche davantage, nullement menaçante, et enlève mon masque de manière à ce que lui seul voit mon visage, voit celle que je suis dans son entièreté. « Freyja Swayne prêtera pleinement et amplement serment à sa Majesté, en lieu, date et heure de son choix. »

Je me sens nue, et incroyablement vulnérable malgré mes capacités innées, ma force et mon entrainement à manier plusieurs sortes d’armes. Nul mur ne s’érige plus entre la Mort et moi, nulle protection ne m’isole plus. Je suis à sa merci, autant qu’il est à la mienne. « En ce qui concerne cet épineux problème… Seule une poignée de personnes, parmi l’organisation, est susceptible de la faire pérenniser – l’une d’entre elles s’est retirée et j’ose supposer qu’elle n’en fera rien, et quant aux autres, il s’agit de autres enfants de mon créateur. Et avec que vous ne vous le demandiez, je n’ai guère d’affection ou de loyauté envers eux, comme celles que je ressens pour mon créateur – que je vous vends malgré tout. Le seul moyen de freiner l’expansion des Sanguinistes est de mettre fin à leur seconde vie. Ce que mon créateur, connaissant le peu de considération que j’avais à leur égard, m’a interdit. »

Les dés sont jetés, Charles et les autres vendus sur un plateau d’argent encore davantage que moi.

Contrôler chaque mot, chaque information, distiller savamment chaque détail partagé, me compromettre tout en sauvant le reste de ma non-vie au maximum. Un exercice difficile, éreintant, et qui nécessite une concentration extrême. Jongler intelligemment entre l’indispensable, la paranoïa, la confiance minime, et l’essentiel pour m’assurer d’être perçue comme utile, le tout en ne manquant pas de vue le fait que Badenov pouvait se jouer de moi et m’amener à la perdition. Nous étions deux pions de même couleur sur un échiquier bien plus vaste, cherchant à gagner le maximum de terrain avant de capituler et se faire écraser pour protéger les pièces disposant du pouvoir et dont la survie était indispensable. Mais j’étais déterminée à faire de ma personne un élément primordial pour la famille régnante, et à ne pas être quantité négligeable. Si tant est que l’on ne m’achevait pas sitôt les informations souhaitées récoltées… C’était un risque non négligeable à prendre, avec de multiples précautions. J’aurai porté une armure blindée que ça n’aurait peut-être pas été suffisant.

Ne le quittant pas des yeux, analysant chaque mouvement suspect, j’essayais de deviner ses réactions à mes paroles, à mes aveux, mais la dissimulation était une seconde peau chez lui, un masque comme ceux que je venais d’ôter, m’offrant en pâture à sa merci, et surtout à celle de la reine et à la capacité de la Mort de la convaincre de l’utilité que j’avais pour elle. J’esquissais un nouveau sourire, en l’entendant – me demander des noms, en mêlant menace et récompense, salvation potentielle associée à des représailles de la monarchie vampirique peu plaisantes. Il avançait ses armes intelligemment, et gérait très bien les nombreux plans sur lesquels nous avancions. J’avais face à moi un adversaire à ma taille, et si ma tête n’était pas en danger, j’aurai pris pleinement plaisir à ce jeu. Une autre fois, peut-être.

« J’en ai plusieurs, la progéniture de mon créateur est nombreuse, et c’est sans compter la progéniture de sa progéniture. Plusieurs sont plus âgés que moi, et libérés de son emprise – les plus jeunes n’ont pas encore atteints cette marque de confiance. Le plus redoutable, bien qu’il n’ait que brièvement pris part à l’action des sanguinistes, est Sergei Ivanov. Le plus redoutable, à surveiller quand vous mettrez fin aux jours de Charles, par ailleurs. Il a un goût pour le carnage bien prégnant, et seul notre mésentente l’a éloigné de nos petits évènements. Mais il ne veut aucun bien à sa Majesté, et à sa lignée. Outre la descendance de mon maître, un vampire a assisté à nos réunions depuis ses débuts, quoi qu’il s’en soit éloigné et veuille se persuader qu’il peut refreiner la part de chaos et de carnage présente en lui, Spencer Yates. Quoi qu’il ne nuirait pas à la Reine, à l’inverse de Sergei. »

Les deux étaient retors, mais de manières bien différentes. Spencer me semblait bien moins vindicatif que Sergeï, qui dans la folie de sa jeunesse vampirique se serait attaqué à la monarchie vampirique de lui même et seul, si Charles ne le lui avait pas interdit. Il n’aurait eu aucune chance et aurait été arrêté avant même d’avoir aperçu ne serait-ce qu’une mèche de cheveux d’un garde des lieux, mais en aurait fait la tentative, sans le moindre de doute. Et se serait fait assassiner. Je souhaitais garder ce plaisir pour moi, mais s’il en venait à succomber dans une action aussi stupide, ce serait tout de même plaisant, très plaisant.

J’acquiesce d’un léger signe de tête. Sa Majesté, rayonnante ? J’avais du mal à adhérer à cette idée – elle était confronté à un groupe de dissidents, ouvertement opposés à elle, et elle accueillerait avec joie la dissolution de cette faction, au point d’en rayonner, en faisant fi de l’affront qui lui avait été fait ? L’idée me laissait sceptique, mais je restais de marbre – je ne pouvais plus reculer, je n’aurai qu’à me soumettre à son courroux, à courber la tête, et à espérer qu’il n’implique pas ma mort véritable. Me reconcentrant sur le discours de mon vis-à-vis, je m’efforçais de rester impassible à l’annonce de la destruction de mon créateur. C’était indispensable, mais ma loyauté forcée aussi bien que réelle ne pouvait me faire accueillir cela sereinement. J’optais pour une franchise totale – un pas de plus vers une passerelle entre eux et moi, l’établissement d’un lien de confiance, dans la mesure du possible.

« Je ne prétendrai pas être indifférente au sort qui sera, de droit, imposé à mon créateur, mais je m’efforcerai dans la mesure du possible de faire fi de tout sentiment personnel à cet égard. Pour vous assurer de ma loyauté, je suis prête à renoncer à ma liberté le temps que vous le trouviez, car la confiance n’est, sans doute aucun, pas de mise de vous à moi actuellement, et ma parole ne suffirait pas à vous convaincre que je ne le mettrais pas en garde. Vous ne devez pas être sans savoir que le lien entre un créateur et son enfant est fort, et que lutter contre lui est extrêmement difficile voire impossible pour les plus faibles d’entre nous, aussi je comprendrais le caractère primordial de cette restriction. Quant à l’élimination de chaque cellule et personne ayant juré allégeance à ce mouvement, tout cela me semble convenable, oui. »

J’aurai pu ajouter que cela me semblait justifié, mais mon opinion importait peu. Je devais leur apporter des informations utiles et nécessaires, tout en gardant ma place, et obéissant à ce que l’on attendait de moi. Ne pas outrepasser ma position était crucial à ce moment, si je voulais réellement espérer atteindre la rédemption, et que ma survie ne soit pas compromise. Certaines informations, toutefois, devaient leur être communiquées afin qu’ils ne soient pas pris de court, et que leur préparation soit efficace, effective, et adéquate.

« Sachez toutefois que certains de ces dissidents sont assez âgés – bien plus que moi pour certains. Et expérimentés. Tout comme moi, les enfants de mon créateur ont été entrainés pour combattre en vue des années sanglantes – notre créateur était un visionnaire, si l’on peut le qualifier de tel. Quant aux autres… Un vampire qui se repose sur ses lauriers ne fait pas long feu, ils sont donc prudents. »

Je continue de la jauger, sans perdre une seule miette de ses réactions physiques, de ses mots, de ses regards. Il convient à ce moment là de m'interroger sur le but que je poursuis ; j'anticipe sans avoir l'avis de Krystel sur le sujet, mais je sais qu'elle serait plus que d'accord avec mes efforts de démantèlement des sectes sanguinistes. Le seul impératif que j'aurais sans aucun doute de sa part, serait avant tout de le faire intelligemment, de ne pas faire en sorte d'induire l'émergence d'une nouvelle menace qui découlerait de l'abattement de la première. Pour se faire, j'avais comme unique impératif, bien que complexe, de devoir faire en sorte que personne à part la monarchie vampirique n'en retire avantage, de ce démantèlement. C'était quelque chose qui demandait une prudence d'action extrêmement forte ; il fallait que je fasse preuve d'une extrême prudence dans ma façon d'agir, que je pèse le pour et le contre de chaque décision, de chaque mouvement de mes pièces sur l'échiquier. Je devais éradiquer une organisation tentaculaire sans attirer le plus petit mérite sur d'autres acteurs politiques chez les vampires que sur la Reine elle même. Cela excluait l'appui de Guillemaud ou de Jana ; ils avaient tous deux un poids politique et militaire bien trop important pour être négligé et pour qu'ils ne retirent aucun bénéfice de l'action. Je réfléchissais, pourquoi pas, à l'opportunité de donner un rôle à jouer à Morgane. Ce serait là un mouvement intelligent mais délicat ; je devais faire en sorte de manœuvrer pour pouvoir m'éviter d'avoir l'air de passer par dessus la tête des deux premiers sus-cités. Habile et intelligent ; j'allais devoir me surpasser dans ce travail de mort de masse. Je n'aurais jamais pensé dix ans en arrière que tuer autant de gens pouvait être aussi compliqué. Compliqué... Pas difficile. Erin et moi étions performants, tout comme nos quelques équipes. Nous ne pourrons jamais abattre tout le travail par nos seuls moyens mais les choses pouvaient aller vite. Quoiqu'il en soit, je remarque que la vampire dilue toujours autant ses informations au compte goutte. Intelligente. Je dois la pousser pour avancer, là je n'ai plus le temps.


La vampire sourit. Je pense l'impressionner mais je ne suis pas sûr. Pour en arriver là, elle a probablement une longue expérience des relations avec les humains et si cette expérience s'est bâtie sur le modèle d'une déconsidération des humains vus comme du bétail, je dois alors l'étonner au plus haut point. Pourtant, je ne suis qu'un serviteur, je brade mon libre arbitre à une personne que je reconnais volontairement comme ma supérieure en tous points, en statut comme en nature. J'accepte cela. Et si elle veut survivre, elle va d'avoir l'accepter aussi. Je note ce qu'elle dit. Est ce que l'un de ces deux là est la fameuse taupe qui a irrigué les cadres de la monarchie d'informations même limitées sur la secte?or=white]Ceux qui ont un rapport actuel direct avec la secte ne seront pas surveillés. Ils seront exécutés. Tous. Le prix de votre liberté et de votre survie est fixé à tout ce sang. Ceux qui ne font pas partie du mouvement à proprement parler, qui ne prennent pas ou plus part à vos petites réunions, seront épargnés s'ils ne forment aucun danger à l'encontre du pouvoir royal. Si c'est pourtant le cas, alors ils seront tués également. |


[i]Bien sûr, le gouvernement de John Hood surveillait les vampires ; en faire disparaître plus ou moins facilement et proprement sera suspect. Il faut que nous trouvions dès lors une réponse, une raison. Je notais mentalement de contacter Morgane pour en parler avec elle, voir si elle pensait que ce serait pertinent de prévenir le premier ministre ou en tous cas prévoir la stratégie de communication à adopter. Finalement, les choses étaient encore un peu plus compliquées que ce que je pensais. Mais toujours pas irréalisables. Prudence et discrétion. L'apanage du fantôme, bien sûr. Je me demandais qui était cet Ivanov, et ce qu'il voulait. Tout comme Yates. Je me demandais en fait ce qui motivait les dissidents. Quoi, ils étaient passionnés de démocratie ? Ils se sentaient contraints ? C'était n'importe quoi. Dans l'histoire, il n'y avait eu aucune monarchie de plus stable que celle ci, et de moins écrasante. Certes, la peine de mort était monnaie courante. Mais n'importe qui pouvait faire n'importe quoi de son éternité autrement. Pour moi, ces dissidences s'apparentaient à des caprices anti-sociaux nés de pulsions malsaines chez des vampires qui n'avaient pas la plus petite once d'intelligence et de notion de pouvoir. La vampire me dit qu'elle n'était pas indifférente au sort de son créateur, ce qui étrangement ajouta à mes yeux quelques crédits à son endroit. J'hochais la tête, satisfait de la proposition. J'essayais de déceler un piège éventuel sans être capable de le voir. J'accepterais. Mais de mon côté je prendrais mes précautions pour faire en sorte que les choses se déroulent bien.


| D'accord, l'affaire est donc entendue. Les sanguinistes connaîtront leur hallali sous peu, le temps d'organiser l'opération. Je propose dans ce cas que vous rentriez avec moi dès ce soir dans un endroit sécurisé et coupé du monde extérieur pendant tout le déroulement des opérations. Vous ne serez pas enfermée... Mais étroitement surveillée. Par moi et par ma partenaire à tour de rôle chaque nuit. Et nous profiterons de ces moments passés ensemble pour que vous puissiez nous détailler tout ce que vous savez : domiciliations, lieux et heures de rendez vous, nombre et identité des intervenants et tout ce qui s'ensuit. Est ce que cela vous convient? |


Bien sûr que cela lui convenait, la question était purement rhétorique. Je notais qu'elle était déjà prête et disposée à sacrifier tout le monde pour se sauver la vie. Je ne pouvais qu'adhérer à ce pragmatisme bien souvent salutaire, même si je ne donnais pas dans le genre égoïste.


| J'entends votre mise en garde. Mais croyez vous vraiment qu'un individu représentant l'institution royale est du genre à ne pas prendre toutes les précautions ? Cela fait sept ans que je fais ce … métier... Je suis assez familier de ce genre d'activités, même si c'est la première fois que je m'attaque à une structure aussi discrète en général et chez les vampires en particulier. Mais nous sommes des personnes de moyens, au service de Sa Majesté. |

Je ne relâchais pas un instant mon attention, essayant de prévoir et d’anticiper la moindre des choses, tout en craignant la distraction qui pourrait découler de cette concentration et m’amener à un faux pas – il ne suffisait que d’un infime détail qui passait inaperçu à mes yeux parce que je me focalisais sur autre chose, pour m’amener à mon trépas. Alors je tentais de tout voir, de ne rien laisser au hasard, de faire que rien ne m’échappe. Je scrutais chaque élément qui pourrait indiquer que ma survie était compromise. En apparence… Peut-être semblais-je moins tendue. Il n’en était rien. Nous arrivions au point crucial des négociations, nous parlions vraiment, après nous être évalués mutuellement, avoir essayé de percer les secrets de l’autre – ou du moins, je le suppose. Je ne peux affirmer qu’il ait agi de la même manière que moi, et soit sur ses gardes comme je le suis, mais le contraire serait incroyablement stupide et présomptueux. Or, aucun de ces adjectifs ne me semble lui correspondre. Sensé et imprévisible, bien davantage. Si j’avais été une humaine, j’aurai sans nul doute soupiré, pour extérioriser toute la tension qui découlait de ce rendez-vous, de ce jeu entre nous. Deux forces variées mais inflexibles, bien déterminées à tirer chacune leur épingle du combat qui les opposait. Car ça n’était ni plus ni moins que ça : un combat digne de celui qui avait opposé les titans aux dieux. Je n’avais qu’à espérer qu’aucun de nous ne serait mené à sa destruction : ma survie passait par celle de Badenov, ma salvation était entre ses mains, et si nous en venions aux armes, rien de bon n’en résulterait.

« Je n’ai jamais émis une possibilité de survie pour les vampires en rapport direct avec la secte – et sachez bien que cela m’indiffère, si vous le dire une fois n’a pas suffit à vous le prouver. Je les tuerai de mes mains, un par un, si telle était la consigne que l’on me donnait. »

Je n’en serai que ravie : si j’aimais les savoir sous mon contrôle lors de nos amicaux diners de Sanguinistes, savoir leur vie entre mes mains, et la fureur lorsqu’ils comprendraient que je la briserai me plaisait encore davantage. Ils n’étaient rien de plus que de jeunes pousses que j’écraserai sans un regard, sans le moindre remords.

« Ça n’était toutefois pas mon propos. Sergeï Ivanov s’est éloigné de nos réunions peu après leur création. Il ne fait donc pas partie intégrante du mouvement, comme vous le dites. Mais il est malsain, retords, et l’était bien avant ça. Il a toujours trempé dans tout organisme louche à sa disposition, pour assouvir ses pulsions diverses et variées. Il s’agit d’un vampire né d’un humain déjà déviant. Son sort m’indiffère, soyez en convaincu, mais je ne gage pas de son innocence dès lors qu’il sera libéré de l’emprise de notre créateur. Sa position dans la garde royale pourrait lui servir de tremplin pour attenter à la vie de la Royauté. Prenez cette information comme vous le souhaitez : je vous ai avertis de ses tendances et de ce dont il est capable. »

Sa répétition du sort qui attendait les dissidents m’avait laissée perplexe : quel message voulait-il me faire passer par elle ? Doutait-il de ma compréhension quant au fait que nul ne survivrait au courroux royal, concernant leur implication dans cette dissension ? Si oui, il me sous-estimait et rien ne m’aurait plus étonnée que cela. Chaque parole, chaque mot prononcés s’imprimaient dans mon esprit, pour que je puisse y revenir ultérieurement. Déceler les pièges et tous les tenants et aboutissants de notre discussion. Je n’oubliais et n’oublierai rien. Et quand bien même je n’aurai pas été aussi vigilante, je n’étais pas stupide et ne m’attendais pas à une preuve de merci de la part de la Reine, envers eux. Envers moi. Ferait-elle réellement preuve de clémence ? Je ne pouvais l’évaluer en l’instant, la réponse se présenterait à moi en temps voulu. Et clémence ne voulait pas dire compassion – épargner ma vie serait une chose, mais je le paierai probablement. La douleur ne m’effrayait pas – n’était-ce pas par son biais que Charles m’avait inculquée tout ce que je savais, et m’avait appris à maitriser les dons dont je disposais ? Mon seul objectif était de ne pas connaître la mort véritable, malgré les épreuves qui m’attendraient pour cela.

« Bien, je me plie à vos conditions. Je vous fournirai toutes les informations dont je dispose et qui sont nécessaires dès lors que nous nous serons rendus dans cet endroit sécurisé. Dans la gueule du loup. Quoi que, un lieu où l’on est à la merci de la Reine et de ses serviteurs les plus fidèles devait être moins rebutant qu’un lieu où un vampire est à la merci des loups. Vous serez probablement amené à en questionner quelques uns – le bouche à oreille ayant amené les plus fervents partisans à convier ceux qu’ils envisageaient intéressés. Ma voix était un brin sarcastique – comme si j’étais en mesure de m’y opposer. Croyait-il réellement que j’aurai proposé de me faire enchainer comme cela, s’il y avait eu une quelconque autre échappatoire ? Toutefois, sachez, Erin et vous, que le Général Guillemaud me fait déjà suivre. Cela n’a peut-être pas la moindre espèce d’importance pour vous, mais c’est un fait. Et pour rien qui n’est lié aux Sanguinistes – il n’a pas eu la moindre espèce d’information à ce sujet de ma part. »

Et il n’en aurait jamais. Je n’en montrais rien, mais son attitude durant notre rencontre et le marché effectué avec lui l’indiquait clairement comme capable de m’achever en l’instant, s’il apprenait mon implication avec la dissidence, et si je n’accordais pas ma confiance à qui que ce soit, lui n’aurait jamais le bénéfice du doute. En un clignement de paupière, il signerait ma mort, c’était un fait certain et avéré. Comment Badenov réagirait-il en découvrant que je connaissais l’identité de sa partenaire ? Je n’évoquerai pas l’avoir appris de Cora, cette humaine qui semblait tant tenir à lui, de même que son numéro.

« Je n’ai aucun doute quant à vos compétences – en avoir serait me montrer dépourvue d’intelligence, étant donné les nombreuses preuves que vous m’avez fournies à ce sujet, et quant au fait que la prudence n’était pas un trait dont vous étiez dépourvu. Je vous avisais simplement du fait qu’un vampire se mêlant à une telle activité n’était pas sans faire preuve de prudence pour couvrir ses traces. Des irréfléchis qui seront faciles à cueillir, il y en a, à n’en pas douter, mais pas uniquement. »

Je n’avais rien à dire de plus – l’essentiel était là : nul n’était à sous-estimer ou surestimer.

L'exemple le plus parlant était quand même que j'avais décidé une dissidente en position de force de nous rejoindre et de déposer les armes. Plus que l'utilisation d'armement et l'exécution d'opposants, la vraie force du pouvoir royal était la capacité à allier les individus à sa cause, même ceux qui n'y étaient pas de fervents supports. Le pouvoir par la décision, par l'aliénation, était quelque chose d'infiniment plus puissant qu'une simple domination reposant sur les armes. Cela, l'humanité l'avait bien compris. Toutes les guerres modernes avaient reposé sur la conquête du cœur de la population, de l'inclure dans un système économique et commercial, puis dans le système politique. En somme, pour conquérir il ne faut plus gagner la terre mais les gens, les adjoindre au système, les faire participer. C'est exactement la logique que je mets en place ici et maintenant avec cette Freyja Swayne. L'inclure pour mieux la contrôler. C'était peut être bête, dit comme ça, mais c'était quelque chose que je pouvais tout à fait concevoir et dont la véracité se vérifiait une fois encore. Le piège était bien sûr que cette position se retournait peut être contre moi, c'était la raison pour laquelle j'essayais de rester aussi concentré, afin de pouvoir au mieux prévoir et anticiper les problèmes à venir, et surtout pour réussir à bloquer toute tentative actuelle ou future de manipulation. Le pragmatisme qui me guidait depuis des années me permettait bien sûr d'arriver à ce genre de résultat, mais j'osais espérer que la clairvoyance que partageait Krystel avec moi était susceptible de me pousser à être meilleur en politique. La Reine en saisissait bien plus les subtilités que moi, mais je commençais à comprendre que je ne m'en sortais pas si mal que cela. Je souris de manière plus visible encore à ses paroles.


| Non, votre consigne sera de nous donner toutes vos informations, et de participer avec nous à leur destruction. |


bien sûr que je comptais la mêler à cela aussi. La rendre complice était une manière déterminante pour la posséder complétement, irrémédiablement, ce qui ne pouvait qu'aider à la maintenir dans le giron royal. C'était comme ces soldats que l'on rendait coupable de crimes de guerre, qui ne pouvait décemment plus se rebeller contre le pouvoir auprès duquel ils s'étaient rendus complices. Je soupçonnais Freyja infiniment plus vénale que cela, mais au final peu importait. Elle se mit ensuite à défendre un certain Ivanov, et qu'il était quelqu'un de dangereux. Je notais mentalement tout ce qu'elle me disait à son sujet pour une exécution future ; je ne voulais en aucun cas tremper là dedans pour le moment, ce serait me disperser pour un résultat finalement bien maigrelet. Autant dire que je préférais m'attaquer aux vrais problèmes... Un attentat contre la Reine ? La chose était risible. Il n'avait aucune chance.


| Bien, je prends l'information et vérifierais vos dires. Si cela s'avère nécessaire, Ivanov sera exécuté dès que la menace sanguiniste aura pris fin. Je doute qu'un vampire, aussi vieux soit il, ne puisse ne serait ce que blesser la Reine. Elle est à ce jour la plus ancienne représentante de votre espèce à encore fouler ce monde. Le dispositif de sécurité entourant Sa Majesté est de plus performant. |


Sauver sa peau impliquait cependant que la vampire se montre prolixe. Je me préparais à agir en fonction de tout ce qu'elle m'avait dit tout en sachant très bien que je ne pouvais pas encore lui accorder tout le crédit et toute la confiance que je pouvais accorder à des gens qui travaillaient avec moi depuis des années. Tant que je ne saurais rien de la réalité et de la consistance de son ambition, je ne pourrais pas prendre ses dires pour argent comptant sans une vérification complète de tout ce qu'elle pouvait m'avancer. Peut être que je faisais preuve de beaucoup trop de prudence, mais il fallait que je montre à quel point je n'acceptais pas n'importe qui à graviter autour de la Reine, même à distance. C'était là ma tâche la plus importante que celle de protéger Krystel envers et contre tout, de la préserver des ambitions de certains de ses vampires ou des travers de son espèce. Aussi bien en tant que servant humain qu'en tant que suivant volontaire de la Reine. C'était une obligation morale, sociale et personnelle. Jamais je ne saurais m'en détourner. Freyja me confirma son acceptation de mes conditions. Ce qu'elle dit ensuite me fit froncer les sourcils. Guillemaud était fort, et me talonnait. Mais le plus déplaisant était ce qu'elle dit à propos d'Erin. Comment était elle au courant de son existence, et plus encore de son partenariat avec moi ? Il ne me semblait pas l'avoir évoquée et personne ne savait qui elle était. Personne ou presque ne l'avait même vue, d'ailleurs. Mon visage se ferma. La belle marchait sur des charbons ardents.


| Erin... Comment la connaissait vous, et que savez vous d'elle? |


Si elle connaissait Erin, alors sans doute avait elle ses entrée jusqu'auprès des plus proches conseillers de la Reine elle même. Ca allait saigner, et le plus vite serait le mieux. Vous pouvez me croire. Des têtes allaient tomber. J'avais du coup laissé échapper ma surprise par ce revirement d'attitude, fermée d'un seul coup, mais je lui laissais du même coup entendre que si elle ne se justifiait pas très rapidement, elle risquait gros. Je comprenais clairement ce qu'elle me dit ensuite.


| C'est bien pour cela que vous allez me prouver votre utilité, utilité dont dépend votre survie vous l'avez bien compris. |

Je ne cessais de me demander quel bien il pouvait tirer de ma survie. Assurément, il espérait que cela lui rapporterait quelque chose – leur rapporterait quelque chose, à la Reine, lui et la monarchie. Je n’arrivais pas à mettre le doigt sur quoi, malgré notre discussion, et son avancée. Je n’avais pas épuisée toutes mes cartes, et si j’étais nécessaire au démantèlement des Sanguinistes, cela ne durerait pas. J’avançais avec prudence, mais je serais contrainte de tout dévoiler, et dès lors, je n’aurai plus aucun poids pour eux, pour Elle. Pour Krystel. Si je me taisais à ce sujet pour le moment, nul doute qu’il viendrait sur le tapis – réellement. Il m’avançait que je ne connaîtrais pas la mort véritable, mais je ne pouvais qu’en douter. Cela ne m’empêchait pas d’avancer de mon plein gré dans la lumière, si l’on pouvait qualifier cela notre entretien qui avait lieu de nuit, dévoilant bien plus de moi que nul n’en avait jamais su, n’en saurait jamais. Ma prudence m’enjoignait de ne pas agir ainsi, mais mon désir de survie avait le dessus, et nulle autre alternative n’était envisageable. J’en avais cependant assez dit, pour le moment – lui détailler toutes les informations qu’il désirait en l’instant n’était pas nécessaire. Nul ne savait quelles oreilles pouvaient trainer, pas plus qu’il ne pourrait prendre note de tout ce que je leur divulguerai. Non, cela prendrait place dans l’endroit où ils me maintiendraient captive – car c’était bel et bien ce que cela serait, un lieu de captivité, libre de mes mouvements ou non, je serai surveillée à tout moment.

« Fort bien, il en sera ainsi. »

Un léger sourire naquit sur mes lèvres. Si mettre fin à la dissidence que j’avais construite n’était pas dans mes prévisions à l’origine ni même pour me contenter pleinement, traquer et détruire nombre de dissidents me satisferait dans une mesure que nul ne pourrait définir pleinement. Mais cela n’était pas à leur transmettre – mes désaccords avec certains vampires n’auraient plus lieu d’être une fois ceux la exterminés, et s’arrêteraient avec la sentence qui leur serait donnée. Mon attention fut déviée du sort que je leur réservais – je n’étais pas tenue à la mesure et à l’exécution rapide et sans trace, à ce que l’on m’en avait dit, à savoir rien -, par sa réponse. Je lui fournis la mienne d’une voix froide et implacable, quoi que basse pour n’attirer l’attention de personne. Qu’il me prenne pour un bleu peu au fait de la puissance de la Reine et de ceux dont elle s’entourait n’était pas pour me plaire.

« Je n’ai aucun doute à ce sujet, et au fait qu’il s’agirait d’une mission suicide, ne me prenez pas pour une idiote, Badenov. Je n’ai pas évoqué une possibilité de réussite, uniquement une tentative envisageable de sa part. Et dispositif de sécurité performant ou non, pour un esprit retors manquant de discernement et de limites, la progression peut-être suffisamment fulgurante pour, à défaut d’atteindre la Reine, attendre les premières couches de sa défense. Mais de fait, Ivanov ne pourrait survivre face à elle. Uniquement se frayer un chemin plus ou moins grand jusqu’à être arrêté et affaiblir les forces à disposition de la Reine. Cela aurait peu de conséquences, mais ne serait pas dépourvu d’elles pour autant. »

Mon humeur altérée s’envola toutefois aussitôt que la sienne prenait place. J’avais donc vu juste, l’action de Guillemaud parasitait en quelques sortes la surveillance qu’il allait mettre en place. Et sa réaction à la mention d’Erin ne fit que renforcer ce que je pensais : elle était un secret bien gardé, et moins son existence serait connue, mieux cela vaudrait pour eux. A quel point ? Autant que celui de la Mort l’était ? Ca vaudrait de creuser…

« Je l’ai observée à plusieurs reprises me suivre, et non loin de vous un moment. Si vous souhaitez savoir comment son nom m’est connu, questionnez vous sur la manière dont j’ai pu vous contacter. Il semblerait qu’une humaine proche de vous s’inquiète pour vous et ne l’apprécie guère. Décidant être rompue au maniement des armes afin d’égaler Erin, nous en sommes venues à trouver un accord. Il se peut qu’elle ait laissé échapper durant la conversation le nom d’Erin et le vôtre à quelques reprises, et faire le rapprochement ne fut pas bien compliqué. Je sais qu’elle est chargée de votre protection, et que cela déplait profondément à Cora. »

J’abordais là un sujet risqué. Mais dévoiler cette carte là, si elle pouvait précipiter ma perte, me semblait malgré tout indispensable. Mentir au sujet des informations que je possédais sur l’Ombre de la Mort, après avoir admis avoir connaissance de son existence, ne serait pas judicieux le moins du monde. Il serait sans nul doute suspicieux vis à vis de cet aveu, mais cela pouvait tout aussi bien être une preuve de ma bonne foi, quant à une chose que j’aurai aisément pu passer sous silence.

« Mes connaissances se limitent à cela, si ce n’est qu’elle est probablement rompue au combat et dangereuse – sans quoi elle ne serait pas votre ombre, et pas à même de veiller à votre survie. Si vous deviez être protégé par quelqu’un en l’instant, ce serait elle sans doute aucun, je me trompe ? Je ne pense toutefois pas son identité connue par nombre de gens. Si je ne vous avais pas moi-même observé afin de percer le secret de celui que tout le monde croit mort, je n’aurai probablement pas connu son existence, de même si elle ne m’avait pas suivie. Et assister à une confrontation entre elle et Cora dans le nouveau centre d’apprentissage dont nous disposons m’a permis d’acquérir les cartes qu’il me manquait. »

Je n’avais plus qu’à espérer que la franchise dont je faisais preuve, inhabituelle pour moi, aurait raison du mutisme dans lequel il avait semblé prompt à s’enfermer à la mention de son acolyte. Si cela devait lui indiquer une chose, c’était bel et bien ma volonté de rédemption et de coopération. Qu’il comprenne bien que dévoiler cette carte la n’avait nullement été indispensable, et que j’aurai pu m’abstenir d’en dire quoi que ce soit, et les laisser contempler les désastres d’une faille que j’avais aisément pu exploiter et que d’autres auraient aisément pu être amenés à exploiter. « Je dois cependant reconnaître à Cora la prudence dont elle a fait preuve, et sa réticence à me dire quoi que ce soit. La colère a eu le meilleur d’elle, mais ce n’est pas un défaut inaltérable, et je suis persuadée que si nous poursuivions notre entrainement, elle deviendrait un encore plus grand atout pour vous. »

Je revenais toutefois à nos moutons – ce n’était pas réellement Cora qui importait en l’instant. Je n’avais malgré tout rien à ajouter au fait de prouver mon utilité. C’était entendu, et ce depuis mon apparition à ce lieu de rendez-vous, clairement non menaçante, conciliante et disposée à dévoiler le savoir que je possédais. « De toute évidence. Je m’accordais toutefois une brève pause. Je n’avais toujours pas la réponse principale que je désirais. J’ai une question, si toutefois vous daignez y répondre. Que gagnez-vous, à me garder en vie ? Je ne suis pas naïve, et il ne fait nul doute que vous allez m’utiliser pour prouver quelque chose. La réalité de cette chose m’est toutefois inconnue, mais vous ne pouvez être idiot et penser que je jugerai que ma vie est sauve par bonté. Je suis une vampire, je connais notre fonctionnement, et la bonté n’a que faire dans nos décisions – souvent implacables. »

Freyja me confirme qu'elle adhère au plan que je lui propose, même si elle n'est pas dupe de la réelle teneur de la « proposition », en fait une imposition pure et simple. La belle a abandonné son libre arbitre ou en tous cas m'a dévolu le contrôle de son existence et de ses aspirations, au moins provisoirement. C'était un peu le même genre d'arrangement qu'il existait à l'origine entre Krystel et moi. Tout au début, je l'avais servie pour survivre. Puis, j'avais adhéré et épousé sa cause. La seule en ce bas monde qui vaille vraiment la peine que l'on se batte ou que l'on meure pour elle. Je me demandais s'il en irait de même pour Swayne. Trahir son propre camp n'impliquait pas la même vision des choses que simplement se permettre de changer de bord. Mon changement avait été plus radical que le sien, mais sa propre route était beaucoup moins assurée du fait que la trahison était un acte souvent bien plus difficile à pardonner que la guerre ouverte. Surtout pour des personnes au tempérament guidé par des temps forts anciens, comme cela pouvait être le cas de la Reine. J'avais apporté quelques garanties à Swayne, suffisamment en tous cas pour lever ses dernières réserves mais pas assez pour obtenir sa confiance, ce que je ne souhaitais pas pour le moment de toute manière. J'osais espérer que je saurais faire entendre raison à ma compagne sur ce revirement soudain d'allégeance. Krystel avait été éduquée et formée par Augustus, à une époque où la trahison finissait toujours dans le sang, ou sur une croix. Epoque pas forcément barbare, mais dont la subtilité n'était plus du tout la même que celle en vigueur aujourd'hui.


Ma vis à vis se mit à sourire. Je ne savais pas ce qu'il y avait de sincère ou de feint dans cette réaction physique. Est ce qu'elle était satisfaite du sort que je lui réservais, des gains qu'elle avait pu obtenir dans notre négociation, ou était ce simplement la perspective du meurtre qui la tentait aussi outrageusement ? Je n'en savais rien. C'était cela qui rendait nos tractations aussi complexes ; notre ignorance l'un de l'autre. Nous commencions enfin à nous comprendre, d'une certaine manière en tous cas, mais cela n'impliquait pas une photographie à cent pour cent fidèle de ce qu'était l'autre. Ce sourire se fana rapidement et laissa place à une défiance renouvelée, visiblement vexée que je puisse la prendre pour moins intelligente qu'elle ne l'était. Je hochais doucement la tête pour signifier mon acquiescement, et le fait que je ne me battrais pas avec elle sur ce point.


| Je comprends très bien votre position. Tout à fait entre nous, pareil souci pour la sécurité de votre suzeraine ne pourra jouer qu'en votre faveur, soyez en assurée. Quant à l'objet de la mise en garde, il sera traité dans les plus brefs délais. |


Pour autant, je traitais avec méfiance ce qu'elle pouvait me faire comprendre à propos d'Erin. Autant dire tout de suite que je n'étais pas prêt à transiger là dessus. Je voulais tout savoir de son niveau de connaissances, tout de suite et sans attendre. Ce qu'elle m'apprit m'étonna au plus haut point, même si je conservais une attitude ferme et déterminée. Soit Erin avait été négligente, soit cette vampire était définitivement très forte -et très dangereuse-. Ce qu'elle m'avoua ensuite me frappa, et je ne sus alors contenir ma surprise. Trahi par Cora ? Qui vouait suffisamment de rancune envers Erin pour divulguer des informations qui pouvaient me conduire à la mort juste par jalousie ? Je n'en revenais pas. Je pensais que l'humaine avait changé. Je pensais l'avoir changée. J'en avais été sûr. Je fermais la bouche, serrais la mâchoire crispant mes muscles faciaux à force de les serrer. Cora avait voulu s'entraîner pour devenir comme Erin. Mais que s'imaginait elle donc ? Je n'avais jamais couché avec Erin, je n'avais jamais rien fait de compromettant avec elle. Et même si cela devait arriver, cela ne sortirait pas du cadre professionnel qui était le nôtre. Je sentais en tous cas que Freyja ne me mentait pas ; il s'agissait d'une histoire parfaitement crédible qu'elle n'aurait pu inventer sans avoir accès aux parties prenantes. La vampire faisait encore preuve d'une intelligence implacable. Dangereuse jusqu'au bout, elle ne s'était pas vendue sans sécurité pour se protéger en cas de revers... je ne comprenais pourtant pas sa position quand elle défendit Cora. Quel intérêt avait elle à faire ça?


| Je vous suis reconnaissant de me dire tout ceci. Rien ne vous y obligeait et cela constituait pour vous un atout au cas où je n'aurais pas tenu parole. Je prends ces informations comme une preuve supplémentaire de votre bonne foi. Sachant que vous êtes dans la confidence, il est inutile pour moi de nier quoi que ce soit. Vous avez compris que Cora et moi servons la Reine chacun à notre manière, que nous entretenons une relation. Celle ci a apparemment bien plus d'importance pour elle que pour moi, ce qui provoque ce genre de bêtise. Quant au reste... Erin est bien là. Je pense même qu'elle vous a dans sa ligne de mire à cet instant précis. Nous ne laissons rien au hasard. Ensemble, nous avions commencé à identifier vos cellules pour mieux les détruire. Quoiqu'il en soit, vous avez l'intelligence de m'avoir fait savoir ce que vous saviez, vous achetant ainsi une sécurité supplémentaire que j'ai bien compris. Malin, je le reconnais. Vous me donnez quelque chose tout en conservant son bénéfice. Au service de la Reine, vous ferez de grandes choses. |


Je dois dire qu'en dehors de la Reine, jamais je n'avais eu un aperçu aussi intéressant d'une intelligence complète et retorse, d'une personne prête à se mettre en danger tout en sachant récolter le fruit de chacun de ses mots, de chacune de ses actions. Cela ne faisait que renforcer le sentiment de danger qu'elle provoquait chez moi. Mais je devais également être honnête avec moi même. Cela contribuait à augmenter un peu plus encore sa valeur et son attractivité. La suite des paroles de la vampire allait un peu plus loin dans cette nouvelle forme de franchise qui s'instituait entre nous. Je pris grand soin de sélectionner les bons mots.


| Sous le Règne d'Augustus, peut être en aurait il été ainsi. Le Roi, bien que doué de sagesse, vient d'une époque où la trahison se règle dans le sang et la vengeance. C'est ce qui a abattu en partie l'Empire qui l'a vu naître. Je ne vois pas les choses de cette manière, même si cela vous paraît peut être prétentieux de la part d'un vulgaire humain du commun. Je pense qu'un pouvoir centralisé ne peut perdurer que s'il flatte la coopération et ne domine pas que par la force brute. La force est déterminante, mais son usage ne peut perdurer dans le temps sans autre atout pour la compléter. Vous sauver envoie un message, celui qu'il y a plus à gagner à servir votre Reine qu'à la défier. Ce message... Serait incomplet s'il ne s'incarnait pas aussi dans la destruction des autres traîtres, des non-repentants. Ais je répondu à votre question ? Pendant que nous y sommes... Avez vous besoin de savoir autre chose? |

La tension palpable de nos pourparlers se délitait progressivement, alors que nous avions vers une entente qui se prouvait, sinon satisfaisante, au moins correcte. Quoi que j’essaye de négocier et quelque soit la prudence à l’œuvre de ma part, j’étais tout de même en position d’infériorité et de traitrise, ma marge de manœuvre en était donc indéniablement réduite. Je n’étais pas en mesure d’exiger quoi que ce soit, mais parvenir en douceur à obtenir des concessions était, devait, être envisageable. Cela ne se ferait pas ce soir, mais tout au long de notre collaboration – car c’en était une. Du moins, je préférais voir cela ainsi, afin de ne pas me retrouver piéger dans une situation où je n’aurai plus jamais mon mot à dire, et où je serai uniquement contrainte à suivre une méthode de pensée que l’on chercherait à m’inculquer de force. Si c’était, de toute évidence, négatif pour moi, ça le serait tout autant pour ceux qui venaient de me ranger à leurs côtés. A supposer qu’ils veuillent réellement mettre à profit mes forces et capacités, ce dont je n’avais aucune preuve pour l’instant. Mais si cela devait être le cas, alors me priver de ma volonté nuirait à mon efficacité. C’était principalement les raisons que j’avais de partager les informations que j’avais réussi à glaner sur Badenov, sur Erin, et même sur Cora. C’était quitte ou double, cela pouvait me précipiter vers ma mort, tout comme causer mon salut. Salut qui devait m’être acquis… pour le moment. C’était un équilibre précaire que nous avions mis en place, bien que la balance penche en faveur de Badenov. Je me le répétais, mais il était bien plus rompu aux négociations qu’il ne voulait le faire croire et qu’il ne l’affirmait – ou peut-être n’étais-je qu’une tentative de vérifier les fruits d’un entrainement auquel il avait été soumis. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat était fructueux et convaincant. Peut-être serais-je amenée à me confronter à nouveau à lui, et à observer l’esprit de tacticien dont il faisait preuve lorsque nécessaire. Il avait finement avancé ses pions. Mais sur l’échiquier, nous étions du même côté du plateau, et mon pion n’avait pas été sacrifié par l’une des tours de la Reine.

Mon mécontentement, car il avait du se refléter sur mon visage alors que je lui intimais de ne pas me sous-estimer, disparut alors qu’il approuvait de la tête ce que je disais, et que quelqu’un gèrerait l’éventuel problème. Fort bien. Sergeï ne serait bientôt plus que de la poussière oubliée de tous. Il ne manquerait à personne – il n’importait à personne, parmi sa ‘famille’ vampirique, qui allait de toute façon être décimée. Car s’il se faisait questionner, son arrogance le pousserait à revendiquer ses positions. C’était une tête brûlée, orgueilleuse, et qui se croyait inatteignable. La prudence était une notion étrangère et étrange pour lui. Je ne perdais toutefois pas de temps à répondre à sa nouvelle assurance d’agir de manière à lui donner de quoi plaider en ma faveur – au contraire, je fronçais les sourcils. S’il espérait me rassurer, cela ne fonctionnait définitivement pas. Il affirmait que je lui donnais de quoi me défendre et trahissait sa parole quant à ma sécurité. Rien n’était gagné. La fureur aurait du m’envahir, mais je me surprenais moi-même à être sereine, ce que je ne pouvais probablement pas dissimuler tant je fus prise de court par cette sensation inattendue totalement inadaptée à la situation dans laquelle je me trouvais, en rapport avec celle que j’étais. Ce manque de contrôle était étrange, si peu lié à celle que j’étais, tout autant que ce manque de méfiance, cette confiance en mon sort – pas en lui, pas pour le moment, pas avant longtemps, mais en moi et en ma capacité à survivre, alors qu’elle était grandement mise à mal. Le temps que j’avais accordé à la réflexion et à peser le pour et le contre de ma décision à prendre y était-il pour quelque chose ? Je n’en savais rien. Je fronçais les sourcils, inconsciemment, de réagir de façon aussi incompréhensible pour moi, qui contrôlait tout depuis toujours, depuis ma vampirisation mais aussi ce qui aurait pu être ma déchéance à la mort de mon mari.

Seule sa surprise parvint à me sortir de la mienne, et davantage encore la dureté qui la remplaça, ses traits sévères et crispés, alors que j’évoquais la part de Cora dans cette affaire. C’était bien plus puissant et développé que sa réaction quand j’avais évoqué Erin… Son visage n’avait pas seulement perdu le relatif relâchement qui s’était progressivement installé uniquement pour se fermer, il se braquait clairement et tout un panel d’émotions devait l’assaillir, visiblement incroyablement déplaisantes. Notre échange était impersonnel, distant, jusqu’à présent, mais je venais d’y inclure un aspect bien plus personnel – ou peut-être l’avait-il fait, de par sa réaction, prouvant un attachement bien plus grand qu’il ne me l’affirmait en ayant retrouvé son impassibilité et son calme, en disant qu’elle y accordait davantage d’importance que lui.

« Me répéter que vous prenez chaque partage d’information comme des preuves sans cesse renouvelées de ma bonne foi et de ma diligence à votre égard et à celui de notre Reine ne me fera pas croire en mon salut, ou tout du moins en le fait que je ne serai pas exécutée en exemple, en avez-vous seulement conscience ? »

J’avais pris la parole, quelque peu cinglante. S’il espérait, ainsi, s’attacher encore davantage ma fidélité – ou du moins ma pleine coopération - en me signalant par cela que j’étais encore sur la sellette, il se trompait grandement. Je n’étais pas de ceux qui étaient enchaînés par les menaces, bien au contraire. Prouver ma valeur me réjouissait, de fait – comme tous les vampires, j’avais un orgueil présent voire omniprésent. Qu’il insinue consciemment ou non, volontairement ou non, que ma survie restait menacée ne me pousserait qu’à me murer dans un silence et une inaction qui ne bénéficierait à personne – et l’indolence dans laquelle je serai dès lors plongée à m’offusquer encore du régime mis en place. « Malgré ce que vous pouvez constater de vous-même, indépendamment des nombreuses zones d’ombre à mon sujet que vous devez encore avoir de même que j’en ai un nombre conséquent à votre sujet, vous persistez à me sous-estimer. Considérez mes propos et ma présence sans menace ce soir comme une preuve de ma réelle volonté de ma rédemption, mais pas comme une idiotie sans borne ni comme le fait que je pense que l’on me donnerait le bon dieu sans confession. Vous ne me dominerez pas par la peur ou la menace – j’ai beau tenir à ma non-vie, je n’y tiens pas autant qu’au respect. Et vouloir me réduire à un être brisé gouverné par ses peurs ne va pas de pair avec ça, croyez moi. Acceptons tous les deux que je serai surveillée et que chaque geste à votre encontre sera un pas de plus vers la preuve de cette dite bonne foi, sans l’associer à ma survie précaire ou le répéter, voulez-vous ? »

Ma voix redevint normale, alors que j’embrayais sur le reste de ses propos, espérant avoir clarifié ma pensée sans le braquer ou compromettre ce que nous avions commencé à échanger, n’ayant émis ni menace ni promesse de retomber dans le travers qui me valait d’être là mais une simple vérité. « Votre reconnaissance est bonne à entendre, de même que votre confession étendue quant à ce que j’avais déjà compris et à la présence d’Erin, de même que le fait que vous reconnaissez l’étendue de ce partage et ce qu’il signifie – et ce qu’il peut apporter à la Reine. »

La question que j’avais laissé échapper, volontairement et en contrôlant parfaitement les propos que je tenais, qui l’accompagnaient et la développaient, n’était que davantage cruciale, après les propos qu’il avait tenus et que je lui avais soulignés comme étant parfaitement inutiles. Aussi, j’écoutais avec la plus grande attention sa réponse, dans l’espoir d’en déceler les zones d’ombre, les non-dits, et ce dont il espérait me garder ignorante. Un nouveau sourire se plaqua sur mon visage, au fur et à mesure de sa réponse – dépourvu de sarcasme ou de scepticisme. Pas un grand sourire, mais franc toutefois. « Nous savons vous et moi que vous n’êtes pas un vulgaire humain du commun, Torben Badenov. Vous avez répondu à ma question, et je suis tentée de vous croire, et de mettre de côté mes doutes. Pour le moment. Sans doute n’aurait-il pas conscience de la pleine portée de ce que je lui avouais, mais peu m’importait. Qu’il réalise qu’il avait fait un premier pas pour gagner ma confiance ne m’intéressait pas : seul le résultat qui découlerait de notre… partenariat, si l’on pouvait dire les choses ainsi, comptait. Quelques unes, en effet. Je serai, je ne peux guère le voir différemment, astreinte à un régime de Tru Blood, si je ne m’abuse ? Ma question ne pouvait le surprendre – quoi qu’il ne sache pas que j’avais adopté ce régime depuis quelques temps, malgré quelques entorses, quoi qu’il me déplaise fortement. Je ne me nourrissais pas d’humain en noyant mes propres entorses à nos lois dans des orgies sanguines, pour y renoncer aussi aisément. Et ne prétendez pas que tous les vampires y sont soumis – aussi surement que Cora m’a parlé de diverses choses, sa propension à consentir à me donner son sang quand je lui demandais celui d’un humain autre qu’elle à cet effet si je l’entrainais comme elle le souhaitait m’a montré qu’elle était familière à cela. Inutile d’aller plus loin – il comprendrait parfaitement le cheminement de ma pensée, et le fait que la Reine soit indéniablement liée à cela. Cora me l’avait, de toute façon, dit de vive voix. Une dernière question, si d’autres ne me viennent pas d’ici là. Où serais-je cap… logée ? »

Une bavure bien volontaire, pour lui montrer que je n’étais pas dupe – effectuée de manière qu’elle peut grossière, mais on ne peut plus claire.

J'y étais. Victoire de premier plan, c'était sûr. J'avais bien joué, sur ce coup là. J'avais réussi à avancer les bons pions au bon moment, et les choses s'arrangeaient progressivement. Non seulement j'avais réussi à dégager une lueur d'espoir pour Krystel, mais j'avais aussi directement contribué à pacifier toute l'espèce vampire. Il fallait que je poursuive sur cette voie. La vraie surprise de ce soir, restait malgré tout le fait que l'on avait réussi à avancer sur tous les plans, et d'avoir fait sauter tout ce qui aurait pu entraîner une forme de résistance ou d'une autre. Quant au reste, ce n'était pas vraiment une découverte que Freyja soit quelqu'un d'intelligent ; elle avait toujours fait preuve de cette forme de sagacité, de calcul et d'anticipation qui définissait les plus grands leaders. Son revirement, somme toute, n'était pas si étonnant que cela quand on voyait les choses de son point de vue. Si l'objectif était avant tout de gagner en puissance et d'éliminer ses rivaux, monter ceux ci contre une monarchie absolue était un moyen comme un autre pour attirer l'attention de ceux qui étaient à même de lui apporter ces choses que visiblement elle désirait obtenir. L'ambition est le moteur de toute innovation, qu'elle soit politique, morale, ou encore économique. Sa capacité à saisir les opportunités ainsi qu'à obtenir des informations tenues secrètes était son atout principal, et elle en avait bien conscience. Je la soupçonnais tout à fait d'avoir recouru à une ruse, en me faisant signe qu'elle abandonnait les armes... Pour ensuite me montrer quel pouvoir elle pouvait avoir sur moi. Un substitut direct du pouvoir absolu, celui de vie ou de mort. Parce que révéler ces informations conduirait à plus ou moins brève échéance à ma fin, si les choses n'étaient pas maîtrisées.


J'avais eu un instant de faiblesse à la révélation de la vampire ; je n'avais pas été totalement maître de mes émotions et avec une joueuse telle que Freyja, je me risquais donc à subir un de ces quatre un violent retour de bâton. Une arme supplémentaire, maintenant qu'elle savait qu'il était possible de m'atteindre personnellement, ce que j'aurais préféré garder masqué. La vampire se fait plus rude dans sa réponse, ce qui ne m'énerve ni ne m'agace ; j'assume ma position jusqu'au bout. Je haussais négligemment les épaules.


| Qu'à cela ne tienne, vous aurez bientôt la confirmation de ce que j'avance. |


Inutile de s'étendre sur le sujet un quart de siècle. Rien ne joue plus le rôle de preuve que les actes ; les paroles ne sont finalement que du vent. Qui croit dur comme fer à une promesse ne comprend rien à la politique ni à l'etre humain en règle générale. Voici l'une des raisons supplémentaires pour affirmer que le Torben d'autrefois ne pouvant que rompre plutôt que plier. Je n'étais pourtant pas d'accord avec ce qu'elle me dit ensuite. Je ne la sous estimer pas ; je m'en méfiais comme de la mort. J'espérais qu'Erin, de là où elle se trouve, savait déchiffrer mon hexis corporelle et qu'elle était toujours en position de tir, juste au cas où. Je savais que c'était le cas, elle était tout simplement extrêmement professionnelle. J'opinais du chef.


| Soit, comme il vous sied. |


Qu'elle pense que je la sous estime servirait peut être même mes desseins. Après tout, toute approximation de calcul de la part de son adversaire était toujours bon à prendre, vous ne pensez pas ? Pour le reste, je ne pouvais qu'acquiescer à ses paroles. La bonne volonté n'était parfois que feinte, mais nous multiplions tout de même l'effet poignée de main à chaque fois.


| Bien sûr, ce genre d'échange d'informations est quelque chose qui importe beaucoup à la Reine. |


Le sourire d'apparence honnête affiché par la vampire m'étonna nouveau même si je n'en montrais rien. J'étais assez surpris qu'une vampire aussi âgée qu'elle ne considère les humains pas uniquement comme des poches de sang et une source de nourriture. Beaucoup de nocturnes rouges nous déconsidéraient presque systématiquement. Mais pas elle. Trop intelligente, plus encore que simplement soucieuse de s'attirer mes bonnes grâces.


| Oui, c'est le cas. Déplacer des humains volontairement ou non risquerait d'éveiller des suspicions bien malvenues. Je vous emménerais en lieu sûr, un appartement loué sans contrat en plein centre ville. Erin et moi nous relaierons à tour de rôle, je pense, et d'autres seraient susceptibles de prendre notre relève. Après tout, vous courrez dès à présent un gave danger. Sitôt le carnage aura t'il commencé que tout le monde vous cherchera pour vous abattre. Vous pourrez ainsi vous targuer d'avoir eu pour protection rapprochée le propre garde du corps de la Reine... |


Une pointe d'ironie dans mes paroles, avant que je n'embraye. Prendre à contre pied.


| Nous allons retourner chez vous. Vous prendrez quelques affaires, et surtout vous préviendrez vos condisciples que vous devez vous absenter. Pas de code ou quoi que ce soit d'autre qui pourrait les avertir, vous vous en doutez bien. Ensuite, nous irons à cette endroit, cette planque. A moins que vous ayez mieux à faire que passer la nuit en ma compagnie? |


Double sens et ironie. Maîtres mots. Il allait falloir n'éveiller aucun soupçon, mais laisser Swayne à portée de ses anciens camarades serait bien plus dangereux...

Nous en étions aux détails, aussi cette conversation allait toucher à sa fin, et Badenov me conduire dans mon lieu de ‘villégiature’. Je n’avais cure de l’endroit où je me trouverai – ce ne serait, de toute évidence, pas une partie de plaisir que de m’y trouver, mais malgré tout une nécessité. Pour bien des raisons, qu’ils m’aient à l’œil étant toutefois la principale. Comment auraient-ils pu envisager me laisser libre court, et me donner toute liberté de prévenir mes acolytes sanguinistes ? Il ne pouvait être homme à écarter cette possibilité comme quantité négligeable, et à avoir toute confiance en moi au point de ne pas envisager que ça puisse être un piège que je lui tendais. Ca n’en était pas, mais rien de mes faits et gestes ne pouvaient le lui confirmer ou infirmer. Ma disposition à partager ce que je savais pouvait en donner l’illusion, mais aurait tout aussi bien pu servir à endormir sa confiance. Toute pièce avait deux faces, et tout ce que nous avancions aussi – autant de sa part que de la mienne. Mais le plus dangereux était derrière nous, pour cette soirée du moins, car autant de danger pouvait être à venir dans le futur, si la Royauté et ses fidèles servants décidaient de se passer de moi. Et pourtant… Dans la position de faiblesse dans laquelle je me trouvais, j’avais quelques atouts, et je saurai en trouver d’autres sans nul doute. Je me devais de garder des zones secrètes, n’est-ce pas ? Ce pourquoi m’avait missionnée Guillemaud en faisait-il partie ? J’avais oublié à la personnification de la Mort qu’il me faisait suivre, chercherait-il à en savoir plus, ou mettrait-il cette information de côté ? Je n’en savais strictement rien, mais je ne comptais pas le dévoiler d’emblée comme le reste, chaque chose en son temps.

Et au delà de ça, l’identité de Badenov n’était pas connue de tous, cet agent si efficace de la Reine devait souhaiter conserver son identité, celle d’Erin de même. Et celle de Cora, probablement – professionnellement, mais personnellement aussi. Tant de poids que j’avais, qui pourraient m’aider à appuyer ma loyauté toute nouvelle, encore en construction, si notre fragile alliance en développement se retrouvait compromise. Alors oui, j’étais partie en position de faiblesse, mais j’osais penser que j’avais, sinon égalisé, au moins amélioré cette dernière, et me retrouvais moins sur la sellette. L’avenir me le confirmerait – je l’espérais, du moins. Et ses paroles tendaient dans cette direction, mais qu’étaient les paroles, au fond ? Une arme comme une autre, malléable à souhait, et un fabuleux outil pour manipuler quelqu’un, dont les gens ne se méfiaient pas suffisamment. Je n’épiloguais toutefois pas davantage – cela ne contribuerait qu’à nous faire perdre mutuellement du terrain, et ça n’était un avantage pour aucun d’entre eux. J’acquiesçais toutefois, quoi que brièvement, alors qu’il m’affirmait que les informations que j’apportais étaient d’un grand intérêt, à nouveau. Inutile d’épiloguer à ce sujet non plus.

« Fort bien. » Je n’étais de toute façon pas en mesure de négocier de me sustenter sur des humains, alors que c’était principalement ce qui m’amenait à l’endroit où je me trouvais – quoi qu’à plus grande envergure. Je n’aurai pas été dans cette position délicate si j’avais été seule à le faire et n’avais pas fédéré les foules vampiriques pour les y pousser. Mais peu importait, toutefois. Je notais cependant qu’il n’avait pas évoqué le traité de paix qui interdisait de s’en prendre à des humains – je n’étais pas dupe quant à la consommation de sang à même la veine qui devait se pratique parmi les hautes sphères, et il devait s’en douter.

Indépendamment de cela, une clarification se devait d’être faite, cependant. « Dans le centre d’Edimbourg, je suppose ? Logeant à Glasgow, cela m’importe peu, mais ce peut être une mesure de prudence supplémentaire. »

J’esquissais un sourire légèrement sarcastique, en l’entendant. « Être une vampire suffisamment importante pour bénéficier de la protection d’un personnage si éminent, la Mort en personne, et si grandement recherché malgré le mystère de son identité, quel honneur. Mon ton était aussi railleur que le sien – je n’allais pas reconnaître la moitié de sa valeur, sans pour autant l’en priver, malgré l’intérêt qu’il suscitait en moi en tant qu’adversaire à la hauteur. Oh je n’ai assurément rien de mieux à faire, je suis persuadée que vous serez à même de dénicher un jeu d’échec pour que nous poursuivions la partie que nous avons déjà bien entamée – à moins que ça ne soit pas le genre de divertissement dont vous soyez friand. »

J’empruntais allègrement la vague d’ironie sur laquelle il surfait – les sous-entendus présents dans ses propos ne faisaient aucun doute, et je ne comptais pas être sur la réserve et ne pas entrer dans son jeu. Lui comme moi savions qu’aucun de nous n’en ferait quoi que ce soit, dans tous les cas. Je doutais fortement, comme je l’avais par ailleurs affirmé à Cora lors de notre rencontre, que sa Majesté soit à même de partager, a fortiori avec la félonne que j’étais – et je n’en voulais guère. Céder à l’attrait de ceux qu’elle possédait aurait été stupide, et n’aurait fait que précipiter, sinon ma perte, une servitude de plus en plus grande. Et je m’y refusais. Je saurai, à l’avenir, trouver d’autres proies, tout aussi satisfaisantes.

« En ce qui concerne mes acolytes, je n’ai aucun problème à cela. Un inconvénient se présente toutefois : nul n’a de coordonnées téléphoniques et internet en rapport avec moi, et je ne prendrais pas le risque de les contacter avec l’un des numéros qui m’est associable, quoi que j’ai les leur. Je suppose que se procurer un téléphone à cet usage qui serait ensuite détruit, jeté, ou réutilisé pour quoi que ce soit d’autre qui vous siérait tant que je ne l’ai pas en ma possession et ne sois pas amenée à l’utiliser, est envisageable ? Que cela doive amener un élément de désaccord ne me perturbait guère : je me refusais à utiliser mon propre téléphone pour entrer en contact avec eux – quiconque pouvait me traquer avec. Ma survie étant menacée, ou en passe de l’être, vous comprendrez aisément que conserver auprès de moi un téléphone qu’ils pourraient aisément traquer n’est pas dans mon intérêt – ni dans le vôtre.

Il était temps de conclure l'affaire. Heureusement qu'un homme averti en vaut deux et que j'ai toujours une longueur d'avance, au moins dans certains domaines. J'ai toujours une planque de réserve, de l'argent et un véhicule. Des armes aussi, même si mes différents dépôts étaient bien moins fournis qu'au début des années sanglantes. Il faut dire que la surveillance policière est nettement plus conséquente et que l'installation toujours plus perfectionnée de systèmes de vidéosurveillance induisent qu'il est de plus en plus dur de trouver des caches les plus sûres possibles. J'avais revu certains de mes critères de prudence à la baisse, ce qui n'avait pas été sans provoquer l'abandon de certaines autres, probablement parce qu'il y avait ou bien un risque que je me fasse prendre à aller les chercher, ou bien qu'elles étaient déjà surveillées car découvertes. Je préférais encore abandonner du matériel que finir en prison, ou prendre une balle. Krystel ne pouvait pas se permettre à un moment aussi crucial de son règne, le plus petit risque de se retrouver affaiblie. Ce n'était pas le moment. Très concrètement, ce n'était jamais le moment. Mais cette période était encore plus tendue que les autres. Du fait des sanguinistes, et des tensions internes à la hiérarchie vampirique. Il y avait ce petit souci de liaison avec son créateur, qui affaiblissait par moment ma compagne. Je n'allais prendre aucun risque. Et avec Freyja Swayne encore moins que d'habitude. Place sécurisée, surveillance de tous les instants et même un confortable système de surveillance de la surveillance ; tous ces dispositifs permettant en théorie de pouvoir d'assurer une sécurité la plus performante possible au cours d'une opération à risques. Je savais pourtant que tout ne pouvait jamais être parfait. Rester sur ses gardes, vigilance constante.


Je ne savais pas si Swayne avait d'autres atouts que ceux dont elle m'avait déjà fait part. Je pensais qu'elle gardait une carte dans sa manche. Juste au cas où ses connaissances sur Erin, Cora et moi même ne suffisaient pas. Elle était suffisamment intelligente et retorse pour le faire en tous cas, mais je me demandais quelle autre chimère elle pouvait utiliser pour sa propre défense. Je me demande si elle ne jouirait pas de la complicité de quelqu'un d'autre que la seule bêtise de celle qui était devenue ma fiancée... Genre de quelqu'un dans la hiérarchie vampirique. Jana ou Julien ? Ou personne, et je faisais une crise de paranoïa ? Je préférais laisser la question de côté pour le moment, je n'avais ni le temps ni la capacité de gérer toutes ces questions en même temps et il m'importait bien plus d'éliminer les problèmes les plus urgents que les autres. La belle acquiesce. Nos pièces sont en place, le jeu peut commencer. Nul besoin de plus de préparatifs supplémentaires.


Maintenant, il faut agir ou périr.


| Non, à Glasgow. Je ne tiens pas à vous éloigner de trop de vos responsabilités, pour ne pas éveiller les soupçons. Mais à chaque instant, vous serez suivie et surveillée, quand bien même vous devriez répondre à une urgence. Probablement pas, vu que vous préviendrez vos « gens », mais je tiens à parer à toute éventualité. |


Ca, elle l'aura bien compris. La belle se fait sarcastique en me répondant, ce qui m'indiffère. Mon métier me rend imperméable aux réflexions dont je peux faire l'objet. Je hausse les épaules, avant de jeter un regard autour de nous par habitude.


| Tant mieux, si vous trouvez quelque honneur à ma protection. Pour le reste, je dois avouer que je ne suis pas très porté sur les jeux intellectuels. |


C'était la vérité, ou en tous cas une partie de vérité. Je ne m'amusais jamais vraiment en l'occurence, aussi les divertissements m'étaient relativement étrangers. Je me détendais un peu avec la Reine, mais les choses n'allaient pas beaucoup plus loin. Avec Cora, aussi, même si nos jeux tournaient toujours autour de la simple satisfaction de besoins physiques qui, s'ils n'étaient assouvis, nuiraient à ma concentration et donc à mon efficacité. J'acquiesçais à ses paroles suivantes.


| Vous estimez bien. De toute manière, vous ne verrez pas non plus d'inconvénients à ce que l'on pose un mouchard sur ce nouveau téléphone provisoire. Non pas que nous ayons besoin de vous espionner vous, mais ce que pourraient vous répondre vos acolytes m'intéresse au plus haut point |


Je ne transmets pas le fait que l'entrevue va se terminer à Erin ; je ne fais pas assez confiance à ma vis à vis pour me priver du soutien d'un tireur d'élite idéalement placé, même si la couverture n'est qu'éphémère.


| Allons y, maintenant. Place aux actes. |


Ensemble dans l'obscurité, un fantôme devisant avec une prêtresse. Pour l'avenir.