Elle court vite. Beaucoup trop vite. Je ne vais jamais réussir à la rattraper, surtout avec cette fichue blessure à la jambe. Mais j'essaie quand même. Je ne vais pas abandonner si près du but non ? Voyant qu'elle continue de s'éloigner, je braque mon arme dans sa direction et essaie de viser tant bien que mal, sachant pertinemment qu'elle va surement l'esquiver en utilisant ses pouvoirs. Comme la dernière fois. Ou celle d'avant. Je sens une goutte de sueur perler sur mon front et me bruler l'œil. Je ne peux pas m'empêcher de ciller et c'est peut-être ce qui me fait rater ma cible. En tout cas, c'est une excuse plus recevable que d'autres.

Je balance tous les jurons que je connais et soudain, j'entends le tonnerre gronder. Je fronce les sourcils alors que j'en oublie presque la démone qui s'enfuit. Mais est-ce qu'elle court encore ? Je lève les yeux dans sa direction, épongeant mon front d'un revers rageur de la main et je réalise qu'elle s'est arrêtée. Et qu'elle sourit. Comme à l'école. Comme à chaque fois que je la vois. Et elle claque des doigts. La pluie se met alors à tomber, aussi brusquement que si l'on avait tourné un robinet. Et il ne me faut que quelques secondes pour réaliser que cette pluie est chaude. Beaucoup trop pour cet endroit et cette saison. Je baisse les yeux et je me rends compte que ce n'est pas de l'eau.

Mais du sang.

Il pleut du sang.

Je ne peux pas m'empêcher de pousser un hurlement alors que j'entends Maryana rire au loin.

Et je me réveille en sursaut dans mon lit. Je suis en nage et il me faut bien quelques secondes pour reprendre mon souffle et comprendre où je suis. Ce n'était qu'un cauchemar. J'en ai déjà fait de bien pires mais j'ai encore l'impression de sentir le sang sur mes bras. Je soupire et je regarde l'heure. Il est à peine deux heures et demie du matin mais je ne sais pas pourquoi, j'ai comme l'impression que je ne vais pas réussir à me rendormir de sitôt.

Alors je quitte la chambre, aussi silencieusement que possible avant de descendre et de prendre une douche dans la petite salle de bains du rez-de-chaussée. Ca ne chasse toujours pas cette sensation et, quand je ressors en peignoir, je continue de me frotter nerveusement les bras. C'est comme une automate que je me dirige vers le frigo et que je commence à me préparer un chocolat chaud. Que j'arroserais surement d'une bonne rasade de whisky. Peut-être que j'arriverais comme ça à somnoler un peu dans le canapé avant que le réveil ne sonne. Heureusement demain je ne travaille pas. Premier jour de congé depuis… je ne me souviens même plus en fait. Et je ne suis pas sûre d'être en état de le savourer. Et je n'ose même pas imaginer la pauvre Lexie qui va devoir me supporter une journée entière.

Je laisse échapper un juron quand je vois que j'ai oublié le lait et qu'il déborde de la casserole. Merveilleux. J'attrape la poignée avant de me rappeler qu'elle est brûlante et je la fais tomber par terre, dans un fracas capable de réveiller les morts. Enfin, j'espère pas. Je me demande ce que je vais faire comme gaffe supplémentaire quand j'entends du bruit. Evidemment, je sursaute et je cherche mon arme par réflexe. Qui est bien entendu hors de ma portée. Mais je reconnais immédiatement la silhouette de la petite luciole. J'ai un sourire qui me vient naturellement, même si je dois avoir l'air étrange avec ma casserole pleine de mousse de lait, mon peignoir et mon turban-serviette sur la tête.

"Oh, je suis désolée Lexie, je t'ai réveillée avec tout le vacarme que j'ai fait ? Je… Il est beaucoup trop tard… ou trop tôt… tu devrais retourner dormir."

Et j'ouvre le frigo, à la recherche d'une nouvelle bouteille de lait à sacrifier sur l'autel de la gazinière vorace. Oh il reste de la pizza. Ca ferait un bon mélange ? A n'en pas douter, mon cerveau essaie de se focaliser sur tout sauf ce cauchemar ou quoi que ce soit d'important. Même si je sais que ça ne va pas durer malheureusement.

Une silhouette, penchée sur une autre. En train de… je ne sais pas. De faire quelque chose. Pour peu, je me croirais dans la tête d’Harry Potter, en train d’observer Vous-savez-qui qui boit du sang de licorne. Ou un truc du genre. Je sursaute, en entendant un bruit de métal qui cogne je sais pas trop quoi et, à mi-chemin entre le sommeil et la conscience, je me demande si c’est pas un pistolet, que j’aurai utilisé pour descendre des vampires. Mais je n’ai pas fait ça. Je crois pas. Je suis pas sûre. Je me souviens pas vraiment. Je me souviens avoir dit à Roxie que je voulais pas que quelqu’un d’autre nous fasse du mal, et que j’espérais qu’elle avait tué tous ceux qui leur avaient fait du mal. Oui, je l’espérais pour de vrai. Et je m’en voulais. C’était pour ça que, chaque nuit, j’avais repensé à tout ça ? Je savais pas trop. J’émergeais difficilement, et réalisais que le bruit, c’était pas dans mon rêve. Ou mon cauchemar. Je savais pas trop.

Je me levais, en tout cas, trébuchant un peu dans le noir. J’avais une petite veilleuse en forme de licorne, à un bout de ma chambre, mais ça éclairait pas tant que ça. Peut-être que je devrais en mettre quatre ou cinq ou six. Ça se trouve, y’avait d’autres formes ou d’autres couleurs, ou les deux. Oui, ça serait bien. Ça serait du boulot, de tout enlever avant que Sasha le voie, le matin. Je voulais pas… Enfin, je sais pas, je voulais pas lui montrer. Pas du tout.

Bref, je la débranchais, et je la cachais dans ma poche par… euh… réflexe. Peut-être. Je crois que j’avais les yeux tout plissés, mais c’était pas grave. J’aurai peut-être dû glisser sur la rampe, j’aurai eu moins de mal qu’en descendant toutes les marches, et en trébuchant un pas sur deux. Ou un sur trois. Enfin, quelque chose comme ça. Je secouais la tête, comme pour oublier tout.

« Mais non, c’est pas grave. C’est pas ta faute. J’étais pas bien endormie. Je crois. Ça va ? Je peux regarder ? Pourquoi t’as jeté la casserole par terre ? Euh… »

Je crois que je ris, sans faire exprès, de ma bêtise. Je sais qu’elle l’a pas jetée par terre. Je secoue la tête, et me rapproche un peu.

« Tu fais à manger ? Tu veux que je fasse à manger ? »