Les hommes n'existent qu'au prix de parier sur leurs propres chances d'exister. [Livre III

Les hommes n'existent qu'au prix de parier sur leurs propres chances d'exister.

Certains de ses semblables fréquentent des clubs privés, échangistes ou encore BDSM, ces lieux ou la luxure y est abondante et le voyeurisme courant. Mia quant à elle, n'est pas du genre à suivre le troupeau de ses frères et sœurs du chaos. Elle est victime de ses vices, mais maîtresse d'où elle s'abandonne. Et elle n'ira certainement pas dans un de ces clubs appartenant aux humains. Dans un contexte différent, en dehors du sexe, elle possède tellement mieux.

C'est encore récent, mais à chaque combat organisé, son complice du moment compte de plus en plus de participants. Le bouche à oreille fonctionne merveilleusement bien et elle se félicite d'avoir laissé des survivants à l'origine de tout cela, ou elle n'en serait pas là. Il reste toujours le risque que les combattants libres en parlent aux mauvaises personnes, aux autorités ou encore à la brigade PES, mais dans ce cas c'est son complice qui se fera prendre, pas elle.

Son anonymat est donc primordial. Ce n'est pas évident de rester anonyme quand son visage apparaît sur les écrans ou dans les magasines. La semi-démone prend d'avantage de risques en ne loupant pas un seul des rassemblements illégaux, c'est plus fort qu'elle tandis que le chaos qui résulte des combats lui procure un indicible plaisir sadique. Elle est incapable d'y résister. Encore moins lorsqu'elle envoie une créature ou un humain sous son pouvoir se battre en son nom. C'est plus amusant de savoir qu'il n'a rien d'un volontaire et que son réveil se fera brutalement, s'il survit. D'autres sont volontaires.

Un autre élément motive les participants, les paris et l'argent que ces derniers peuvent leur rapporter s'ils remportent le combat. Ça, elle ne l'avait pas prévu et de plus en plus de personnes sont prêt à se mettre en danger par l’appât du gain. Peu importe la raison de leur venu, tant que le chaos se propage, tant qu'ils se tapent sur la tronche pour son bon plaisir.

D'ordinaire, elle vient avec un champion, un combattant qu'elle est certaine de voir gagner, jusqu'à ce qu'elle se débarrasse de lui. Mais depuis le dernier, un vampire qu'elle a laissé griller au soleil, elle n'a pas eu le temps d'en chercher un autre. La semaine a été longue, débordé de travail elle a seulement ordonné une date et une heure de début, son complice s'est chargé du reste. Ce soir, elle espère se ressourcer du chaos ambiant, à défaut d'avoir son champion.

C'est ce qu'elle envisageait avant de l'apercevoir, une ombre, jusqu'à ce qu'il cesse de bouger. Elle a eu tout loisir de l'observer auparavant, chaque fois qu'il a combattu à dire vrai, il a combattu son avant-dernier champion, l'a même envoyé au tapis, à tel point qu'il a fait perdre de l'argent à Mia qui avait parié pour son champion comme d'habitude.

Devrait-elle ressentir le besoin de se venger ? Elle se le demande, après tout, si cet homme a eu le dessus sur son champion, c'est qu'il était trop faible. Elle se fiche également de l'argent, elle n'en manque pas, elle n'était pas plus attaché à son combattant, mais il lui a fait perdre du temps à la recherche de son dernier champion. Elle devrait ressentir le besoin de se venger. Pourtant, elle observe cet homme d'un nouvel œil, elle le voit comme un potentiel champion.

Le visage dissimulé par la capuche de son pull, elle brave la foule et s'approche de lui jusqu'à se trouver à sa hauteur. « Devrais-je parier sur vous ce soir ? » S'enquit-elle d'une voix suffisamment claire pour être entendu par-dessus le brouhaha qui les entoure. C'est la première fois qu'elle accoste un participant pendant les jeux, d'ordinaire trop prudente pour prendre le risque qu'on la bouscule et la reconnaisse. Mais cet homme, l'intrigue, lui dit quelque chose, mais elle n'arrive pas à se remettre son souvenir de lui dans son contexte.

C'est bientôt l'heure d'entrer dans le corridor. Je me prépare. Je bande soigneusement mes mains, après avoir imprégné le tissu d'alcool pur pour empêcher toute infection lorsqu'une fois encore, je m'entaillerais les jointures sur la gueule d'un de mes adversaires du soir. Après avoir tué pour survivre, je m'étais rendu compte que gagner de l'argent était infiniment plus facile quand on ne tuait personne. Moins de risques. Paradoxalement, plus d'exposition, donc je morflais plus. Mais les flics se fichaient des mecs comme nous. Ce qui les intéressait, c'était de retrouver ceux qui tiraient les ficelles et qui pariaient de grosses sommes. Pour nous autres, gueules cassées, du cash à gogo tant qu'on tient debout mais rien de fantasmagorique non plus. Je tiens la route, je me cantonne à ma ligne. Hier, j'ai reçu un message, de la Reine Rouge en personne. Je n'ai pas répondu, je n'utilise plus ce téléphone que par intermittence pour ne pas me faire repérer. A quoi bon répondre ? Krystel est partie et ne reviendra plus. Elle est quelqu'un d'autre, maintenant, et je ne gâcherais pas cette seconde chance en lui fourrant le cancrelat que je suis sur les épaules, vous pouvez me croire. En prison ? Elle est en sécurité. Ils n'essaieront pas de la tuer et quand bien même ils tenteraient le coup, alors bon vent à tous parce que l'Ecosse disparaîtra dans une véritable tempête de sang. Je la sens pourtant désireuse, curieuse de poser ses questions. Mais qu'importe. Je me ferme. Par loyauté et par amour.

Parce que seule la mort met fin au devoir, et que je suis déjà mort mille fois.

J'émerge torse nue dans la fosse. En short. Chaussures de sport déjà tâchées de sang. J'ai le coin des lèvres un peu gonflé d'il y a trois soirs et la pommette droite tuméfiée. Mon œil gauche est souligné d'un demi-cercle sombre et je porte sur tout mon corps les stigmates de mois passés à survivre à la dure. Mes vieilles cicatrices sont toujours là, et je les arbore fièrement. Mes cheveux sont coupés courts, pour ne pas laisser de prise à l'adversaire. Mes ongles sont coupés tout aussi ras, pour éviter de m'en faire arracher lors de prises vicieuses. Je m'approche de l'arène où un adversaire mal en point est évacué, un autre triomphe. Une jeune femme se tourne vers moi et me demande si elle doit parier sur moi ce soir. Je la dévisage sans mot dire. Je n'ai pas assez bu, avant d'entrer sur le ring. Je garde ça pour le trip post-victoire ou pour l'anesthésie de la défaite, violente et douloureuse.

| On ne parie pas sur les fantômes. |

Lui répondis-je avant d'entrer en scène au son de cloche. La foule exulte. Mon adversaire se jette sur moi. Je pare un coup de poing avec mon avant bras, tord son poignet et le fait voler par dessus son propre bras. Mon talon ne trouve pas sa gorge, la victoire facile trace sa route et m'assène un direct en plein diaphragme, ce qui me coupe la respiration. Un terrible crochet me percute ma pommette déjà douloureuse et me fait voir des étoiles. Je soigne le mal par le mal. Coup de tête en plein dans son menton, je m'assomme à moitié mais le type dégueule déjà du sang et j'ai senti l'os craquer. Coup de poing en pleine poitrine, deux, puis trois. Il s'effondre mais reprend en me cognant par le travers, dans le rein. Je chancèle et il tente un nouveau coup terriblement puissant qui rencontre... Mon coude, à angle droit. Le choc est absorbé et la douleur irradie de mes os, tandis que le type hurle et ramasse sa main en miettes, probablement foulée sinon cassée. Je le chope par le cou et lui éclate le crâne trois fois de suite contre le pilier le plus proche, avant de le laisser choir au sol.

La foule exulte, scande le nom de Fantôme et les billets pleuvent. Je m'éloigne sans un signe vers mes « fans » pour rejoindre le poste médic, où je crache un gros glaviot de sang et palpe les blessures et contusions sur mon visage, nombreuses et à vif. La fille est toujours là.

| Alors, résultat des courses, je suis riche? |

Je crache à nouveau, plein de sang dans la bouche. Ses coups dans mon abdomen m'ont bien démonté. J'éructe.

| Et personne pour filer un whisky, bordel de merde? |

Les hommes n'existent qu'au prix de parier sur leurs propres chances d'exister.

On ne parie pas sur les fantômes. Voilà tout ce qu'elle obtiendra avant qu'il se jette à corps perdu sur le ring. Eh bien, elle compte bien parier sur lui ce soir et lui faire comprendre qu'il peut se faire plus de fric grâce à elle puisqu'elle ne prend aucune commission sur les paris qu'elle lance. Ce n'est pas pour l'argent qu'elle organise tout ceci, uniquement pour ses vices. Elle s'éloigne du ring pour retrouver rapidement son complice et lancer les paris sur son fantôme.

Par la suite, Mia ne perd aucune miette du combat. Surtout rien de son torse nu, sa peau parsemée de cicatrices et ce regard sombre et déterminé. C'est comme des préliminaires, chaque coup reçu ou chaque coup envoyé, éveille sa libido. Le chaos éveille sa libido et son pouvoir, il n'est pas rare qu'elle se trouve un amant à la fin des combats. Généralement, ses champions, ce soir, elle se trouvera quelqu'un d'autre. Pourquoi pas ce fantôme ?

Là ou la foule ne voit que des coups et du sang, Mia perçoit ce que l'on pourrait considérer comme sa nouvelle drogue depuis quelques mois. L'anarchie, comme une brise qui vient la bercer, la rend bienheureuse. Et ce, grâce à tous ses combattants qui ne se doutent pas de l'envers du décor. Certains, retiennent leur souffle, compatissent à la douleur qui survient lorsque les combattants se touchent. Pourtant, très peu compatissent à la violence sans pudeur de leurs échanges.

Trois coups sur le crâne finissent d'achever l'adversaire du fantôme. Soit il est K.O, soit il est mort, dans tous les cas ce n'est pas de son ressort, elle se préoccupe seulement des gagnants. Les perdants sont récupérés par des âmes charitables, ou par les autorités une fois les lieux désertés. Toute attentive à ce fantôme, Mia rejoint le coin où sont distribués les premiers soins, le rejoint.

Alors, résultat des courses, je suis riche? La semi-démone se place au-dessous d'un lampadaire, emplacement stratégique pour que l'on ne voit toujours que de l'ombre à la place de son visage. Étant donné que son complice a parié pour elle, Mia ignore encore la totalité de la cagnotte qu'il a remporté en gagnant ce combat.

« Tout dépend de votre définition de la richesse. » Répond-elle. Elle a connu la pauvreté, les budgets sans cesse réduits des orphelinats, des refuges dans lesquels elle se trouvait. Aujourd'hui, elle se considère comme riche puisqu'elle ne manque de rien. Elle aurait pu devenir riche sans avoir à lever le petit doigt, sans avoir à travailler, se trouver un riche époux et se faire entretenir, mais où est le plaisir de se surpasser là-dedans ?

Elle pourrait d'avantage renflouer ses économies avec ses paris, elle estime ne pas en avoir besoin puisqu'elle gagne déjà assez d'argent avec ses contrats. Mia apprécie d'être bien payé, bien sûr, mais sa définition de la richesse est bien différente de celle de ses camarades acteurs et mannequins qui en réclament plus pour le simple plaisir de renflouer leur compte en banque.

Et personne pour filer un whisky, bordel de merde? Ce n'est déjà pas évident de changer de lieu de rassemblement toutes les semaines, il n'est pas utile de se surcharger en alcool, même si cela échaufferait d'avantage l'esprit des participants. Il ferait déjà mieux de se nettoyer la bouche avec de l'eau avant de cracher tout son sang comme un malpropre, devant elle, ça ne le rend pas particulièrement à son avantage.

« Vous pourriez l'obtenir la prochaine fois, vous pourriez tout obtenir en fait, si vous vous engagez à combattre pour moi. »

Quand on arrête de se battre et que le corps refroidit, que les muscles se détendent, que le sang devient moins bouillant, on sent infiniment plus chaque petite blessure, dont la souffrance monte crescendo. Comme d'habitude, j'ai les articulations égratignées, en particulier au niveau des jointures. J'ai pris des gnons et j'ai des muscles plus douloureux que d'autres. Mon bassin, mon abdomen en règle générale, sont plutôt douloureux par endroits. Me taper dans l'estomac et dans le plexus solaire m'ont bien fait reculer, je dois le reconnaître. Le type sait se battre. Mais il n'a pas l'instinct de meurtre, ce qui nous pousse à tout utiliser de notre environnement ou des circonstances pour prendre un ascendant irrémédiable, définitif, quelque chose qui soit si total qu'il est irréversible. Je l'ai massacré. Pas avec mes poings, pas avec mes dents, pas avec des prises. Avec rien de tout ça. J'ai utilisé mes compétences pour attendrir la viande, puis mon environnement pour enfoncer le clou. Il y a forcément plus fort que moi. J'en ai déjà rencontré. Et je les ai tués quand même. Par mon intégration dans des équipes d'autres tueurs, par la ruse. Je n'ai pas forcément été le meilleur. J'ai été le plus malin, le plus chanceux, le mieux assisté aussi, sans doute. Peu importe. Je suis toujours là et pas les autres.

Pour ce que cela me sert, on est bien d'accord...

La fille me répond de manière bien imprécise. Je la dévisage un instant, alors que les alentours de mon œil droit prennent une teinte brun/violet, signe d'un gonflement de l'oeil qui ne va probablement pas trop tarder. Foutue paupière. Elle me met toujours dans le bordel.

| J'en ai pas. J'ai des thunes ou j'en ai pas, en gros. De quoi payer mon coucher, mon couvert, et mon whisky. Si c'est pas trop demander. |

Je ne dis pas ça méchamment, ni sur un ton vindicatif. J'ironise plutôt. Je repousse le médic du coin, prend la bassine d'eau avec laquelle il allait me nettoyer. J'y plonge mes mains et m'arrose le visage. Je frotte mes contusions sans aucun scrupule pour la douleur, je passe mes mains dans mes cheveux pour les débarrasser du sang de mon adversaire et je continue de m'asperger comme ça un moment, avant de cracher un dernier glaviot ensanglanté dans la bassine. Je prends une serviette qu'on me tend et m'essuie le visage. J'ai besoin d'un verre maintenant, putain. Je me retourne vers la jeune femme. Bien sûre d'elle. On dirait une femme d'affaire, confiante. Visiblement pas du tout intimidée de se retrouver en compagnie d'un mec hirsute qui vient de se nettoyer de son sang et de celui de son adversaire sous ses yeux.

| Je ne me bats pour personne. Je l'ai trop fait dans ma vie. Maintenant, je me bats pour moi. Mais si vous avez de quoi allonger de la monnaie, je veux bien y retourner. Vous pariez sur moi, vous faites en sorte que les autres parient gros. On est tous les deux gagnants. Si je gagne assez, je me tire. |

Oui, là tout de suite, maintenant. Je peux y retourner. Je n'ai pas encore dépassé mes limites.

Les hommes n'existent qu'au prix de parier sur leurs propres chances d'exister.

J'en ai pas. J'ai des thunes ou j'en ai pas, en gros. De quoi payer mon coucher, mon couvert, et mon whisky. Si c'est pas trop demander. Serait-ce pour l'argent qu'il vient dans ses jeux ? Elle en doute, elle l'a vu combattre et est prête à parier qu'il est ici pour se défouler. L'argent n'est qu'un supplément sur lequel il n'allait pas cracher dessus. Contrairement au sol, qui se couvre petit à petit de taches de sang.

Tandis que cet homme se nettoie le visage, nettoyé de la crasse et du sang, il est indéniable qu'il lui dit quelque chose. Indirectement, elle le connaît, elle l'a déjà vu, mais rencontre la difficulté de savoir avec précision où et comment elle aurait pu le rencontrer. Elle a beau le dévisager, elle ne se le remet pas.

Je ne me bats pour personne. Je l'ai trop fait dans ma vie. Maintenant, je me bats pour moi. Mais si vous avez de quoi allonger de la monnaie, je veux bien y retourner. Vous pariez sur moi, vous faites en sorte que les autres parient gros. On est tous les deux gagnants. Si je gagne assez, je me tire. Il est prêt à y retourner, à condition qu'elle lui rapporte plus d'argent! Elle ne le croirait pas s'il venait pas de lui dire. Il crache du sang, son visage et son corps se boursouflent d'hématome, mais il se sent prêt pour retourner fracasser des dents.

Là ou elle devait utiliser la suggestion sur ses champions pour qu'ils retournent sur le ring, lui agirait volontairement. Ce serait formidable, s'il ne refusait pas de combattre pour elle. Les meilleures choses, sont les plus difficiles à obtenir et ça n'a jamais arrêté la semi-démone, au contraire.

Des refus, elle en a reçu plus d'un, mais aucun qu'elle n'ai pas réussi à détourner pour obtenir ce qu'elle veut. Elle finira par faire de cet homme son champion. Ses lèvres esquissent une moue qu'il ne peut voir. « Je vois. Dans ce cas, je ne peux vous garantir du whisky, à moins que je sache lorsque vous comptez combattre ou non. »

Son complice prend garde de bien se faire voir avant de l'accoster, il sait qu'elle n'aime pas se faire surprendre. Une main se pose sur son épaule et sa voix lui parvient dans un murmure, il lui annonce qui seront les prochains combattants et lui glisse entre les mains une liasse de billets en lui précisant le montant, puis il disparaît aussi vite qu'il est apparu.

« Nous avons là 500£ en pariant sur vous... » Elle ne lui donne pas pour autant l'argent qui lui est dû. « Un combattant, un vampire, n'a pas encore d'adversaire, il se fait appeler Rambo... » La première fois qu'elle a entendu le nom de scène de ce vampire, elle en avait rit. Le ridicule ne tue pas, il parait. « ...Disons que je double la mise, si vous gagnez vous emportez 1000£ pour ce soir. » Ou plus s'il décide de ne pas s'arrêter à si bon compte. « Voir 2000£ si vous lui réglez définitivement son compte. »

Les paris sont ouverts à toute sorte de demande, même la mort d'un combattant n'est pas épargné par les jeux d'argents. Et on vient dire que les semi-démons sont les plus terribles. Il suffirait d'être témoin de ses jeux pour découvrir que les pires de la nature humaine sont majoritairement regroupés ici.

Je ne suis pas en forme, mais l'adrénaline comme l'alcool m'en donnent l'illusion. Finalement, je serais peut-être capable de tenir longtemps ici. J'avais bien conscience qu'en multipliant les combats, je prenais des risques, mais qu'importe. Je me rendais compte qu'un jour ou l'autre, un type aurait ma peau. Et ici, dans ces bas-fonds, il y a des créatures surnaturelles. Je n'y avais jamais assisté, mais on parlait de combats à mort entre vampires et loups-garous. Aucun humain n'avait réellement ses chances au corps à corps contre ces monstres. J'en avais déjà tué, par ruse principalement, ou quand ceux-ci cherchaient à pratiquer leur habituelle moisson de cadavres alors que j'étais prêt à délivrer un coup fatal. C'était souvent par surprise que je butais ces saloperies, mais dans une arène, sans arme, sans argent. Ca tenait de la boucherie pure et simple, la côte de l'humain ne devait pas être meilleure d'une sur vingt, j'en mettrais ma main à couper. Mais qu'importe la cote tant qu'il y a du sang plein l'arène, pas vrai ? Beaucoup ici ne venaient que pour le spectacle, les véritables parieurs et autres personnes intéressées par l'aspect financier de la chose n'étaient jamais légion. Je suis prêt à retourner me battre, de toute façon, je n'ai jamais vécu autrement que dans le danger le plus absolu, pas vrai ? Je sens que ça éveille l'intérêt de la blondasse qui semble pétée de thunes. Si j'éveille suffisamment son intérêt, son appât du gain et son sens du défi, je suis sûr que je peux ressortir avec assez d'argent pour vraiment recommencer quelque chose ailleurs. Mais ça reste à voir. Déjà, il faut que je survive à ce qui risque fort d'arriver maintenant que je me suis engagé sur cette pente des plus savonneuses. Je la dévisage alors qu'elle me parle vampire.

Comme de bien entendu.

| Un vampire ? Rien que ça ? Avec mes poings, mes pieds, mes dents et tout le reste? |

Je pars d'un grand rire et m'enfile une grande gorgée de whisky par la flasque qu'on me tend, un des médecins de ces combats illégaux. Je ris un bon moment devant l'ironie de la situation, devant ma propre bêtise et devant la constatation de ce qu'est ma propre nature, une fois de plus.

| J'irais pas pour 2 000 livres. Un combat comme ça, c'est minimum 50 000. Plus un pourcentage sur vos gains de tous ceux qui parieront contre moi, bien entendu. Si je vois toute cette monnaie, je vais vous le dépuceler, ce connard. |

Ou bien, je serais mort dans cinq minutes. Allons-y!

Les hommes n'existent qu'au prix de parier sur leurs propres chances d'exister.

Un vampire ? Rien que ça ? Avec mes poings, mes pieds, mes dents et tout le reste? Mia sourit. Courageux, mais pas téméraire. Elle ne lui aurait pas proposé ce marché s'il n'avait pas ses chances, mais l'intérêt n'est pas de le voir se faire tuer cette nuit tout de même. Sa question est légitime, il n'est pas le premier à s'interroger sur l'inégalité du combat entre un humain désarmé et une créature.

« Vous connaissez beaucoup d'humains qui oseraient y aller sans arme ? Non, vous aurez le droit à une arme blanche, deux maximums, en argent bien sûr. Où serait l'intérêt d'un tel combat gagné d'avance sinon. » Les chances de survie pour un humain sans armes contre une créature sont nulles, elle l'a constaté plus d'une fois avant d'ouvrir ses jeux à qui veut entendre et y participer. La première confrontation qu'elle avait eu l'idée de réaliser était un humain contre un vampire, après quoi elle en avait expérimenté d'autres, aujourd'hui, elle sait quoi contre quoi est un combat à égalité et ceux fait pour le spectacle.

J'irais pas pour 2 000 livres. Un combat comme ça, c'est minimum 50 000. Plus un pourcentage sur vos gains de tous ceux qui parieront contre moi, bien entendu. Si je vois toute cette monnaie, je vais vous le dépuceler, ce connard. Téméraire finalement, mais sous certaines conditions. Qui lui coûterait une fortune, non pas qu'elle ne possède pas une telle somme, elle met régulièrement de l'argent de côté, sur un compte offshore. Elle n'est certainement pas prête à miser 50 000£ sans assurance.

« Vous ne manquez pas de culot. » Pour cette fois, ça mérite réflexion, il ne s'agit plus de menue monnaie. Il ne s'est pas contenté de doubler la mise, il l'a multiplié par 25. Elle ne possède pas une telle somme, pas sur elle. Ni elle, ni les parieurs, ni les combattants, auquel cas cela ferait bien longtemps que les paris auraient grimpé au dessus des 10 000.

« Je n'ai aucune assurance que vous soyez si fort, aucune que vous soyez capable de gagner ce combat même avec deux armes en votre possession et vous voudriez que je parie 50 000 sur vous, c'est hors de question. Pas cette nuit, faites vos preuves et je m'assurerais de parier 50 000 la prochaine fois. Tout ce que je suis en mesure de vous offrir, ce soir contre ce vampire, c'est 10 000 avec des armes. »

D'autant qu'il refuse pour l'instant d'être son champion, ce qui ne tarderait pas beaucoup, mais ce soir, elle se sent trop lessivée pour mettre de sa volonté dans son pouvoir et faire de lui son pantin. S'il savait, il s'estimerait heureux. Un autre soir, ce sera différent.

Allez, on y est à la fête du slip. Comme si j'avais pas commencé à assez boire comme ça pour ce soir, pour demain, pour toute la semaine à venir, je fais haro sur la flasque et la vide progressivement de quelques gorgées bien senties. Je me sens prêt à soulever des montagnes ou à me les prendre dans la gueule et très sincèrement, peu importe ce qui arrivera j'en aurais très vite plus rien à carrer. J'essaie déjà de faire monter les enchères, parce que je sais ce que je vaux. Un homme avait dit jadis de moi que j'étais « l'ami de la mort, le frère de la chance et un fils de pute ». Ouais. Ca résumait bien. Quoiqu'il advienne, j'assurerais le spectacle. Que ce soit pour matraquer le mec en face ou qu'il s'essuie ses bottes sur mes gencives. Dans tous les cas, je ferais face sans gloire ni panache, avec une putain de rancoeur et la capacité à encaisser d'un rhinocéros. Si si. Je lâche, goguenard, quand la fille me parle d'armes en argent.

| Me donner deux armes en argent contre un vampire qui sait pas qui je suis, c'est aussi un combat gagné d'avance. |

L'alcool que j'ingurgitais montait très vite, la faute à la chaleur, à l'adrénaline sans doute, au fait que je n'avais rien mangé depuis un bon moment maintenant alors que je venais de fournir une bête d'effort pendant un bon moment, contre l'enfoiré précédent. Et du coup, je me sentais en confiance. L'avantage du vampire, c'est que c'est super rapide. Ces mecs étaient des tueurs-nés et ils savaient comment donner la mort, même lentement. Mais ils étaient souvent sûrs de gagner. Quand on a passé presque dix ans à les buter, on prend un peu de confiance. Beaucoup, quand on a du whisky plein les veines. Quoiqu'il en soit, je fais rien sans rien en échange et une bonne baston contre un suceur de sang, ça vaut pas une poignée de billets. C'est le genre de spectacle qui vaut de l'or, surtout que je finirais en charpie que je gagne ou que je perde.

| C'est la dure loi du marché, chérie. |

Je me survendais, mais je n'en avais rien à carrer de paraître arrogant. Je haussais alors les épaules. Dix mille. Dix mille, quoi. Je gagnerais plus à faire de la manutention pendant quelques mois, sans prendre le risque qu'on me mange avec ou sans assaisonnement.

| Contre un humain, costaud, ok. Pas contre un vampire ou contre un lycanthrope. 50 000 minimum. Mais vous êtes libre de refuser aussi, hein. Moi, je force personne. |

Ou seulement à crever. Je termine la flasque, la refile dans ma veste en cuir et me masse les côtes du côté gauche. J'ai mal partout et je dois plus ressembler à rien.

| Si vous voulez pas me sponsoriser pour du sérieux ni me payer un coup à boire, j'vais rentrer chez moi. J'imagine qu'on se retrouvera assez rapidement, le monde est petit. Surtout quand on est dans son trou du cul. |

Les hommes n'existent qu'au prix de parier sur leurs propres chances d'exister.

Me donner deux armes en argent contre un vampire qui sait pas qui je suis, c'est aussi un combat gagné d'avance. Qu'essait-il donc de lui faire comprendre par cette phrase ? Est-il si arrogant qu'il se pense certain de gagner ce combat ? Qui est-il ? Quelqu'un assurément, son visage ne lui revient toujours pas, mais elle l'a déjà vu quelque part. S'il se pense si certain de gagner ce combat avec deux armes, peut-être est-il l'un de ces anciens partisans de l'église...

Ça devient une évidence, elle ne se remettait pas son identité parce que c'est la première fois qu'elle le croise en chair et en os, mais elle se souvient maintenant d'où elle le connaît. Elle aurait pu faire le rapprochement plus tôt, avant que ce visage soit recouvert de sang et d'hématomes, hors, il est censé être mort depuis la fin des années sanglantes ce type.

C'est la dure loi du marché, chérie. Contre un humain, costaud, ok. Pas contre un vampire ou contre un lycanthrope. 50 000 minimum. Mais vous êtes libre de refuser aussi, hein. Moi, je force personne. Mia trépigne, mais se retient de laisser paraître quoi que ce soit physiquement, face à elle le chouchou de l'ex-reine des vampires. Il n'aurait pas dû se mettre à boire, ça lui aurait évité de balancer une stupidité aussi flagrante que ses chances de gagner contre un vampire. Elle hausse les sourcils, effectivement, il les vaut peut-être.

Si vous voulez pas me sponsoriser pour du sérieux ni me payer un coup à boire, j'vais rentrer chez moi. J'imagine qu'on se retrouvera assez rapidement, le monde est petit. Surtout quand on est dans son trou du cul. Le voilà, l'ultimatum. Il est trop gourmand et elle, pas prête à miser une telle somme ce soir, mais elle le veut, elle l'aura. D'avantage maintenant qu'elle sait. Elle laisse filer quelques secondes, silencieuse, le temps de lui faire croire qu'elle y réfléchit, alors que c'est déjà tout vu.

« Un combat aussi important, pour une somme tout aussi importante, je préfère que l'on envisage ça pour une autre fois. Je vais vous donner un numéro, un autre jour ou vous serez prêt pour ce combat, contactez-moi. Je m'assurerais de miser 50 000, en plus de vous ramener le meilleur whisky du pays. » Ce soir là, elle sera préparée. Parce qu'elle est quasi-certaine que s'il gagne et repart avec cette somme, il ne reviendra pas avant d'avoir tout dépensé. Ce n'est pas le but. Oui, elle prendra le risque, elle misera, mais s'il gagne, elle s'assurera qu'il revienne. Elle obtient toujours ce qu'elle veut.

Attrapant un des médecins, que son complice a sorti d'on ne sait où, elle lui réclame un stylo et du papier. Aussi prestement, il lui ramène ce qu'elle a demandé et y note le numéro de téléphone de son complice, avant de le lui donner, avec la liasse de billets qu'il a gagné en luttant. Hors de question de donner son numéro personnel, son complice se chargera de lui transmettre le message. « Appelez-moi, nous serons gagnants tous les deux. Et n'oubliez pas de rendre cette flasque d'alcool au médecin. » Ce dernier n'oserait même pas la réclamer, pas à un combattant, mais le geste n'a pas échappé à Mia.

Sans attendre plus longtemps, elle tourne les talons et s'engouffre à nouveau dans la foule. Qu'il l'appelle ou non, elle est certaine de le revoir participer aux combats. Mia retrouve sa place habituelle, dans l'ombre, depuis un emplacement ou elle ne ratera plus rien du combat en cours et ceux à venir.

Je ne doutais pas un seul instant du fait que la jeune femme et moi nous recroiserions. Je ne savais absolument pas qui elle était mais ma longue expérience de la clandestinité et des bas-fonds de notre monde si civilisé, m'indique qu'elle est importante. Ici, il y a beaucoup de molosses. Mais il y a beaucoup moins de requins. Ce sont eux les plus dangereux, les plus traîtres. Les molosses, on peut apprendre à les gérer ou alors si on échoue, on ne souffre pas tant que ça. Les pigeons, c'est encore plus facile. Tant qu'ils voient du sang, tant qu'il y a du bruit et des os brisés, boum c'est bon, on s'en sort. Mais les requins, les mecs qui tiennent ce genre d'endroit et qui brassent le véritable argent, c'est autre chose. Quand elle me dit qu'elle n'a pas cinquante mille à disposition, je ne la crois pas. Ou alors, c'est une affaire récente, ici. Mais les combats montent très très vite, car ces endroits réveillent les plus bas instincts et attirent ceux qui ont du fric à dépenser et ceux qui n'en ont pas mais qui sont de toute manière accro au spectacle et aux paris. C'est comme ça, il ne faut pas forcément chercher. Ces gens là sont vachement plus dangereux car ils sont intéressés, ils ont des enjeux très forts, très puissants, à ce que les "jeux" continuent. Qu'ils soient pleins de surprises, pleins de rebondissements. Ce qui rend les combattants interchangeables, au moins sur le long terme. Je sais donc à peu près à quoi m'attendre. La jeune femme quoiqu'il en soit, me dévisage et se fait pensive. Elle doit me prendre pour un ancien soldat des unités britanniques chargées de "décontaminer" les zones tenues par les vampires et les lycanthropes. Je n'en sais rien. Et je m'en fiche. Tout ce que je vois, c'est de l'intérêt.

Je lui ai donné matière à réfléchir. J'ai amené le requin à la table des discussions, reste à la faire tenir selon mes termes et à savoir ensuite partir avant qu'il ne soit trop tard. C'était à moi de gérer ça comme il fallait. A moi de réfléchir. Ca allait me changer de cogner, simplement, et de picoler. Voir sur du plus long terme. Il fallait encore être efficace. Je la laisse réfléchir un moment, peser le pour et le contre. Bien sûr, elle dit non. Son travail est de négocier à la baisse, je ne doute donc pas de ses compétences en la matière.

| Ok, tout ça pour la prochaine fois. Et si je gagne, je ferais mieux pour le double la fois d'après. Ou je mourrais et ça vous fera quand même un sacré paquet de blé. |

Je la tente, volontairement, pour m'arroger un quelconque avantage. Je l'ignore quand elle s'éloigne, pensant faussement que nous en avons déjà terminé. Je ne crois pas que les choses peuvent aller beaucoup plus loin maintenant que nous sommes tombés d'accord sur une forme de compromis. Et voilà qu'elle me ramène un papier avec son numéro. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'elle n'a rien des groupies qu'on observe parfois, payantes ou non, que je côtoie d'habitude dans ce genre d'endroit. Je soutiens son regard.

| D'accord,chef. | lançais je un peu joyeusement.

Je termine de me rhabiller, puis je sors et fume une clope en me demandant si c'est la mort ou la fortune, qui m'attend.

» Se sont les décisions que l'on retient des gouvernants, non leurs dilemmes [Livre II - Terminé]
» Les hommes ont la langue bien pendue, peut-être un peu trop 〆 [Livre II - Terminé]
» Mission intrigue : « Tous les hommes vivent ensemble, mais ils suivent des chemins différents. » [Livre II - Terminé]
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