La journée venait de prendre fin, je raccompagnais mon dernier patient à la porte. Cela n'avait pas arrêté, ils avaient défilé les uns après les autres, me laissant seulement le temps de reprendre mes esprits entre chaque séance. Je pris mon carnet et mon stylo et consignait mes impressions sur cette dernière entrevue. Quelques lignes que je reprendrais demain pour effectuer mon compte rendu quotidien sur mes patients. Je refermais le carnet et posais mon stylo dans le pot à crayons. Mon bureau restait impeccable, je n'avais qu'à ranger les dossiers que j'avais sortis en prévision de ma journée infernale. Je refermais la porte de l'armoire et tournais la clé dans la serrure, celle-ci prit place dans sa petite cachette secrète et je sorti de mon bureau. Les lumières s'éteignirent plongeant mon bureau dans la pénombre.

Je mis mon manteau et pris la direction de la sortie. Je dévalais les marches rapidement, pour arriver le plus vite possible dehors et respirer l'air frais de l'hiver qui approche. Je sortis les clés de ma voiture et me dirigeais vers celle-ci, ce soir j'avais prévue d'aller me dégourdir les pattes au Wolfheaven. La journée avait été harassante et je n'aspirais qu'à une chose, retrouver la nature, courir, me sentir un peu plus libre qu'entre ces quatre murs que je côtoyais jour après jour.

Contact, le bruit du moteur parvint à mes oreilles et je pris la direction du repère à loups. La chance m'accompagnait car la circulation ne fut pas pénible et je parvins sans difficulté au Wolfheaven. Je garais ma voiture, laissais mon sac, mon manteau et mes chaussures dans le coffre. Je m'approchais de l'orée du bois, respirais l'air humide de la terre et de l'écorce d'arbre. Je revivais enfin.

Je laisse ma louve prendre ses aises, je me transforme non sans les quelques douleurs que cela accompagne. Je pense que jamais je m'y ferais, mais en même temps, je sais que je serais bien une fois la transformation finie. Je me retrouve à quatre pattes, au sol. Mon visage d'humaine devient une face de loup, mon nez s'allonge, mes cheveux d'ébène deviennent des poils noirs parcourant tout mon corps. Mes prunelles chocolats laissent place à des yeux ambrés d'un loup transformé. Je regarde le ciel qui se pare petit à petit des étoiles de la nuit.

Une odeur alléchante parvient à mon museau, je ne peux refuser un repas apporté sur un plateau d'argent. Je me mets alors en chasse, je courre à travers le bois à la recherche de ma proie qui sera à coup sûr délicieuse. Je me rapproche et ralenti l'allure, je suis aussi silencieuse que possible, je la vois en face de moi, un lapin sauvage qui mange innocemment des herbes sauvages. Quelques pas sur le lit de mousse et je saute sur ma proie qui n'aura le temps que d'un petit cri avant de rendre l'âme sous mes coups de crocs. Je me régale de mon festin puis repus, je me remets en route, je ne me lasse pas de cette course infernale dans les bois.

Mais une nouvelle odeur me parvient, celle d'un autre loup, ou plutôt d'une autre louve. Elle n'est pas loin de moi, je cours la rejoindre. Quelques mètres nous séparaient et je retrouvais Ashleigh qui n'a pas l'air bien. J'avais remarqué cela depuis la fête d'anniversaire avortée des jumeaux, quelque chose la perturbait. Oui, on ne me refaisait pas, j'étais psy, j'observais beaucoup le comportement d'autrui, je ne pouvais m'en empêcher.

Elle était sous sa forme humaine, je pris alors la peine de me redevenir moi même, sous les protestations de ma louve qui me laissa la désagréable sensation du retour à la forme humaine. Je n'aimais pas du tout ça, c'était encore plus douloureux, plus détestable. Je m'approchais de ma sœur lupine, une branche se cassa sous mon poids, signalant ma présence à la jeune femme. Elle me demandait comme j'allais, je lui adressais un sourire.

Cela va mieux pour moi, après une bonne course dans la forêt. Et toi Ashleigh est-ce que tu vas bien ?

Je ne sais pas si j'attendais une confession, je me présentais comme une épaule sur laquelle pleurer, une oreille attentive. C'est ce que pas mal de loups avaient pris comme option avec moi, me parler de leur difficulté, de leur peur, de leur crainte. Je pense que je devais être le journal intime de quelques loups de la meute. Alors pourquoi pas recommencer avec Ashleigh.

Sarah, je l'aime bien. Pourtant, nos différences sont nombreuses, en particulier au niveau de l'alliance, les métamorphes, Mary... Elle n'aprécie pas Jonathan, je le sais bien. Mais néanmoins nous nous entendons bien, sûrement parce que nous avons su nous faire notre place dans la meute rapidement et que nous lui sommes utiles. Même si en ce moment ce n'est plus du tout mon cas. Je ne me contrôle plus, mes émotions, ma louve, mes pulsions... Plus rien ne va. Je sais qu'il faudrait que je prenne du recul mais je n'y arrive pas. Je m'enlise dans mon désespoir, j'ai peur, peur d'affronter le présent, la meute et Hayden... C'est lui qui l'a tué. Le fils qui défie le père. L'ancien amant qui enlève le père adoptif. Le choc me tiendra cloué au sol un bon moment encore, c'est inévitable. Peut être Sarah, en grande psychologue, pourra t-elle m'aider, me conseiller, mais me rétablir entièrement ca je ne le pense pas. Je ne suis pas du genre à me confier, mais de toute facon je ne me reconnais même plus, alors pourquoi pas ?

Elle va bien, elle. Après une course dans la fôret, me précise t-elle. Moi aussi j'ai couru, j'ai essayé de faire le vide dans ma tête, de me sentir libre. D'habitude ca marche. D'habitude me lancer à travers le repère des loups à corps perdu me fait plus de bien que n'importe quelle autre chose. A part peut être un bon dîner bien sanglant. Mais bref, passons. Là j'aurais pu courir sur des milliers de kilomètres, rien n'aurait changé. Comment faire alors ? Comment retrouver la Ashleigh que j'étais avant cette maudite soirée ? Comment empêcher ces larmes de couler sur mon visage à tout moment ? Je ne sais plus rien. Je n'arrive plus à rien.

Que puis-je bien répondre à Sarah ? Lui déballer tout mon sac, toutes mes peines, mes larmes et mes cris ? Je le pourrais, oui. Quoi que, en fait non. J'ai conservé un peu de retenue, quand même. Alors je prends mon temps, j'essaye de sentir la nature qui m'entoure, le vent sur mon visage. Je le laisse sécher les restes de larmes sur ma joue. J'essaye de calmer les battements de mon coeur. Sans succès. Alors je réponds à Sarah :

"On ne peut pas dire que j'aille bien, non." Commensais-je avec un sourire triste. Ma voix était faible, terne, lente. "Même si Jonathan nous a trahi, tu ne peux pas imaginer ce qu'il a pu faire pour moi. Combien il comptait. Je me sens seule, maintenant."

Mon passé, encore et toujours. N'ai-je pas d'avenir ? Un jour il faudra que j'y pense sérieusement. Que je me penche sur mes plans, aussi. Que je tire un trait sur mes antécédants. Tirer un trait ? Alors qu'Alexander respire toujours, avec le premier ministre en plus ? J'ai aussi soif de vengence. Peut être alors pourrais-je véritablement tirer un trait sur mon passé.

Je savais que la relation qu'entretenais Ashleigh avec notre ancien Ulfric était celle que pouvait avoir une fille avec son père. Elle avait besoin de sa protection, elle aimait ce père, et bien plus. Je ne lui avait jamais caché mon ressentiment envers l'ulfric, même si j'avais toujours eu du respect pour lui. Je le tenais responsable de ma transformation, je l'avais rejeté un temps et puis j'avais du me résigner à lui prêter allégeance sinon je me serais retrouvée exclue de la meute.

Alors la mort de Jonathan l'avait affecté et bien plus. Je ne m'en étonnais pas le moins du monde, c'était normal. Je me revoyais en elle, lorsqu'Angus avait été tué par les vampires. J'étais inconsolable, une part de moi avait été arrachée. Surtout qu'il était ce qui me rattachait encore à ma vie antérieur. C'était ma bouée de sauvetage dans des temps mouvementés, je ne savais que faire parmi toute cette nouveauté. Mais pour le moment, il ne s'agissait pas de moi, mais de la louve qui était là, devant moi. Elle n'allait pas bien, pas bien du tout.

Je ne pense pas que te dire que je comprends allégera ta peine Ash.

Je m'arrêtais, si je comprenais, il y a quelques années j'avais le même sentiment. Celui d'avoir perdu la personne qui me permettait d'avancer dans ce monde de brute, la perspective d'être seule était au finale la seule option que je pouvais entrevoir. Sauf que j'ai pu compter sur des personnes qui avaient été un soutient indéfectibles, ils m'avaient enseignés comment m'en sortir dans cette nouvelle configuration de ma vie.

Je n'ai pas perdu mon mentor dans des circonstances qui malgré tout nous sont imposées. Mais par contre, je peux te dire que je comprends que tu aies ce sentiment de solitude. Je ne peux savoir tout ce qu'il a fait pour toi, mais je sais qu'il a énormément compté pour toi.

Je m'approchais plus de la louve. Je ne voulais pas la prendre dans mes bras pour le moment, car parfois la douleur était si intense que le contact du peau à peau n'était pas aisé. Nous aimions le contact corporel en tant que loup, mais parfois cet condition ne pouvait pas nous permettre de transgresser les règles de bienséances sociales. Pourtant, Ashleigh se sentait seule et cela aurait pu la rassurer. Enfin, c'est ce que l'on peut penser de prime abord, mais j'avais bien conscience que dans un tel état de tristesse et de colère, même de savoir au plus profond de notre être que quelqu'un était bien là pour nous, la peine ne s'en trouvait pas plus légère.

Je me décide enfin pour poser une main légère sur son épaule. Un signe de soutient je lui affiche un sourire de compassion. Ce n'est pas la pitié, juste de l'empathie. Je déteste la pitié et je n'en éprouverais pas le moins du monde, tout du moins je l'espère. Surtout que dans des situations telle qu'Ashleigh le vivait actuellement, la pitié n'avait pas sa place. Il n'était pas facile pour moi de ne pas comparer nos deux situations. J'avais vécu cette perte soudaine et affreuse d'un être cher, d'un être qui avait été présent pour la construction de notre personnalité. La perte est toujours une situation détestable, car on affronte une perte d'une partie de notre être, de notre vie, de notre mémoire …

Ash ... C'est bête, tu m'entends te dire que je comprends, mais on ne peut pas toujours tout comprendre. J'ai vécu un peu la même situation, mais ce n'était pas la même. J'ai réussi à surmonter tout cela en parlant, en hurlant ma rage, ma colère face à la situation que j'ai vécu comme injuste. Oublions un instant la trahison dont il a été accusé, toi aussi tu peux dire, hurler, te battre contre cette mort qui est injuste. En dehors de toutes nos traditions de loup, même quelqu'un qui a fauter n'a pas le droit à mourir aussi brutalement ... Je ne l'aimais pas et tu le sais, mais tu avais le droit à un au revoir, à quelque chose qui aurait pu alléger ta peine, juste un peu.

J'aurais pu faire ma psychologue, mais j'avais préféré m'exprimer en puissant dans mes souvenirs, dans la mémoire de mes sentiments. Perdre quelqu'un, quel qu'il soit n'est jamais chose facile. Je préférais pour un temps mettre de côté ce que je ressentais pour notre ancien ulfric, car à ce moment là, la louve n'avait juste besoin que de quelqu'un pour être à ses côtés. Tout du moins, je tentais de le penser.

J'entends sa voix. Lointaine. Lointaine et pourtant je la sens toute proche. A côté de moi, à des milliers de killomètres. Ma soeur lupine. Soeur ? Amie ? Me reste il de tout cela ? Je ne crois pas et pourtant elle est là. Mais elle a beau se tenir à côté de moi, me parler d'une voix qui devrait m'apaiser, je suis toujours seule. Seule devant ce monde qui désormais m'effraye. Suis-je morte ? Non, c'est lui qui est mort, pas moi. Moi je vis toujours; Mais à quoi rime cette vie désormais ? Je suis seule, et en plus je suis vide. Je suis meurtrie, une partie de moi m'a été arrachée, j'ai beau la chercher je ne la trouve pas. Jamais plus. Jamais plus il ne sera là. Sarah est bien gentille, mais que peut elle y faire ? Personne ne peut rien y faire. Ce serait à moi de me relever seule, mais je n'en ai pas la force. Ni l'envie. Je suis morte et pourtant mon coeur bat.

Un sourire triste s'affiche quelque instants sur mes lèvres. Non, en effet, me dire qu'elle comprends n'y fera rien. Parce qu'elle ne peut pas comprendre. Je m'appuie contre un arbre. Que vais-je faire ? Que vais-je devenir ? Je me dis que la mort de mon père adoptif pourrait m'aider à couper définitivement avec mon passé. A ne penser qu'à l'avenir. Pourtant j'ai l'impression qu'au contraire, elle m'enchaine encore plus dans mes souvenirs. Je regarde Sarah. Je l'aime bien. Elle ne me parle pas de traitre. Mais elle ne pourra pas le récussiter. Je me force à l'écouter. Elle me parle de son mentor à elle. Soit, elle comprenait peut être que je me sente seule, mais comme elle venait de me le dire, ce n'est pas cela qui me remonterait le moral. Ca reviendrait sûrement avec le temps... Je l'espérais. Je ne pouvais rien faire d'autre. Qu'espérer. Attendre. C'était insuportable. J'étoufais.

Je sentis une main légère sur mon épaule. Sursautant, je me rendis compte que Sarah était désormais près de moi et que la main était la sienne.

"Sarah..."

Pourquoi est-ce que je parlais ? Je n'avais rien à dire pourtant. De toute facon, peut importe les mots qui allaient sortir de ma bouche, elle ne me laissa pas le temps.

Elle n'était pas obligée. Elle n'était pas obligée de ressortir tout son passé pour moi. Par contre je lui étais reconnaissante qu'elle se comporte plus en amie qu'en psychologue. Ca ne m'aurait pas dérangé, mais c'était mieux ainsi. Il restait des gens qui... non, pas qui comprenaient, mais qui... s'attardait sur moi. Me faisait douter de ma solitude.

Hurler. Oui, je voulais hurler. Je voulais... Je n'avais même pas pu lui parler. Pas même lui dire au revoir. Sa mort m'était tombée en plein figure, m'avait totalement écrasée. Je sais même pas si j'ai réalisé tout de suite ce qui se passait. Alors oui, je voulais hurler, hurler jusqu'à en faire trembler la terre. Me battre contre une mort injuste. Me battre ? Mais que puis-je faire ? Il est mort, c'est fini, on ne peut plus rien y changer. Je n'ai plus rien pour quoi me battre. Là est tout le problème. Néanmoins les mots de Sarah me firent du bien, ou du moins me touchèrent. J'avais l'impression qu'on m'avait volé. Pas un au revoir. J'aurais pu y avoir droit. Il avait tant fait pour moi. Il était tout pour moi, le centre de mon Univers, mon Univers avec un grand U, le seul que j'ai.

"Merci. Je... Ca me touche. Je voudrais hurler. Je voudrais exploser. Mais je n'y arrive pas. Je ne sais plus contre quoi ou pour quoi me battre."

Je trouve qu'il était difficile de soutenir quelqu'un dans la situation d'Ashleigh. L'état émotionnel dans lequel elle se trouvait plongé l'aveuglait, l'enfermait dans une bulle de douleur, de colère, d'incompréhension, d'injustice … Dans un état qui submergeait la personne qui y était plongé. Il n'y avait pas de mot à dire, pas d'actes à accomplir pour alléger une peine, juste être présent, physiquement ou mentalement. J'aimais bien Ash, mais je ne me sentais pas si proche d'elle, je ne l'étais pas autant que je pouvais d'Isa ou d'Irving. Aussi, je ne me sentais pas totalement légitime pour lui apporter une oreille suffisamment attentive. Juste une épaule sur laquelle pleurer tout au plus, ou peut être une louve de compagnie pour courir au travers de la forêt.

Je me sentais impuissante et cela m'insupportais de ne pas savoir quoi faire, quoi dire. Le silence ? C'était simplement ce qu'il aurait été bénéfique, sauf que dans ces circonstances, il faut pour ceux qui ressentent cette vive douleur savoir que quelqu'un est là pour eux, pour les soutenir. Pourtant, il aurait été normal qu'elle me rejette, car je sais que l'on est partagé entre l'envie d'être seule et l'envie de revoir cet être qui nous manque tant, d'être entourée, de ne pas être seule. La colère, la tristesse nous apporte ce lot de contradiction, cet inconfort émotionnel. Notre cœur et notre cerveau ne s'accorde pas et l'on est encore plus perdu. En observant la louve perdue, je me retrouvais en elle. Je me revoyais quelques années plus tôt, lorsque je devais affronter la perte de mon frère et mon entrée dans la meute.

Cette période avait été très bizarre, j'avais encore du mal à mettre des mots là dessus. On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés et c'était vrai ! J'avais mes bagages émotionnels qui resurgissent de temps à autres … Je laissais alors ma louve prendre le pas pour exprimer cette colère. Courir au Wolfheaven était alors bénéfique pour moi, chasser, laisser libre cours à mes émotions, me libérer pour repartir plus sereine. Mais dans le cas de Ashleigh, je ne pense pas que c'était encore ce qu'il lui fallait. Elle m'avoua qu'elle voulait hurler, mais qu'elle n'y arrivait pas. Elle ne savait pas contre quoi se battre ou qui … Cela me peinait pour elle.

Est-ce qu'il faut nécessairement se battre ?

Cette réflexion était sortie, je la voulais pour moi, mais il s'était avérée être une question que je m'étais posée à haute voix. J'étais combative, il ne faut pas se méprendre. Mais parfois il était plus serein de se poser de réfléchir sereinement, surtout dans de telle circonstance. Toutefois, on a davantage envie de combattre ce mal être, cette avalanche de sentiments … Je me retournais vers la jeune femme.

Il y a tant de combats à mener pour combler ce vide que tu ressens. C'est normal … Jonathan était important pour toi. Mais ne te trompe pas de combat Ash … S'il doit y en avoir un. Pense à toi, à ton bien être … Pense à remonter la pente, pour toi, pour lui, pur avancer. Tu lui dois ça, de ce que je connais de lui, il ne souhaiterais pas que tu t'apitoies sur ton sort, il te filerais un bon coup de patte aux fesses pour que tu te ressaisisses, même si c'est toujours plus facile à dire qu'à faire.

J'étais égoïste. J'étais toujours égoïste. Je m'en rendais compte plus que jamais en l'instant présent mais bizarement ca ne me posait pas plus problème que cela. Soit, j'étais une grosse égoïste, je ne pensais qu'à moi et à mon chagrin, laissant Sarah essayer vainement de me remonter le moral... J'assumais. J'assumais entièrement. Si seulement elle savait qu'elle parlait à une traitresse... Je n'étais rien de mieux : une égoïste corrompue. Et je n'avais aucun remords. Bien sûr la mort de Jonathan, outre qu'elle me déchirait en lambeaux, remettait mes ambitions en questions. Mais elle ne les annulaient pas. Pourquoi je pense à ça ? Pourquoi maintenant ? Une vague d'émotions me parcoure soudain, si brutale que je tremble quelques instants. Comment est-ce que j'arrive à penser si froidement, d'un regard si... Détaché ? Il est mort punaise ! Il-est-mort-! Ces mots me heurtent dans tous les sens depuis quelques jours mais je n'en saisi toujours pas le véritable sens. Mort... Qu'est ce que cela signifie ? Je ne veux même pas essayer de comprendre, même pas envie d'essayer de regarder la situation telle qu'elle est. Pourtant je ressens bien ce vide en moi, cette falaise au bord de laquelle je me tiens et l'abysse qui m'attends en bas. Il est mort. Je suis perdue. Je me suis perdue. Je ne me reconnais même plus. Est-ce vraiment moi, cette louve dépressive qui se lamente sur son sort pendant que le monde avance ? Le monde avance... Ah bon ? Mais comment peut -il continuer à avancer ? Comment la machine de la vie peut elle tourner si l'un des rouages essentiels est tombé ? Puis les paroles de Sarah brisent le silence de Wolfheaven et le tumulte de mes pensées. Je manque de trembler à nouveau. Retombe sur terre. Faut-il nécessairement se battre ? Et que fait-on alors, si on ne pleure pas et si on ne se bat pas ? Quelle solution reste t-il ? Je la regarde sans rien dire. Les mots ne viennent pas. Les mots ne servent à rien, les mots n'ont plus de sens, les mots sont futils et éphémères, les mots se perdent, les mots s'oublient, les mots...

J'ouvre la bouche et la referme. A quoi bon parler ?

Sarah reprends la parole. Ces mots, ces mots si inutiles et incompréhensibles prennent enfin un minimum de sens. Je ferme les yeux et soupire. Les images reviennent, mais pas les images de l'autre soir, non, des images de jours où la mort de l'être cher m'apparaissait comme une absurdité. Je revois Jonathan, le vrai, celui que j'ai connu, pas l'illusion, pas le gout amer d'un souvenir mort. J'ai l'impression que je peux à nouveau sentir son odeur...

Puis la réalité me frappe à nouveau. Arrête de rêver Ash ca ne te mènera à rien, ton père spirituel est mort, il ne fait plus partie de ce monde. Du monde des vivants. Du tien. Tu es vivante et tu continues à vivre, pas lui. Wow, c'est simple en fait. C'est trop simple... Tellement que remonter la pente est inimaginable. Néanmoins je fais un effort. Je me redresse, fait quelques pas avant de me retourner vers ma soeur lupine.

"Oui. Je... Oui, c'est ce qu'il aurait fait." Un silence, puis, plus bas, comme un echo "C'est ce qu'il aurait fait." Nouveau silence "Merci Sarah... Je... T'es pas obligée. Alors merci."

Ca semble sincère, comme remerciement. Du moins je l'espère. Est-ce que je vais y arriver, à sentir Jonathan me donner un bon coup de patte pour remettre le train en marche ? Peut être y arriverais-je seule ? Avec le temps... Je passais une main distraite dans mes cheveux.

"Ca te dirais d'aller courrir un petit peu ? J'veux pas t'obliger..."

Aider quelqu'un dans le deuil n'était pas aisée. Chacun réagissait d'une manière différente, il était donc parfois difficile de savoir comment agir. Je tâtonnais, et il semblait que mes mots ne soient pas superflus et apaisent durant un temps cette douleur tenace. Il faut d'abord réaliser que l'être cher n'est plus, que l'on ne pourra plus revoir son visage, cette période est tel un déni, on n'y croit pas, on pense qu'il va revenir, réapparaître pour nous affirmer que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Succède alors la période où on réalise petit à petit la dure réalité, on rejette tout ce qui nous fait penser à cet être, ou on chéri tous ces petits souvenirs qui nous restent de lui. Je n'avais pu passer par cette étape lorsqu'Angus était mort, tout simplement parce que je devais me battre. Mais je gardais en moi un désir de vengeance, il s'agissait là de l'étape suivante dans le deuil. Se venger d'une mort brutale, je détestais les vampires, je voulais leur perte … Dont un surtout. Son visage, il sera à jamais gravé dans ma mémoire.

Ashleigh semblait reprendre ses esprits, tout du moins pour un moment. Mes mots avaient trouvés pour un temps leur chemin dans son esprit. Elle me remercie, je lui souris en réponse. Il n'y a pas besoin de mots supplémentaires, ils seraient de trop. Je ne le sait que trop. Je suis contente que cela l'ai soulagé, du moins pour le moment, car la route est encore longue, on guérit pas d'une perte en un claquement de doigts, le tout est de savoir sur qui compter pour remonter doucement la pente. Pour le moment, notre discussion était close, surtout que la louve me proposait d'aller courir, je me levais lui tendis la main pour l'aider à se relever.

Bien sûr, je serais ravie de t'accompagner, et si le cœur t'en dis, j'ai senti du gibier pas très loin. Je pense qu'une petite chasse ne nous ferait pas de mal.

Je savais que sa réponse allait être positive, on ne manque pas une séance de chasse, pour rien au monde. Je me transformais en ma louve qui s'était réveillée quand elle avait compris que j'allais lui laisser la place. La transformation n'était pas une partie de plaisir, mais j'avais appris à m’accommoder de cette douleur. Je hurlais la lune, notre mère à tous, puis je me laissais envahir de toutes les odeurs qui imprégnaient le domaine, je sentais la proie, celle qui allait constituer notre festin. La bête savait qu'il ne lui restait plus longtemps à vivre, elle allait fuir, mais nous serons plus rapide, plus efficace. J'étais sur mes quatre pattes, je regardais ma sœur devenue louve à son tour, puis je m'élançais à travers bois. J'aimais tellement cette sensation de liberté, de puissance, je courais à perdre haleine. Je m'arrêtais de temps à autre, pour humer l'air, sentir notre victime. Je repartais, sachant Ashleigh derrière moi. J'arrivais au détour d'une clairière, je la voyais … Une biche. Je fermais les yeux laissant pénétrer cette odeur dans mon museau, je me léchais les babines. L'humaine en moi avait complètement laissée la place à la louve. Je regardais autour de moi pour voir ma compagne de chasse pas loin. Doucement, nous avancions pour nous jeter quelques secondes après sur notre proie, qui n'eut que très peu de chance. Je laissais à Ashleigh le plaisir de mordre la première dans la chair fraîche, je lui devais bien ça.

Il me semble impossible de me remettre de ma situation. Pourtant, après une perte, les gens continuent bien de vivre... Comment font ils ? Comment je vais faire, merde ? Je suis si faible que ça ? Si j'étais quelqu'un d'autre, je me mépriserais. Je regarderais la jeune femme en pleur d'un air hautain et moqueur, et je me dirais en mon for intérieur qu'elle n'est qu'une faible, et que je ne suis pas comme elle. Pourtant c'est faux, je suis elle. Alors je suis faible ? C'est ça, la vérité ? Je suis faible et je vais me laisser chuter, emportée par mes souvenirs, aveuglée par le passé, noyée dans mes regrets ? Par le seul homme qui m'ait jamais considéré ? Après m'avoir donné tant de joie, tant d'espoir et tant d'avenir, je vais me laisser mourir avec lui ? Je me pensais plus forte, mais je vois bien que je ne le suis pas. Désillusion totale. Douleur intense. Les larmes mouillent silencieusement mes joues. Pourquoi je pleure ? Je ne veux pas pleurer, je n'aime pas pleurer. C'était la petite Ashleigh humaine qui pleurait sous les coups de ses ainés, pas la louve que je suis... Si. Je me hais. C'est horrible comme sentiment, la haine envers soi même, surtout quand comme moi on a une grand estime envers sa personne. Plus que la perte de l'être cher, la perte de soi même. Parce que non, je ne me reconnais même plus. Ce n'est pas moi, ce n'est qu'un mauvais rêve, je vais me réveiller... Mais plus je me pince, plus je désespère. Le sommeil va t'il revenir ? La vie va t'elle à nouveau animer mon âme, mon cœur battra t'il pour autre chose que pleurer comme une faible ? Si la réponse est non, autant le rejoindre tout de suite. Les mots de Sarah sont bien beaux. Sur le coup, il me font du bien. A peine une seconde. Et ça repart... Il faut que je fasse autre chose. Que j'occupe mon temps et mon esprit. Mon temps ? Je ne sais même pas combien il m'en reste, si dans quelques heures on ne va pas me tuer pour traitrise. Mon esprit ? Il ne m'obéit même plus. Pourtant, une partie en moi essaye de garder espoir. Putain, mais pourquoi je veux garder cet espoir, qui de toute manière ne me conduira qu'aux prochains malheurs de ma vie ? Je vais finir dans l'alcool, dépressive comme ma très chère mère. C'est prendre son nom poisseux, ça m'a condamnée. Oui, ça doit être ça. La perdition est génétique en fait, et quoi que je fasse je n'y échapperais pas. Je retiens un rire jaune. Je suis face à Sarah, je ne vais pas me laisser aller... Tiens, ma mère l'aurait fait, elle. Alors je tiens ce peu d'espoir de ce père que je n'ai pas connu ? Elle a peut être pas choisi son inconnu au hasard pour baiser, finalement. Oui, je tourne tout ça en dérision, pour me trouver des excuses, pour tenir droite, pour...

Pour rien.

Sors de ta tête, ma belle. Les mots de ma sœur pèsent sur mon cœur, à la fois comme des couteaux cruels et des compresses pour penser les blessures. Je me force une fois de plus à revenir à la réalité, à me convaincre que je vis, dans le présent en cet instant même. Aller chasser. Oui Ash, bonne idée. Fais toi croire que tu vas ainsi apaiser ta douleur pour qu'elle ressurgisse quelques minutes plus tard alors que tu ne t'y attendras plus. Tout est de la drogue, en fait. L'alcool, la chasse, le sexe. La chair et le sang plus que tout, sont mes drogues à moi. Elles me font tenir sur la durée, et l'alcool me fait tenir les soirées quand je ne peux pas avoir les deux premières. Je sais que je vais noyer mon chagrin dans des bains de sang ou des orgies charnelles, ou encore en passant mes nuits dans les bars les plus glauques de la ville. Mon destin pour les semaines à venir est tout tracé. Il commence aujourd'hui. Va donc chasser, Ash. Redonne toi contenance.

L'animal en moi se réveille sans mal et prend possession de mon être. Je hurle, tandis que mes os se disloquent et que ma chair part en lambeaux. Cette douleur là, je l'aime, je la recherche, parce qu'elle efface l'autre douleur, celle entêtante qu'aucun médecin ne peut guérir. Mes sens se décuplent, et je redeviens un peu plus moi à travers ma bestialité. Sourire à ma sœur, et nous nous élançons à travers Wolfheaven. Loup noir fendant l'obscurité, le vent siffle à mes oreilles et je crois un instant retrouver un souffle de vie en prenant celle de l'animal. Une belle biche. Sarah me laisse mordre la première ; je lui en suis reconnaissante et arrache un bon bout de chair avant de lui laisser le relais, puis nous nous y mettons en même temps. Autant dire que la bête ne fait pas long feu.

Mon estomac n'est pas vraiment rassasié, mais au moins l'odeur du sang chasse celle de mes larmes.