J’avais passé une bonne partie de la matinée dehors pour faire de nouvelles photos des alentours avant de me souvenir que je n’avais pas terminé d’installer le matériel pour la séance photo de cet après-midi. En plus, quand je dis que je n’avais pas terminé, je devrais plutôt dire que je n’avais pas commencé. C’est donc de manière assez pressée que j’avais rangé mes affaires pour retourner à mon appartement. La séance aurait lieu là-bas car je n’avais pas pu trouver de local et aussi pour la simple et bonne raison que je n’avais pas envie d’abimer les tenues que mon client m’avait confiées. Les robes étaient magnifiques et je me voyais mal les transporter d’un point à un autre sans arrêt.
Arrivé en bas de chez moi, j’avais pris de quoi grignoter. Le temps accordé à ce déjeuner plus que léger ne fut que de quelques minutes. Il était déjà midi passé et je ne pouvais pas me permettre d’installer l’espace shooting en présence du modèle. Surtout que je ne connaissais absolument pas la jeune femme ! Elle m’avait contacté par mail. Ce dernier avait retenu mon attention car il avait été pertinent malgré le fait que l’expéditrice était novice dans le métier. Et puis si on m’avait laissé ma chance en tant que photographe débutant pourquoi n’en ferais-je pas autant avec les modèles que je choisissais ? De plus, il faut reconnaître que cette Sélène avait bien choisi les photos qu’elle avait jointes à son mail. Elle avait un physique qui aurait pu être banal si son attitude n’avait pas été aussi magnétique. Il y avait quelque chose qui la différenciait mais je n’avais pas su dire quoi…

Bref… Alors que je finissais d’installer le fond de studio blanc et les deux parapluies fond blanc sur trépied, je regardais ma montre. 13h45… Ouf, un peu plus et j’étais en retard ! Je plaçais un peu mieux le portant des vêtements, et ouvrais les rideaux de la cabine dans laquelle il m’avait fallu investir pour que les modèles est un espace pour se changer. Faisant un tour sur moi-même je remarquais à quel point mon salon était transformé ! Contrairement à d’habitude, il semblait chargé. Mais en emménageant ici, j’avais su qu’il me faudrait travailler dans mon appartement. Aussi, habituellement, je n’avais que le strict minimum dans cette pièce.
Une fois cette constatation faite, je pris place devant mon pc pour l’allumer. Lorsque le bureau s’afficha sur ce dernier, je pus constater qu’il était déjà 14h05 ! La prétendante mannequin avait-elle décidé de se faire désirer ou m’étais-je trompé de jour ? J’allais vérifier sur mon agenda lorsque l’on sonna à mon interphone. Je ne fis pas attendre la personne et allais répondre.


- Oui ! … J’ouvre.


Posant mon appareil photo sur le bureau, je me dirigeais de nouveau vers la porte d’entrée. Je pris le temps d’observer mon reflet dans le miroir. Je portais un jean brut surmonté d’un t-shirt gris et était chaussé d’une paire de Converse. Je préférais être vêtu de façon décontractée quand je travaillais sauf quand le lieu nécessitait une tenue plus habillée. Deux coups secs frappés à la porte me firent orienter mon attention vers celle-ci. J’ouvrais la porte pour enfin voir la demoiselle que j’attendais. Bien que son sourire fût poli, il manquait de chaleur mais je n’y prêtais pas plus attention. J’écoutais sa présentation on ne peut plus originale. Un coup d’œil à la pendule du salon transformé me confirma que Sélène avait bel et bien 16 minutes de retard.


- Sélène, enchanté. J’aurais dû venir te chercher à la gare, répondis-je en lui serrant la main. Je m’écartais ensuite pour laisser entrer. Entre, je t’en prie. Tu peux déposer tes affaires ici, dis-je en indiquant le porte-manteau près de l’entrée. Tu veux boire quelque chose avant qu’on entre dans le vif du sujet ?

Si je n'avais pas été en retard dans mes préparatifs, j'aurais sûrement été chercher la demoiselle à la gare. C'était même certain ! Mais, une fois de plus, je m'étais laissé emporter par mon enthousiasme à photographier Édimbourg et ses sites à visiter ce qui m'avait fait perdre la notion du temps. Voilà pourquoi je n'allais pas me formaliser quant au retard de la brune. Et puis si mon modèle était arrivée plus tôt, je n'aurais pas été prêt. Donc, tout avait été à mon avantage mais j'avais informé Sélène qu'il aurait été logique que je vienne la chercher. A vrai dire, je ne m'attendais pas à ce qu'elle réponde quoique ce soit à cela mais elle le fit.
Je dois reconnaître que je fus surpris de sa réponse. En règle générale, les gens qui arrivent en retard à un rende-vous essaient de ne pas se faire remarquer mais ce n'était pas du tout le cas de la brune. Et c'est avec un sourire qu'elle m'avait fait une quelque sorte d'excuse en me m'étant son retard sur le dos. Du moins c'est l'impression que j'eus. Et bien ! Voilà une jeune femme qui ne se laissait pas déstabiliser facilement... D'ailleurs, elle prit même le temps de me détailler de la tête aux pieds avant de se décider à accepter mon invitation à entrer. Alors, que Sélène déposait ses affaires sur le porte-manteau, je m'adressais à elle de façon amusée concernant son observation...


- Ravi de voir que ton analyse de ma personne ne t'ait pas fait fuir.


Sur ces mots, je laissais la brune observer les lieux. A vrai dire, elle était la première modèle que je faisais venir ici. Depuis que j'avais débuté, j'avais toujours fait mes shootings soit en extérieur, soit dans des locaux qui avaient été mis à ma disposition par mes clients. Lorsque la brune revint vers moi, bizarrement, elle affichait un air froid que j'aurais presque qualifié d'hautain. Une vraie reine de glace cette Sélène ! Je fus aussi surpris par ses propos... Moi ? Avoir les moyens ? C'est vrai que je n'avais pas à me plaindre concernant le lieu où nous nous trouvions... Mais les paroles qui s'échappèrent ensuite des lèvres de mon modèle me firent éclater de rire !


- Il n'y aurait rien de plus improbable que moi travaillant pour un quelconque gouvernement, même s'il devait s'agir de celui de mon pays !


Son attitude hautaine fut ensuite remplacer par une plus nonchalante avec en bonus un léger sourire narquois. Oui, déplacé était bien le mot mais je laissais faire la brune afin de voir à qui j'avais à faire. Je ne la connaissais pas et quel meilleur moyen d'apprendre à le faire qu'en lui permettant de se comporter comme bon lui semblait. Je commençais à me dire que le surnom de reine de glace lui irait à la perfection, quoique pour son âge, le véritable titre lui convenant devrait être « princesse ». La dite Princesse de glace déclara donc qu'elle avait bien besoin de boire puisque le voyage en train l'avait crevée. Allons bon ! Comme s'il n'y avait rien de plus épuisant...
A vrai dire, je commençais à me rendre compte que le comportement de la brunette avait un double effet sur ma personne. J'hésitais entre l'amusement et l'agacement. Si je voulais lui servir un verre d'eau ?! Mais bien sûr. Je me saisis d'un verre et récupérais une bouteille dans le réfrigérateur.


- Je t'amène ça, en attendant installe toi, dis-je en indiquant le bureau d'un signe de tête. Je remplis ensuite le verre pour la demoiselle et me sortit un Coca Cola. Je suppose que tu veux savoir comment va se dérouler la séance. Tu as des questions précises ou tu préféré que je te fasse un résumé de ce qui t'attend ?

Sélène ne me voyait pas travailler pour le gouvernement et elle avait parfaitement raison. D'ailleurs, jamais je n'aurais imaginé bosser dans ce milieu qui ne me correspondait absolument pas. Je n'étais pas du genre à suivre des règles établies. J'aimais improviser et surtout avoir la possibilité de rêver. Oui, j'étais un rêveur doublé d'un étourdi... Voilà qui faisaient deux bonnes raisons de ne pas avoir un métier trop ennuyeux ou répétitif. J'oubliais la concentration lorsque je me trouvais dans une situation monotone ou soporifique. Alors autant dire que dès mon plus jeune âge j'avais écarté tous les emplois de bureaux ou autres jobs répétitifs que ma liste de futurs métiers.


- Je ne le prends absolument pas mal... Au contraire, de mon point de vue, c'est un compliment de ne pas avoir le look d'un agent du gouvernement.


Après, je savais très bien que certaines jeunes femmes voyaient en ce genre d'hommes des sex-symbols. Il était indiscutable que les espions à la « James Bond » avaient la côte ! Mais succès ou pas, jamais Ô grand jamais je ne les avais pris en exemple et ce n'était pas maintenant que ça allait commencer. Après cette brève pensée, je m'étais dirigé vers la cuisine pour servir la demoiselle. Je lui avais alors indiqué de s'installer au bureau et pensais qu'elle l'avait fait. Je ne m'étais pas rendu compte que la brune avait reporté son attention sur la terrasse. Voilà pourquoi je ne compris pas de suite la demande de Sélène. Il me fallut relevé la tête en direction de mon interlocutrice qui me désignait la baie vitrée. Avec un sourire, j'acquiesçais d'un signe de tête.
Visiblement, elle aimait n'en faire qu'à sa tête ou bien elle préférait le plein air à un bureau pour discuter. Je n'en savais encore rien. Je laissais la brune profiter de la vue alors que je lui servais son verre d'eau et que je prenais de quoi me désaltérer également. Je me rendais ensuite sur la terrasse et attendais que Sélène finisse sa contemplation. Lorsque ce fut chose faite, elle me refit face en s'accoudant à la balustrade. Je souris lorsqu'elle me parla de la chance que j'avais concernant la vue. Elle avait raison et aujourd'hui deux fois plus que d'habitude. Certes, ma jolie sirène ne me sortait pas de la tête mais je savais reconnaître quand j'étais en présence d'une jolie jeune femme. Et c'était le cas en ce moment. Sélène avait un charme indéniable et son caractère ne faisait que le pimenter davantage.


- Je ne vais pas le nier, j'ai de la chance en effet, avouais-je en donnant son verre d'eau à la jeune femme. Et c'est vrai que cette terrasse a de nombreux avantages pour un photographe... et pour un fumeur aussi !


Dans les deux cas j'étais concerné car en effet j'avais commencé à fumer en débutant mes études en France. Avant ça, je n'y avait même jamais pensé car mes parents étaient des anti-fumeurs ! Ils m'auraient assassiné sur place et d'ailleurs, ils n'étaient toujours pas au courant de cette petite manie. Posant la bouteille de Coca Cola sur la table basse extérieure, j'avais ensuite rejoint Sélène dans sa contemplation alors qu'elle me demandait ce que j'attendais d'elle et me précisait qu'elle serait sûrement capable de s'en sortir. Je tournais la tête vers elle pour l'observer et surtout lui répondre.


- J'en suis certain... Tu dégage quelque chose qui fait que je suis sûr que les photos vont être superbes. Bien que je n'arrive pas à définir de quoi il s'agit, expliquais-je. Après, ce que tu as à faire est très simple... Reste toi même et prends ça comme un jeu.


M'apercevant que la brune n'avait pas encore terminé son verre, je saisis mon paquet de cigarette dans la poche arrière de mon jean ainsi que mon briquet. Je n'avais pas eu le temps d'en fumer une seule depuis que j'étais rentré. Portant une cigarette à mes lèvres, je l'allumais et m'adressais à la demoiselle.


- Tu fumes ? demandais-je en lui offrant la possibilité de prendre une cigarette si tel était le cas.

Je fus légèrement amusé lorsque Sélène reprit mes dires avec un sourire septique accroché aux lèvres. Je ne relevais pas car je n’étais pas du genre à sortir des paroles en l’air ! Elle verrait peut-être, sûrement même, ce que je voulais dire quand elle en aurait un aperçu sous les yeux. Elle avait réellement quelque chose qui la différenciait et je n’arrivais pas à voir si cela venait de son physique, de son attitude ou tout simplement de la communion des deux. J’aurais peut-être la révélation à cette interrogation en observant les clichés.
Mais pour le moment nous n’en étions pas là… Je semblais sortir la brune de sa rêverie en lui proposant une cigarette. J’eus le droit à un regard limite choqué avant de l’entendre me répondre qu’officiellement elle ne fumait pas. Non mais alors elle ! Elle devait être le genre de fille pleine de surprises. Le genre qui arrive à vous  faire douter de certitude avec quelques mots bien choisi. L’observant se saisir d’une cigarette, je tirais une taf en l’observant et en reprenant ses paroles…


- Non, en effet, je ne fais pas parti du gouvernement. Trop de règles établies à suivre à mon goût. Mais aux dernières nouvelles, fumer n’est pas un crime, ajoutais-je en observant l’horizon.


C’était cependant un défaut pour un grand nombre de personnes en ce bas monde. Pour ma part j’avais ce mauvais penchant et tant pis si cela ne plaisait pas forcément. Personne n’était parfait et je ne vois pas pourquoi j’aurais du l’être. Perdu dans mes pensées c’est à peine si j’avais remarqué Sélène se détourner pour aller poser son verre. Mais j’avais de suite vu le geste qui m’était adressé de la part de la brune et je fis glisser le briquet dans sa direction. En la voyant s’allumer la cigarette que je venais de lui offrir, une autre personne me vint à l’esprit. Elecktra ! Je vins à demander si la jolie sirène fumait. Elle était chanteuse et cela n’était peut-être pas une bonne idée d’avoir cette mauvaise habitude.
Je ne pus cependant pas polémiquer mentalement davantage car Sélène s’adressait à moi. Elle m’interrogea quant au fait que je ne doutais pas de la qualité des photos à venir. La réponse était non mais les paroles suivantes de la brune me coupèrent le sifflet et je ne pus rien dire. D’une part parce qu’elles comportaient une erreur de taille. En effet, le mérite de la qualité des photos réussies en revient aussi bien au photographe qu’au modèle. Et deuxièmement, elle venait de me faire un compliment !

J’en fus surpris. Même si elle n’était là que depuis quelques minutes, je m’étais rendu très vite compte que Sélène devait largement préférer l’ironie et le sarcasme à la « gentillesse verbale ». Elle n’avait pas l’air méchante, je ne prétendais absolument pas cela. Cependant, le caractère qui semblait être le sien ne collait pas avec celui d’une personne qui distribuait les gentillesses et compliments à tout va. Je failli donc en faire tomber ma clope et n’eus pas le temps de rajouter le moindre mot de remerciement et d’explication quant à la réussite de photos. Pourquoi ? Tout simplement parce que Sélène semblait elle-même surprise de sa soudaine bienveillance et prit donc la peine de rajouter quelques mots. J’eus un léger rire en observant la brune.
Oui, c’était mon boulot et oui, elle parviendrait à séduire l’objectif. J’en étais sûr à présent.


- Tu m’as l’air d’avoir un sacré caractère ! dis-je tirant une nouvelle taf. Un tempérament très fort apparemment, le genre de ce qui font fuir certaines personnes, ajoutais-je amusé.


Oui, certaines personnes n’aimaient se trouver en présence d’individus ayant un caractère imposant. Je ne comptais pas parmi celles-ci, et étais plutôt à l’opposé ! Les personnes déterminées étaient, de mon point de vue, beaucoup plus intéressantes car plus complexes.
Alors que j’écrasais mon mégot dans le cendrier après avoir inhalé une ultime bouffée, la brune s’adressa de nouveau à moi pour demander si j’avais un book à lui montrer ou bien un site Internet, histoire qu’elle ait un aperçu de mon grand talent d’artiste photographe. J’eus un sourire franc et surpris en entendant les derniers mots ! Ainsi donc la brune parlait français et en me remémorant son nom de famille je vins même à penser qu’elle pouvait être originaire de ce pays. Après un regard malicieux à son égard, je pris le parti de ne pas répondre à sa question et choisi de retourner à l’intérieur récupérer le book sur le bureau. De retour auprès de Sélène, je lui tendais ce qu’elle m’avait demandé et étant bilingue, je lui répondais dans un français parfait teinté d’une pointe non négligeable d’accent canadien.


- Voilà pour toi ! Je te laisse le feuilleter… Le site est, quant à lui, en construction.


Le book était composé de photos des villes de Vancouver, Lyon, Paris et Edimbourg, de paysages sauvages mais aussi des photos de modèles. Celles de Rebecca y étaient par exemple, il y avait également celles de la jolie sirène sur scène, photos prises lors de notre première rencontre. J’avais aussi glissé quelques croquis dont un dont j’avais oublié qu’il était là. Il représentait une jeune femme brune d’une vingtaine d’année au regard fier.