Wolfheaven était un havre de paix pour la Meute et Ailein McDayr en avait conscience. Pourtant, elle avait décidé après sa morsure de continuer la vie qu'elle s'était fixée, à Edimbourg. Aujourd'hui, elle n'était plus si certaine d'avoir fait le bon choix. La mort de la lupa l'avait quelque peu effrayée et elle craignait également la reprise d'une guerre qu'elle aurait voulu voir morte pour toujours. A Edimbourg, elle était finalement assez seule : auparavant, elle s'entendait bien avec sa voisine, mais celle-ci se faisait rare ces derniers temps, son boulot était de toute façon fait chez elle pour la majorité et en plus de cela, depuis qu'elle était une lycanthrope, elle s'interdisait toute relation affective avec des humains, sachant combien cela ne pourrait la mener qu'au chaos. Bref, Ailein était seule …

Venir se ressourcer à Wolfheaven lui faisait du bien, bien plus qu'elle ne l'aurait avoué. Après tout, on lui avait proposé comme à tous les loup garous de vivre ici, après sa morsure. Mais elle avait refusé, certaine de pouvoir reprendre sa vie, comme avant. Elle avait eu tort mais n'était pour le moment pas prête à en dire plus à qui que ce soit. Accepter de vivre ici voudrait dire quitter Edimbourg, la vie qu'elle s'y était créé et aussi changer de mentalité. Devenir la louve d'une meute à temps complet … Et ça, ce n'était pas facile à accepter. Elle connaissait encore peu les autres loups. En partie parce qu'elle ne vivait pas avec eux, c'était vrai.

Une grosse heure de route séparait Glasgow d'Edimbourg et en général, Ailein mettait une heure et demi pour arriver à Wolfheaven. Mais cela ne la gênait pas, elle mettait de la musique ou bien encore la radio. C'était des moments pendant lesquels Ailein changeait : d'une humaine, elle devenait une louve. Elle se forçait à faire sa transition à chaque fois, signe certain qu'elle ne s'était pas encore vraiment adaptée à sa situation complexe. La jeune femme espérait réellement qu'un jour, cela lui deviendrait aussi naturel que de respirer. Mais ce ne serait pas demain la veille encore.

Arrivée à Wolfheaven, Ailein gara sa voiture et en sortit, prête à aller saluer la Meute. Mais elle n'en eut pas le temps. Roxane Emerson, une métamorphe qui avait intégré la Meute, était là. Sans doute avait-elle fait une petite balade dans la propriété ou arrivait-elle elle-même ? Ailein n'en savait rien. Tout ce qu'elle savait, en revanche, c'était que ses relations avec Roxane n'étaient pas évidentes. Au départ, elles avaient été plutôt amies. Les deux étaient nouvelles dans la Meute … Elles s'étaient plus ou moins soutenues, avaient discuté et Ailein avait pris plaisir à leurs rencontres. Mais dernièrement, Roxane avait été accusé d'un meurtre assez horrible.

Il faisait froid, dehors, et Ailein avait plutôt hâte de rentrer au sein de la grande maison qui abritait une partie de la Meute. La brune mit en place une capuche sur ses cheveux noirs jais quand elle sortit de la voiture, souhaitant s'abriter du froid. Ce n'était pas dans ses habitudes ou ses manières de refuser de saluer Roxane. Elle se contentait en général de s'esquiver rapidement, ne souhaitait pas prendre des risques. Ce jour-là, donc, elle ne changea pas ses habitudes, se contentant de sourire et d'adresser un petit signe de la main à Roxane, qui était un peu plus loin. «Salut Roxane ! » Puis elle se précipita à l'intérieur de la maison. Elle était venue ici pour se ressourcer … et voilà qu'elle était face à un souci plus qu'important. Comment faire ? Elle ne le savait pas elle-même. Avec un peu de chance, Roxane comprendrait et la laisserait seule …

La métamorphe était sortie prendre l’air. Une chasse sous sa forme animale sur les territoires de la Meute lui avait toujours fait du bien. D’autant plus ces temps-ci. Depuis la mort de Mary elle se changeait plusieurs fois par jour pour s’isoler, se ressourcer, et chasser la souffrance bien humaine derrière des préoccupations bien plus sauvages. Certains penseraient probablement que c’était une forme de fuite, mais la métamorphe ne se souciait plus vraiment de ce qu’on pouvait penser d’elle. Elle avait des responsabilités, maintenant qu’elle était Jolfr, et si elle voulait pouvoir les assumer, elle avait besoin de ce temps pour elle.

Roxane avait eu une pulsion, cette après-midi là, en rentrant d’une mission d’espionnage autour des territoires des sangsues. Une mission qui lui avait demandé toute sa concentration et son self-contrôle. Tout en eux réveillait sa haine pour leur race, qui était responsable de leur souffrance à tous. C’était un vampire qui avait tué la Lupa. Son odeur était partout dans cette clairière. Il n’avait même pas pris la peine de la dissimuler. Il les avait provoqués, et elle voulait leur faire payer cet affront. Ils paieraient tous, si elle ne découvrait pas qui était responsable.

A peine descendue de voiture, elle était sortie courir, laissant ses vêtements tomber au sol. Une petite heure de liberté, loin de tout ça. Un peu d’oubli. Même sous forme animale, Mary lui manquait. Mais la douleur était différente. Plus mélancolie que colère. Plus précise aussi. C’était une odeur, un contact, qui manquaient à la Renarde. C’était difficile aussi, mais moins.

Alors qu’elle remet ses vêtements, elle entend le bruit d’un moteur qui s’approche. Elle se presse pour finir de s’habiller, ne sachant pas qui s’approche. Alors qu’elle lace ses chaussures, dissimulée derrière sa portière, elle reconnaît le visage de la conductrice. Ailein. Un visage ami. La jeune louve a rejoint la Meute récemment, et elles ont sympathisé au fur et à mesure de leurs rencontres. Ca fait un bon moment qu’elles n’ont pas partagé un moment ensemble. Il faut dire que la métamorphe n’a pas pris le temps d’aller vers elle. Elle ferme sa voiture, et se décide à aller lui parler. Mais Ailein se contente de lui faire un signe de tête, suivi d’un bref salut, avant de mettre sa capuche et de se diriger vers la Maison. Etrange.

Roxane accélère le pas pour la rattraper, et la prendre doucement par le bras au moment où elle passe la porte.

« Hey ! Salut Ailein ! Ca va ?»

Elle lui fait un petit sourire en la suivant à l’intérieur.

« Ca fait un moment qu’on a pas eu le temps de se voir toutes les deux, tu veux un café pour te réchauffer ?»

Évidemment, Roxane ne pouvait pas supporter que Ailein ne lui dise que bonjour … Il fallut que la métamorphe la suive et l'attrape doucement par le bras, pour l'arrêter. Si jamais Ailein avait voulu la laisser en plan, derrière, c'était fichu. Roxane Emerson venait de lui faire comprendre qu'elle n'avait pas d'autres choix que de lui parler. Ses tentatives dernièrement pour l'éviter semblaient prendre fin : Roxane était bel et bien face à elle et Ailein ne savait pas bien comment faire. Après tout, Roxane avait été pour elle une amie. Ou du moins, c'est ce que la louve avait imaginé. Mais elle s'était sans doute trompé … Les rumeurs sur les actions de Roxane étaient telles que Ailein n'avait pas eu le courage de continuer à voir en elle une potentielle compagne de discussion. La louve était déjà suffisamment perdue dans sa nouvelle vie, sans en plus en rajouter avec une métamorphe sacrément instable.

Le problème pour Ailein était qu'elle se basait sur des rumeurs et que cela lui déplaisait. Elle était intellectuellement honnête en temps normal et quelqu'un qui n'avait pas été condamnée de manière définitive pouvait pour elle être innocent. C'était peut-être le cas de Roxane … mais Ailein n'avait jamais trouvé le courage nécessaire pour lui en parler, mettre les choses à plat et essayer de comprendre ce qui pouvait bien se passer dans la tête de la métamorphe. Troublée, donc, Ailein n'était pas certaine de la manière dont elle devait se conduire et voilà que Roxane ne lui laissait pas le choix, en l'attrapant ainsi, d'un simple geste mais qui était aussi une déclaration.

Se retournant, Ailein chercha le regard de Roxane, un instant. C'était plus fort qu'elle : elle aurait voulu lire sur le visage de Roxane qu'elle pouvait lui faire confiance. Et quoi de mieux que les yeux pour cela, en vérité ? On disait qu'ils reflétaient l'âme. Le sourire de Roxane, Ailein fit de son mieux pour le lui rendre mais malheureusement, ce n'était pas un de ses vrais sourires, un de ceux qui réchauffent le cœur et l'âme. Maintenant, la jeune femme ne se sentait pas le cœur de refuser ce simple café, proposé assez gentiment. Même très gentiment. Et c'était cette gentillesse-même, qui avait été le signe de Roxane, lors de leurs débuts amicaux. «- Oui, pourquoi pas. »

Ailein ne savait pas quoi dire de plus. Mal à l'aise, elle sentait bien que ce malaise ne pourrait pas durer encore bien longtemps. Elle avait presque envie de se livrer à Roxane. De lui demander de lui expliquer, de raconter, de se confier. Mais elle n'osait pas, pas encore. Gênée, elle suivit Roxane vers la cuisine, là où elles pourraient se servir un café. La maison avait plus ou moins l'air vide, ce qui était assez rare. Sans doute y avait-il du monde dans le parc ou dans les chambres : chacun faisait sa vie, ce qui était plutôt compréhensible. C'était aussi le bon côté de Wolfheaven : tous ensemble mais chacun sa vie, malgré tout. Mais même comme ça, Ailein n'avait pas choisi d'y vivre, préférant garder sa vie à Edimbourg, au moins le temps d'accepter sa nouvelle nature.

Un sourire gêné répondit à celui de Roxane. La métamorphe fronça légèrement les sourcils. Pourquoi cette réaction mi-figue mi-raisin ? Elle fouille dans sa mémoire, essayant de se souvenir de leur dernière rencontre. Ca date un peu, mais elle n’a pas souvenir d’avoir vexé la louve, ou qu’il y ait eu un malaise entre elles. Elle ne posa aucune question, mais garda en mémoire cette hésitation dans le regard d’Ailein. La louve accepta sa proposition et Roxane se dirigea vers la cuisine.

Elle prépara le filtre et sortit le café, puis remplit le récipient d’eau. Tandis qu’elle versait le café dans le filtre, elle demanda à Ailein, sans la regarder.

« Tout va bien pour toi ? Tu venais voir quelqu’un en particulier ?»

Lorsque tout fut prêt, elle appuya sur le bouton et se retourna pour s’adosser contre le plan de travail et faire face à son amie en attendant que le café coule. La dernière fois qu’elles s’étaient parlé, Mary était encore en vie. Un petit pincement au coeur et une distance dans les yeux de Roxane. Ce genre de pensées venaient souvent sans qu’elle ne s’y attende, et c’était toujours aussi douloureux. Est-ce que ça s’estomperait avec le temps ? Est-ce qu’elle serait capable de ne garder que les bons moments, sans penser au fait qu’elle n’en vivrait plus de nouveaux avec elle ? Elle chassa ces pensées et fouilla dans les placards pour en sortir deux tasses qu’elle posa à côté de la cafetière. Elle espérait que la louve n’avait pas vu son trouble. Elle n’avait pas vraiment envie d’en parler. C’était encore trop difficile pour elle. Elle préfère parler de choses plus simples.

« Tu vis toujours à Edinburgh ?»

C’était un sujet plutôt sans risque, de parler de la vie d’Ailein, non ? Et puis elles en avaient déjà un peu parlé, lorsque la jeune louve était arrivée dans la Meute. Roxane avait eu du mal à comprendre vraiment les problèmes d’Ailein. Elle n’avait pas vraiment eu de vie à abandonner lorsqu’elle avait rencontré les loups et avait choisi de les aider. Sa vie c’était quoi ? Du fric volé à des mecs un peu alcoolisés dans les bars ? Des maisons cambriolées et de la revente d’objets de valeurs ? Elle ne manquait à personne en vivant à Wolfheaven. Et elle s’y sentait plutôt bien. Elle n’avait pas à y cacher qui elle était. Elle pouvait être elle, tout simplement. Une métamorphe. Avec des besoins différents des humains. Différents des loups, certes. Mais elle s’y retrouvait plus que dans le monde des humains. Ce serait peut-être différent si les humains connaissaient l’existence de ceux de son espèce. Mais elle doutait qu’ils soient capable d’accepter les métamorphes. Les humains n’étaient pas tolérants. Ils auraient peur, sans doute. Comme ils ont eu peur des vampires, des loup-garous et des semi-démons. Et ils chercheraient à les éliminer. Les humains ont toujours cherché à faire disparaître ce qu’ils ne sont pas capable de comprendre.

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