La nuit noire. On verrait presque le ciel, loin au dessus de nos têtes. Il fait calme ici, c'est reposant. Le froid mordant du vent d'ouest, venu de l'Atlantique, ne suffit pas à gâter mon plaisir de me retrouver ici, dans cet endroit de calme et de sérénité. Je dois bien avouer que cela fait longtemps que je ne me suis pas retrouvée seule avec moi même. Damon est quelqu'un de bien. Enfin, quand j'entends quelqu'un de bien ce n'est pas au sens humain du terme. Le semi démon est un type tout à fait respectable du point de vue du Chaos ; il est ambitieux, dominateur et totalement dénué de scrupules. Il baise comme un dieu et doit donner dans le marathon à ses heures perdues. Mais voilà. Des jours à faire les lapins et à ressasser la suite des événements, je n'ai plus pris le temps de me poser, d'attirer à moi les vrilles de ma puissance, de profiter de tout ce qui fait que je ne suis pas humaine. Accumuler du pouvoir c'est bien. L'utiliser, c'est mieux. Mieux que le sexe, que ces instants brûlants passés avec Damon. Je ne me sens pleine et entière qu'en propageant le Chaos sur cette Terre aux relents de désordre mêlés d'innocence. Je vais conquérir cet endroit, le faire mien. Et cela commencera ici, bientôt. Par le même genre de nuit qu'aujourd'hui. Je sens un changement en moi, ces derniers temps. Un changement qui commence tout juste à faire son petit effet, à enfler secrétement. Je suis plus puissante, c'est indéniable. Depuis la nuit au St James... C'était le bordel, mais c'était ça qui avait été si jouissif. Mieux que tout ce que vous pouviez imaginer comme plaisirs terrestres, démolir ces existences par la terreur avait quelque chose d'irremplaçable, d'inédit, de... Conquérant. Je me sentais conquérante, prête à cueillir ce monde. Je savais que le Chaos me soufflait toutes ces pensées, ces ambitions, et qu'il fallait malgré tout que je garde un minimum de contrôle.


Je soupirais. Et me retournais en entendant un craquement, non loin de l'entrée du garage. Je me relevais. Rôdeur, vampire ou n'importe quoi d'autre, j'en faisais mon affaire... Mais ce n'était probablement rien. Peut être même était ce Paul qui était de retour de toutes ses affaires louches en cours. Peut être pourrais je l'accueillir...


| Qui est là? |


Demande l'ingénue dans tous les films d'horreur. Sauf qu'ici le monstre, c'est moi.

Je détonnais encore, dans ce quartier sordide. Je m’étais pourtant vêtue de manière à me fondre dans la masse, mais je n’étais pas une des leurs. Pas une de ces criminels, qui revendiquaient leur truanderie, leur malhonnêteté, comme si c’était une carte de visite. Dans leur milieu, peut-être, mais j’étais prête à parier que beaucoup n’étaient que des amateurs, qui verraient leur vie écourtée. Nulle confusion n’était possible, en tout cas : je n’étais pas du milieu. Mais si je cherchais à n’être qu’une ombre dans la nuit et à me fondre dans la masse, je ne cherchais pas à masquer ma nature. Celle d’un prédateur, d’une créature qui pourrait leur faire du mal, s’ils brisaient ma progression. J’avançais de toute façon à trop grande vitesse pour que leur œil me perçoive. Il ne me fallut que très peu de temps pour parvenir au garage de Paul. Lui se fondait parfaitement dans le décor. Il était neuf, cela se voyait, mais il n’avait pas la rutilance attendue d’un bâtiment neuf. L’extérieur se fondait dans la masse malodorante et mal entretenue, avec des taches qui rappelaient l’usure et la rouille. L’intérieur, en revanche, était bien plus organisé – propre, probablement pas. L’odeur de diverses huiles et liquides qui m’assaillait en était la preuve.

Mais peu m’importait son garage. Je n’attendais rien des locaux à proprement parler. Non, la seule importance était ce que je pouvais trouver en son sein. Les personnes que je pouvais y trouver. Mon descendant serait-il présent ? Cela m’indifférait, je ne venais pas avec un commando. Je ne comptais pas faire d’éclat, et attirer l’attention sur ma cible. Et je pourrais toujours appeler des renforts, si besoin. Paul ne m’avait pas été d’une grande utilité, dans les premiers temps, ne m’offrant que du menu fretin. Mais l’information que j’avais reçue par un message pour le moins énigmatique… Une de ses congénères, chez lui. Pas n’importe laquelle. Pandore Lasalle. Je ne l’aurai pas cru capable d’un tel coup.

J’avançais prudemment pour autant. Il pouvait se retourner contre moi, et avoir prévenu la semi démone. C’était une hypothèse à ne pas écarter. Elle expliquait aussi pourquoi je m’y rendais sans l’avoir prévenu pour vérifier qu’il ne serait pas présent. Si je m’appuyais sur les informations qu’il me donnait, je n’étais pas tenu de lui en donner en retour, ni même de le renseigner sur les raisons de l’intérêt que je portais aux siens. Encore moins sur mes allers et venues, et mes choix d’action. Encore moins quand je risquais ma survie d’une telle façon. Je n’avais ignoré aucune des missives de la PES aux sujets des semi-démons, au contraire. J’en avais même découvert davantage en effectuant des recherches sur eux. La jeune femme manipulait les morts. Ce ne devait pas être ce qui manquait, dans ce lieu sordide. J’étais prête à parier que des cadavres étaient enterrés aux quatre coins du quartier, meurtres volontaires ou non mais savamment dissimulés.

Je percevais de l’activité, derrière les murs du garage. Un employé zélé, qui travaillait plus tard que prévu ? Paul, qui s’adonnait à une petite danse perverse avec son invitée, ou une autre ? Ses œillades appuyées quand j’étais venue ici précédemment ne laissaient aucun doute au sujet de sa lubricité. Concentrée sur le mouvement décelable derrière la paroi, je marchais sur un morceau de tôle froissé, abandonné là. Une erreur regrettable, mais qui pouvait me servir. Je le comprenais en entendant la voix qui se manifesta dans la pénombre, dans le silence ambiant qui abritait toutes les magouilles qui voyaient le jour au cœur de la nuit. Une erreur que je n’aurai pas du faire, qui s’avérait être une aubaine. Une voix féminine. Celle que j’étais venue quérir ?

Je ne le savais pas, mais je le découvrirai bien assez tôt. Je souriais pour moi seule, et prenais une voix ingénue, naïve. « Je venais voir Paul… Il m’a dit qu’il devait me voir en urgence pour un problème avec ma voiture. Mais, s’il n’est pas là ou s’il a autre chose de prévu, je, je repasserai… » Tomberait-elle dans le panneau ? Difficile à dire. Je ne doutais pas de mes capacités à me faire passer pour l’innocente que je n’étais pas, ça avait été un entrainement quotidien pendant bien des années, mais je la supposais aussi méfiante que moi. Peut-être ne verrait-elle là qu’une occasion de s’amuser aux dépends d’une brebis égarée, cependant…

Après un court instant de silence, j'entends une voix qui s'élève. Une voix de femme, faible et relativement mal assurée. Sauf que j'ai un pouvoir. Je ressens les morts, et je les sens de plus en plus loin, les différenciant de mieux en mieux selon leur ancienneté, leur force. Je souris, dévoilant une expression relativement ironique. Ces vampires, alors... Comment je le savais ? Vous connaissez beaucoup de cadavres anciens qui parlent ? J'étais capable de relever bien des corps, mais je n'avais jamais réussi à en faire parler un seul. Quand l'âme est partie, il ne reste qu'une enveloppe vide dans laquelle je m'enfonce avec toute la force de ma volonté. Ce qui me faisait penser, par élimination, que les vampires avaient toujours une âme, ou les lambeaux de leur âme humaine. Bref. Ils avaient quelque chose qui rendait la possession foutrement plus compliquée, mais aussi plus puissante et plus jouissive. Cela faisait maintenant des mois que je m'entrainais. Je savais qu'une fois, j'avais réussi à réveiller tous les vampires du pays en plein jour, l'espace d'une seconde ou deux. Je n'avais jamais été capable de réitérer l'exploit... Maryana avait ses fluides, j'avais mes propres outils, et j'oeuvrais désormais pour obtenir un jour ma propre armée de nocturnes rouges. Que ce serait terrible, d'avoir un tel outil entre les mains. Les utiliser, tous autant qu'ils sont, pour répandre la parole du Chaos de part le monde. Nul doute que je parviendrais alors à fouler du pied cette misérable terre. Si la vampire était venue pour moi, je la plaignais. Je comprenais très bien l'alibi cependant, et notais que la suceuse de sang connaissait Paul. Sinon, elle aurait juste demandé un mécanicien. Autre erreur sans doute, qui aurait pu me mettre sur la voie. A moins que la personne misait sur le fait de se faire passer pour une des nombreuses conquêtes de notre mécanicien démoniaque. Ce qui me fit sourire. Si l'expression un cul vu n'est pas perdu était véridique dans ce monde machiste, alors Paul Evans devait être l'être vivant avec le meilleur sens de l'orientation. Et cela, j'en savais quelque chose...


| Oh, entrez alors, venez ici. Je vais allumer la lumière, on s'y verra un peu plus. |


Je me déplaçais sur le côté de la grande pièce pour llumer l'interrupteur.


| Entrez, venez je vous prie. Je ne vais pas vous manger. | m'amusais je

Je ne devais pas sous-estimer l’intelligence de la semi-démone, bien que je sois confiante en mes propres capacités. Elle n’avait pas survécu, avec la lumière faite sur son espèce et sur elle, sans intelligence. Sans être douée pour se sortir de situations auxquelles beaucoup auraient succombé. J’étais coriace, mais elle aussi très certainement. Peut-être même plus que moi. Et elle maniait des pouvoirs qui pouvaient s’avérer dangereux. Je n’avais aucune idée de leur étendue, et je ne pouvais pas compter sur Paul pour m’en dépeindre un tableau fidèle. Je lui aurai demandé de me la décrire, de me donner ses mensurations, la fermeté de certaines parties de son corps, pas de souci, mais le reste… Peu importait. Je découvrirais bien assez tôt ce qu’il pouvait en être. Je devais juste garder à l’esprit de ne pas me reposer sur les lauriers, et tout irait le moins mal possible.

C’est pour cela que je ne me faisais que peu discrète, aux abords du garage de Paul. Quelqu’un d’excessivement silencieux aurait tôt fait de lui mettre la puce à l’oreille, la rendre méfiante – davantage qu’elle ne le serait spontanément, de par sa position d’ennemi numéro un. Pourquoi je n’hésitais pas non plus à parler, alors que j’aurai pu prétendre que nul n’était là, ou qu’il s’agissait d’un animal errant, quand elle demanda qui se trouvait là.

Un sourire se plaqua sur mes lèvres, en l’entendant. Jouait-elle à mon propre jeu ? Nous verrions celle qui serait capable de se jouer de l’autre plus longtemps. Je lui obéissais toutefois, abaissant la poignée pour passer la porte – qui n’était pas verrouillée, à l’inverse de ma dernière visite. Insouciance de sa part ? Peu importait. Je pénétrais à l’intérieur du bâtiment, bien désireuse de voir si mon interlocutrice avait la gueule de l’emploi, ou si elle pouvait bien leurrer son monde comme le laissaient entendre les portraits diffusés par la PES.

« Je ne veux surtout pas vous déranger… Je venais remercier Paul de sa gentillesse et son dévouement pour ma voiture. »

Arrivait-il vraiment à amener dans son lit des femmes, sous ce prétexte ? Ca ne m’aurait pas beaucoup étonnée. Une ingénue, qui n’y connaissait rien, à qui il dirait faire une fleur pour lui épargner des frais exorbitants chez ses confrères… Oui, beaucoup de faibles représentantes du sexe féminin tomberaient dans le panneau de façon stupide. Les imiter n’était guère difficile. Et vu les regards de Paul sur mon corps quand j’étais venue le voir, impossible de nier que j’étais dans son radar. Mais pour donner du crédit à mon illusion, je devais me mettre sciemment en danger, en m’approchant d’elle. Feindre ignorer sa nature. Feindre ne rien savoir d’elle. Passer pour une imbécile, qui ne s’intéresse à rien, ni même aux gens recherchés et ennemis de toute une nation.

« Je ne voudrai pas vous déranger si vous avez des… plans. » Un peu de hargne, de jalousie. Nécessaire pour montrer l’amante trop vite attachée, et tout aussi vite remplacée.

La manger. Pas au sens littéral, mais je pouvais l'engloutir dans mon pouvoir, la posséder dans tous les sens du terme. Elle pouvait devenir ma chose, et je pourrais lui faire découvrir la vérité sur la servitude. Pourtant, je ne fais rien pour le moment. La situation m'amuse, et même si je sais que c'est peut être la face sombre de mon pouvoir qui me dicte cette conduite pleine d'assurance, j'ai tout de même de quoi me sentir confiante. Mon pouvoir est celui de la plus vile des pratiques selon les pathétiques civilisations terrestres ; la nécromancie, la maîtrise des non morts. Profaner ainsi tous les interdits sociaux et moraux m'amuse beaucoup, et j'en retire une joie sans limite. Je ne vois pas encore la vampire, mais je la sens. Je suis comme un navire qui perçoit la lumière de plusieurs phares ; les morts vivants m'attirent vers eux et vice versa, sans aucun doute. La vampire entre finalement, poussant la poignée de la porte. Un sourire entendu passe sur mon visage. Remercier Paul. Tiens donc. Le petit galopin a encore frappé, dirait on. Quand il parlait de filles qu'il ramenait pour son plaisir, je n'imaginais pas qu'elles puissent être ses éventuelles partenaires de business. Si du moins celle ci était impliquée, mais les chances semblaient plutôt positives pour que ce soit une vampire qui fasse l'intermédiaire dans les petits trafics du garagiste, non ? Les suceurs de sang avaient une longue expérience de la clandestinité, et nombre d'entre eux étaient des criminels en puissance.


| Ah oui, bien sûr. On en est toutes là, je crois. |


Qu'elle m'en dise autant... Bien sûr qu'elle venait « remercier Paul ». Heureusement qu'elle était vampire, à force il pourrait choper des saloperies. Et me les transmettre. J'en frémissais. Ce genre de petits désastres intimes était d'un lointain passé où je découvrais mon affiliation au Chaos et l'effet de la dépravation charnelle sur mes pouvoirs. J'avais acquis tout de même beaucoup de contrôle depuis cette drôle d'époque.... Et les choses étaient différentes, du moins me plaisais je à le penser. Mon sourire alla encore en s'accentuant quand la vampire fait sa jalouse. Tient elle vraiment à notre petit mécanicien, ou est de la simple possessivité sexuelle?


| Oh, nous n'en avons pas vraiment, nous préférons rester ouverts à toute perspective... |


Sous entendu gros comme une maison, invitation ironique.


| Vous voulez peut être que je lui passe un message plus précis? |

Je devais jouer l’innocente aussi longtemps que possible, pour en apprendre un maximum, tout en ne compromettant pas ma sécurité. Je ne savais pas réellement à quoi m’attendre. Mon amitié, si l’on pouvait la qualifier ainsi, avec Aliénor était étrange, et ne pouvait en rien me préparer à cela. Aliénor n’était pas un rejeton de démons sans cœur ou sans foi ni loi, comme je soupçonnais celle que j’allais rencontrer de l’être. Cela ne m’impressionnait pas pour autant. M’effrayait, dans une certaine mesure, très certainement, mais ne m’impressionnait pas. Ils étaient catalogués d’ennemis numéro un, parce que personne ne savait les contrôler, pas en raison de leur dangerosité. Les humains ne toléraient notre existence, et celle des loups garous, que parce qu’ils pouvaient nous blesser mortellement, parce qu’ils savaient le faire. Parce qu’ils savaient nous maîtriser. Mais, en ce qui concernait les vampires avec certitude, et avec suspicion pour les loups, nous n’en étions pas moins dangereux et retors. Ne nous étions pas alliés à certains démons, pour décimer l’autre espèce, après tout ? Sans avoir autant de capacités et pouvoirs, j’étais persuadée que bien des vampires s’adonnaient au vice à une échelle comparable à celle des semi démons. Il n’y avait qu’à voir les sanguinistes, et les carnages que certains laissaient derrière eux, après les orgies sanglantes durant lesquelles ils avaient brisés les humains entre leurs mains, de bien des manières. Non, leur cruauté ne me surprenait pas, quand bien même elle m’effrayait par l’inconnu qu’elle représentait.

Mon air se fait plus incertain, moins assuré, alors qu’elle me dit en être là, comme toutes. Amante de Paul ? Ca ne me surprendrait pas le moins du monde, étant donné les mœurs débauchées que je lui attribuais, les regards lascifs qu’il m’avait porté, lors de notre récent entretien. Je continue à m’avancer, jusqu’à parvenir en bas des marches. Jusqu’à la voir de plus près, et qu’elle même puisse déceler les traits sur mon visage. Pas la trahison, non. Femme ingénue, oui, mais pas naïve. Blessée, jalouse de la jeune femme aux mensurations parfaites qui se trouve en face de moi, mais amante éconduite qui a bien compris qu’elle s’attachait à une chimère en espérant la fidélité d’un garagiste qui lui a fait du gringue la minute même où elle est entrée dans le garage… Suis-je convaincante ? J’en suis persuadée. Fais-je preuve d’assurance à tort ? L’avenir nous le dira.

Je commence mon ascension vers elle, au cœur du danger, me figeant en l’entendant. Une ouverture à toute perspective ? Même une vampire stupide, se laissant aller aux paroles creuses de Paul, saisirait le sous-entendu. Et se laisserait aller à ses travers de luxure, se sentant bafouée de l’infidélité flagrante, et voulant à son tour lui voler son jouet. Je réprime le sourire sarcastique qui aurait pu naître sur mes lèvres, et reprends ma montée, m’arrêtant quelques marches en dessous de la fille du Démon, pour lui donner l’impression de me dominer, de contrôler notre échange. Symbolique subliminale, mais bien présente. « Quelle perspective décelez-vous, actuellement ? Je lève les yeux vers mon interlocutrice, souriant d’un air embarrassé. Peut-être pourriez-vous m’inviter à boire un verre à l’intérieur, pour que l’on discute de ce message ? »

Elle se méfierait, c’était indéniable. Mais peut-être y verrait-elle une occasion de s’amuser. Je l’espérais.

Les choses ne vont plus tarder à devenir plus sérieuses. Il le faut, je n'aime pas perdre mon temps et il arrive un moment donné où l'on ne peut plus se satisfaire d'ôter pâtes et ailes d'une mouche une à une ; il faut agir pour de bon. Cela va être le moment, très vite, et vous pouvez dès à présent considérer que le prédateur ici, c'est moi. Je continue de tancer la vampire malgré tout, de tenter de lui faire baisser la garde. J'y tiens tout particulièrement vous imaginez bien. Je me faisais passer pour une maîtresse de Paul, ce qui devait passer comme une lettre à la poste auprès de n'importe qui. Le mec était reconnu pour être un bourreau des corps et des cœurs. Je frémissais à l'idée que l'homme pouvait passer à travers des barrières, vêtements, chair... Cela devait donner des choses intéressantes dans cette optique. Nous n'avions pas encore essayé, nous n'avions pour l'instant fait que nous adonner à quelques pulsions nées de notre nature, ce qui nous avait aidé à renforcer un peu notre pouvoir et notre confiance mutuelle, du moins la petite part que nous avions accordé à l'autre. Notre nature même, paranoïaque et traîtresse, nous empêchait après tout de trouver mieux que cela, que cette infime proportion de confiance. Bref. Je la laisse venir. Approches. Mon contact n'en sera que plus aisé. Je dévoilais un sourire relativement entendu.


| Franchement, vous voulez un dessin ? Nous ne sommes pas obligées de l'attendre pour commencer... |


Petite mise en jambe ; je commence à éveiller mon pouvoir. Je m'enroule dedans, je le laisse sortir de chaque pore de ma peau. Et d'un coup, j'essaie d'entrer dans l'esprit de la vampire.


| Entrez donc, ma jolie petite vampire. Je vous y invite... |


Et pars d'un rire réjoui alors que je tente d'enfoncer le plus vite possible toutes ses pensées, ses souvenirs, sa volonté.

J’ai beau prétendre être une vampire ingénue, quelque peu stupide même, mais je ne me leurre pas une seconde quant à ce que veut la démone. Paul transpire la concupiscence, et elle de même. Elle veut jouer sur des outils que je maîtrise bien. Mais je ne connais rien d’elle, rien de plus que ce que les bulletins d’information ont divulgué sur cette menace. Ce n’est rien de plus qu’enfoncer des portes ouvertes. Une description bien sommaire, et somme toute d’une utilité contestable. Une mise en bouche, mais pas suffisante. Alors peu importe les outils qu’elle utilise, elle en a bien d’autres, probablement, dont je ne me doute pas. Et je dois progresser derrière ces portes ouvertes, en savoir plus. Entrer dans son jeu, sans m’y perdre.

Je lui rends son sourire, le mien tout aussi entendu que le sien. « Un dessin, non, une démonstration, peut-être. » Plus de temps à perdre. Peu importe ce qu’elle attend de moi ou même ce que j’attends d’elle. Tergiverser et rester sur mes gardes ne m’aiderait pas. Et elle ne comptait pas faire dans la dentelle. L’onde de magie qui se répandait me parvint instantanément plus forte. La fille de joie fait usage de son pouvoir, aucun doute à avoir. Si l’idée de la luxure laissait flotter dans l’air un relent de magie, ça n’est rien comparé à la déflagration que je sens. Et à l’intrusion, dans mon esprit.

Je me recule un instant. Mettre des barrières, entre elle et moi, les plus efficaces. Je la sens forcer les barrières de mon esprit, et je ne résisterai pas longtemps. Mais si je peux tourner sa manipulation à mon avantage, je dois le faire. Je dois tenir, encore un peu. Y trouver mon compte.

« Et si nous nous rendions dans des appartements plus plaisants ? Nous serions bien plus à l’aise… »

Je m’éloigne encore un peu, tentant tant bien que mal de résister. Je sais que ça ne durera pas, et je sais que pour mener à bien ma tâche, je dois céder, mais contrôler l’étendue de sa manipulation. Je n’imaginais pas qu’elle contrôle les vampires, en plus des cadavres. Grave erreur. Nous sommes morts, après tout…

La vampire me renvoie un écho de mon propre sourire, alors qu'elle ne semble absolument pas effarouchée par ce que je lui propose, qui pourrait paraître ou vulgaire ou sensuel selon les personnes. Pour elle, cela semble plus mener à du désir et l'anticipation d'un plaisir interdit qu'à une obscénité. Ou alors, elle joue la comédie pour mieux m'attirer dans ses griffes. Peu importent finalement les motivations qui l'animent ; seul compte le Chaos et les vampires sont des créatures qui y sont naturellement sensibles. J'ai longtemps pensé que leur existence, liée à une malédiction spécifique, était peut être une création de nos sombres maîtres ou de leurs séides. Cela me semblerait logique, que les lois de la nature ainsi bafouées aient été marquées par le Chaos à un moment donné de l'Histoire. Je n'avais aucune preuve de ce que je pensais, mais j'en venais simplement à considérer que ma propre proximité avec notre nature démoniaque pouvait nous apporter une connaissance propre. Une proximité que j'utilise pour pénétrer l'esprit de la vampire. Elle sent ma tentative ; elle la combat avec ses armes. Je pousse en avant mon pouvoir, dans un effort pour la dominer intégralement.


| Une démonstration ? Celle ci ne vous suffit pas? Je peux continuer, si c'est ce quevous désirez. |


Je retire ma veste, puis mon haut, alors que je relâche mon emprise sur elle.


| N'était ce pas cela que vous désiriez? | dis je en montrant mon propre corps


Puis, je reviens me fracasser contre ses défenses comme un raz de marée.


| Ou bien cela? |


Je suspectais bien sûr qu'il s'agisse de mon pouvoir qui l'attire ici. Elle l'aura vu comme un instrument, ou elle a été envoyée ici par quelqu'un qui voyait en lui son outil. Je lui montre que ce ne sera pas si simple. Je lui intime, lui susurre à l'intérieur de son esprit, de retirer ses vêtements elle aussi. Acceptera t'elle, luttera t'elle plus fort encore ? Je la pousse à entrer, à venir vers moi.


| Cet endroit me convient très bien. Il a un bureau tout à fait convenable... |


Dis je d'une vois amusée, pleine de sous entendus.


| Expliquez moi donc ce que vous voulez de moi... TOUT, ce que vous voulez de moi. |

Je sais que sous peu, elle m’aura. Elle me prendra mon libre arbitre. Je sens sa puissance, sa force sous-jacente. L’air est électrisé par la magie qu’elle dégage, par l’intensité de ses capacités. Je me recule, mais ça ne m’aide pas pour autant. Si l’éloignement physique atténue brièvement l’efficacité de son pouvoir, ça ne dure pas. Je la sens, déterminée, motivée à briser mes barrières une à une. Et je les sens s’affaisser, lui offrir une prise sur mon esprit. Qui s’éloigne aussi rapidement, me permettant de reconstruire ces barrières, moins puissantes, mais présentes. Je laisse un nouveau sourire se positionner sur mes lèvres, en la voyant se dévêtir, me demander si je souhaite son corps. Je n’y dirai pas non, mais ça n’était et n’est pas ma priorité. Si cela peut découler de ma tâche… Pourquoi pas. Mais la proximité ne ferait que raffermir son emprise sur moi, alors qu’elle tente une nouvelle fois de percer mes défenses. Y parvint, progressivement. Je la sens s’insinuer dans mon esprit, l’envahir, chercher toutes sortes de choses. Que veut-elle y trouver ? Que pense-t-elle y trouver ?

Mon visage prend un air amusé, à entendre sa suggestion. Sans réellement savoir comment je l’entends. Me dévêtir ? Il y a des moyens bien plus intéressants de me pousser à faire cela. Bien plus plaisants. Je m’efforce de ne pas céder à cette envie insidieuse de lui obéir, mais ne peut freiner mes mouvements, quand elle m’intime d’aller au delà, d’entrer dans l’appartement de Paul. Je me retrouve face à elle, face à son corps des plus plaisants et dont tout trahissait la luxure, bien plus que ses propos. Ceux-ci m’indiffèrent. Si je le voulais réellement, je m’emparerais charnellement de son corps, là, en l’instant, sans prendre la peine de trouver un endroit ‘convenable’. Ce n’était pas ce que nous voulions, j’en étais persuadée. J’acquiesçais à sa demande.

« Vous démasquer, démasquer vos congénères. Vous conduire à ma Reine. Je ne veux rien de vous, mais elle veut cela de moi. Par conséquent, je dois obtenir ça de vous. Quelle que soit la façon dont j’y parviens. Quelle qu’en soit les conséquences. Vous violez déjà mon esprit, et nous savons toutes deux qu’il y aurait bien plus plaisante manière pour vous de me violer – si tel pouvait être le cas. Vous savez que je ne peux vous contraindre à rien, étant donné l’étendue de votre pouvoir. Que craignez-vous, à me suivre, à en retirer quelque chose de plaisant, et à vous confronter à la Reine elle-même ? Vous ne devez pas douter de vos capacités, n’est-ce pas ? »

Si elle m’avait contrainte à entrer, elle ne me contraignait pas à rester. Et elle saurait réagir suffisamment vite si elle le souhaitait encore, je n’en doutais pas. Lui tournant le dos, je rebroussais chemin vers la porte, me retournant pour lui adresser un regard provocateur avant de lui tourner le dos à nouveau et de reprendre ma marche.