Tout redevenait confus, peu à peu. J'avais cru, un instant, que j'arrivai à avancer, à poser un pied devant l'autre, sans savoir précisément où j'allais, sans grande certitude, mais un pied devant l'autre tout de même. De toute manière, j'avais renoncé à chercher trop loin ; le jeu des devinettes m'amusait peu, seul l'avenir pourrait me dire certaines choses. Même si cela ne me plaisait pas. Même si je voulais toujours tout savoir, tout contrôler, tout maîtriser. Cela devait être le cas dans mon travail, mais dans le peu de vie personnelle que j'avais cela ne marchait pas. Un nouvel échec à essuyer, en plus du goût amer qui perle sur mes lèvres quand je vois Torben, quand il me parle, quand je le sens souffrir. Quand je vois qu'il n'est plus qu'un invalide, alors qu'il est un guerrier. Chaque guerre a ses vétérans, et je devais me convaincre que la sienne était finie. Que peut être aussi, il serait mieux de tout arrêter, tout ce qui était né entre nous, par notre simple volonté. Mais pouvait-il sortir de ma vie si soudainement, si facilement, alors qu'aujourd'hui plus que jamais il avait besoin de quelqu'un ? Il avait Tom, certes, mais ce n'était pas la même chose. Et être là faisait également partie de ma mission. C'était elle le problème, je n'arrivai pas à m'en détacher, malgré toutes les autres que je recevais au fur et à mesure. Lever cette armée, assurer sa sécurité et son efficacité allait me prendre tout mon temps, toute ma vie. J'en avais conscience, c'était pour cela que j'étais faite. Je ne voulais rien d'autre, pourtant, je voulais aussi Torben. Par égoïsme, dans un sens, par besoin d'avoir quelqu'un, pas auprès de qui passer chacune de mes heures, mais pouvoir compter sur quelqu'un en dehors de toute obligation professionnelle. Je savais également je ne pouvais, ne devais pas trop lui en demander. Je veux premièrement l'aider, et si nous devions continuer sur le chemin emprunté, cela devait nous être bénéfique à tous deux. C'est ainsi que cela marchait, et non autrement. Mais je ne sais pas... je ne sais pas ce qui est possible. Je ne sais pas si je le veux, si j'en suis capable. S'il en est capable. Je ne sais pas non plus ce que j'attends véritablement, alors comment répondre aux autres questions ? Je lui renvoie un sourire triste, et murmure

« Je suis quelqu'un de patient. »

C'était la vérité. Patiente, mais je ne me tournais pas non plus les pouces en attendant que les choses se fassent. J'aime voir le fruit de mes efforts, peu importe combien de temps cela prend. C'est tout. Je sens l'homme touché, attristé. Mal à l'aise. Ce n'était pas le but, mais je me suis moi même mise dans cette situation. J'acquiesce alors qu'il me dit de tenter. Que c'est ce qu'elle aurait voulu. Penser à cela me fait mal. A Elle, à ce qu'Elle attendait. Elle n'attendait pas que je le sauve pour qu'il souffre de la sorte.

« Oui. Mais Elle n'avait pas prévu que tu sois dans cet état. Je ne sais pas si je le regretterai, mais je ne pense pas. Je ne pourrai pas dire que je n'ai pas essayé. Mais si toi tu ne sais pas, alors attendons. »

Je voyais qu'il n'y avait plus rien à dire, que tout devenait trop complexe, trop douloureux. Lever une armée n'est rien par rapport à savoir ce que l'on veut faire de sa vie face à quelqu'un d'autre. Mon sourire triste revient, un instant. Ses propos sonnent étranges mais je ne peux l'en blâmer. Peut être vaut il mieux arrêter là la mascarade pour ce soir.

« Je n'ai pas grand chose, ce soir. Je... Peut être te l'a t-on dit, je m'installe ici, il faut que je décharge mon dernier sac de ma voiture et que je mette tout en ordre. Je repasserai vite. »

J'hésite, un instant, effleure finalement ses lèvres des miennes. Elles sont froides. Incertaine. Je me lève, marche jusqu'à la porte et me retourne une dernière fois.

« Bonne nuit, Torben. »