Gabriel lui envoie un dernier coup en pleine tête, qui le fait sombrer dans l’inconscience pour de bon. Sa jambe devient molle dans ma prise, et malgré son manque de résistance soudaine, je ne résiste pas à l’envie d’agiter la tête pour l’écorcher davantage. Je grogne, l’air mauvais, quand elle se rapproche de moi visiblement pour me stopper dans ma lancée. Sa main contre mon échine me fait l’effet d’une décharge électrique. Je lâche sa jambe à contrecœur pour me retourner vers elle. Il est plutôt étrange et singulier de la voir tenter de me calmer. A-t-elle peur de mes réactions ? Elle fait bien, et je ne peux m’empêcher de montrer les crocs en guise d’avertissement, les oreilles plaquées dans mon pelage, quand elle se rapproche avec ce bout de tissu. Je ne lui fais pas assez confiance pour s’occuper de mes blessures. A sa décharge, je ne fais pas confiance à grand-monde tout court. D’autant que Gabriel qui s’inquiète de mon état ? J’en rirais presque, si la douleur ne m’embrumait pas autant l’esprit. Je n’ai pas la force de la repousser, mais le message est clair et la métamorphe rebrousse finalement chemin, certainement pour vérifier que nous n’avons pas laissé d’indices de côté après notre récente démêlée. Si elle en trouve un, elle aura au moins prouvé qu’elle est capable de se rendre utile d’une quelconque façon.

Je ne sais pas si elle s’attendait à ce que je lui réponde avant qu’elle ne tourne talon, mais à peine je la suis du regard, aussi méfiant qu’intrigué. Je ne suis pas en état de comprendre correctement ce qu’il vient de se passer, mais je connais mon rôle et mes priorités. Un gémissement étranglé m’échappe quand la rousse repasse derrière Gabriel pour serrer le garrot à sa place. Je reste la tête basse, à voir des lumières colorer désagréablement mon champ de vision. Je respire mal durant quelques secondes, mais l’intervention de Roxane est salvatrice. Je ne pensais pas qu’elle se débrouillait si bien pour les premiers secours. Je risque de devoir rester sous cette forme si je ne veux pas continuer à me vider de mon sang, mais au moins, la blessure n’empirera pas.

Je pensais qu’elle se contenterait de repartir ensuite pour assister Gabriel, mais sa main dans ma fourrure me force à me retourner vers elle, vers ma sœur de meute. Son murmure me rappelle que la Meute vit encore, et qu’elle en reste l’Exécutrice. J’avais déjà bien l’intention de finir le travail, pour éviter que Roxane n’encoure le moindre danger plus tard. Elle a ouvert le feu sur ce garde et il a vu son visage, le laisser en vie pourrait nous coûter cher, surtout alors qu’il est là, à notre merci. J’hoche la tête, en signe d’assentiment. Je la pousse du museau pour l’inciter à partir, à me laisser faire. C’est la bonne décision à prendre, et qu’elle lui coûte me prouve que Roxane reste la mieux placée pour prendre la relève. Elle n’est pas comme moi, à vouloir tuer tous ceux qui se dresseraient sur la route de la Meute, et répandre un torrent de sang pour compenser nos pertes, même en sachant pertinemment que cela ne me suffira jamais.

J’attends que Roxane soit à ses côtés. Je l’entends lui intimer d’éteindre sa lampe, certainement pour me simplifier la tâche. Mes yeux brillent dans la pénombre et la silhouette immobile du garde continue de m’apparaître vaguement. Un coup à la gorge serait le plus radical, mais ça manquerait de discrétion. Je ne peux pas changer de forme au risque que le garrot lâche alors… Je choisis de m’acharner à nouveau sur sa jambe, la plaie béante camouflera aisément mon meurtre. Je vise l’artère fémorale, plantant mes crocs presque avec douceur pour la sectionner.



Tuer un homme à la fâcheuse tendance à prendre du temps, quand on veut faire les choses bien et en toute discrétion. Je m'applique. Je sens ce sang chaud me couler à nouveau dans la gorge, alors que mon regard reste rivé aux deux femmes plus loin qui poursuivent leurs recherches. Je pointe les oreilles en avant, en entendant un bruit à l'angle du couloir. On dirait que les ennuis ne sont pas encore terminées.

Je retire mes crocs et me lèche les babines pour dissimuler mon crime tout récent. Je n'ai plus qu'à attendre qu'il se vide de son sang. Par expérience, il faut moins d'une minute pour que la mort soit actée quand on s'attaque à l'artère. J'attends sagement, assis à côté de lui, jusqu'à ce que les signes m'avertissent qu'il ne respire plus. Parfait. Il faudra que je m'occupe de dissimuler le corps plus tard, mais je laisserais le soin aux deux femmes de constater qu'il est mort des suites de ses blessures avant de m'en charger.

Je reste les oreilles pointées en avant, en remarquant une autre ombre se mouvoir au loin. Les lumières qui dansent au bout du couloir m'informent rapidement que Roxane a pris sa forme lupine. Un autre danger ? J'entends son grognement, sauvage et autoritaire. Je suis prêt à m'avancer, avec l'espoir tenu qu'elle a fini par trouver un des lycanthropes qui nous avait mis sur cette piste. La folie les touche tous, dans une certaine mesure, depuis que l'Ulfric est mort. Elle peut avoir besoin de le soumettre pour qu'il retrouve le contrôle de lui-même, pour ce que j'en sais... Je ne vois pas assez bien la scène d'où je me situe, mais l'odeur finit par me parvenir. Ce n'est qu'un vulgaire clébard. Je me tranquillise et me détourne. Roxane sait ce qu'elle fait, et l'Exécutrice n'aura pas besoin de mon aide contre lui. L'animal ne s'est pas décidé à attaquer, ce qui signifie qu'il n'attaquera sans doute jamais.



Je veux vérifier ce qu'il reste au fond de ce couloir avant de les rejoindre. Je traîne la patte, sentant que ma blessure m'élance dès que je pose ma patte gauche au sol. J'évite d'appuyer de tout mon poids dessus pour ménager mes forces. Décidément, entre ce vampire qui cherchait à m'arracher la carotide durant les événements de la Lune Bleue et ce tir mal placé... Je risque d'avoir une belle cicatrice. Tant que ce n'est que ça. Je suis encore en vie, et je caresse l'espoir que la balle ne se soit pas correctement logée dans ma clavicule.



Je parviens au fond du couloir et me retrouve le museau face à une porte. Je m'aplatis au sol pour tenter de voir par en-dessous, et constate rapidement que l'interstice est si étroit qu'un morpho ne peut pas s'y engouffrer. C'est bien ma veine... Mes options sont limitées. De l'autre côté, je n'entends rien. Je risque de faire danser les chandelles si j'essaie de la défoncer d'un coup d'épaule. Il vaudrait peut-être mieux que je trouve de quoi la crocheter.

Je jappe, pour signifier que j'ai découvert quelque chose. Je ne prends plus la peine d'être discret depuis que Roxane a ouvert le feu sur le garde. Si des caméras étaient branchées, les renforts seraient déjà arrivés. Je crois bien que nous sommes désormais seuls, face à cette énigme qu'on nous laisse.

Je ne m'attendais clairement pas à ce que ce soit Gabriel qui fasse demi-tour pour me filer un coup de main. Si j'avais su, je me serais sans doute contenté de reprendre forme humaine, malgré la douleur, pour crocheter cette serrure et poursuivre sans attendre. Je me doutais un peu de sa réaction face au cadavre, même si j'espérais qu'elle ne se rende pas compte qu'il avait fini par se vider de son sang. Enfin, je me suis montré assez discret pour rester insoupçonnable... Ou presque, si on omet qu'elle a pu apercevoir les messes basses de Roxane dans mon oreille lupine.

Je penche la tête sur le côté, les oreilles dressées en avant, avec une moue de canidé parfaite, de celui qui ne comprend pas le langage humain. En terme moins élaboré, je viens proprement de passer sous un tunnel quand elle me parle. Tant de mots d'amour réussiraient presque à m'émouvoir... Son avis m'importe peu. Je veux simplement ouvrir cette fichue porte, retrouver les miens, et qu'on en finisse avec ceux qui s'en prenaient aux nôtres, elle comprise.

Je suis agréablement surpris de voir que Gabriel est capable d'enfoncer la porte et m'épargne un effort considérable avec ma plaie béante à la clavicule. J'aurais été bon pour voir trente-six chandelles à sa place... Je sais reconnaître mes limites, et dans l'immédiat, je préfère m'économiser si on croise à nouveau la route d'un vigile et son clébard. J'entre à sa suite, tête basse, truffe collée au sol.



Et... Rien. Un simple cul de sac. Je gronde, avec un léger mécontentement, avant de commencer à faire le tour de la pièce. Je laisse Gabriel lever sa lampe en tout sens pour discerner quoi que ce soit sur les murs qui puisse nous mettre sur la voie, comme quelques minutes auparavant. Elle s'acharne mais son action ne paraît pas concluante. J'hésite à reprendre forme humaine pour lui arracher des mains et m'en occuper moi-même, mais la douleur est encore trop vive et je me contente de fureter au sol. Promenant ma truffe dans chaque recoin pour discerner la moindre odeur de loups, ou qui peut différer significativement avec un entrepôt de Tru Blood. Nous avions bien trouvé des morceaux de papier en lambeaux plus loin, que nous réserve cette salle-là ?

Je lève le museau vers la métamorphe, après avoir fini mon tour d’inspection de la pièce. Elle est encore plantée là, avec sa lumière bleue braquée sur ces quatre murs. Je m’assois au sol et patiente. Je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes coincés dans cet entrepôt miteux, mais la fatigue m’accable à une vitesse foudroyante. J’ai dû perdre trop de sang, et il serait temps de faire demi-tour pour retrouver Roxane. Je n’aime pas tellement l’idée d’être blessé, au bord de l’évanouissement, à côté de Gabriel qui serait bien capable de m’achever proprement. En fait, non, elle n’en serait pas capable puisqu’il m’a fallu me charger de ce garde pendant que Roxane l’entraînait ailleurs… Mais je ne suis pas à l’abri d’une crasse de sa part. Je ne me plains pas. Je l’aurais bien mérité.

Elle persiste dans ses recherches, ce qui est louable. C’est étonnant de la voir aussi impliquée et concernée par les survivants d’une meute dont elle n’a jamais fait partie. Je lui laisse l’occasion de faire ses preuves et me couche finalement au sol pour nettoyer ma plaie, dégageant le garrot en tirant un peu dessus avec mes crocs pour lécher ensuite le sang qui s’écoule encore, jusqu’à ce qu’elle soit nette et propre. Les animaux ont d’excellents moyens à leur disposition pour se soigner efficacement et il serait idiot de ne pas en profiter. La salive des chiens et des loups ont de bonnes vertus cicatrisantes en plus de nettoyer efficacement les plaies. Il me faut de longue minute pour le faire correctement, mais le résultat est à la hauteur de mes espérances. La balle n’a visiblement pas pénétrée, malgré la zone extrêmement douloureuse. Un peu plus haut et j’étais clairement foutu… Tout peut parfois se jouer à un simple coup de chance. Gabriel en serait fortement déçue.



Je voulais resserrer l’étoffe sur ma plaie, mais impossible sous cette forme, et je me rends vite compte que ma comparse n’a pas avancé d’un iota dans ses recherches, toujours le nez rivé au mur. Il n’y a peut-être rien, tout simplement. Je finis par perdre patience et gronde bassement une nouvelle fois dans sa direction. Aucun danger à l’environ, mais elle met beaucoup trop de temps, et je n’aime pas laisser Roxane livrer à elle-même dans les autres couloirs alors que je suis bloqué avec elle.

Sans crier gare, je bondis pour agripper sa lampe de mes crocs et lui arracher des mains. Je me relève ensuite sous forme humaine, une main portée à mon cou, et l’autre pour rattraper la dite lampe. Je perds à moitié l’équilibre après le changement et commence à voir mille chandelles. La plaie ne s’est pas rouverte mais le changement est loin d’être agréable.

- Putain… Donne-moi ce truc, t’arrives à rien.



Je commence à promener la lampe sur les murs, et ne voit aucune différence non plus. Je lui remets dans les mains d’un geste vif.

- Ok, c’est bon, laisse tomber. Roxane est partie depuis trop longtemps, mieux vaut tracer. Tu peux rester là à décortiquer ton mur si tu veux, au moins tu gêneras personne.

La totale. Au moins, je ne peux pas la blâmer de ne pas s'en sortir avec cette foutue lumière bleue. La douleur et l'inquiétude me mettent en rogne. On a intérêt à tracer la route, et vite.