20 décembre. Deux jours sans rien de nouveau, pas de nouvelles attaques, rien de spécial à signaler. Seule une préparation intensive, conformément aux ordres de ma Reine. Pas ce que j'aurais souhaité, mais je n'ai pas le choix. La rançon de l'efficacité est égale à elle même. Montrez vous compétent et fatalement des responsabilités vous échoient. Krystel l'oublie, désormais. Elle a perdu son fils et malgré qu'elle l'ai elle même exilé, elle ne s'en remet pas. Ses filles restent distantes, et son mari veut sa peau et celle des gens qu'elle aime, des gens dont elle s'entoure. Je figure sur sa liste, mais il est plus probable qu'il me garde pour la fin. C'est ainsi. Alors on se prépare, encore et encore. Je n'ai plus que ça à faire, avec Krystel occupée, les sanguinistes détruits et Cora morte. Cora... Je n'y pense pas, j'essaie de ne pas y penser. Je rumine. Je suis face à mes hommes, la dernière équipe que je dois briefer. Celle qui prendra la relève des gardes de Morgane. Je me suis déjà occupé de Jana, qui bénéficie déjà d'une protection rapprochée costaud. Ils sont dix, devant moi. Sept hommes et trois femmes. Dans mon armée moderne, les reliquats de la force spécialement recrutée, il n'y a pas de place pour les préjugés sexistes. Seule compte l'efficacité, encore et toujours. Tous vêtus de treillis noirs, d'un gros pare balles et de plaques pare-éclats. Un béret noir, et leurs équipements sur la table qui me sépare d'eux. Carabines M4 modifiées, munitions en argent ou au phosphore, grenades flash d'une utilité redoutable contre les vampires, dont l'intensité du son et de la lumière les destabilise plus encore que les humains. Ils me regardent ; ils savent qu'un déploiement total de l'unité ne signifie qu'une chose. Ils ont vu pour certains ce qu'il s'est passé en Islande. Je pose mon regard sur eux, et je sais qu'ils mourront tous si le Roi passe à l'attaque.


| La mission est dangereuse. Priorité maximale, recours à la force systématique. Pas d'hésitation. Vous connaissez la menace. Tout vampire ou humain au comportement suspect qui s'approche de la cible, vous avez le droit de l'abattre sans sommation. Ne prenez aucun risque. Vous connaissez aussi la liste des autres personnalités ; si une attaque doit se produire alors qu'elles sont réunies vous savez lesquelles vous devez protéger, et dans quel ordre si vous devez faire un choix. Je ne vais pas vous mentir. C'est la mission la plus dangereuse que je vous confie depuis la fin de la guerre, qui a vu tant de nos camarades tomber ou se faire capturer. Il ne reste plus que nous, aujourd'hui. Mais cela ne change rien. Nous accomplirons notre devoir jusqu'à la fin. Je reste joignable 24/24, vous avez mon indicatif entré dans votre radio personnelle. J'espère que nous pourrons tous nous retrouver ici d'ici quelques semaines, vivants et prêts pour la suite. N'oubliez pas comment l'on vit à jamais... |


Une poignée de main, je leur souhaite à chacun bonne chance, et je les laisse finir de s'équiper pour rejoindre leur assignation. Je me mets en route à mon tour. Armé, je n'ai plus le choix. Je dois faire le point. Je me sens las, fatigué. Je me sens creusé, vide. Malgré les deux ou trois distractions éphémères que j'ai pu trouver, je ne parviens pas à m'enlever de l'esprit son visage fracassé par une de mes propres balles. Je mets un moment à arriver chez Erin. Contrairement à l'habitude, où je mémorise trajet, trafic et durées, j'entre dans son immeuble comme un fantôme, sans me souvenir réellement de la route. J'arrive devant sa porte et toque, un coup, deux coups puis un coup. Apparemment sans importance, mais pour nous ça en a. Je ne risque pas de me faire tirer dessus, comme ça. Il est plutôt rare d'ailleurs, que je prenne la peine de toquer. D'ordinaire, je m'infiltre dans son chez elle, comme à mon habitude...

20 décembre 2017

Une désagréable impression de tourner en rond me collait à la peau. On avait un plan, oui, peut être un peu bancal, mais un plan tout de même. Ce n'était pas vraiment cela le problème, c'était que nous étions dans une impasse et qu'on pouvait juste subir. Attendre la menace en nous préparant au mieux, en nous entrainant, mais toujours en attendant la menace. Et n'avoir aucun contrôle sur la situation, cela n'était pas dans mes habitudes. Ou en tout cas j'ai toujours tout fait pour éviter cette situation. Et là, eh bien c'est simple, je ne peux rien faire. C'est désagréable au plus haut point. Les mêmes pensées qui tournent dans ma tête et cette veille constante, en attendant d'être pris par surprise par l'ennemi. Je réussis à mettre de côté la fatigue, du mieux que je peux. Je n'y prends pas gare, je dors relativement peu mais assez pour tenir. M'économiser, ce n'est pas le moment. Pourtant des fois je la ressens, cette fatigue, cette tension constante, si omniprésente qu'on finit par ne plus la voir. Je note qu'il faut que je me détende, que je fasse des choses pour moi. Je repousse. J'ai mieux à faire. Plus important. Demain peut être, j'irai courir, un petit footing comme le font pas mal d'humains lambda. Et demain, je repousserai encore. Bref. Je pense, je n'arrête pas de penser dès que je n'ai rien d'autre sous la main. Le trois quart de mon temps, j'essaye de le passer à deux pas de Torben, qu'il le sache ou non. Je suis assez douée pour me faire oublier, et si je ne veux pas qu'il me détecte, je le suis de manière encore plus distante sans perdre trop d'efficacité en cas de besoin non plus. Je ne peux tout simplement pas faire autrement ; c'est ma mission, celle que m'a confié ma Reine et je ne veux pas la décevoir. Pour rien au monde.

Ce soir là, j'étais chez moi. Chose assez rare, je ne suis ici d'habitude que pour manger et dormir. Est-ce que je dois en déduire quelque chose ? Je ne pense pas, mais je peux me tromper. Torben briffe la dernière de nos équipes, celle qui va s'occuper de Morgane. On arrive à s'en sortir avec le peu d'hommes dont on dispose. Pour l'instant. Moi pendant ce temps, je reste cloitrée dans mon appartement. Petit, sobre et fonctionnel, mais propre. J'ai déjà assez vécu dans ma merde pour ne pas vouloir recommencer alors que je ne suis même plus la même. J'étais une gosse des rues, je suis une Ombre dans la nuit. Je termine mon repas, prends une douche et enfile une nouvelle tenue propre avant de sortir mon arme et de la poser sur la table. C'est celle dont je me suis servie au St James Center et que je garde toujours sur moi. Sinon je me sens nue, c'est tout. On m'a apprit à porter toujours une arme sur moi, quelle qu'elle soit. Mon corps en lui même est une arme, mais ça ne suffit pas. On m'a mis en tête de ne jamais me séparer d'un flingue, ou bien d'un poignard, alors maintenant je ne peux plus faire autrement. Point. Je m'assois à la table. La pièce principale doit faire un peu moins de neuf mètres carrés, et cette table pour deux se situe près d'une angle, en diagonale par rapport à la porte d'entrée. A côté de la table, des meubles de cuisine, basique, du genre four, frigo et compagnie. Je ne passe pas ma vie à mitonner des petits plats, vous vous en doutez. Un canapé contre le mur droit à côté de la porte, une petite télé posé sur un petit meuble à portes et deux fauteuils. C'est spartiate et je ne vois pas comment ça pourrait être autrement. Je démonte l'automatique et commence à le nettoyer. Télé avec le volume bas, allumée sur les infos, mais j'écoute à peine. C'est tout. Juste un verre d'eau à côté de moi, que je bois de temps en temps. J'ai bien une bouteille de Whisky quelque part, mais je m'en abstiens. Je n'ai même pas vraiment envie d'alcool, en fait. J'essaye juste d'éviter de tergiverser.

Un coup à la porte me fit relever la tête. Suivi de deux et un. Pas plus significatif ; je repose mon matos et me lève pour aller lui ouvrir. Je note également qu'il passe par l'entrée conventionnelle, de plus en toquant ce qui est assez rare. De son côté comme du mien d'ailleurs.

Je le laisse entrer et referme à clef derrière lui. Ca peut paraitre inutile mais à mes yeux rien ne l'est. J'étais la télé et la pièce redevient silencieuse.

"Bonsoir Torben. Assis-toi, je t'en prie..."

Je me rends compte que je ne sais pas exactement pourquoi il était là. Oh bien sûr, je m'en doutais mais il venait de débarquer à l'improviste alors ça valait le coup de demander.

"Que me vaut ta visite ?"

Je reste là devant la porte, sans rien faire. Sans bouger, sans rien dire. D'ombre aux sombres desseins, je suis passé au rang de simple fantôme. Je fais le vide dans ma tête, autant que possible. Je n'y arrive pas, cependant. Je ne parviens pas à me sortir de la tête un ensemble de souvenirs, d'odeurs, de sons et d'images. Je ressens physiquement des choses dont mon esprit se rappelle, et je ne peux pas cacher que cela me destabilise. Pourtant, je suis face au plus grand défi qu'il puisse exister pour quelqu'un comme moi. Protéger la personne qui compte le plus et tuer le pire méchant qui soit. Je me sens apte à faire l'un comme l'autre. Séparément. Faire les deux me semble horriblement compliqué, voire impossible. Je sais aussi que mon état d'esprit actuel n'aide pas. Même maintenant, même émotionnellement bousculé comme cela ne m'était plus arrivé depuis des années, je me rendais compte objectivement de ce qui n'allait pas, et de ce qu'il fallait faire pour que ça aille. Je savais que je devais me ménager et surtout, me reposer. Ne pas boire d'alcool, me concentrer sur le travail. Sortir, aller sur le terrain. M'entraîner, s'il le faut. Plus que tout, j'ai besoin de Krystel et de notre lien, j'ai besoin de le renforcer, de goûter à nouveau à un certain degré de pouvoir. Mais elle n'est pas là. Occupée, impériale, à gérer son Royaume de la Nuit. Il le faut. Et moi, je dois me concentrer. Erin vient m'ouvrir rapidement; je note malgré tout que je n'entends pas le bruit de ses pas derrière la porte. Je souris, de manière ténue. Efficace, comme toujours. Aucun geste ni parole inutile. Je ne sais pas s'il en va de même pour les pensées. En temps ordinaire, c'est également mon cas. Mais pas en ce moment. Et je le sais, je le sens, ça ne restera que très provisoire.


Il le faut.


La porte s'ouvre sur Erin, qui ne souffle mot et referme derrière moi. Je pose un regard intéressé sur cet espace libéré, dénudé. Elle me salue et éteint sa télé. Je me tourne vers elle.


| Bonsoir, Erin. Merci. |


Dis je en m'asseyant. Je note le pistolet démonté sur la table, le peu d'ornement et d'ameublement de la pièce principale. M'est avis que la chambre d'Erin doit avoir la même apparence. Je me pique pourtant de curiosité. Je sais que tout le monde n'a pas notre absence apparente d'émotions et d'attachement, mais si j'en ai un minimum elle doit en avoir de même. A quoi, je n'en sais rien. Il faudrait sans doute que je le découvre un jour... La jeune femme me demande ce qui lui vaut ma visite. Je repose mon regard sur elle.


| D'une part, pour te tenir au courant. J'ai brieffé l'équipe de Morgane; tout est en place de ce côté là. Je ne reviendrais pas sur le plan... Mais celui ci est en cours d'exécution, à partir de ce soir. Et autrement, je venais te voir pour savoir comment tu allais. Parce que j'ai vu la dernière fois, à quel point tu as été... Affectée? Par tout ce qui s'est dit, par toutes les implications... J'ai besoin de savoir ce qui te passe par la tête, en ce moment même. |

Même si l'arrivée de Torben ce soir n'était pas prévue, cela ne me surprenait pas outre mesure. J'avais l'habitude de le voir débarquer à n'importe quelle heure et n'importe quel moment, passant par n'importe quelle issue d'ailleurs. Lui, comme mes anciens employeurs d'ailleurs. Il n'était pas rare, pendant les quelques jours par an que je passais à New York, de voir débarquer quelqu'un parce qu'il y avait urgence, ou je ne sais trop quoi. Et même chez moi, la politesse n'était pas coutume, je rentrais par où je voulais, quand je voulais. Bref. Je laissais mes maigres occupations de côté sans hésiter quand j'entendis le code convenu tapé contre la porte pour venir lui ouvrir. La possibilité la plus probable était celle qu'il était venu ici pour me briffer des dernières nouvelles, mais je pouvais me tromper, ou peut être y avait il autre chose. Je n'en savais rien, mais je serai bientôt fixée, de toute manière. Il ne me dérangeait pas, je n'avais rien à faire ou alors j'avais trop l'esprit professionnel pour le faire. Me détendre, lâcher la corde. Ce sera nécessaire, mais pas tout de suite, je ne peux me le permettre. Au moins, à discuter avec lui, je m'éviterai de divaguer à des choses totalement inutiles et déconcertantes. Je le laissais s'assoir et scruter la pièce où nous nous trouvons du regard. Torben était comme moi, observateur et tacticien. Mais je le savais aussi très bouleversé en ce moment, même si je ne lui avais rien dit, rien fait remarquer, c'était évident. Même en ce moment, ça se sentait un peu, toujours moins qu'il y a quelques jours mais l'homme restait perturbé. Peut être allais-je le lui faire remarquer, peut être pas. Ca ne servirait pas à grand chose sachant que je n'avais aucun moyen concret de l'aider.

Je lui pose donc légitimement la question du pourquoi de sa venue, bien que me doutant déjà de la réponse. Ou du moins d'une partie. Je ne me trompe pas, en effet. Il m'expose la situation : le plan est lancé à partir de ce soir, la dernière équipe ayant reçu les instructions. Par contre, la suite me prends un peu au dépourvu, même si je reste de marbre comme à mon habitude. Affectée... je ne sais pas si c'est le juste mot, mais ça s'en rapproche. Est-ce si... éloquent ? J'ai l'impression qu'il arrive à lire en moi comme dans un livre ouvert. Je n'en n'ai pas l'habitude, je me suis toujours barricadée face aux autres et c'est très déconcertant. Comme si tout le temps où je m'étais entrainée à me contrôler et à ne rien laisser paraitre n'avait servi à rien. Après Krystel, il était la seule personne à arriver à cela. Oh bien sûr, il n'était pas non plus n'importe qui mais c'était dérangeant. Inattendu. Je lançais d'un ton las.

"Ca saute tellement aux yeux ?"

Je reposais mon regard sur lui. Ce qui me passait par la tête, là, maintenant ? Je n'étais vraiment pas habituée à dire ce que je pensais, à me confier. J'avais toujours évité de le faire. Pour me protéger. Si on y regardait bien, Torben était la personne dont j'étais le plus proche. La seule dont j'étais proche en fait, et encore c'était un grand mot. Depuis quoi, depuis que j'étais ado ? Depuis que ma soeur était morte ? Ca devait être ça, oui. Je ne savais presque rien de lui, et c'était réciproque, pourtant nos ressemblances nous rapprochaient, peut être plus que ce que je voudrais bien avouer. Je soupirais avant de me lancer. Je n'avais pas vraiment le choix en fait.

"Tout ça arrive de manière si précipitée, si inattendue. Disons que je suis prise de court. Et toujours la fatigue, aussi. Je n'ai pas vraiment le temps ni l'esprit à me détendre mais il faudra que je lâche un peu la corde à un moment. Ce qui me passe par la tête, à l'instant... Je ne sais pas. La frustration de devoir attendre que l'ennemi frappe sans pouvoir rien faire, peut être."

Je regardais un instant ailleurs, avant de me reporter sur lui.

"Et toi, comment tu gères ?"

J'avais besoin de fiabilité et d'efficacité, et quel meilleur moyen pour cela que de parler? Erin et moi étions plus proches que je ne l'avais jamais été d'un collègue, plus encore que de Benoit il y avait des années de ça. Mais d'un autre côté, notre nature à chacun nous privait d'une bonne communication. D'instinct, nous savions opérer l'un avec l'autre, de manière discrète et silencieuse. Mais il y a une différence entre opérer comme un groupe et gérer cette même entité. Un groupe peut très bien fonctionner, mais exploser du jour au lendemain. Je ne voulais pas de ça entre Erin et moi, parce que notre force était bien trop importante pour la laisser perdre. Ce gâchis serait facilement évité, si seulement nous parvenions à nous remonter un peu nous mêmes sur notre nature. Je savais qu'elle même sentirait que je ne suis pas au meilleur de ma forme, et qu'il y a du progrès à faire pour redevenir pleinement efficient.Mais je ne m'en cachais pas. Ces puérilités de garder ses doutes et ses problèmes pour soi n'étaient pas compatibles avec le travail que nous faisions, ou le moindre doute et le moindre geste mal assuré pouvait signer une mort atroce et douloureuse. Si Erin pouvait m'aider d'une manière ou d'une autre, cela scellerait notre équipe un peu plus et je ne demandais que ça. L'inverse était forcément vrai aussi, plus important même du fait que cela posait la question de sa foi en notre Reine et en notre victoire finale. Je savais qu'un leader d'apparence affaibli l'était tout autant dans la réalité factuelle. Il fallait donc l'éviter à tous prix. La jeune femme me demande si son état et ses questionnements se voient aussi forts. Je souris, faiblement mais de manière bien réelle.


| Eh bien, oui. Parce que je sais comment tu fonctionnes, au moins en partie. N'oublies pas que ça fait un moment que tu es dans mes pas. |


Plus que dans mon ombre, qui serait plus juste mais qui sonnait péjorativement, ce que je souhaitais éviter à tous prix, parce que cela ne reflétait en rien ma pensée. La fantome soupire avant de m'expliquer pour de bon ce qui la taraude. Elle se dit bousculée, prise de court même. Fatiguée. Je sais que tout le monde a ses limites. J'ai atteint les miennes dans mon indifférence du monde, elle atteint les siennes au niveau de ses capacités physiques et psychologiques. Nous en sommes tous là, honnêtement. Se détendre, lâcher la corde. Je sais ce que c'est. Nous pouvons passer des semaines sous tension, sans avoir personne avec qui partager un moment décontracté, dormir une bonne nuit, ou manger quelque chose de bon. Son impatience aussi, parce qu'Erin est comme moi. Un véritable soldat, pas dans ses fonctions mais dans son coeur. Elle ne vit que pour ça, pour se battre au service d'une cause.


| Je sais ce que tu veux dire. Tu ne dois pas t'en faire pour Krystel; la mort de son fils et la vendetta lancée par celui qu'elle aime depuis près d'un millénaire l'ont fort bousculée. Mais elle s'en relèvera; elle s'en relève toujours. Calme ta frustration, repose toi. Trouves toi un film à aller voir au ciné. Quand tu es au repos, sors, vas boire un verre et trouve toi quelqu'un avec qui passer une nuit ou deux. Relâches la pression, ou tu deviendra folle. Je parle d'expérience. |


Je la regardais, alors qu'elle me retournait la question. Je n'hésitais pas une seule seconde. Comme je l'avais pensé plus tôt, nous n'avions pas de temps pour la mascarade


| Mal, je l'avoue. Le boulot, ça va. Je fais comme d'habitude, du mieux que je peux avec ce que j'ai à ma disposition. Mais je suis mal concentré, je suis beaucoup plus perturbé que je ne l'aurais pensé par la disparition de Cora. Elle était mon amie depuis longtemps. La seule, peut être. Je ne crois pas avoir jamais rencontré de personne qui m'aime réellement pour ce que je suis, en dehors d'elle. Krystel m'aime bien sûr, mais pour ce que je lui apporte autant que pour le reste. Jana m'a sans doute aimé un jour, mais elle ne savait pas qui j'étais au fond. Cora l'a toujours su, et elle n'a jamais pris la fuite. Et pourtant, je suis sûr qu'elle devait souvent y penser... On devait envisager une vie normale, plus rangée. Tout ça, c'est terminé. Et l'espoir d'une vie normale qui s'envole pour de bon me dérange plus que je ne l'aurais cru. Mais au final, je suis dans le même état d'esprit que toi. Quand la tuerie aura commencé, je me sentirais mieux. Bon à ce que je suis, même si je dois en mourir. Je fais ce pourquoi je suis fait, il faut juste un peu de temps pour que j'accuse le coup. |

Je ne m'attendais pas vraiment à cela, non. A ce qu'il me demande de m'ouvrir ainsi, de parler comme je ne l'avais presque jamais fait auparavant. Peut être parce que je n'avais jamais eu assez confiance en quelqu'un pour le faire, sûrement même. Je ne connaissais pas Torben depuis si longtemps que cela, quand on comparait avec les longues années passées à servir mon pays. Pourtant je me sentais plus proche de lui que de quiconque autour de moi ne l'avait jamais été et nous nous étions toujours parlé franchement. Ca restait tout de même déroutant, surprenant parfois, cette facilité avec laquelle il me comprenait et avec laquelle j'arrivais à lui parler de mon état et mes ressentis. Il y a quelques temps, ça m'aurait certainement dérangé. Plus maintenant. Non que je m'étais totalement habituée à cette relation, mais simplement que j'y voyais désormais des avantages, avantages que je n'avais conçu pour mes relations antérieures. Ce qui nous liait, Torben et moi, était à la fois si fort et si faible... je ne pouvais avancer le connaître, pourtant je le comprenais bien plus facilement que personne d'autre. Je retrouvais un reflet de moi en lui, un écho. Qui faisait notre force et l'efficacité de notre coopération. C'est donc pour cela que je me confiais si ouvertement à lui, pour préserver cet équilibre. Bien sûr, je ne serais pas capable de lui parler de tout, de mon enfance et de ce que j'avais pu vivre. Pas de moi même en tout cas, si il me posait la question je me sentirais forcée d'y répondre, mais... Je n'y voyais pas l'intérêt. Seul le présent comptait, ce que nous y faisions et qui allait déterminer l'avenir. Et la fatigue, l'abattement contre lequel nous essayions de lutter tous deux. Lui avait subi la perte de Cora; qui avait été deux fois plus dure que dont je m'attendais au départ. Moi je tirais sur mes forces, voilà tout. Comme la dernière fois que nous entretenu une réelle conversation d'ailleurs, dans un appartement du centre-ville, assez loin de celui-ci. Je lui avais dit les mêmes choses, à cela près que je rajoutais le retour d'Augustus qui présageait bien de sombres évènements à venir. De la tension supplémentaire. Il le voyait et je ne pouvais m'empêcher d'en être presque énervée. J'esquissais un petit sourire.

"Oui, bien sûr. C'est juste que je n'en n'ai pas encore l'habitude."

Etre dans ses pas ne faisait pas tout, s'il n'y avait pas notre grande compréhension mutuelle, nous ne serions pas arrivés bien loin. C'était un atout inestimable, qu'il fallait préserver à tout prix. Je l'écoutais ensuite me rassurer sur Krystel et me conseiller les mêmes échappatoires que la dernière fois. Des hommes, de l'alcool, un film... Je ne niais pas en avoir besoin. De décompresser, de me lâcher mais je n'arrivais pas à sauter le pas.

"Je sais. Je sais tout ça, je me le dis souvent, mais je n'arrive pas à m'y mettre pour de bon. Je repousse toujours au lendemain en me disant que j'ai mieux à faire et je n'en finis pas. D'ailleurs, je ne t'ai pas proposé, mais je dois avoir du whisky qui traine, si tu veux."

Je lui proposais de boire, oui, peut être parce que moi aussi j'en avais envie sans me l'avouer véritablement. Parce que j'avais toujours pris cela comme une faiblesse, comme l'héritage de mes géniteurs. Cette époque était loin et révolue pourtant une partie d'elle me marquait toujours. Et à jamais, je le savais.

Je me penchais vers lui, croisant mes bras sur mes genoux.

"Je ne connaissais pas Cora, mais tu la rendais heureuse, ça sautait aux yeux. Je n'aurai pas cru non plus que sa mort t'affecte autant, tu t'es totalement refermé sur toi même et j'avais presque l'impression d'être transparente. Ecoute... Je n'ai pas vraiment l'habitude de ce genre de conversation, je te l'avoue. Je ne me suis jamais vraiment ouverte à quelqu'un comme ça, et je n'aurai pas cru y arriver si facilement. Ce n'est pas non plus mon boulot d'écouter et de rassurer. Mais si tu as besoin d'aide, de quoi que ce soit, je suis là."

Je souris doucement aux paroles de la jeune femme. Pas encore l'habitude. C'est vrai que nous avions été tellement pris par le travail que depuis notre expédition sur la côte pour anéantir un ancien intermédiaire dans notre petit marché avec les russes, nous n'avions pas vraiment pris le temps de parler. Je me souvenais de cette mission, une des premières que nous avions eues en commun. Une longue route, sans presque décrocher un mot, pour ensuite passer un moment ensemble à discuter en mangeant, pour finir par nous faire passer pour le jeune couple de mariés. Ce que nous avions faits à la perfection, jamais la police n'avait été sur nos traces même en pouvant retrouver certaines de nos traces par la suite, car un piège nous avait été tendu. Blessés, du sang avait pu être analysé. Heureusement, Cora... Disons qu'elle avait encore une fois prouvé sa valeur et son utilité au sein de la PES. Je détestais repenser à elle comme ça, mécaniquement, comme un outil professionnel. Ce qu'elle avait toujours été, bien sûr. Mais pas que. Cora nous avait sauvé la mise, et avait reporté les soupçons sur quelqu'un d'autre, un autre suspect dans l'affaire de "la mort". Bref. Tout ça pour dire qu'Erin et moi n'avions pas tellement d'occasions pour mieux nous connaître, pour devenir les deux tueurs proches que Krystel souhaitait que nous devenions. Mais nous avions encore un peu de temps. Ce soir. Peut etre l'unique fois avec la mortelle confrontation avec Augustus. Il nous fallait en profiter, parce que cela pouvait avoir une grande importance dans notre manière de gérer la crise à venir. Erin me dit qu'elle savait qu'elle devait se détendre, mais qu'elle ne parvenait pas à le faire pour de bon. Je hochais la tête.


| Oui, je vois ce que tu veux dire. Et bien, commençons par un whisky dans ce cas. Mais tu dois faire plus. Peu importe ce que tu choisis de faire, tant que cela te permets de relâcher un peu la soupape de sécurité. Crois moi, le burn out dans notre... vocation, n'est pas de tout repos. Est ce que je t'ai déjà raconté dans quel état la Reine m'a pris sous son aile? Je crois l'avoir évoqué avec toi, dans ce restaurant, mais je ne suis plus certain. |


Oui, d'ordinaire je mémorisais beaucoup de choses. Mais beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts ces dernières semaines, et j'avais oublié certaines choses, ou alors celles ci se faisaient tout simplement plus vagues, plus floues. Erin se penche vers moi, se fait plus proche. Je souris d'un air triste.


| Non, je ne la rendais pas heureuse. C'est faux. Elle a toujours voulu plus que je n'ai jamais su lui offrir, et cela la minait. Même si nous avons eu nos moments... |


Pour le reste, je ne pouvais qu'être d'accord.


| Tu sais, je repense parfois à ce que voulait Krystel, pour nous deux. Je me dis que ça aurait été sans doute plus simple dès le départ, mais je ne sais pas si j'en serais capable, somme toute. |

Je n'étais pas aveugle et n'avais pas la prétention d'être infaillible. Je me sentais proche de mes limites, mes limites physiques et peut être également psychologique. Je l'observais chez moi depuis quelques semaines désormais, la fatigue qui montait inexorablement, alimentée par la tension et l'imprévu. J'avais peu dormi ces derniers jours et juste assez pour tenir le coup. Ca ne pourrait pas durer beaucoup plus longtemps je le savais, sinon j'allais me perdre et défaillir pour de bon. M'étais-je déjà retrouvée dans telle situation ? Il ne me semblait pas. Pas autant. A croire que j'avais toujours su lâcher la corde au bon moment pour éviter cela. Je n'avais pas vraiment eu le temps ni le coeur à ça, même s'il m'était arrivé de prendre du plaisir auprès de Krystel de part ses morsures et ses caresses, ces moments étaient tellement accompagnés de doute et de remise en question que je n'en profitais pas à leur pleine mesure. Peut être avais-je tord de résister ainsi, peut être pas. Ca n'avait plus vraiment son importance dans le contexte actuel et d'ailleurs j'avais toujours accordé aux distractions une place mineure. Ca ne changeait pas. N'empêche que je proposais un whisky à Torben, whisky que je m'étais refusé tout à l'heure. Il acceptait, je me levais donc prendre la bouteille ainsi que deux verres dans un placard avant de lui tendre le sien. Echanger était nécessaire, nous ne pouvions rester hermétiquement fermés l'un à l'autre alors que nous arrivions si bien à nous comprendre. J'acceptais doucement ce fait, de n'être pas qu'une armure de glace face à lui et lui expliquais mes réflexions à haute voix. Le restaurant... Bien sûr que je m'en souvenais. On avait foncé dans une mission qui avait frisé la catastrophe, heureusement le tir avait été rattrapé. Je revois les flics, le sang s'étalant entoure de nous. Le mien comme celui de mes ennemis. Et juste avant, tous les deux, à table. Le calme avant la tempête dit-on. Les premiers mots que nous avions véritablement échangés, l'ébauche du type de conversation que nous avions aujourd'hui. Quand on y regarde, cela ne date pas tellement, pas plus de deux mois. Et pourtant, tant de choses se sont passées depuis ce jour et tant d'autres ont évoluées. Je pris quelques instants, essayant de me remémorer nos paroles ce soir là.

"Il me semble, oui, on avait abordé le sujet, mais nous étions restés vagues. Si je me souviens bien... Tu m'avais juste dit que tu étais rattrapé par ton passé."

Torben me parle ensuite de Cora. Relation complexe et floue à ses yeux, n'en reste pas moins que la perte de sa fiancée le touche profondément. Il me corrige en affirmant qu'il ne la rendait pas heureuse. Je me souviens encore de ses derniers instants de vie, au St James Center. Elle ne savait certainement pas que j'étais présente et elle avait l'air débordante de joie. Il avait raison sûrement, il était mieux placé que moi pour en parler et en tout cas je me savais impuissante à le convaincre du contraire. Je haussais les épaules.

"Peut être. Tu lui as apporté tout ce que tu as pu."

Je trempais mes lèvres dans le liquide, buvant une gorgée tout en l'écoutant et en réfléchissant. C'était... Un sujet délicat. Krystel ne m'avait jamais parlé de son désir de me voir rapprochée de son servant humain, elle ne m'avait jamais poussée dans ce sens pourtant je m'en étais doutée et Torben me l'avait confirmé. Au restaurant, ce même soir. J'avais été catégorique, comme toujours. Aujourd'hui, les choses avaient elles évoluées ? Je ne sais pas. Plus simple dès le départ, certainement. Peut être aussi s'il n'y avait pas eu Cora et mon obstination à ne pas mélanger travail et plaisir. J'avais classé le sujet et je n'y étais pas revenue. Aujourd'hui, je voyais les éléments se bousculer et se précipiter sous mes yeux. J'avais toujours eu conscience de la précarité d'une vie et avais toujours regardé en face la possibilité de mourir demain. Elle était plus probable que jamais, désormais.

"Je n'y ai pas vraiment repensé, mais moi non plus je ne sais pas. Peut être que ça pourrait véritablement nous apporter, peut être que ça me déstabiliserais plus qu'autre chose." C'était presque certain. En même temps, j'avais besoin d'évacuer. "Tout est si précipité. On peut toujours tenter, je ne sais pas si on a grand chose à y perdre."

Je n'avais peut être jamais autant estimé Erin qu'à cet instant précis. Je comprenais qui elle était, et où elle voulait en venir. Je savais aussi qu'elle avait besoin de combler le même manque cruel d'humanité que je ressentais. Cela nous rapprochait forcément, mais cela pouvait également empiéter sur notre travail. Le manque provoque un besoin, un besoin demande de l'attention et l'attention entraîne à son tour tout un ensemble d'effets indésirables. Cela dévie la concentration, peut amener à de l'hésitation, et provoque aussi un recentrement sur des considérations plus personnelles que d'ordinaire. C'est pourquoi les gens comme nous devions prendre les devants dans l'accomplissement de nos besoins psychiques et physiologiques. Nous réagissions tous différemment au stress, à la tension ou à l'isolement. Personnellement, je n'avais besoin que d'un peu d'attention de la personne qui comptait le plus à mes yeux, et d'une soirée où je buvais quelques verres de whisky, que je lise un ouvrage intéressant et instructif à la Clausewitz ou de Masséna, ou que je me trouve une parfaite inconnue pour évacuer la tension sexuelle que j'accumule constamment depuis que Krystel est entrée dans mon esprit et dans mon âme. Elle m'a amené beaucoup de forces, de réflexes. Je pense être un cran au dessus de la majorité des tueurs humains, car j'ai un avantage qu'eux n'ont pas en plus de mes compétences et expériences purement humaines. En contrepartie, j'ai des besoins nouveaux, que j'ai bien plus de mal à discipliner qu'autrefois, lorsque j'étais la parfaite machine au service de la Reine. Je me redécouvre aussi un certain attrait pour l'Humanité en règle générale, ce qui me sert particulièrement bien dans mon travail. Quoiqu'il en soit, nous semblons être sur la même longueur d'ondes avec Erin. Mais ce qui marche pour moi ne marche pas forcément pour elle. Elle peut très bien être du genre à préférer un bon film à quelques cocktails et une coucherie sans lendemain. Ou alors même aller jouer aux cartes le temps de quelques heures. Je n'en sais rien. Si je la comprends, je ne la connais pas encore assez. Ce qu'il nous faut corriger, pour être plus efficace à court terme mais aussi à long terme. Erin me confirme en partie mes paroles. Je ne sais si j'avais été plus loin que ça, mais si je dois mieux la connaître la réciproque est vraie également. Je crois me rappeler que je lui avais brosser le portrait de ma venue dans les services de Krystel, mais pas les détails. Je décidais de corriger ça; Erin avait prouvé être loyale.


| C'est exactement ça. Je ne sais pas ce que t'as dit Krystel, mais il est temps que tu saches plus de choses sur moi. Je suis russe... Enfin, ukrainien, mais je suis né en ex-URSS et ai gardé ma nationalité chez les russes. J'ai été militaire pour la fédération; j'ai fait la tchétchénie et suis rentré au pays pour me marier à quelqu'un que tu connais, à Jana. L'actuelle princesse, fille adoptive de Krystel. A l'époque elle n'était que Jana Pfeiffer, une jeune femme belle et dynamique. On avait une maison, une vie tranquillle... Et un soir, un an après la Grande Révélation, elle m'a été enlevée par un vampire. J'ai tout abandonné pour la retrouver. Cela m'a pris toutes mes économies, et m'a presque tué plusieurs fois. J'ai retrouvé le vampire à Prague, et l'ai tué lorsqu'il m'a dit avoir violé et tué Jana. Je l'ai cru, je suis devenu complétement fou. Entrant dans l'Eglise humains contre vampires, j'ai tué des tas de vampires. C'est pour ça que je suis devenu aussi bon aujourd'hui, c'est pour ça que j'ai attiré l'attention de Krystel. Je perdais pied avec la réalité, je passais mon temps à tuer et à boire, à fréquenter des bars crasseux. C'est là que j'ai rencontré Cora, d'ailleurs. Et que j'ai retrouvé Jana. Elle était là, vivante sous mes yeux. Elle était strip teaseuse dans un de ces bars miteux que je fréquentais. La voir a achevé le peu de raison qu'il me restait. J'ai essayé de la tuer, mais je n'ai pas réussi et elle m'a fait boire de son sang. J'apprenais en même temps que ma propre soeur Hannah était devenue accro au V et était l'objet sexuel de William, fils et héritier de Krystel. Je prévoyais alors un dernier grand coup, un attentat de grande envergure. Pour emporter cette maudite famille royale et pour libérer l'âme de Jana... C'était le 1er mai 2010. J'ai tiré sur Krystel, mais n'ai touché que William. Mes compagnons de l'époque m'ont exfiltré de la foule alors que Maryana Watheerey entrait dans la légende en créant la terrible intervention démoniaque de l'histoire en tuant des dizaines d'humains et de vampires. J'ai été capturé peu après par la Reine, qui m'a d'abord forcé à boire son sang, et à éliminer ses opposants. A l'époque, je n'étais qu'un serviteur forcé, un esclave. Puis, j'ai saboté une opération et Krystel m'a enfermé. Elle m'a privé d'eau et de nourriture, elle m'a nourri exclusivement de son sang. Elle m'a fait comprendre l'inutilité de ma lutte, et la futilité de mes principes. Elle m'a prouvé que Dieu existait, mais qu'il se fichait de moi et de ma croisade. Qu'elle était la seule avec Augustus à pouvoir diriger ce monde, à maintenir la paix entre espèces. Elle m'a montré la réalité que je combattais depuis longtemps. Et elle m'a donné un but. Tuer non plus par vengeance, mais pour son idéal, pour son pouvoir. Pour une humanité au sens large. J'ai embrassé cette nouvelle destinée. Les privations et son travail sur moi m'ont permis de détruire tout ce qui faisait mon moi d'alors. Je suis devenu plus stable, plus concentré, plus indifférent. Je travaillais, et cela m'allait bien. J'ai continué ainsi jusqu'à ce que je meurs quasiment sur la lande, aux côtés d'Augustus. Krystel me récompense de près de dix ans de services irremplaçables par une place dans son âme et une nature différente... Aujourd'hui, je suis plus que jamais rallié à cette cause, même si mon lien avec Krystel me réveille à des sentiments oubliés. Jana est morte, pour moi. J'ai fait mon deuil. Amnésique; elle n'est plus celle que j'ai connu et ne le sera plus jamais. Cora est morte aussi. Mes amis d'autrefois sont morts aussi. Je n'ai plus que toi et Krystel, aujourd'hui. Et maintenant, tu sais tout, ou presque. |


Si ça c'était pas de l'honnêteté... Erin me dit qu'en tous cas, j'ai apporté tout ce que j'ai pu à Cora. Sans doute a t'elle raison. Tout ce que j'ai pu, même si ça n'a jamais suffi. Je bois une longue gorgée de mon verre alors que ma prtenaire en fait de même. Je la sens quelque peu... Gênée par le sujet. Pas gênée à proprement parler, mais pas tout à fait à son aise non plus.


| Tu n'es pas certaine; il vaut peut être mieux ne pas tenter le diable. Je peux toujours te présenter à des pommes de sang de Krystel. Des hommes ou des femmes, peu importe, je ne connais pas tes goûts. Avec eux tu peux discuter, te détendre, coucher avec si c'est ça que tu veux. En toute discrétion. La plupart se damneraient pour un peu d'attention... Ou je peux faire ça, et ça nous fixe. |


Je pose mon verre, me penche vers elle et attrape sa nuque avec ma main, doucement sans précipitation. Je l'approche de mes lèvres, la fixant du regard, baissant les yeux sur sa bouche et l'embrassant. Doucement, presque avec précaution. Pour ni la brusquer, ni provoquer de dégoût si finalement c'est une mauvaise idée. J'approfondis doucement le baiser, avant de me détacher. Je rouvre les yeux après un instant. C'était bon, ce dont j'avais besoin. J'avais envie de plus, j'avais envie d eme perdre. Comme toujours depuis la mort de Cora, t l'absence de Krystel, alors que les propres envies de celle ci me tiraillaient en plus des miennes.


| Pomme de sang, ou on continue? Qu'est ce que ça te fais? Si tu me dis "rien", je te promets que je ne serais pas vexé... | finis je avec l'ombre d'un sourire.

Nous étions dans le même état, à quelque chose près. L'alcool... Je n'étais pas sûre que ce soit ce qui nous aide le plus. A court terme, oui, mais mais sur la durée certainement pas. On ne pouvait se permettre d'être déconcentré, parasité par quoi que ce soit, la fatigue ou le manque -ça allait ensemble. Déjà en temps général mais ici encore plus. Peut être aurais-je dû m'y prendre plus tôt, il y a des semaines, après cette mission au nord de l'écosse. Peut être est-ce à ce moment là que j'aurai dû chercher un échappatoire au lieu d'attendre le dernier moment, celui-ci et d'être prise de court par les évènements... Je n'y pouvais plus rien de toute manière, j'avais fait comme j'avais toujours fait jusque là, je ne pouvais prévoir ce qui allait se passer. Torben non plus. Il y avait encore tant de choses qui nous séparaient l'un de l'autre, certaines qui ne pouvaient être franchies. Et tellement d'autres qui faisaient notre force et qui devaient être préservées, entretenues. Améliorés. On s'y mettait tous les deux, on avançaient sans cesse l'un vers l'autre des fois rapidement, des fois moins. Ce n'était pas toujours facile de briser ce que j'avais mis des années à construire mais les avantages me sautaient de plus en plus aux yeux. Je n'étais pas idiote, ce... partenariat n'était que bénéfique. Si l'on pouvait encore appeler cela un partenariat. Nous n'avions jamais partagé quoi que ce soit au delà des missions, pas de relation, pas d'attachement et pourtant j'étais plus proche de lui que de personne. Son lien avec Krystel m'empêchait de comprendre certaines choses, et je n'essayais pas. Il y avait Cora aussi, son passé. Et le mien. Nous y venions, d'ailleurs. L'homme s'y lança de lui même et je ne l'interrompis pas. L'écoutais attentivement. Ca ne devait pas forcément être facile à raconter, ça ne le serait pas pour moi. J'avais conscience de ce qu'il m'apportait ici, ce témoignage de la confiance qu'il avait en moi. Peu de gens, très peu devaient connaitre l'histoire de but en blanc, au moins les grandes lignes qu'il m'évoquait. Peut être juste la Reine, en fait. Et moi. Je ne comptais pas fouiller, ou chercher à en savoir plus. Quand il eut fini, je laissais planer quelques instants le silence. Il avait mérité d'en savoir plus sur moi, lui aussi. Ca me semblait nécessaire, notre relation allait dans les deux sens.

"Je crains que mon histoire soit moins compliquée que la tienne. J'ai grandi... J'ai grandi dans les quartiers mal famés d'une grande ville d'Alabama. Nos parents étaient violents et alcooliques, ils nous battaient dès qu'ils en avaient l'occasion, pour la moindre chose. Je me suis souvent demandée s'ils me reconnaissaient comme leur fille ou non. Bref. J'ai appris à me battre là bas, dans la rue, pour me protéger, moi et ma soeur. C'est sûrement la seule personne que j'ai jamais aimé. Elle était fragile, plus que moi, mais je n'étais pas là quand elle avait véritablement besoin de moi. J'ai retrouvé son corps, suite à une querelle qui avait mal tournée. Ca m'a anéantie, sur le coup. Ce que je voulais c'était partir et sortir du trou à rats dans lequel j'étais née. J'y suis arrivée, pour mes études. On m'a obtenu une bourse dans une grande université new yorkaise, j'ai tout plaqué, j'ai rompu tout contact et j'ai commencé à m'inventer une nouvelle vie. Et c'est la que la CIA a débarqué, vers la dernière année de mes études. Ils m'avaient repéré parce que j'étais bonne en sport et en langues, parce que j'avais envie d'être utile à mon pays. On m'a appris des tas de trucs là bas, j'ai eu droit à pleins de formations diverses et variées. Et surtout, je crois que c'était le plus important pour moi, j'ai pu changer d'identité. L'ancienne moi est morte, nouveau nom, nouvelle histoire... J'avais tout effacé, j'étais satisfaite. Eux aussi, ils avaient un très bon élément sous la main. J'ai fait mon boulot comme tout bon agent qui se respecte, mes chefs n'ont presque jamais eu quelque chose à me reprocher. Après, je crois que je te l'avais déjà dit. En 2007, ils m'ont envoyé en écosse, où j'ai espionné les hautes sphères vampiriques. Je leur fournissais toutes les infos qui me tombaient sous la main, puis j'ai commencé à tuer du nocturne alors que je n'avais pas vraiment reçu d'ordre correspondant. Au bout de quoi ? Dix ans ? Non, un peu moins. La Reine m'a démasquée et m'a placée dans une cage de verre, droguée à son sang. A peu près comme toi. J'y suis restée jusqu'à ce que je capitule. Elle était plus forte, elle avait gagné. Elle m'a ouvert les yeux sur elle, sur le monde. Et voilà... Depuis je me bats pour elle. J'avais une autre mission, au départ, mais elle m'a bien vite affectée à ta protection. J'ai perdu trois fois moins de gens que toi, mais aujourd'hui je suis dans le même cas. Je n'ai plus que toi et ma Reine."

Je me taisais, enfin. Est-ce que ça me faisait du bien ? Non, pas vraiment. Ca me laissait indifférente, de parler de ça, parce que le passé n'avait presque plus aucun sens à mes yeux. A part ce qu'il m'avait appris, je m'étais détachée du reste, totalement. Je finis mon verre d'une traite, comme pour seller mes paroles. Je n'avais pas vraiment réfléchi, avant de m'y lancer. Il avait le droit de savoir, il m'avait parlé de lui alors maintenant il savait pour moi. Il ne répondit pas à ma remarque sur Cora, mais me proposa de me présenter à des pommes de sang de Krystel. Je n'eus pas le temps de lui répondre, qu'il se penchait vers moi. Je me laissais faire, sans résister. Doucement je le sentais s'approcher, poser ses lèvres sur les miennes... Je fermais les yeux, et lui rendais son baiser, doucement avant de me détacher de lui. Ca ne me laissait pas indifférente. Ce que je voulais, ce que je préférais.... C'était peut être ça, à des pommes de sang dont le seul but était qu'on passe du temps avec elle. Même juste pour discuter, je préférais largement le faire avec Torben, je me sentais plus à l'aise. Pour le reste, ça ne me dérangeait pas le moins du monde de baiser des inconnus, mais était-ce vraiment ce que je désirais ? Je décidais de répondre à sa question. Je lui retournais son petit sourire.

"Non, ça ne me fait pas rien. Quitte à choisir... je te préfère à des pommes de sang."

Je m'approchais encore de lui, pour venir lui murmurer à l'oreille.

"Après, je ne veux pas te forcer."

Mes lèvres vinrent retrouver les siennes tandis que je l'entourais de mes bras, me faisant encore plus proche.

La croisée des chemins, une fois encore. Les choses s'améliorent. Lentement, progressivement. Nous faisons en sorte de devenir meilleurs, plus forts et plus proches. Tout était lié de toute manière. Apprenez à parler à quelqu'un, et il y a de fortes chances pour que cette personne vous renvoie l'ascenceur et améliore les choses à son tour. Tout n'est jamais qu'une question de volonté. Pour le coup, Erin et moi en avions à revendre. La volonté était le moteur de toute action, mais là où elle restait aléatoire et incontrôlée chez la majorité des gens, il y avait chez nous comme un leitmotiv puissant qui nous intimait de toujours être au top, de toujours vouloir, car vouloir est pouvoir. Quoiqu'il en soit, au delà de la volonté reste encore l'exécution de l'acte; et pour le coup nous étions sur la bonne voie avec ma partenaire. J'avais commencé par lui expliquer le fin mot de l'histoire de ce qu'il y avait entre Jana et moi, ainsi que sur les origines de mon affiliation au service personnel de Sa Majesté. Elle même me contait son histoire, que j'écoutais avec attention. Elle a écouté la mienne, a imprimé les détails dans sa mémoire pour faire en sorte de ne jamais l'oublier et de toujours en tenir compte à l'avenir. Erin est quelqu'un de concentré et de professionnel, même dans ses relations sociales. Je suis un peu pareil. Son récit commence sur des pistes que j'avais imaginées, sans jamais en avoir la plus petite vérification. Américaine donc, mais cela je le savais déjà. Sa réserve toute naturelle prouvait par là même que j'avais eu raison d'imaginer une enfance difficile. Elle me parle de sa soeur, et je sens à sa posture et à son timbre de voix qu'elle a connu la souffrance et la perte. Je comprends plus encore pourquoi nous nous entendons, et je comprends que notre ressemblance ne s'arrête absolument pas à la profession ou au caractère, mais à notre histoire elle même. Université, CIA, sport et langues. Ce que j'avais imaginé aussi. J'étais loin de penser que sa propre solitude remontat à aussi loin dans son existence. Son talent naturel pour l'espionnage ne m'étonnait pas, et elle me confirme ce que je sais déjà sur son arrivée en Ecosse. Je souris doucement en caressant les rebords de mon verre, alors que la belle m'explique la propre torture qu'elle avait subi, fort semblable à la mienne.


| Je vois que nos parcours se ressemblent. Nous sommes arrivés de la même manière jusqu'à ce point. Seules nos expériences différent; tu infiltrais pendant que j'assassinais. Fondamentalement, nous sommes aussi semblables que je le pensais. Et que je le ressentais, aussi. Cela fait bien longtemps où je ne me suis pas senti "normal", au sens où d'autres pouvaient partager ma nature. |


Erin ne montre pourtant pas beaucoup d'émotions à parler de son passé. Honnêtement, j'ai dû paraître à peu près aussi insensible. Mais plus maintenant que je l'embrasse. Doucement, la jeune femme répond à mes intentions, et ses lèvres épousent les miennes. Elle sourit, lorsque je me détache d'elle. Ce petit sourire, particulièrement rare, me semble pourtant très précieux. Elle me confirme ne pas être insensible à ce baiser, et qu'elle me préférait aux serviteurs de Krystel, qui étaient souvent bien plus séduisants et cultivés que moi. Je sens mon corps se tendre alors qu'Erin vient me murmurer à l'oreille qu'elle ne veut pas me forcer, et je réponds immédiatement à ses baisers en sentant ses bras m'encadrer.


| Tu n'aurais pas ce qu'il faut de toutes façons, pour me forcer. | la défiais je


Je l'embrasse derechef, cherchant sa langue de la mienne, glissant mes mains sous son haut, caressant sa chute de reins et remontant dans son dos tandis que mes lèvres se perdent dans son cou, sur sa clavicule, sur son épaule.

Nous étions en train de franchir un cap, un pas vers l'autre plus important que ce que je n'avais jamais fait. Je portais un regard peut être un peu particulier sur les différentes parties de mon passé, qui avait évolué au fil du temps. Tout ne me laissait pas indifférente. Mon enfance m'avait toujours... dégoutée. Pitié de mes parents et de leur comportement. Comme si j'en avais eu honte, j'avais cherché à tout effacer, tout oublier. Aujourd'hui, tout cela était plus nuancé, atténué. Je savais pertinemment que je ne pouvais totalement éradiquer des années de ma vie ; j'y étais arrivée aux yeux du monde mais pas aux miens. Et c'était toujours le cas. Certaines choses étaient enterrées en moi, j'arrivais à ne plus y penser, à faire comme si elles n'existaient pas, mais j'avais appris à faire d'autres ma force. L'université, les rares jours de ma vie où j'avais été... vivante. Où j'avais été quelqu'un de normal, parmi la foule. Quelques amitiés et quelques amours, mais je ne cherchais déjà plus à m'attacher. Je ne le montrais à personne mais je ne cessais de me replier sur moi même depuis mon adolescence et je savais que me lier, mettre de vrais sentiments dans une relation quelconque ne ferait que me briser. Je m'étais tenue à cette résolution, et peut être mes premirs employeurs avait ils cherché à l'exploiter, d'ailleurs. Bref. C'était.. loin. Ca ne me laissait pas toujours aussi indifférente que ce que je laissais paraitre mais l'eau avait tout de même coulé sous les ponts. Je trouvais quelques similitudes et quelques différences dans le récit de Torben, qui confirmait certaines de mes pensées à son sujet et me donnait de nouvelles informations pour mieux le comprendre. Qui il était, ce qu'il avait vécu. Car quelque soit le regard que l'on pose sur ses antécédents, ils laissent toujours une trace. Je prenais note, et je n'oublierai pas ce qu'il venait de me dire. De même pour lui.

"A part peut être quelques anciens collègues, moi non plus. Personne qui ne se rapproche autant de moi. A vrai dire, j'ai plus cherché à tisser des liens avec mes ennemis qu'avec mes alliés, surtout parce que j'insistais souvent pour bosser seule."

Oui, et des fois ça en énervait quelques un mais ils me connaissaient : je restais campée sur mes positions et faisait très bien mon travail en solitaire. Avec mon propre réseau de contact, mais bien seule. Contrairement à Torben -et c'était là notre principale différence- mon but n'était pas simplement de coller des balles dans la cervelle de mes cibles. Certaines fois, oui, mais j'étais avant tout une espionne. Donc, faire ami ami avec ma cible, la manipuler, m'inviter dans son lit si besoin pour arriver à mes fins. En profiter pour lui planter un couteau dans le coeur, mais pas obligatoirement.

J'appréciais son baiser finalement, plus que ce que je ne le pensais au départ. J'en avais envie. Je ne nourrissais aucun véritable désir pour lui en particulier, mais j'en avais besoin. J'arrivais à me détendre à me laisser aller facilement, j'étais si... tendue ces derniers jours. Tellement de pression et de stress. Evacuer pour ne pas se laisser atteindre contrairement. Et se rapprocher aussi, encore et toujours. Avancer. Il répond à mes baisers, entrainant bientôt ma langue avec la sienne avant que me détache brièvement pour répondre à sa petite provocation.

"Oh, je n'en suis pas si sûre..."

Je revenais encore sur ses lèvres, avant de me perdre dans son cou, le parcourant de baisers et de mon souffle chaud. Frémissais alors que ses mains fortes passèrent sous mon haut pour venir caresser ma peau à nu. Mes mains à moi commencèrent à descendre, desserrant mon étreinte. Je caressais son cou de mes doigts, les descendant sur son col, commençant à défaire les boutons de sa chemise et frôlant sa peau au passage, toujours en l'embrassant fiévreusement.

Erin me dit qu'aucune personne n'a plus été proche d'elle depuis longtemps, ce que je peux tout à fait comprendre. Elle m'explique que certains de ses anciens collègues ont pu jadis être relativement proches d'elle ; je l'imagine sans trop de mal en train de faire avec eux ce qu'elle était en train de faire avec moi. Relâcher la pression sans se prendre la tête, sans rien chercher de plus que la satisfaction immédiate de ses besoins tout aussi immédiats. Des collègues, oui. Cela m'évoquait sans nul doute ce que j'avais moi même connu avec Andréa, il y avait presque dix ans de cela. Inutile de rappeler précisément à quelle époque se sont déroulés ces événements ; il suffit de dire qu'il s'agissait d'une époque troublée, où j'agissais sans complexes ni aucune retenue. Je me rappelle avec force détails cet épisode douloureux, alors que nous étions en train d'échouer à tuer un vampire, une de nos cibles les plus importantes. Le mec était un vieux vampire, un ancien baron ou quelque chose de ce genre. Je finis par l'éclater, le mettre en pièces. Il explose en tas de viscères sanguinolentes, et nous ingurgitons par mégarde de son sang qui nous asperge. Et nous nous retrouvons là, drogués malgré nous, à baiser comme des bêtes au sens le plus primitif et péjoratif qui soit. Cela nous avait laissé de profondes cicatrices, un peu plus de remords et de dégoûts de nous mêmes, sans parler même des hésitations engendrées par pareille situation. J'opinais du chef ; je comprenais où Erin voulait en venir. Elle n'avait pas couché pour réussir à proprement parler ; elle avait couché pour gagner. Comme je l'avais fait, en d'innombrables occasions.


Quoiqu'il en soit, nous sommes déjà passés à autre chose, quelque chose de plus charnel. Ma langue caresse la sienne, mon souffle se mêle au sien. La jeune femme se laisse complètement faire, même si elle se stoppe. Je souris.


| Dans ce cas, prouves le. |


Erin revient à la charge, embrassant la chair plus fragile et plus tendre de mon cou. Je la sens frémir doucement au contact de mes mains ; j'ai l'impression qu'elle savoure ce moment rare mais pourtant bénéfique, où quelqu'un prend soin d'elle, s'attache à la réalisation de ses désirs et ses envies plutôt que l'inverse. Une vie de servitude n'est pas une existence particulièrement facile. Je laisse ses mains sur mon col, et elle déboutonne ma chemise en se perdant dans mes baisers. Je la pousse sur le côté, la pousse à s'allonger sur le dos alors que je me hisse avec mes mains au dessus d'elle. J'approfondis plus encore nos baisers, et je passe mes lèvres sur son ventre que je dénude en relevant son haut, puis contre ses cuisses et son entrejambe encore couvertes, pour faire monter la température. Je la regarde avec une lueur rebelle dans le regard.


| Quand Krystel saura ça, elle sera terriblement jalouse... |

Je ne m'attendais pas du tout à une telle tournure de la situation, mais finalement j'en étais satisfaite. C'était ce que je désirais, ce dont j'avais besoin. Juste le temps d'une fois, d'évacuer ce que j'accumulais depuis des mois en me disant que ça irait, que je tiendrais le coup. Mais si je ne me trouvais pas sérieusement un échappatoire, j'allais bien vite arriver au bout du roulot. Donc oui, j'avais besoin d'évacuer. Ce que j'aurais déjà dû faire en fait, sans jamais arriver à sauter le pas pour diverses raisons, toujours les mêmes. A cause de pleins de choses différentes qui m'avaient accaparées. C'était valable comme excuse, mais il y a un moment où il faut savoir faire la part des choses : j'étais fatiguée. Si j'essaye de me rappeler la dernière fois où je m'étais véritablement détendue, laissée allée... Avec Krystel, disons que c'était... différent. Plus compliqué. Parce que je n'arrivais pas à assumer, parce que je voulais lui tenir tête. Là, je ne m'embarassais de rien, je me laissais simplement aller comme j'en avais besoin. Je réfléchirais plus tard, si encore il y avait besoin de réfléchir. C'est certain, tout aurait été plus simple dès le départ, mais rien n'est simple. Je ne voulais pas mélanger travail et plaisir, je m'étais tenue à ma résolution depuis des mois sans trouver d'autre échappatoire. Là était le problème, et j'arrivais au bout. Je me détendais presque instantanément, écoutant les désirs de mon corps, les plus primitifs et charnels qui soient. Est-ce que nous serions allés jusque là si Cora avait été vivante ? C'était une question à laquelle je ne pouvais pas vraiment répondre. Ca n'aurait pas été cela qui m'aurait retenue, mais lui peut être. Ou en tout cas, ça aurait été plus compliqué.

Je m'emportais et me perdais dans ses baisers, continuant toujours à embrasser sa chair à divers endroits, sentant délicieusement ses mains passer sous mon haut. Je le laissais faire, totalement, j'arrêtais de penser pour me concentrer uniquement sur nous, nos corps et nos souffles entremêlés. Nos langues se croisent, se lient tandis que nos mains caressent nos corps, son torse et mes reins. Je ne le retiens pas non plus quand il me pousse à m'allonger sur le canapé sur lequel j'étais assise, lâchant seulement un petit soupir. Je fermais les yeux, le sentant se hisser sur moi et enlever mon haut, dévoilant ainsi ma peau sombre parsemée de quelques hématomes et cicatrices. Je l'entourais de mes jambes, alors qu'il descendait vers mon entrejambe encore couverte, me faisant soupirer de plaisir encore une fois. Il s'interrompit, et je lâchais un petit rire à ses paroles. Je me redressais, le poussant à le faire aussi et m'asseyais sur ses jambes, l'entourant toujours des miennes. Posant mes mains sur le haut de son torse, je l'embrassais encore une fois avant de lui répondre.

"N'est-ce pas un peu ce qu'elle voulait ?"

Peut être allait elle être jalouse, oui, je n'en savais rien. Ca n'avait pas d'importance. Si ça la dérangeait que je me donne à Torben alors que je me refusais à elle, je m'expliquerai. Je haussais les épaules et recommençais à l'embrasser, descendant mes mains dans son dos jusqu'à les passer sous son pantalon, sans non plus l'enlever.

Découvrir lentement et de manière aussi proche le corps de la jeune femme est assez inédit et inattendu. J'ai l'impression de déjà le connaître pour l'avoir vu tant de fois à l'action. Même vêtue d'équipements tactiques et de nos tenues sombres, j'ai pu voir comment elle respirait, comment elle bougeait dans nombre de situations. Mais le toucher, sentir ce corps fin mais aux muscles d'acier se tendre contre moi, c'est une drôle de sensation. Comme si je le connaissais, comme si on redécouvrais quelque chose dont on avait l'impression d'en avoir toujours été proche sans en saisir le sens, le goût, l'intérêt. Erin m'enflamme, doucement mais sûrement. Elle n'est pas du même genre que les femmes avec qui je partage d'ordinaire la couche. Krystel est un diable de sensualité. Jana est une femme pulpeuse. Cora avait cet aspect terriblement séducteur mais aussi fragile qu'attirant. Bien avant cela, mes amantes occasionnelles n'avaient que peu d'intérêt. Victoria alliait la liberté à la gourmandise. Et ainsi de suite. A côté de ça, Erin me faisait penser étrangement au... Sang. Dur et métallique, mais tentateur et doucereux. Comme pour les vampires. Je notais comme je le savais déjà, que Krystel influençait mes goûts depuis que nous étions ensemble, que nos âmes ou ce qu'il en restait ne faisaient qu'un. Peu importe. Je profite de ce moment comme si c'était la dernière fois que je connaissais la caresse d'une femme, ce qui pouvait par ailleurs très bien arriver plus vite qu'on ne l'imaginait. Pour avoir donné la mort pendant des années, je sais comment elle peut frapper...


Je sens ses jambes entourer mon bassin, sensuellement mais non sans une certaine puissance en réserve. Je savais que cette femme avait fait de son corps une machine à tuer. Comme le mien. Je l'entends soupirer de plaisir, et elle rit à ce que je lui dis. Notre position change encore ; elle se retrouve assise sur moi, torse contre poitrine, ses jambes encadrant toujours mon bassin. La belle m'embrasse. Je souris à mon tour.


| Si, sans doute. Mais elle regrettera ne pas avoir été de la partie. |


Krystel se serait délectée d'être de la partie, et je m'ouvrais à notre lien pour lui faire ressentir tout ce que je ressentais. Les mains d'Erin reprennent leur partition, et caressent mes fesses.

Je me laissais aller aux baisers et aux caresses de Torben. Lentement mais surement. Je me détendais, mettant de côté tout le reste, tout ce qui m'accaparait en temps normal et qui me retenait à chaque fois. Comme si, d'un coup, je redécouvrais les plaisirs que pouvait m'offrir mon corps après des mois à ne m'être consacrée qu'à mes tâches. A avoir presque oublié que j'étais encore un peu humaine, et Torben également. Moins que moi certainement, mais tout de même. Je laissais de côté le robot, l'arme, la machine de combat que j'étais devenue par la force du temps, par ma volonté aussi bien que par celle des autres. Comme lui. Je n'avais pas vraiment besoin de connaitre tout son parcours pour le connaitre, lui. Une autre forme de proximité s'installait, que j'avais toujours voulu éviter jusque là. Peut être était-ce une erreur, peut être pas. Mais mieux vaut tard que jamais. Notre relation était plus complexe, plus profonde qu'un simple partenariat professionnel, j'en prenais pleinement conscience. Et c'était quelque peu déroutant. Il me ressemblait tellement, j'avais tant l'impression d'être proche de lui dans une certaine mesure, ou du moins de le connaitre que partager ainsi des moments intimes, explorer son corps me laissait une sensation étrange. Qui n'enlevait rien au plaisir. Ma chaleur corporelle augmentait au fur et à mesure qu'il parcourait ma peau sombre, qu'il me déshabillait. Pas trop vite, tout en douceur. La brutalité n'était pas encore au gout du jour. Les positions s'enchainent tandis que je me fais sensuelle, me laissant entrainer, griser par le début de plaisir que m'évoque le moment. Je l'entoure, le plaque contre moi et l'embrasse encore, l'entourant de mes jambes alors qu'il me parle de Krystel.

"Je m'en doute bien."

Et elle sera bien vite au courant, si ce n'était pas déjà fait via leur lien. Si je ne me sentais par encore prête à céder à Krystel, à me donner entièrement à elle et partager sa couche, je ne me sentais pas non plus de le faire à trois. Chaque chose en son temps. Elle n'est pas là et je ne compte pas l'attendre...

| Je peux dormir ici, ce soir ? Je suis trop cassé pour repartir, je ne serais bon à rien pour le reste de la nuit, désormais... |


Oui, je «forçais » Erin malgré moi à jouer à l'hôtesse exemplaire, mais j'allais avoir besoin d'une douche et de me sustenter. Je me sentais cependant particulièrement bien. Serein et concentré. Cela m'avait fait le plus grand bien, cet instant intime et rassénérant. J'étais prêt à me jeter en plein cœur de la mêlée.