Pardonne moi mes doutes et mes colères

Roxane avait hésité un peu, fixant la liste plastifiée avec tous les numéros de téléphone de ceux qui avaient fait partie de la sécurité lors de l’évènement de la Lune Bleue, et elle avait finalement décidé de contacter la vampire qui se trouvait avec elle. Elles avaient plutôt bien travaillé ensemble, et la vampire n’avait pas profité de la situation qui avait dégénéré pour s’en prendre aux loups, ou à des civils. La rouquine ne lui faisait pas forcément confiance, mais il fallait bien commencer quelque part, et cette vampire ne semblait pas hostile aux siens. En tous cas d’apparence. Roxane se méfiait beaucoup des vampires. Cette espèce était à l’origine de beaucoup de souffrances, pour beaucoup de gens. Et elle en était l’une des victimes, ayant été battue presque à mort durant les Années Sanglantes. Elle ne leur faisait pas confiance. Mais à l’heure actuelle, elle avait besoin d’obtenir toute information possible des gens qui se trouvaient sur place. Quelqu’un avait peut-être vu quelque chose. Et si les altercations qu’il y avait eues avaient été planifiées ? Pour attirer l’attention du service d’ordre sur ça, et laisser le champ libre à autre chose ? Il fallait y réfléchir, et recouper les témoignages de tout le monde.

Roxane avait donc envoyé un texto à la vampire, pour lui donner rendez-vous au grand Subway de Glasgow. Elle était plus confortable en étant dans un lieu public. Même si ça les exposait et qu’elles devraient faire attention à ce qu’elles disaient. La rouquine était arrivée quelques minutes à peine avant l’heure du rendez-vous. Elle regarda brièvement dans le restaurant mais ne vit pas la vampire. Elle se dirigea donc vers le comptoir et commanda un sandwich et un café. Il fallait qu’elle arrête de boire tout ce café. Et qu’elle se repose. Mais elle ne pouvait pas. Beaucoup trop de choses à faire, de problèmes à gérer. La rouquine paya, espérant que sa carte passerait car son compte en banque était au plus bas. Elle n’allait pas tarder à tomber dans le négatif si ce n’était pas déjà fait. Il faudrait qu’elle trouve une solution à ça aussi. Le paiement fut accepté et elle se tourna vers l’entrée en attendant que son sandwich soit préparé. La vampire venait de franchir la porte et se dirigeait dans sa direction.

J’avais été surprise d’être contactée par la métamorphe avec qui j’avais été assignée à la sécurité, lors de l’événement à la Lune Bleue. Étant donné les circonstances, ils devaient avoir fort à faire. Que restait-il, de la meute de loups ? De loups, et de métamorphes, si je devais en croire les arômes qui avaient étouffés ceux des loups, d’ailleurs. Probablement pas grand chose. J’avais averti Morgane et Nicolas de cette rencontre, et j’y allais avec le plus grand scepticisme – et la plus grande prudence. Il ne faudrait que peu de choses, pour que la rousse accuse les vampires. Elle m’avait proposé que l’on se rejoigne après la nuit, avant le jour, au Subway de Glasgow. Il ne me faudrait guère de temps pour y aller. J’étais armée, évidemment, et le chevalier envoyé par Morgane devait déjà se trouver sur place depuis quelques dizaines de minutes, deux ou trois surement. Je lui avais dit de m’y devancer, afin que la métamorphe ne se doute de rien. Non pas pour l’attaquer ou parce que je me méfiais d’elle, mais les choses pourraient aisément dégénérer. Elle pourrait se laisser aller à la colère qui la prenait peut-être. Je ne le saurai pas avant de la voir, quand bien même sa demande pouvait être bon signe. Nous verrions.

Je sens son arôme dès que j’entre, mais je feins qu’il n’en est rien. Je regarde de chaque côté, avant d’arrêter ma tête sur elle, ne lui faisant pas l’offense d’arborer un sourire sur mon visage. Elle n’avait pas l’air aussi touchée qu’elle aurait du l’autre. En public, elle fait comme tout le monde, elle garde la face. On dirait, en tout cas. Pourtant, la façon qu’elle a de serrer son café, d’en boire plusieurs gorgées… Mais je ne la connais pas assez pour me permettre de juger. Et vu ce qui vient de survenir, il y a moins d’une semaine, ça n’a rien d’étonnant. Elle se punit même probablement pour ce qu’il s’est passé. Je doute que les loups soient aussi individualistes que nous pouvons l’être. Nous nous attachons bien moins facilement, et nous qualifions de bien moins responsables qu’eux, des choses qui arrivent. Mais elle… il y a quelque chose dans ses traits, dans les expressions de son visage, dans ses cernes et le sourire forcé qu’elle se bat pour afficher. Peu importait. Je devais faire mon travail et pas m’attarder sur ses états d’âme. Qu’elle dégage une impression de fatigue et de lassitude ne me concernait pas. Le but était de leur assurer qu’ils bénéficieraient de notre entière coopération, et qu’ils pourraient requérir notre aide. Sonder, aussi, ses intentions. Elle pourrait vouloir nous accuser. Il faudrait voir. Peut-être que son état l’empêcherait aussi de penser si loin. Mais en quatre jours, elle aurait eu le temps d’y penser, j’en étais persuadée.

« Roxane. Toutes mes condoléances. »

Je m’assieds devant elle, sans rien commander. Je me suis nourrie avant de venir. Pourvu que cela suffise, à m’empêcher de succomber à l’attrait de son sang. Je ne me répands pas en paroles inutiles. Il ne sert à rien de m’épancher sur ce que les loups ont subi – à part sembler hypocrite et désireuse d’en dédouaner les vampires, ça n’aurait aucun aspect positif.

La rouquine était soulagée de la voir arriver. Soulagée. Alors que celle qui venait de franchir les portes n’était nulle autre qu’une vampire. L’une des suceurs de sang, ce peuple qui avait tué tant des siens par le passé. Loups comme métamorphes, ils avaient souffert sous les crocs des vampires. Et pourtant c’était du soulagement qu’elle ressentait. Parce qu’elle allait pouvoir régler ça. C’était au moins une chose de moins sur sa liste de choses à faire. Sur cette liste sans fin qui la menait de déception en déception et de stress en stress. Elle était fatiguée, mais elle était aussi décidée à ne pas se laisser abattre. « Je ne céderai rien au chagrin » s’était-elle promis. Et elle s’y tiendrait. Freyja s’approche, une expression neutre sur le visage. Avant de s’asseoir à sa table elle prononce les mots que Roxane a entendus trop de fois déjà. Elle ne les relève pas, et n’y répond pas. Pas le courage de perdre son temps dans ce genre de moments que personne n’a vraiment envie de vivre. Roxane commence à s’y faire. Elle aimerait revenir au temps ou elle n’avait pas conscience de ça. Mais ceux qu’on aime… Ils partent. Elle l’a appris de la plus dure des manières. En perdant ses parents, puis Mary. Et maintenant elle perdait ceux qui avaient mené la Meute, ceux qui lui avaient accordé leur confiance.

« Bonjour Freyja. Merci d’être venue. »

Il fallait qu’elle lui explique la raison de ce rendez-vous, sans perdre de temps, et sans se laisser gouverner par le fait qu’elle les détestait, elle et son espèce, et que certains des siens soupçonnaient les vampires. Elle-même ne savait pas que penser, ou chercher les coupables. Elle prenait peut-être des risques en étant là. Mais il fallait que quelqu’un s’en charge, et elle était la mieux placée pour le faire. Le fait qu’elle commence par cette vampire-là simplifiait les choses. Leur collaboration s’était finalement bien déroulée au cours de la soirée. Et Roxane se sentait plus à même d’écouter ce qu’elle aurait à dire. Elle sortit son portable, et le posa sur la table.

« J’espère que tu ne vois pas d’inconvénient à ce que j’enregistre notre conversation ? Je ne te cacherai pas que je suis fatiguée, et j’aimerai donc pouvoir si besoin est, réécouter. »

La rouquine passa sa main dans ses cheveux pour les dégager de son visage et les ramener en arrière. Elle n’avait pas pris le temps de les coiffer correctement.

« Je ne te ferai pas l’affront de te demander si l’un des tiens a posé ces bombes. En fait la première raison à cet entretien est que j’aimerai savoir si tu n’as rien remarqué de suspect pendant la soirée. Je sais que les chances sont maigres, mais il nous faut explorer toutes les pistes. »

Le soulagement sur le visage de la rouquine est une surprise. Elle ne s’est pas montrée hostile, à la Lune Bleue, mais pas franchement engageante non plus. Au début, du moins. Aussi, même si je masque à la perfection ce qui me traverse l’esprit, chose plus naturelle pour moi que de laisser entrevoir ce que je pense ou ressens à vrai, je m’attendais plutôt à ce qu’elle veuille m’accuser. On dit dans la rue depuis la nuit des temps que les vampires ne valent pas mieux que les démons, qu’ils méritent bien la lame de ceux qui vendent leurs âmes. Il ne serait guère surprenant, non, qu’elle m’accuse, qu’elle s’insurge, qu’elle se demande quel est le prix qu’on va leur payer pour sa vie, la vie de la meute, la vie des siens. Elle n’en fait rien, pourtant. Je hoche la tête quand elle me remercie, n’insistant pas sur les condoléances auxquelles elle ne réagit guère. Cela, en revanche, n’a rien de surprenant. Je doute qu’elle veuille s’appesantir sur le sujet, avec moi du moins. Elle ne peut que souhaiter qu’ils soient au paradis, si elle est croyante, et qu’ils reposent en paix.

Je la dévisage sans rien dire, alors que je m’assoie, sans prendre la peine de commander quoi que ce soit. Elle semble lasse, anéantie, mais déterminée. Déterminée à trouver les coupables, à leur faire payer. Quitte à en mourir. Dans son cœur coule un poison qui a nom… La haine. Elle pourrait la consumer. Je la vois bruler dans ses yeux. Peut-être ais-je tort, peut-être est-ce que je m’attends à voir. La haine, comme un serpent dans son âme. Peu importe. Je suis ses gestes des yeux, alors qu’elle dépose son téléphone sur la table. Bien sûr. C’est une requête, mais aussi un avertissement. Je dois faire attention à la moindre parole que je prononce, car elle la conservera. Morgane m’a dit de lui assurer notre pleine coopération, cependant, et ça passe par le droit d’enregistrer ce que je dis, malheureusement. Acquiesçant d’un hochement de tête, je la vois démarrer l’enregistrement.

« Notre Reine veut vous assurer notre entière collaboration. Nous pouvons vous fournir de l’aide, si vous en avez besoin. Les coupables ne resteront pas impunis. Bref, tu peux bien sûr enregistrer ce que je te dis. »

Elle ne pourrait pas m’accuser de lui avoir dit oui puis non. Même si je n’entendais pas me dédouaner de cette autorisation. Je devais juste réfléchir sagement à ce que je disais. Ne pas insinuer qu’ils les puniraient eux-même, ou que nous pourrions nous en charger pour eux. Si nous pouvions faire justice nous-même, il y a bien longtemps, cela n’était plus le cas. La PES ne le permettrait pas, et nous devons nous plier à ses règles. On ne pouvait pas vivre au dessus des lois. Cela allait de pair avec notre sortie de l’ombre. Il nous faut jouer à ce jeu, maintenant, ce jeu humain qui implique que l’on ne donne pas vengeance nous même.

« Je sais que c’est dur, à affirmer, pour toi, que nous ne sommes pas coupables. L’affaire est faite, mais maintenant pour que tout s’arrête, pour que l’on trouve le coupable, on doit se faire confiance. On doit se croire. Pour collaborer au mieux. Et je peux t’assurer que, si l’on doit vous aider, on ne mettrait pas de vampires incapables de se contrôler, sur cette affaire. Je ne peux te promettre que ce sera moi, mais ce sera quelqu’un de compétent si ça devait être une autre personne. »

Je m’arrête un instant, hésitant à aller commander du tru blood. En servent-ils seulement, dans un tel lieu ? J’en doutais fortement. Mais sans un substitut au sang, avec son odeur entêtante, la soirée devrait être écourtée.

« Mis à part les loups énervés, et les vampires qui l’étaient autant, rien du tout. Mais peut-être est-ce là une manœuvre de ceux qui ont causé ces explosions. Pour distraire notre attention. As-tu remarqué toi-même quelque chose ? Penses-tu que nous pouvons nous rendre sur les lieux ? »

La vampire accepte que leur conversation soit enregistrée. Roxane ne lui laissait de toute façon pas vraiment le choix, mais c’est toujours mieux ainsi. Les choses sont claires.

« J’espère avoir l’occasion de la remercier pour cela de vive voix. C’est la deuxième raison de ma présence ici. Quant aux coupables… On est dans un état de droit, avec une justice et des lois. J’espère qu’ils ne failliront pas et que justice sera faite, cette fois-ci. Ce n’est pas la première fois que les miens sont contraints de plaindre les mourants, de compter les survivants. La PES semble désireuse de trouver des réponses. Espérons qu’ils y parviennent. »

Bien que certains d’entre eux étaient prêt à faire justice eux-mêmes, il fallait éviter cela. Car ça mènerait très surement à une nouvelle guerre. L’écosse n’avait pas besoin de ça. Roxane non plus. Les paroles de la vampire font serrer les dents à Roxane. Affirmer qu’ils ne sont pas coupable ? N’allons pas jusque là. Roxane était prête à ne pas les accuser ouvertement. Pour le bien de tous. Pour ne pas attiser les haines. Mais ça ne voulait pas dire qu’elle était certaine qu’ils étaient innocents. Ils étaient coupable de tellement. Comment les croire lorsqu’ils se clament innocents.

« La seule membre de ton espèce que je sais ne pas être coupable, c’est toi. Car nous étions côte à côté toute la soirée, et que tu n’aurais pas pu poser ces bombes. Du moins pas personnellement, tu n’en as pas eu l’occasion. Mais même si je sais que tu n’es pas celle qui a agi, ça n’innocente pas chacun des tiens. Tu connais aussi bien que moi les rivalités qu’il y a eu entre nos espèces. Certains des miens vous pensent coupable, oui. Je ne te le cacherai pas. D’autres voient une manœuvre des Semi-démons. Je ne suis pas là pour affirmer que vous n’êtes pas coupable. Je suis là pour essayer de le croire, et pour faire avancer les choses, avant qu’une nouvelle guerre n’éclate. Si vous êtes prêts à ça, tant mieux. »

La rouquine entendit soudain son prénom et releva la tête. Elle se leva pour aller chercher son sandwich et revint s’asseoir à la table. La vampire n’avait rien remarqué. Roxane n’était pas vraiment déçue, elle ne s’attendait pas à ce que ce soit le cas. Elles ont eu la même impression, après coup, concernant ces bagarres qui ont eu lieu. C’est possible, en effet.

« Est-ce que tu les connaissais, les vampires qui ont foutu le bordel ? Est-ce que vous les avez interrogés ? »

Les loups qui s’étaient énervés étaient des cabots. Roxane ne les connaissait pas. Elle avait prévu de demander des détails à Hayden pour savoir si lui les connaissait. Ce serait impossible désormais. Les chances pour qu’ils les retrouvent étaient maigres. Surtout si ils étaient véritablement là pour faire diversion. Roxane prit une bouchée de son sandwich. Ca faisait du bien de manger. Elle avala avant de poursuivre.

« Je doute que ça serve à quelque chose de se rendre sur les lieux maintenant. J’y suis allée le lendemain, avec la directrice de la PES, et il n’y avait déjà plus grand-chose debout. Si tu penses que vous seriez en mesure de trouver quelque chose, je pense qu’il faudra que vous voyiez ça avec elle. Si besoin je peux le faire. »

La remercier de vive voix ? C’était peu probable. Morgane avait bien plus de choses à faire, mais rien que je ne puisse confier à la métamorphe. J’écoutais ses remarques, sur la loi. Elle semblait s’exprimer comme si les siens étaient exempts de tous crimes. Les innocents ne survivent jamais. Quoi qu’elle puisse en dire. La guerre est venue et s’en est allée, les années sanglantes ont dévasté l’Écosse, et voilà la pluie à nouveau. Le sang va couler encore. Que personne n’oublie jamais ce qu’il a perdu. Elle a subi comme les autres beaucoup de pertes. Tout le monde l’a quittée, elle aussi. Et ça recommence. Ils se sont tous retrouvés, sans elle. Tout ce qu’ils laissent derrière eux, ce sont des villes en feux. Et si je l’écoute, seuls les siens sont touchés. Mais elle se trompe. Il n’y a qu’un seul gagnant, dans tout ce cela, et ce sont les semi-démons. Pas les loups, pas les métamorphes, pas les vampires. Je ne sais pas si les leurs, ces rejetons de l’enfer, ont été décimés dernièrement. Je ne sais pas s’ils se sont attirés l’aide de loups, de métamorphes, de vampires. Mais quand les lumières sont éteintes, ils en profitent pour sortir, ce sont les pires de tous. Ils sont une menace pour tous.

« Nous devons tous collaborer, veiller à ce que tout se passe pour le mieux. Pour toutes ces choses que je ne sais pas. Toutes ces choses que vous ne savez pas. En s’alliant, parce qu’on est acculés, parce qu’on est dos au mur, l’obscurité sera décimée. Ils ont franchi trop de limites, ils vont provoquer la chute d’un empire en une seule journée, à cause d’une seule journée. De ces seuls évènements. Je ne sais pas qui ils sont, mais ils cherchent à faire régner le chaos. Et rien que pour cela, nous les combattrons. Pour cela, pour préserver notre espèce et la vôtre, nous vous aiderons. Comme notre Reine le veut, comme je suis prête à le faire. »

Oui, c’était aussi simple que cela. Mais ça n’était pas réellement le cas. Parce qu’il y avait bien trop de conflits, entre les changeurs et nous. Preuve en était de sa réponse. Mais je ne pouvais pas m’en offusquer, je ne pouvais pas lui dire que tant qu’elle n’essaierait pas d’avoir confiance, alors nous n’irions nulle part. Je ne relevais pas, ne réagissant qu’à la fin de ce qu’elle disait.

« Nous ne voulons pas d’une nouvelle guerre – cela n’aurait aucun intérêt ou même avantage pour nous. Si c’était là ce que nous désirions, je ne serai pas là. J’aurai pu refuser de venir, nous faisant coupables à tes yeux – que nous le soyons ou non. »

Je la suivais du regard, alors qu’elle allait chercher ce qu’elle s’était acheté à manger. Cela lui laissait peut-être le temps de réfléchir à ce que j’avais dit, peut-être. Envisageait-elle que je le garde pour moi ? Elle aurait aussi elle-même peut-être des choses à m’apprendre, sur les lieux. Un échange de bon procédé, en somme.

« On est en train de démêler ce qu’il en est. Et vous, en ce qui concerne les loups ? Ont-ils été influencés, en février, par les démons ? »

Elle le comprendrait comme elle le voudrait. Elle comprendrait bien que c’était notre cas, mais que si ça n’était pas le leur, alors ils avaient agi de leur plein gré. Je hochais la tête malgré tout, en l’entendant.

« Tu y as vu des trucs toi ? Tu y as été, je suppose ? Et à Wolfheaven ? Mais je verrais avec Morgane, puis avec la directrice, en effet. Tu peux toujours lui en toucher un mot, si tu en as l’occasion. »

La rouquine essaie au mieux de mettre de côté son animosité à l’égard de la vampire. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour laisser s’exprimer les rancœurs que Roxane a en elle. Bien sûr elle laisse échapper quelques remarques, qui ne se glissent pas dans l’oreille d’une sourde, à en juger par le regard quel lui lance la vampire. Mais elle reste tout de même dans l’ensemble courtoise et correcte. Il le faut.

« Bien sûr. Nous sommes prêts à collaborer, et c’est pourquoi je suis là, avec toi. Mais ça ne sera pas facile. Pour nous comme pour vous. Tu dis que votre Reine prête à nous aider. Puis-je demander ce qui te permet de parler ainsi en son nom ? En avez-vous discuté avant ce rendez-vous ? Si oui, qu’est-elle prête, concrètement, à faire pour nous. Tu comprendras j’espère que bien que nous soyons prêts à faire un pas vers vous pour éviter tant que faire ce peu l’explosion de tensions, nous ne pouvons pas pour autant vous faire confiance du jour au lendemain. Nous devons nous protéger avant tout. »

Pour le moment Roxane ne savait pas vraiment qui elle avait autour d’elle. Si il s’agissait d’une conseillère proche de la Reine ou d’une simple membre de son armée. Il fallait qu’elle en sache un peu plus sur son interlocutrice pour accepter qu’elle fasse ainsi l’intermédiaire avec la Reine. Puisqu’elle n’avait visiblement pas l’air décidée à la lui présenter. Ce que Roxane comprenait malgré tout. La vampire lui assure que son peuple ne souhaite pas une nouvelle guerre. Espérons vraiment que ce soit la vérité. Et espérons qu’aucun des loups endeuillé n’ira ébranler leur avis là-dessus. Espérons que personne n’ira chercher vengeance en faisant quelque chose qui mettrait le feu aux poudres. Elle l’espérait sincèrement.

« Nous non plus, nous ne voulons pas de guerre… Cependant je ne peux m’assurer de parler au nom de tous les miens. Beaucoup sont encore en deuil et l’organisation de la Meute a été grandement ébranlée. Je peux vous assurer que je ferai mon possible pour que tous soient de cet avis. Je ne peux malheureusement pas vous le promettre. J’espère que tu comprends. »

On ne lui reprocherait pas de ne pas être sincère avec elle. Elle ne promettait rien qu’elle ne puisse tenir. Elle espérait que la vampire ou sa Reine ne chercherait pas à profiter du peu d’informations sur la Meute que Roxane devait laisser filtrer pour expliquer ce qu’il en était des tensions actuelles. Roxane prit quelques bouchées de son sandwich avant de répondre. Ca faisait un bien fou de manger. Il fallait vraiment qu’elle prenne le temps de se faire un vrai repas.

« Les loups qui se sont énervés pendant la soirée à la Lune Bleue n’ont pas été revus. Si ils ne font pas partie des nombreux qui sont morts cette nuit-là, et qu’ils refont surface, nous les interrogerons bien évidemment sans ménagement. Afin de savoir si ils ont pu être approchés par quelqu’un, ou si ils ont juste un peu perdu leur sang-froid avec tous ces vampires aux alentours. Quant aux évènements de Février dernier, oui, beaucoup d’entre nous ont été touchés par ce qui semble être une sorte de folie passagère. Il est possible que ça ait aussi été le cas à la Lune Bleue, à moindre mesure. »

Roxane repensa brièvement à l’actrice chez qui elle s’était introduite. Ce sentiment de ne pouvoir désobéir à sa voix. Comme si elle n’était plus pleinement en possession de ses muscles. Il faudrait qu’elle creuse cette piste. Lyra pourrait peut-être jeter un œil aux dossiers de la PES pour voir si l’actrice s’y trouvait répertoriée en tant que semi-démone. Ca valait peut-être le coup. Elle croqua de nouveau dans son sandwich.

« Pas grand-chose malheureusement, non. Les lieux ont été complètement soufflés par les explosions. Je parlerai à Mme Oppenheimer de votre volonté d’aider l’enquête. Comme ça elle sera préparée si vous la contactez par la suite. »

Roxane appuya sur son portable pour allumer l’écran et constater l’heure qui avançait.

« Je tombe de fatigue, je pense que je ne vais pas tarder, à moins que tu n’aies autre chose dont il faut qu’on discute. Merci d’être venue en tous les cas. »

Elle finirait son sandwich sur le chemin vers la planque de Malcom. Il fallait qu’elle se repose sinon elle allait finir par craquer.

Je ne m’attendais pas à ce que les choses soient simples, et elle n’allaient assurément pas l’être. Si Roxane ne se montre pas excessivement hostile, elle l’est tout de même, et agit aussi de façon méfiante. Évidemment. Sans cela, tout serait vraiment anormal. Je ne peux pas réellement l’en blâmer, alors que leur arôme a du leur causer bien des déconvenues, auprès des nôtres. Si ma théorie est bonne, toutefois, et que les quelques métamorphes qui m’ont tant attirée ne soient pas des cas isolés. Quand bien même il en serait ainsi, il ne serait pas surprenant que ces quelques individus qui aient pu être entre les mains de vampires en fasse une généralité et nous accuse tous. Alors espérer que ça se passe différemment maintenant… Si j’étais humaine, j’aurai sûrement soupiré, à cette idée. La réalité était que nous avions nos propres problèmes à régler malgré tout.

« Brièvement, et elle m’a dit de faire tout ce que je pouvais faire pour vous aider. Si tu as une requête spécifique, ou plusieurs, tu peux me les communiquer, et je les lui transmettrais. Et je suis parfaitement consciente de cela. Mais la réciproque est vraie. Les vôtres ont souvent décimé des nôtres. Anéanti des vampires qui n’étaient pas de taille. Certes en représailles, mais vous comprendrez que nous devons aussi nous protéger. »

Je n’avais certes pas répondu à ses interrogations sur ma position auprès de ma Reine, mais je ne savais pas non plus son importance auprès des siens. Qu’est-ce qui me garantissait qu’elle pourrait transmettre ce que je lui disais à son espèce et aux loups ? Rien, pas plus que je ne pouvais lui garantir la même chose.

« Je suis conseillère de la Reine. Cela me donne cette possibilité d’agir et d’impliquer les vampires – sauf contrordre direct de sa part. Et toi, qu’es-tu pour la meute ? »

Elle n’y allait pas par quatre chemins, moi non plus. Si je devais la croire apte à parler aux autres, elle n’avait qu’à justifier de sa place en leur sein. C’était aussi simple que ça. Je la fixais, attendant de voir son visage trahir des choses qu’elle ne me dirait pas. Trahir sa sincérité, la portée de ses paroles. Mais elle ne mâchait pas ses mots… À quel point diminuait-elle la réalité, toutefois ? C’était là une question indispensable. Et déterminer ce qu’il en était ne serait pas évident. Mais il valait mieux envisager pire que mieux, pour être près à réagir.

« Nous attendrons ton retour à ce sujet, en ce cas. »

Oui, c’était simple et concis. Mais sans leur pleine coopération, nous ne pourrions rien faire. Cela, j’espérais qu’elle le comprenne par elle-même.

« Très bien. Sache cependant que si des incidents isolés concernant les loups se reproduisent, touchant les vampires, influence ou pas, nous devrons agir. Et tu te doutes qu’ils ne se rendront pas gentiment sans se battre. Tu dois savoir qu’ils nous sont aussi nocifs que nous pouvons l’être pour eux. Je ne peux rien promettre au sujet du traitement qu’ils subiront. »

J’étais aussi franche qu’elle. Les risques étaient nombreux. Mais nous ne laisserions pas les vampires être décimés.

« Parfait, tiens moi au courant de cela aussi. Et je t’ai tout dit. J’attends que tu me recontactes. Si tu as des besoins précis de notre part, afin que j’en parle à notre Reine, tu as mon numéro. Bonne soirée, Roxane. »

Je me levais, et partais aussi vite que j’étais arrivée, Rhys me suivant de peu, alors que nous rejoignions tous les deux la voiture qui nous attendait.

La discussion tourne un peu en rond. Freyja a l’air sincère, et réellement prête à aider, mais tout comme Roxane elle reste méfiante. Elle confirme que la Reine et elle en ont discuté, sans pour autant révéler sa place dans la hiérarchie. En a-t-elle seulement une ? Et si ce n’est pas le cas, est-ce vraiment problématique ? Roxane aimerait juste être certaine que la Reine est vraiment derrière cette démarche, et que Freyja n’agit pas seule, de sa propre initiative.

« Bien sûr. Je pense que si chacun de nous s’engage à ne pas agir contre l’autre tant que toute la lumière ne sera pas faite sur ce qu’il s’est passé, c’est déjà un pas dans la bonne direction, celle du maintien de la paix. »

La vampire se décide finalement à en dire plus quant à sa position. Conseillère de la Reine. Roxane vérifiera auprès d’Aleksandra si cette information est vraie ou non. La métamorphe doit sans doute avoir déjà entendu ce genre d’informations. Si ils ne révèlent pas forcément leur hiérarchie complète au grand public, elle est probablement connue de l’intérieur. Roxane hésita face à la question légitime qui lui était retournée. La Meute avait été visée à la tête. Si elle révélait sa position dans la Meute, ou du moins celle qu’elle avait avant que la Meute ne soit frappée durement, elle se mettait en danger. Mais il fallait qu’elle obtienne la confiance de la Vampire.

« J’occupais lorsque l’Ulfric et la Lupa était encore en vie la position de second. L’équivalent de vos conseillers j’imagine. J’ai d’ailleurs déjà rencontré la Reine, lorsqu’elle était venue sur nos terres après que notre Lupa précédente ait été retrouvée morte. Elle s’en souviendra sans doute. »

Elle en déduirait ce qu’elle voudrait. La métamorphe n’allait pas s’épandre sur le fait que la Meute était désormais complètement décapitée. Elle était théoriquement la personne sensée prendre la place de Lupa, étant exécutrice. Mais la Meute n’accepterait pas une Lupa métamorphe. La vampire ne le savait pas. Si elle pensait que leur alliance était suffisamment solide pour que ce soit le cas, tant mieux. La Meute était gravement affaiblie, c’était un fait, mais il ne fallait pas que les vampires les croient pour autant si facile à tuer. Ils pourraient vouloir en profiter pour se débarrasser de leurs ennemis, même sans être à l’origine des explosions. Si c’était le cas, elle serait sans doute la prochaine cible, après ce qu’elle venait de lui révéler. Mais Roxane était prête à prendre ce risque. Si quelqu’un devait être prise pour cible, autant que ce soit elle, plutôt qu’un autre. La Meute se remettrait probablement de sa mort sans soucis.

La métamorphe venait de regarder sa montre et d’exprimer son envie de clôturer la conversation, mais avant de laisser partir la vampire elle la regarda dans les yeux, se rapprochant et baissant la voix encore plus pour que sa voix ne soit plus qu’un murmure, que la vampire entendrait très probablement.

« Autre chose. J’ai cru comprendre lors de la soirée à la Lune Bleue que tu étais au courant des particularités de certains des nôtres. J’aimerai que ces particularités restent de l’ordre du secret. On a vu par le passé les réactions que les humains peuvent avoir face à quelque chose dont ils n’ont pas l’habitude. »

Elle la laissa se lever et lui souhaita une bonne soirée, avant de quitter à son tour le lieu.

Sujet: Re: Pardonne moi mes doutes et mes colères

» Qui pardonne au crime devient complice. [Livre II - Terminé]