Debout dans métro, une main tenant vaguement la barre au dessus de ma tête, mon regard fixe résolument la vitre du métro, et... le noir. Forcément. J'ai cessé de compter le temps depuis lequel je suis dans cette position, telle une statue, de même que si j'étais amorphe.. Je laisse ainsi les minutes filer, comme la paroi du tunnel devant moi défile à l'infini. Mon esprit n'est plus vraiment dans mon corps, à cette heure de la journée, bien que finalement, j'ai connu plus épuisant. Je garde toujours mon téléphone près de moi, attendant le verdict final de la Reine des vampires. J'étais plutôt optimiste ; j'avais bien joué mon jeu, et cela avait payé. Ne restait plus qu'à prendre mon mal en patience, maintenant. Je concluais quelques petites affaires que j'avais prise depuis mon arrivée en écosse, m'étant mise en libéral. Rien de bien méchant et de bien épuisant, mais il fallait bien gagner son pain. Remarquez... je suis loin d'être pauvre. C'est surtout que m'insérer dans mon environnement en restant cloitrée chez moi pour parler avec ma famille par webcam ne serait pas très réussi. J'avais aussi ce besoin cruel de m'occuper, pour ne pas penser. Ne pas penser à James, à Cassy, au danger qu'ils courraient en permanence alors que j'étais loin d'eux. Et à chaque instant de répit, j'essayais de prendre de leurs nouvelles. Mon mari me connaissait quoi qu'il en soit, il m'envoyait des sms le plus souvent possible, même juste trois mots, pour me dire « tout va bien ». Cela me suffisait. Mais j'en avais besoin. Arriverais-je un jour à éloigner mes pensées d'eux plus d'une journée ? Ou tout simplement à être moins inquiète ? Il le faudrait. Qui sait combien de temps j'aurai à passer en écosse... Le moins longtemps, je l'espérais. Mais je cachais cela ; et ce n'était pas de mon ressort. Ou plutôt si, mais pas entièrement et pas directement. Il fallait être efficaces. Dur de dire cela, lorsqu'on ne savait pas vraiment quoi faire ni par où commencer. Nous étions peu, et nos moyens me semblaient tellement limités par rapport au chaos qui régnait ici... Pouvait on vraiment faire quelque chose ? Arriverait on véritablement à agir dans le sens de l'Equilibre, ou bien l'intérêt personnel de quelque Archante viendrait il perturber nos actions ? Non, non. Stop, Eva. De un, ça va finir par s'entendre. J'ai plutôt bien retrouvé la main pour maîtriser ce lien, mais il ne faut pas abuser. Et de deux... Si je me remets à tout remettre en question à chaque instant, ça n'allait clairement pas aller. C'était là l'un de mes plus gros défauts, j'en avais conscience.

Le nom de ma station prononcé par la voix off par dessus le bruit ambiant me tire de mes pensées. Le métro s'arrête et manque de me faire chanceler comme à chaque fois, mais cette fois-ci, je lâche la barre et sort d'un pas décidé. Si je n'avais pas réellement une assurance sans limite, il fallait bien que j'en donne l'illusion. Ca m'aidait à en avoir, ou du moins à garder contenance. A ignorer la fatigue des nuits chahutés, de l'angoisse de recevoir une mauvaise nouvelle des miens... Tellement d'inquiétudes. Je sors rapidement des sous sol de la ville, vérifiant sans même m'en rendre compte, par pur réflexe, que personne ne me suivait. De l'assurance, il allait falloir que j'en montre un peu... Après les couloirs de la station, mes talons continuent de claquer sur le goudron, alors que je serre contre moi ma petite veste, un peu fine pour le froid écossais. Mais je ne vai spas me plaindre, il fait tout de même meilleur qu'à notre arrivée... Peut être qu'un jour, il fera bon dans ce foutu pays. L'espoir fait vivre, dit on. Moi, en attendant, je n'y suis plus très habituée, ayant vécu les dernières années dans des contrées au climat plus clément.

J'arrive rapidement devant l'immeuble à la façade encore ancienne, où j'ai acheté mon appartement. Enfin acheté... L'ordre m'a un peu aidé. Et tant qu'à faire, autant loger les illuminatis proches les uns des autres. Je m'arrête à l'entrée, les yeux fixés sur les escaliers. Allons-y. Sept étages. D'habitude, c'est six, mais cette fois je monte juste au dessus, chez les deux illuminatis qui vivent là, et avec qui nous avons convenu un peu plus tôt dans la journée de nous voir pour faire le point. Prenant mon courage à deux mains, j'attaque la longue ascension des sept étages. C'est que personne n'a jamais pensé à introduire la technologie dans cet immeuble, et qu'en ce moment, le budget est plutôt employé à la sécurité et à la réparation de tous les dégats causés en février... Mais moi, ça me fait mon sport. Enfin, c'est un maigre mal... Et en serrant les dents, et en regardant droit devant moi, j'arrive presque sans m'en rendre compte au septième. Je sonne et attend devant la porte, même s'ils doivent se douter que je suis là. Ca n'exclue pas la politesse.

Voilà plusieurs semaines que nous sommes arrivés en Ecosse. Toutes les pièces du puzzle commencent doucement mais surement à s'assembler. Astrid a été embauchée à la PES avant même que j'ai le temps de dire ouf et j'ai presque réussi à avoir l'air enthousiaste quand elle m'a annoncé que tout s'était bien passé.

Mon propre entretien a eu des débouchées pour le moins positives. J'ai commencé à bosser il y a quelques jours et nous nous sommes bien gardés d'évoquer pour l'heure ce que je fais de mon coté. Autant éviter les prises de tête inutile avant qu'on n'y soit obligés non ? Enfin, ça ne va pas tarder à arriver. Ce sera probablement le cas ce soir d'ailleurs, avec la venue d'Eva dans l'appartement. Il est temps de faire un premier point sur notre situation, sur nos avancées, ce genre de choses.

La journée s'est passée sans incident notable, j'ai commencé à prendre mon rythme et mes marques. J'ai accompagné Thea dans mon propre appartement pour la soirée, mon ancien, enfin, je ne sais pas trop à dire vrai, me retenant à grand peine de lui proposer de s'y installer pour de bon. Je n'ai pas envie de passer pour le gars qui la fout dehors, mais il faudra que j'aborde le sujet avec Astrid qui doit déjà se douter ce que je vais lui dire.

Je suis sur le point d'en parler d'ailleurs, en attendant l'arrivée de notre troisième comparse de la soirée. L'ambiance est plutôt calme alors que je suis installé dans le canapé avec un livre dans les mains et qu'elle est juste à coté. Sans bien savoir pourquoi, je me rends compte que je n'ai pas été détendu et calme comme ça depuis notre arrivée ici. Etonnant quand on sait de quoi on va discuter ce soir. Mais, avant même que j'ai le temps de dire quoi que ce soit, je lève un index et j'esquisse un bref sourire.

Je sens qu'Eva arrive et je me relève après avoir effleuré doucement la joue d'Astrid. Je repose le livre dans la bibliothèque, bien à sa place, pour ne pas qu'il traine et j'attends tout de même qu'elle sonne à la porte avant de lui ouvrir. Respectons un peu les protocoles, les habitudes, appelez ça comme vous voulez. Histoire de jouer le jeu tout le temps, qu'on soit entre nous ou pas.

Je fixe la jeune femme quelques instants, sans rien dire. Les éternels "comment ça va ?" ont disparu depuis longtemps entre nous, s'ils ont jamais existé un jour.

"Bonsoir Eva, content de te voir."

C'est effectivement le cas. Eva est comme moi, elle fait partie de ces cas en probation envoyés en Ecosse. Je ne sais pas si c'est pour ça que je l'apprécie ou s'il y a autre chose, je ne la connais pas assez pour trop m'avancer à ce propos. Mais je suis content qu'elle fasse partie de ceux désignés pour bosser avec les vampires. Au moins, j'aurais ce sentiment d'avoir une alliée non loin. Sentiment réel ou pas, seul l'avenir me le dira.

Je m'efface pour la laisser entrer et je lui désigne le canapé avant de m'assoir sur le petit fauteuil qui lui fait face. S'il est certainement évident qu'Astrid et moi sommes ensemble, je vais quand même éviter de m'installer à coté d'elle, question de logique.

Je ne reste pas longtemps assis et je me dirige en direction du frigo.

"Avant d'entrer dans le vif du sujet, tu bois quoi ?"

Je crois qu'Astrid a prévu le coup pour qu'on ait des trucs à grignoter mais j'ai comme un doute. Si ça se trouve, c'était à moi de le faire. Je jette un regard à la jeune femme, attendant de voir si elle dit quelque chose ou pas.

J'étais fatiguée, oui. Alors que ce n'était que le début. Mais on s'attaquait à une montagne, qui, j'en avais bien peur, nous dépasse totalement. Il ne fallait pas que je montre trop défaitiste, alors que nous n'y étions que depuis quelques semaines... Mais enfin, c'était compliqué. De ce que j'avais pu voir, en me coulant dans le décor écossais, en parlant, en explorant, c'était un immense bordel. Je crois qu'on n'avait jamais autant mis l'Equilibre en l'air... La tâche allait être dure. Et moi, déjà fatiguée. Fatiguée, parce qu'ici, dans un tel milieu, les visions m'assaillaient. Je m'étais remise du décalage horaire, il était temps, mais je devais souvent veiller tard pour parler à ma fille à des heures raisonnables pour elle. On avait laissé Mathilde emmener son enfant, on avait laissé à plein d'illuminati emmener leur famille ou leurs proches. Pas moi. Heureusement que j'avais appris à cacher tout cela, mais ma haine envers eux existait pourtant bel et bien. Ils voulaient me faire mal. Ils voulaient me faire comprendre qui étaient les maîtres, et me mettre à l'épreuve. Vraiment. Je n'allais pas me laisser abattre. Je ne pouvais pas. Je devais me montrer forte, déterminée. Sinon, ils les feraient souffrir. Ils en avaient le moyen, comme ils avaient le moyen de me faire profiter pleinement du spectacle. Tenir bon. Ce n'était que le début. Si je lâchais déjà maintenant... je ne pouvais me le permettre. Même pour moi qui remettait toujours tout en question, je devais rester sur mes positions, cette fois. James, Cassy, ils étaient ma force, ils me faisaient tenir. Devant vents et marées. Je sais que pour eux, je serais capable de tout. Je ne devais donner aucune raison à mon groupe de s'inquiéter, de douter de moi.

C'était un peu mal parti, pour certains. Je pensais à mes quelques contacts avec Astrid, alors que je montais les marches... Peu concluant. Froide, distante, méfiante. Elle avait entendu parler de moi, de mon passé, et ça jouait contre moi. Noah, étrangement, semblait plus ouvert. Heureusement d'ailleurs, parce que nous allons devoir plus ou moins travailler en coopération. Tous, vous allez me dire, mais lui plus particulièrement, puisqu'il allait aussi se mettre du côté des nocturnes aux longues canines. Mieux valait que le courant passe. Mais avec Astrid, non, et même de voir que je n'allais pas manger celui qui était à coup sûr son copain ne l'amadouait pas. Passons. Moi, je suis aimable, après, si elle veut me haïr, libre à elle. Mais je ne déclencherai aucune hostilité. Pas avec une illuminati avec qui j'étais sensée travailler, pour l'Equilibre. L'Ecosse avait au moins besoin que nous soyons un minimum soudés, ou au moins, pas totalement divisés. Ce serait le but de ce soir, en partie. Nous partagions déjà beaucoup, depuis le début, tous, avec ce lien psychique. Mais ça ne suffisait pas à faire une vraie équipe. On aurait beau dire, je n'étais pas une dissidente. Pas totalement. J'avais tué mon père, tout de même. Je l'avais tué pour eux, pour l'Ordre, pour l'Equilibre. A une époque où j'étais totalement fanatique, certes, et j'avais évolué depuis. Mais je n'étais pas retombée dans le gouffre. J'avais vécu certaines expériences qui auraient ouvert les yeux à tous. En tout cas, il était temps de mettre un peu les pièces du puzzle en place, les quelques unes que nous avons, avec le jeune couple aussi envoyé aussi en test. Du moins, ce que j'en savais.

C'est Noah qui m'ouvre, assez rapidement, m'ayant déjà sentie arrivée. De ce que je peux apercevoir l'appartement, il est à peu près semblable au mien, avec un grand aquarium qui me frappe dès que je rentre. J'y jette un œil, mais revient bien vite au jeune homme. Et à la jeune femme, qui se tient en retrait et me salue d'un ton neutre.

« Bonsoir. »

Dis je avec un sourire, avant de m'installer comme il me l'indiquait, sur le canapé où s'assoit également Astrid.

« Merci. Et pour la boisson, je prendrai la même chose que toi, je ne suis pas bien difficile. »

Je n'avais pas vraiment envie de leur faire vider tout le placard et tout le frigo, surtout. Astrid revient rapidement avec quelques gateaux, et entame la conversation. Elle se montre aimable, c'est déjà ça. Je préfère tout de même être en sa compagnie qu'en celle de cette petite courge d'Elizabeth.

« Ca va, je m'habitue doucement. Pour le travail, je n'ai pas encore officiellement commencé auprès des vampires, mais ça ne devrait pas tarder. Je me suis mise en libéral et j'ai pris une ou deux affaires, ça me permet de découvrir un peu le décor... Et vous deux ? Déjà bien installés, à ce que je vois. »

J'esquissais un sourire, avant que la jeune femme n'évoque sa sœur. J'acquiesce à ses paroles. Je n'allais pas rentrer dans leur vie... Si encore nous avions droit à une vie.

« D'accord. J'aurai sûrement l'occasion de la rencontrer, oui, nous ne sommes pas prêts de quitter l'écosse. »

Le temps est comme suspendu, comme à chaque fois qu'Astrid et moi sommes plongés dans nos réflexions. Elle a l'air d'être hypnotisée par ce fichu aquarium alors que je fais semblant de lire la même page depuis des minutes… ou des heures. Je serais incapable de le dire et, dans le fond, ça importe peu. Cette concentration nous est nécessaire, pour ordonner les choses, savoir où nous allons et ce que nous allons devoir affronter.
Eva finit par arriver et nous suivons les politesses d'usages alors qu'elle entre dans l'appartement. Visiblement, elle a l'air persuadée qu'on habite là tous les deux. Ce qui est plus ou moins le cas même si ce n'est pas encore tout à fait réglé.

J'attrape trois bières et j'en dépose deux devant Astrid et Eva avant de m'assoir à nouveau face à elles. Si je ne m'attendais pas à ce que l'ambiance soit amicale, je ne pensais pas que ce serait comme ça. Je n'arrive pas vraiment à définir ce que je ressens mais la neutralité de façade d'Astrid m'étonne un peu.

Aux différents échanges, je regarde alternativement les jeunes femmes, fronçant légèrement les sourcils sans faire de commentaire. Je ne m'étais encore jamais interrogé sur la nature de leur relation, tant qu'elle n'interfère pas sur notre mission mais, pour le coup, je suis un rien perplexe.

Je laisse filer un silence, avalant une gorgée de bière avant de toussoter.

"On est bien installés oui. Les pièces commencent à se mettre en place doucement. Je suis en… période d'essai pour l'armée diurne vampirique depuis quelques semaines, j'avoue que le terme m'a laissé un rien perplexe mais je ne suis pas du genre à discuter sur des détails pareils."

J'ai un bref hochement de tête quand Astrid évoque l'absence de Thea et aux propos d'Eva. Effectivement, plus on avance, plus je me dis qu'on est coincés ici pour un bon bout de temps. Enfin, si on arrive à faire ce pour quoi on est ici, ce serait une bonne chose. La tâche va être complexe mais j'essaie de me convaincre que nos dirigeants savent exactement où on va. Enfin, quand je pense à Mc Carthy, j'ai quelques doutes auxquels je vais soigneusement éviter de songer dans l'immédiat. A ses propos, je souffle, pensif, plus par réflexe qu'autre chose.

"Tu as pris quoi comme affaires ?"

Je lâche alors, après un bref instant de silence.

"Qu'est ce que tu penses d'eux Eva ?"

Inutile de préciser de qui je parle. Nous avons tous les deux commencé à côtoyer les vampires et je suis curieux de voir si elle a le même ressenti que moi. J'évite soigneusement Astrid du regard, voilà bien un sujet que nous avons soigneusement évité tous les deux. Mais il est temps de faire face.

Astrid et son indifférence, comme toujours. Je ne m'attendais pas à autre chose, mais je me rendais bien compte que sous cette neutralité se cachait une volonté de mettre de la distance entre nous bien réelle, et un peu plus évidente que d'habitude. Surtout parce que nous étions trois, surtout. Et que les choses se passaient plutôt correctement avec Noah au contraire, et j'avais peur que ça n'aide pas. Nous allions être amenés à coopérer de manière plus proche lui et moi, vu que nous travaillons au service du même groupe, et pour peu qu'elle soit du genre jalouse... Enfin, ne pensons pas au pire. J'espérais qu'elle avait assez à cœur notre mission pour ne pas la compromettre avec des rapports personnels, car je ne laisserais personne me mettre en de mauvaises dispositions face à Douglas. Parce qu'en jeu, il y avait ma famille à l'autre bout de la terre, la seule qui n'avait jamais compté. Qui ne compterait jamais. J'espérais pouvoir passer encore quelques années auprès de ma fille avant qu'on ne me l'arrache, après en avoir fini avec cette écosse... Si on en finissait un jour. Là était bien le problème ; nous devions tous nous être aperçus de l'enfer sans fond dans lequel nous étions tombés. En tout cas, moi, je le savais, je le sentais partout, tout le temps. L'Equilibre n'avait sûrement jamais été autant bafoué à travers toute l'Histoire... Et nous, nous devions l'y rétablir. Je nous voyais si petits, ridicules et impuissants, face à la montagne qui se dressait devant nous.... Au moins, commencer par être soudés, par écouter nos visions et par connaître notre environnement. Pas de découragement. Pas maintenant, pas ici. Tout en imprimant cette volonté en moi, j'attrape la bière que m'amène le jeune homme. J'écoute ce qu'il m'apprend sur sa situation.

« Je crois que j'aurai droit à la petite période d'essai aussi, une fois que je serais embauchée officiellement. Mais j'ai plutôt l'impression d'avoir fait bonne impression à leur reine lors de notre entretien, je pense que nous partons sur de bonnes bases. Qu'est-ce qu'ils te donnent à faire ? »

Astrid ne s’immisçait pas dans l'échange pour l'instant, mais elle écoutait. En même temps, il est vrai que le sujet des vampires nous concerne surtout tous les deux, vu que c'est nous qui allons devoir coopérer avec eux. Officiellement, du moins. J'avale une gorgée de bière, réfléchissant un instant à la question d'Astrid.

« Je suis directement en contact avec leur Reine. Pour l'instant, la meilleure chose à faire me semble de la satisfaire et de me montrer compétente. D'après notre première conversation, elle compte me mettre au courant directement de certaines affaires qui pourraient requérir l'avis d'une attachée de presse humaine, pour savoir s'il serait réellement bénéfique à leur image de les communiquer ou non. »

Mais pour l'instant, tout ce qui peut m'aider est surtout de faire bonne impression. Par la suite, je verrais, je m'adapterais, je savais faire. Je fouinerai, si besoin. Donnez moi une ou deux clés, et j'irai ouvrir les portes de moi même, sans besoin d'accord. Je me replonge encore un instant dans ma bière. Parce que la question que me pose ensuite Noah mérite elle aussi un peu de réflexion. Ce que je pense des vampires...

« Ils sont dangereux. Comme la plupart des individus foulant l'écosse, certainement. Mais leur longévité leur donne une expérience que nous n'avons pas. Ils savent très bien comment fonctionnent les humains, je suppose, et savent surtout très bien comment se mettre en scène. Leur nouvelle Reine m'a semblé quelqu'un de très calme et posé. Peut être un peu trop, justement. Elle m'a l'air de savoir où elle veut aller. Elle m'a parlé de mettre en place une sorte de gazette retraçant l'actualité du monde vampirique, et d'après ce que j'ai pu comprendre à travers ses paroles, elle s'appuie sur certains proches conseillers. Quoi qu'il en soit, ils semblent en ce moment plus en position de victimes qu'autre chose ; dans une certaine mesure, ils peuvent être des alliés de l'Equilibre. Jusqu'à un certain point. Et en tout cas, il faudra pouvoir garder un œil sur leurs actions. »

Comme sur celles des loups, du gouvernement humain, de tout un chacun, même des semis démons. Bien que là, la tâche soit plus ardue. Mais nous n'avions guère le choix, si nous voulions mener cette mission à bien, ou tout du moins, éviter que le Chaos ne submerge totalement l'écosse... Car dans ce cas, il ne mettrait que peu de temps à avaler tout le globe, et ce serait la fin. La fin de tout. Mon père ne se rendait pas compte, quand il parlait de Chaos. IL n'avait jamais ouvert les yeux. J'écoute les informations que nous donne Astrid, maintenant. Au sujet de la démone. Je ferme les yeux, un instant, histoire de faire le point dans ma tête de toutes les visions récurrentes que j'ai pu commencer à avoir.

« J'ai des visions, oui, mais je n'ai pas encore réussi à leur trouver un sens à toutes. Tous ensemble, ou avec McCarthy, ce sera plus aisé. Tout reste assez confus pour l'instant, et surtout, il y a beaucoup de choses. »

Je repose la bière sur la table, avant de poursuivre.

« Peut être... Il y a une ruelle, que je vois souvent. De jour, de nuit, d'en haut, d'en bas. Certaines fois vides, mais souvent des agressions, même un mort. Ce genre de chose. Je ne peux pas du tout affirmer qu'il y ait un lien direct avec la démone et la faille, mais ce n'est pas impossible. En tout cas, l'endroit semble avec un lien avec le Chaos. »

Je poussais un léger soupir.

« Mais impossible pour l'instant de savoir où ça se trouve, et les ruelles sont tellement nombreuses, dans ces villes écossaises. »

La conversation ne met pas longtemps à démarrer, visiblement les politesses d’usage sont un luxe qu’on ne se permet pas bien longtemps. J’ai un bref regard en direction d’Astrid qui se lance dans le vif du sujet et qui renchérit sur mes propos avant qu’elle n’évoque brièvement sa sœur.

Je m’abstiens de répondre qu’au vu du chaos ambiant, il est peu probable que Thea ait réellement le temps d’avoir une formation sur plusieurs années mais qu’à mon avis, elle ne manquera pas de se retrouver prochainement sur le terrain. Mais je n’ai pas envie de passer pour le pessimiste de service. Après tout, ce qui peut nous sembler être une situation de crise n’a probablement pas le même impact plus haut. Ils doivent avoir l’habitude, plus que nous et, au final, nous ne sommes que des pions prêts à sagement exécuter notre devoir. Je ne sais même pas pourquoi je commence à divaguer là-dessus et je me recentre sur la discussion, ignorant totalement l’œillade que me lance Astrid lorsque nous évoquons l’appartement.

Je l’écoute parler de la PES et je grimace quand j’apprends qu’elle va bosser avec des loups et des vampires mais, là encore, je préfère ne rien dire. Etre objectif, me taire, retenir ce qui est nécessaire pour servir la cause. Nos intérêts personnels passent largement après tout ça et, de toute façon, il faut que je m’habitue au fait que je ne pourrais de toute façon pas toujours savoir ce qu’elle fait et surtout, avec qui.

J’écoute les réponses d’Eva avec attention et je lâche, à mi-voix dans sa direction.

"Erin Danvers, tu connais ?"

Je laisse filer un instant de silence avant de reprendre, toujours sur le même ton tranquille.

"Une humaine. C’est la responsable de l’armée diurne vampirique. Ou une des responsables, elle n’a pas été particulièrement claire sur leur organisation, étonnamment. Visiblement, ils sont un peu paranos en ce moment. Ils s’attendent à tout moment à un nouvel attentat à ce que les choses tournent mal. Alors ils veillent sur les grosses têtes vampiriques constamment. Les humains prennent le relai quand les nocturnes se reposent. Ca va de la sécurité carrément chez eux aux lieux qu’ils fréquentent."

Je laisse filer un silence, avalant une gorgée de bière avant de reprendre, un peu moins pensivement.

"Je suis affecté dans un des bars où ils ont l’habitude de se rendre, le temps de ma fameuse période d’essai. Gestion de la sécurité, m’assurer que les pommes de sang sont consentantes, que ça ne dérape pas trop, ce genre de choses. Ils se tiennent remarquablement bien je trouve. Je pense qu’ils ont eu des consignes pour améliorer leur image vis-à-vis des humains. Un peu comme toi qui va donner un point de vue humain sur leurs annonces."

Je finis par demander à Eva son avis sur les vampires, après un bref regard en direction d’Astrid et j’ai un bref hochement de tête.

"Ils peuvent se poser en victime mais ils auront un poids déterminant ces prochains mois. Comme tu le dis, leur longévité est une caractéristique que nous ne devons pas oublier. Ils pensent à bien plus long terme que nous et les conséquences de tout ce qu’ils font ne nous apparaissent pas aussi clairement qu’à eux. Ils ont bien plus de cartes en main que nous et je suis d’accord sur le fait qu’il faudra vraiment les tenir à l’œil."

Tout comme pour les lycans mais, pour l’heure Mc Carthy ne nous a pas dit ce qu’il comptait faire avec eux. Encore une surprise de plus qu’il nous réserve, fort probablement. Je jette alors un regard en direction de ma compagne et je souffle, pensif.

"Astrid, pourquoi est-ce qu’à la PES ils ont pris la lubie de bosser avec les autres espèces ? Histoire de pimenter les soirées ou il y autre chose ?"

Ca va, j’ai l’air de prendre la chose plutôt bien en fait. Je reste aussi neutre que possible et je n’ai même pas l’air inquiet. Y a du progrès. Elles évoquent alors les visions d’Eva et je la fixe, curieux. Effectivement, ses visions sont pour le moins obscures mais elles ne laissent de toute façon rien présager de bon. En bon pragmatique que je suis, je me contente de hocher la tête, guettant la réaction d’Astrid, bien plus au fait que moi sur ce genre de trucs. Autant laisser faire celles qui s’y connaissent un minimum plutôt que de dire n’importe quoi non ?

Nous rentrons rapidement dans le vif du sujet. Pas besoin de palabrer des heures sur le reste ; nous sommes avant tout là pour être efficaces, après tout. Pour remplir notre mission, pour l'Equilibre. Et elle n'est pas des moindres ; autant ne pas perdre du temps. Nous sommes ici depuis peu, mais les pièces commencent déjà à se mettre en place. Enfin, c'est peut être un peu exagérer... Disons qu'on arrive à faire le cadre du puzzle. Vampires, PES. Manque les Loups. Mais par l'intermédiaire des deux autres, on peut plus ou moins recouper des informations sur eux, également. Et les semis démons... Le plus délicat. Comment voulez vous les infiltrer, alors qu'ils ne forment pas une structure officielle à part entière, liée aux humains ? Noah et moi sommes arrivés, par la proximité des humains avec les vampires, à plus ou moins entrer dans leurs rangs. Astrid dans la PES, qui semble avoir l'avantage d'avoir des contacts avec chacune des espèces, et des dossiers sur les semis démons. Même si avouons le, ils ont plus l'air d'une équipe de bras cassés qu'autre chose, en ce moment. J'acquiesce aux paroles d'Astrid.

« La meute est plus dure à infiltrer, ils n'ont pas d'humains en leur sein. Par contre, oui, avec la PES, tu devrais arriver à choper des infos. Et nous, avec les vampires, j'ai cru entendre des rumeurs comme quoi les deux espèces essaieraient de collaborer, et que les loups auraient invité les vampires pour une soirée officielle à leur boite, la Lune Bleue... »

Des bruits de couloirs, certes, mais au vu de ce que j'avais pu observer des orientations et du caractère de Morgane Raybrandt, apaiser les relations avec la meute collait parfaitement. Je note les infos de Noah, moins officielles que celles que j'avais pu avoir. Il travaille avec ceux de l'ombre, moi avec le devant de la scène. Je n'ai pas entendu parler de cette Erin Danvers, mais à coup sûr, elle doit faire partie de ces collaborateurs dont la Reine Rouge m'a parlé. J'acquiesce, alors qu'il me parle des vampires qui se tiennent remarquablement bien dans le bar où il est.

« Oui, améliorer l'image des vampires semble pour l'instant l'objectif principal de leur Reine. »

J'acquiesce aussi, aux paroles d'Astrid. Surveiller nos arrières, autant que l'on peut. Bien entendu. Les Vampires peuvent être nos alliés, autant que nos ennemis. Idem pour les loup, les démons, les humains. Tous des pions. Nous aussi. De simples pions sur l'échiquier de l'Equilibre, dangereusement instable. Et on pourrait croire que les Archantes sont au dessus de cela, et veillent en arbitre... Oh oui, ils sont au dessus. Mais ils en jouent. C'est après ce genre de réflexion que l'on peut se demander l'utilité de ce que nous faisons, si c'est pour faire profiter les petits intérêts personnels de ceux qui prétendent être le sommet de l'équilibre. Passons. Pas maintenant. Aujourd'hui... Concentration, efficacité. Il n'y a pas d'archante avec nous ; peut être aurons nous une chance de faire un travail réellement utile à l'Equilibre.

« Noah travaille apparemment beaucoup à la sécurité, et moi je serais sûrement amenée à travailler un peu moins dans l'ombre. Ca se complète. Il sera facile de surveiller nos arrières l'un de l'autre, je pense. »

Mes visions... Oui, j'en avais. J'en parlais à Douglas, parfois, nous échangions. De manière strictement professionnelle, il ne fallait pas oublier que ni lui ni moi n'arrivions vraiment à nous faire confiance. Méfiance implicite, mais que nous ressentions tous deux bel et bien. Peu importe ; il nous faut tous travailler main dans la main, et les visions est sûrement le point où je peux être la plus utile. Même si... Je ne sais pas. Je vois. Je sens. Mais c'est vague... Arriverons nous à mettre un nom sur cette ruelle ?

« C'est déjà fait ce matin ; il en a eu lui même des semblables. Je peux essayer de te la dessiner, oui, mais elle est extrêmement banale, il doit y en avoir des centaines rien qu'entre Glasgow et Edimbourg... Mais il faut bien commencer par quelque part. »

Elle part chercher un carnet, et griffonne dessus en revenant s'asseoir. J'avale une nouvelle gorgée de bière tandis qu'elle évoque Maryana.

« Oui, sûrement. J'ai lu des articles sur les attentats, il y a eu apparemment, selon les témoignages, un lieu où les violences ont été plus spectaculaires, et où la terre a tremblé. Sûrement là où agissait Watheerey. Je peux te faire une esquisse de ma vision, si tu veux. »

Noah change de sujet, et j'observe la réaction d'Astrid, note sa réponse.

Rester concentré sur notre mission et rien d'autre. Sur ce que nous allons avoir à faire et sur les obstacles qui ne vont pas manquer de se dresser devant nous. Mc Carthy n'a pas partagé avec nous ce qu'il comptait vraiment faire, le contraire aurait été étonnant et là encore, je ne dois pas trop me focaliser dessus mais plutôt sur ce que nous avons, de façon pratique comme j'en ai l'habitude quand Astrid n'est pas concernée.

Elle résume d'ailleurs plutôt bien la situation et je souffle, pensif, approuvant les propos d'Eva qui a précisé quelques points.

"Infiltrer la meute risque d'être un rien plus compliqué que le reste effectivement. Mais comme vous le dites si bien, la PES nous permettra peut-être de compenser ce problème. Ou alors, Mc Carthy a des entrées que nous ignorons, c'est aussi possible. Quant à l'idée d'un rapprochement entre vampires et lycans… j'avoue, j'attends de voir comment les choses vont se passer. S'il y a des inimités entre les humains et les autres races, ceux-là ne sont pas en reste entre eux. C'est même bien pire."

Je préfère ne pas en rajouter, sirotant ma bière et hochant la tête quand Astrid parle de l'avantage à bosser avec Eva non loin de moi, surtout qu'elle va avoir une toute autre approche que la mienne et nous serons complémentaires. J'ai confiance en elle, sans bien arriver à savoir pourquoi et sans raison précise, ce qui n'a pas l'air d'être le cas d'Astrid mais, pour le coup c'est plutôt mieux que ce soit dans ce sens plutôt que l'autre. Elle m'explique alors les raisons de l'introduction de créatures surnaturelles dans les rangs de la PES. Vrai que ça parait pertinent dit comme ça et qu'ils auront vraiment besoin de renforts surtout s'ils oeuvrent à rétablir l'équilibre.

Je la regarde griffonner sur son carnet alors qu'elles évoquent les visions d'Eva. Si elles ne sont pas très précises, elles pourront toujours servir de base, même si j'ai l'impression qu'elle n'est pas encore suffisamment sûre de ce qu'elle a pu voir pour qu'elles soient vraiment utiles. Avec le temps peut-être mais là, c'est quelque chose dont nous semblons manquer depuis notre arrivée en Ecosse. Le chaos a décidé de se faire un peu plus violent et présent depuis les évènements de février et ça ne va pas aller en s'arrangeant, quand bien même certaines races semblent enclines à vouloir se rapprocher. Peut-être prennent-elles enfin pleinement conscience de la situation mais, quand c'est le cas, c'est qu'il est généralement trop tard. Reste à savoir si nos supérieurs ont réagi dans les temps. Je l'espère en tout cas.

Nous continuons d'échanger nos impressions sur nos premières semaines en Ecosse, sans guère avancer plus sur les points essentiels, déjà abordés, Astrid ayant cette qualité d'aller droit au but quand elle n'a pas envie de perdre du temps. Et elle ne semble guère vouloir passer plus de temps que nécessaire avec Eva. J'aurais aimé prendre du temps pour connaitre un peu plus la jeune femme mais je préfère laisser ça pour plus tard, probablement sans Astrid d'ailleurs, quand nous aurons un peu plus avancé et que nos emplois respectifs seront un peu stabilisés. En espérant que tout se passe bien, enfin aussi bien que possible avec ce qui nous attend.

Et c'est pas vraiment gagné.

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