Merde. Merde. Merde. La colère altérait sa perception des distances et par chance, ses réflexes rattrapaient ce manque de sang-froid. Il s’excusa d’un regard depuis son siège, auprès du piéton qu’il avait presque effleuré avec sa voiture. Prendre le volant dans cet état ne semblait pas être la solution la plus sage mais avait-il le choix ? Bien au contraire, Camille voyait ce rendez-vous comme une aubaine pour ses nerfs à vif. Se concentrer sur autre chose, justifier cette décision, tout semblait prévaloir à autre chose. Il se savait apte à agir stupidement et de façon extrême quand une rage pareille lui vrillait l’esprit. C’était chose rare mais s’il éconduisait cette hargne, il ne resterait que l’accablement. Il refusait de s’enchaîner une nouvelle fois à l’apitoiement. Qu’elle ait attendu précisément le jour où Mary l’avait convoqué pour lui faire part de cette grande révélation, semblait risible néanmoins. Bien entendu, elle l’ignorait mais pour le changeur, il semblait que Rebecca ait décidé de le pourrir jusqu’au bout. Injuste ? Pragmatique. S’il continuait à bien la voir comme le démon qu’il se dépeignait en pensées, ça serait plus facile pour aller de l’avant, pour ne pas se retourner ou regretter. Non. Comment avait-elle pu attendre aussi longtemps pour lui avouer ? Comment avait-elle pu se faire passer pour une humaine ? Alors que lui… Lui avait tout misé sur elle. La trahison, encore une fois. Il ne devait être voué qu’à des échecs similaires. De toute manière, c’était terminé. Fini. Il resterait seul pour son bien. Il n’avait pas besoin de ça. Il savait que ça allait finir de la sorte, il le savait pourtant. Il n’apprenait jamais de ses erreurs. Abruti. Crétin. Dire qu’il lui avait expliqué ce qu’il était. Encore un secret mal placé. Quel con. Heureusement, en dehors d’Alan, personne ne connaissait leur relation. Il ne restait plus qu’à prier pour qu’elle la ferme à ce propos. Sinon, il aurait un gros, un très gros souci sur le dos.

Le français tapota nerveusement ses doigts sur sa boite de vitesse alors qu’il s’engouffrait dans Glasgow avec une foule d’injures dans le crâne. Il tenta de mettre sa vie privée de côté pour se consacrer à ce qui allait suivre. L’entrevue avec la Lupa. Depuis qu’il lui avait remis sa lettre de démission, il n’avait plus eu l’occasion de la croiser ou de lui adresser la parole. Il s’était tenu à l’écart de la meute pour la simple et bonne raison que les tensions entre eux ne pouvaient s’apaiser que s’ils parvenaient à trouver les coupables et le centre du complot. Alan avait normalement remis Greg aux loups mais il n’avait pas vraiment eu suite de la démarche parce qu’ils étaient encore en froid. Cette pensée fit ricaner le changeur. Oui, il n’était vraiment pas lui-même aujourd’hui. Mener un entretien à dimension diplomatique alors qu’il venait de larguer sa copine pour cause d’appartenance aux « filles des enfers », ne le mettait pas dans les meilleures dispositions. Il allait devoir se gifler mentalement histoire de ne pas aggraver le climat déjà bien délicat. Il était plus que jamais l’heure de ressouder les liens qui les unissaient encore à leurs cousins génétiques. Pas question de laisser d’autres détails entraver ce but. Donc, oui, il allait devoir se ressaisir. Après la multitude de ratés qu’il avait orchestrés, il devait travailler à reconstruire sa crédibilité bien entachée et ce n’était pas en débarquant comme une furie, qu’il allait résoudre ce problème.

L’ancien riche héritier se stationna sur le parking de la Lune Bleue avec cinq minutes d’avance sur le programme – il avait roulé trop vite. Il profita de cette marge temporelle pour s’apaiser un peu et ne pas perdre de vue l’entretien auquel il allait assister. Spéculations sur cette convocation ? Il se doutait qu’elle avait des révélations à lui faire à propos de l’enquête. Il ne voyait pas pourquoi elle le rappellerait si ce n’était pour ça. A moins qu’il n’y ait eu un autre incident impliquant l’un des siens ? Ou bien c’était lié à cette soirée à laquelle il avait été convié mais n’avait pas participé ? Il doutait que la Lupa lui demande de venir pour cette raison mais tant qu’il étalait son panel de possibilités, autant ne rien écarter histoire d’être préparé un minimum à ce qu’elle allait lui dire. Après avoir avalé plusieurs goulées d’air, l’oiseau s’extirpa de l’habitacle et passa l’entrée du bar. Il salua les personnes qu’il croisa poliment en veillant à masquer l’instabilité de son humeur. Une fois devant la porte convoitée, il y apposa trois petits coups et attendit que la propriétaire du lieu lui dise d’entrer. Trop perdu dans son énervement, il ne perçut en rien le trouble qui pourtant palpable, animait le lieu. Pour une fois, il n’était pas assez sur ses gardes. Plutôt stupide, pas vrai ?

Tout avait été bouleversé en quelques instants. C'était à peine croyable. La Meute avait vécu un des événements les plus traumatisants de son histoire, si ce n'est le pire. Ce n'était pas tous les jours que l'exécuteur de la Meute tuait son propre père et prenait sa place. Même parmi les loups, qui avaient pour le moins des pulsions meurtrières, il n'était pas commun de commettre un parricide. Et le fait qu'Hayden n'ait pas été jugé pour cet acte abject venait simplement du fait que son père avait commis un crime impardonnable : s'unir avec les vampires. La meute était donc sacrément perturbée, c'était le moins qu'on puisse dire. Les jumeaux s'étaient retrouvés pris entre les deux camps pro et anti Jonathan et c'était un miracle qu'il n'y ait pas eu de blessé grave. La suite de la procédure aurait voulu qu'Hayden s'unisse à elle afin de la légitimer devant la Meute. Mais cela ne s'était pas produit. Et il n'était pas très compliqué de deviner pourquoi. Toujours cette mijaurée d'Isadora qui foutait la pagaille partout où elle passait. Mary n'avait pas du tout mais alors pas du tout apprécié le comportement rebelle qu'elle avait eu à son égard. Elle avait défié son autorité et cela demandait réparation. Mais les loups-garous étaient à un stade de grande fragilité et il fallait éviter la moindre dissension supplémentaire. Mary avait donc contenu sa rage et avait fait contre mauvaise fortune bon cœur. Elle avait mis sa haine de côté et attendait que la vengeance vienne à elle en temps voulu.

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis cette fameuse soirée et Hayden s'était terré chez lui, sans voir personne. Mary ne pouvait lui en vouloir. Assassiner son père, ce n'était pas anodin, même quand son père était un salaud fini et même quand il avait trahi sa propre espèce. Mary depuis avait ressassé ses craintes, ses espoirs et ses attentes. Torben avait eu raison. Mais même si l'attraction qui existait entre eux était encore présente et forte, elle ne lui faisait aucunement confiance. S'il l'avait prévenu des intentions de Jonathan, c'était pour une raison bien précise et ce n'était certainement pas par altruisme, ça elle pouvait en être sûre. Il mijotait quelque chose de louche, comme toujours. Mais Mary brûlait d'envie de retourner le voir. La manipulation, c'était un jeu entre eux depuis longtemps. Qui arriverait à berner l'autre. Pour le moment, Torben semblait avoir l'avantage mais Mary n'avait pas dit son dernier mot. Il allait également falloir qu'elle voit Hayden, ne serait-ce que pour savoir ce qu'il avait en tête la concernant. Comptait-il la remplacer par sa chienne ? Rien que cette pensée mettait la Lupa hors d'elle. Mais il ne servait à rien de perdre son sang froid. Autant rester stoïque et attendre de le rencontrer. Elle saurait bien assez tôt ce qu'il projetait de faire.

S'il y avait en revanche une personne que Mary avait convoqué d'urgence, c'était Camille. Le leader des métamorphes devait être informé de toute urgence des changements survenus parmi les lycans et qui pourraient impacter sur leur relation avec les changeurs. Mary lui avait donc envoyé un message pour convenir d'un rendez-vous le soir, à la Lune Bleue. Elle tenait plus que tout à cette Alliance qu'elle avait contribué à forger. Et elle ignorait totalement les intentions du nouvel Ulfric à l'encontre des métamorphes. Elle devrait lui en parler. Mais elle préférait d'abord avertir Camille et se tenir prêt au cas où l'union serait en péril. Mary était à son bureau, ressassant les événements de ces derniers jours quand soudain, on frappa à la porte. Elle répondit d'une voix forte à l'invité d'entrer. Il s'agissait naturellement de Camille. Et pile à l'heure. La Lune Bleue était en plein effervescence depuis le changement de mâle alpha. Mais Camille semblait perdu, bizarre. Mary espérait que du côté métamorphe, il n'y aurait pas des mauvaises nouvelles. La Lupa se leva et s'avança pour saluer Camille d'un sourire.

Installe-toi. Tu veux boire quelque chose?

Elle retourna elle-même à sa place, de l'autre côté de son bureau. Elle croisa les mains sous le menton. Mary était directe et franche. Autant ne pas tourner autour du pot et aller droit au but.

Si je t'ai demandé de venir, c'est pour t'informer de grands changements au sein de la meute. Jonathan a été tué et remplacé. Par son fils, Hayden. Jonathan complotait avec les vampires pour m'évincer de la meute. Ce danger est écarté. Mais il y en a un qui plane toujours au dessus de l'Alliance. Quelle sera la politique d'Hayden la concernant ? Je ne peux malheureusement pas le savoir actuellement. Je vais le voir sous peu et j'en discuterai avec lui. Mais je pense que ce sera un mieux pour nous.

Cela faisait beaucoup de nouvelles d'un coup et la Lupa s'arrêta un moment, observant le changeur attentivement.

L’effervescence dissoute lui passa tellement au-dessus de la tête qu’il ne fût pas surpris quand la porte s’ouvrit sur le sourire de Mary. Malgré la tension perceptible qui nouait chaque muscle de son corps, il lui rendit son rictus à son tour instantanément. Voir la chef de la meute restait très souvent stressant pour lui – l’idée de faire un faux pas le hantait constamment surtout en ces temps de trouble, mais étrangement, il en était presque ravi. Peut-être voir la situation bancale évoluer d’une façon ou d’une autre, peut-être parce qu’elle lui permettait de mettre ses nouveaux soucis de côté pour se consacrer aux plus importants et plus anciens. Il délia très posément son « Bonjour Mary. » et entra quand elle l’y invita. Son regard se posa sur le siège qui l’attendait sagement et s’y installa, face à son interlocutrice. Le côté professionnel de ce rendez-vous prit sa certaine gravité dès le moment où le bureau les distança – et ça même si elle lui proposa un breuvage dès l’entrée. Rebecca fut reléguée très naturellement au second plan tandis qu’il croisait ses doigts sur son genou. « Euh… Oui, merci. » Il pria intérieurement pour qu’elle ait sous la main quelque chose de fort. Il ne se doutait pas encore à quel point il aurait besoin d’un verre. Le français n’eut guère le loisir de débuter la conversation qu’aussi rapidement, sa comparse prit les devants. Heureusement pour le bien commun, il mobilisa suffisamment de sa concentration pour en saisir l’intégralité du message. Chaque phrase s’apparentait à une aiguille supplémentaire dans le fourmillement de ses méninges. Grands changements – bon. Jonathan, tué – Pardon ? Remplacé – Par qui ? Son fils. Hayden – Ah. Comploter avec vampires – Non ? L’évincer. – Quel bordel. Danger écart - Respire Fontayn. Non. Alliance en péril. – Merde. Politique d’Hayden, pas le savoir, discussion – Nouveau problème. Mieux pour nous. – Ah, sûrement.

Malgré la tempête qui se déployait toujours plus dans son esprit, le changeur réajusta sa position en rassemblant le plus rapidement des mots et potentiellement des phrases qui – il l’espérait – seraient cohérentes. Beaucoup d’informations lourdes à assimiler en si peu de temps. Il n’avait pas prévu un tel revirement. Qui l’aurait pu ? Le ton franc mais presque naturel de la brunette tranchait selon lui avec la gravité des événements et l’impact qu’il avait sur la meute, l’alliance. C’était surréaliste et il était presque surpris de ne pas en avoir la mâchoire tombante. En essayant de catégoriser les morceaux de son discours pour y appuyer une réplique, il se perdit un peu plus. Quelques secondes flottèrent alors que devenu légèrement livide, il se contenta de passer machinalement sa paume sur son menton et sa bouche, un peu sous le choc. « Jonathan… Tué… Je suis … euh… désolé ? » Il ignorait si il devait l’être réellement d’où l’intonation à demie interrogative. Il ne l’avait jamais spécialement porté dans son cœur et la réciproque était pour le moins vraie. L’ancien Ulfric n’aimait pas les siens, il en avait toujours été plus ou moins convaincu mais de là à passer un pacte avec le Diable en personne… « Attends… Attends… » Il posa son front contre sa main et ferma un instant les paupières pour mieux réaliser l’ampleur de cet entretien. « Tu veux dire qu’il a passé un pacte avec … Elle ? Krystel Raybrandt ? » Le volatile releva un peu la nuque et fixa un point imaginaire. « Je me doutais qu’elle… avait quelque chose à voir avec ça mais… Lui… » Tout en contemplant le mur d’un air songeur, il continua ses cheminements internes à voix haute. « Je me demande comment il a réussi pour enrôler des miens là-dedans ? Ou comment elle… Peut-être. » Question purement rhétorique.

Le métamorphe hocha de la tête pour chasser ça et revint poser son attention sur la Lupa face à lui. Un nouvel Ulfric – voilà qui devait bien chambouler la Meute et son organisation. Ses songes voguèrent vers Isadora qui était normalement avec Hayden. Ça ne le regardait pas mais… en dehors de ce fait, il imaginait bien le mécontentement de certains – Ashleigh notamment. Il y avait forcément des détracteurs. Tuer son père. Comment avait-il pu s’y résoudre ? Le voleur ne savait pas s’il fallait justement le respecter et admirer cette prouesse ou bien s’il fallait simplement le craindre. Ça n’avait pas d’importance immédiate. Enfin… « Je vois… Pour l’Alliance… Tu sais ce que j’en pense personnellement. Je ne viendrai pas me mêler des réajustements se déroulant au sein de la meute bien entendu, ce ne sont pas mes affaires, ni celles des miens. » Il inspira profondément avant de poursuivre. « Mais j’espère sincèrement que tout ça mettra un terme à la discorde qui a pu régner entre nos espèces. Cette mutinerie ne visait pas qu’à t’évincer mais aussi à nous diviser. Il est plus que jamais temps qu’on coopère si les vampires nous menacent officiellement et s’infiltrent dans nos rangs à notre insu. Mais je sais que ce n’est pas toi que je dois convaincre… » Son regard qui s’était égaré à quelques reprises durant sa tirade se reposa sur la jeune femme. « Du moins, j’espère que ton avis sur la question n’a pas changé…» Il croisa les bras sur sa poitrine en continuant ses tentatives de structuration interne. Tout ça était insensé. Pourquoi avait-il la sensation que cette affaire était loin d’être classée malgré que le coupable principal ait été éliminé ?

La Lune Bleue abritait une ambiance parfaitement inhabituelle. Quiconque franchissait ses portes pouvait rapidement s’en rendre compte. Or, Camille semblait être à mille lieues de cela. Etrange. D’ordinaire, son esprit d’observation lui rendait souvent service. Que lui arrivait-il ? Mary se prit à espérer qu’il n’y avait pas de mauvaise nouvelle non plus du côté des métamorphes. Le sourire légèrement crispé que lui renvoya son partenaire amusa Mary. Il ressemblait à une pauvre petite chose fragile. Non pas que Mary sous-estime le métamorphe. Il était un adversaire à ne pas prendre à la légère si on le comptait parmi ses ennemis. Mais ce n’était pas le cas de la Lupa. Elle estimait Camille qui jouait parfaitement bien son rôle de leader. Entrant dans son bureau, il répondit cordialement à son salut d’une phrase déliée au ton relativement assuré. Mais des petits éléments dans son attitude prouvaient le contraire. Il ignorait la raison pour laquelle Mary lui avait demandé de venir. Mais il devait se douter que ce n’était pas des bonnes nouvelles. Elle l’avait enjoint de s’assoir et lui avait proposé un verre, histoire de rendre leur entretien moins formel. Elle lui servit un verre de whisky vieilli en fût de chêne. Une bouteille de sa réserve personnelle. Mary n’était pas spécialement quelqu’un qui tournait autour du pot et était connue pour sa diplomatie –bien qu’il lui arrive de mettre de l’eau dans son vin- aussi alla-t-elle droit au but immédiatement. Bien qu’elle appréciât Camille, elle ne l’avait pas fait venir pour lui demander de ses nouvelles. Elle se lança donc et résuma en quelques phrases les événements qui avaient bouleversé l’existence de la Meute il y a peu. Le fait de le dire à haute et intelligible voix lui faisait prendre conscience d’autant plus de la précarité de leur situation. Hayden muré chez lui, refusant de voir quiconque pour le moment. Les loups ignorant si elle était toujours Lupa ou non. Et la grande inconnue : comment réagirait Hayden à l’Alliance méta-lycans ?

Mary observait attentivement Camille à présent. Lui balancer autant d’informations d’un coup et d’une telle importance était assez violent, elle devait bien l’admettre. Elle lui laissa un peu de temps pour digérer la nouvelle. L’attitude de Mary était faussement désinvolte. Lorsqu’on la connaissait bien, on reconnaissait clairement l’étincelle de vigilance et d’attention qui luisait dans ses yeux. Elle avait pleinement conscience de la gravité de la situation. Qui mieux qu’elle pouvait s’en rendre compte ? Le changement d’Ulfric menaçait son statut et sa vie même. Mais elle affronterait cet événement comme elle les avait toujours affrontés. Cela faisait plus de sept ans qu’elle était toujours là. Elle n’avait pas peur. Elle s’en sortirait. Elle reporta son attention sur Camille qui affichait un visage parfaitement livide. Elle espérait qu’il n’allait pas se sentir mal, tout de même ! Mais loin de là, le jeune homme se contenta d’évoquer la mort de Jonathan et déclara d’un ton interrogatif qu’il était désolé. Mary ne put s’empêcher de sourire largement. Elle était bien loin de pleurer l’ancien Ulfric. Elle se contenta de répondre d’un ton amusé :

Crois-moi, il ne faut pas être désolé. Pas pour moi, en tout cas. Hayden sera d’un tempérament beaucoup plus agréable que son père.

Mary n’avait jamais porté vraiment Jonathan dans son cœur, il représentait seulement une force non négligeable dans la lutte contre les vampires. Leur alliance était purement politique. Sans eux, jamais la meute d’Ecosse n’aurait pu remporter de victoire contre les vampires. Elle savait que Camille n’appréciait pas plus qu’elle l’ancien Ulfric. Voilà un problème de réglé. Camille semblait en pleine réflexion, on le serait à moins. Mary se contenta d’hocher la tête à sa question.

J’ai tout lieu de le croire, en effet.

Oui, c’était inconcevable qu’un lycan pactise avec des saigneurs mais c’était la triste vérité.

J’en ai été la première surprise, Camille. Je savais qu’il aimait le pouvoir mais pas à ce point.

Au point de trahir sa propre race. Inconcevable. Les pensées du changeur défilent à voix haute. Comment s’y est-elle prise pour convaincre des changeurs de passer dans leur camp. Mary sourit. Tellement facile…

Promettre à quelques-uns de tes changeurs qu’ils ne seront jamais saignés par les vampires et que la Reine leur accordera sa protection, ce n’est pas suffisant pour les faire basculer, selon toi ?

Comment l’Alliance allait-elle se sortir de ce mauvais pas ? Comment allait-elle réussir à panser ses plaies et à repartir vers l’avant ? Avant toute chose, l’implication du nouvel Ulfric sera capitale. Mais Mary avait bon espoir. Après tout, Roxane lui avait raconté de nombreuses choses après la bataille. Notamment sur ses liens avec Hayden. S’il avait fait confiance à une changeuse, pourquoi n’étendrait-il pas cette confiance à tous ceux de sa race ? C’était un espoir qu’elle conservait. Camille reprit la parole. Mary hocha la tête, appréciant cette marque de déférence qui le poussait à ne pas s’immiscer dans les affaires internes des lycans.

Oui, évidemment. Mais il me paraissait important que vous soyez au courant des jeux politiques entre lycans car vous pourrez être directement impactés.

Le reste des paroles du changeur montrait clairement que cette nouvelle l’avait ébranlée. Ebranlé au point de poser la question sous forme détournée des intentions de la Lupa. Mary tenta de le rassurer.

Je pense que les tensions s’apaiseront. Nous avons quelques dissensions mais rien de comparable à ce que nous venons de traverser. D’autant qu’Hayden entretient d’excellentes relations avec Roxane depuis la bataille. Il lui fait confiance et vice-versa. Alors j’ai vraiment bon espoir qu’il se range à la Cause. Il est plus mesuré que son père et je pense qu’il nous aidera. Je dois le voir prochainement et je te tiendrai naturellement informé de toutes les décisions que l’Ulfric prendra.

Mary répondit enfin à la dernière question que Camille venait de lui poser.

Voyons, Camille… Pourquoi aurais-je changé d’avis ? J’ai donné beaucoup de ma personne pour faire naître et vivre cette Alliance. Je ne vais pas l’abandonner maintenant. Surtout si le nouvel Ulfric devient un allié. Et côté métamorphe, du nouveau ? J’ai vu Alan avant les événements qui était venu me livrer Greg…

L’étrangeté de la situation ne manqua pas de frapper le volatile. S’il se doutait que la nouvelle de cette mort ne suscitait pas le plus grand des chagrins pour la Lupa, il ne s’attendait tout de même pas à la voir sourire à ce point en l’évoquant. A moins qu’il ne fasse que l’amuser avec sa demi-interrogation. Dans tous les cas, Mary affirma sa position par rapport à ce fait ce qui à la fois soulagea et inquiéta le changeur. Qu’est-ce qu’il se passait au juste quand l’Ulfric changeait dans ces conditions ? Il méconnaissait bien trop les codes de la Meute et préférait ne pas se mêler de cette histoire. Voulant miser sur la prudence, il répondit d’un seul simple hochement de tête à la remarque de la jeune femme sans ajouter le moindre mot à propos de ce décès – de cet homicide plutôt. Les mois à venir allaient être musclés pour les lycans. La confusion du métamorphe se heurta au calme olympien de son interlocutrice. Sa sérénité semblait amplifier drastiquement la nervosité du français. La vérité semblait toujours plus terrifiante quand elle n’était pas déguisée par de beaux sentiments et quand sa réalité était dévoilée avec une certaine indifférence. Se heurter à pareil calme après une tempête pareil le laissait perplexe mais il savait qu’elle réagissait au mieux pour tout le monde. Mary était une femme forte qui menait comme il le fallait la meute. A côté d’elle, il passait largement pour un amateur mais débattre de ce sujet ne le mènerait à rien et actuellement, il valait mieux se concentrer davantage sur la situation présente. Qu’elle soit surprise à juste titre par cette trahison le rassura quelque part. Après tout, elle n’était pas non plus infaillible. A bien y réfléchir, il commençait à se demander en quoi c’était réconfortant… Ses pensées s’emmêlaient sans son consentement alors qu’elle répondait à ses raisonnements inachevés. « Je ne comprends toujours pas… Non. Notre alliance était censée leur apporter cette sécurité… » Ils avaient dû perdre confiance en elle et à la promesse des loups. Les métamorphes qui avaient accepté ce marché avaient très certainement l’impression d’être en insécurité. A quoi bon s’allier avec d’autres si ce n’était pour échapper aux vampires ? « Je pensais qu’avec les Années Sanglantes, il semblait clair dans l’esprit de chacun que nous ne pouvions pas leur faire confiance... » Réfléchir à voix haute était hautement stupide. Il avait besoin de méditer là-dessus et de comprendre par lui-même les failles de leur organisation. Mais une chose à la fois.

L’alliance était au centre de la conversation et cela prévalait sur tout le reste à cet instant précis. La Lupa avait toujours été sa meilleure alliée. Si elle abandonnait, il ne restait réellement plus d’espoir pour leurs deux clans. Camille attendit posément qu’elle reprenne la parole en buvant une longue gorgée de son breuvage durant ce laps de temps. Ce verre n’était vraiment pas de trop. Quand elle mentionna Roxane, le voleur dû réprimer une grimace. Difficile de savoir dans quel camp la renarde se situait réellement mais c’était toujours mieux que rien. Même si pour lui, ça ne signifiait cependant pas grand-chose. La rouquine était proche des lycans, plus que de son espèce. Était-ce forcément un signe donc ? Les spéculations ne serviraient à rien. Il fallait simplement attendre que le verdict tombe. « D’accord… Je vois. Merci. » Ses rapports avec Valentyne n’étaient pas des plus … glorieux mais c’était toujours moins grave que ceux entretenus avec son père. Le jeune homme se détendit considérablement quand son acolyte le rassura sur sa position inchangée en ce qui les concernait. « Avec les derniers événements, j’aurais pu comprendre que ta propre opinion est … Disons évoluée. Les choses ont échappé à notre contrôle à Wolfheaven mais je suis rassuré de voir que ce n’est pas le cas. Je ne remets pas en cause ton implication. Nous te devons beaucoup Mary, à toi et à ta meute. Je ne l’oublie pas. » Un léger sourire s’invita à la commissure de ses lèvres pour appuyer ses paroles. Il rebut un peu de son breuvage avant de continuer sur sa lancée. « En dehors des médias qui diffusent l'image d'un homme se transformant en cheval et de cette conférence de presse qui en a découlé… » Il grimaça en y songeant. « Ce n’est qu’une question de temps, je le crains avant que notre secret soit éventré. Krystel Raybrandt en personne a protégé ce secret mais de toute évidence, beaucoup de personnes sont prêtes à nous dévoiler complétement et je commence à penser que ce n’est pas une mauvaise chose. Notre anonymat commence à devenir une faiblesse. » Réalisant qu’il s’égarait dans une direction qui – bien qu’elle affecte leur alliance d’une certaine façon, n’avait peut-être pas sa place à cet instant précis. « Enfin… C’est une autre histoire. Il n’y a plus eu de vagues sinon depuis Greg dans nos rangs. »

Il réajusta sa position et termina d’une traite son whisky en repensant à cette histoire d’enrôlement par la Reine. « Je crois que les vampires sont de moins en moins vigilants... J’ai failli être attaqué par l’une d’entre elles il y a quelques semaines et je sais que je n’étais pas un cas isolé. Il semble que le pacte ne les embarrasse pas spécialement. Ce n’est pas une surprise mais… » Le changeur fit rouler son verre entre ses paumes. « J’espère simplement que les conflits au sein de nos espèces vont se dissiper le plus rapidement possible. Nous savons tous que cette paix relative ne va pas durer… » Le volatile soupira à ces mots et posa son récipient sur le bureau face à lui. « Tu pourras dire au nouvel Ulfric que je me tiens à sa disposition, si il veut parler avant de se prononcer sur cette alliance. Vous savez que je suis ouvert à tout débat en ce qui concerne notre accord. » Modifier les termes serait peu aisé mais si Hayden avait quelque chose à redire, peut-être pourraient-ils en parler et négocier. Camille ne voulait rien laisser au hasard. La communauté avait besoin de la Meute. Et la réciproque s’appliquait également. Par les temps qui couraient, trouver des alliés restait un luxe que l’on pouvait rarement s’offrir.