Un wagon orange, la blonde et la brune.

Un wagon orange, la blonde et la brune.

Je suis loin d’Edimbourg. Loin de mon chez moi mais tellement plus proche de chez Damon. Cette simple idée me tire un sourire épanouie. Je n’aurais pas le temps de passer le voir, et pourtant l’envie est là. Je ressens comme un manque. Il y avait de la distance entre nos deux appartements, et c'est seulement parce que j’avais des clients sur Glasgow que ça me permettait d’être dans cette ville aussi souvent. Mes pas son rapide, un carton sous le bras, mon petit sac à main en bandoulière, je traverse la rue pour atteindre la bouche du métro. Ma voiture m’avait lâchée une nouvelle fois. Au mauvais moment, bien évidemment, sinon ce ne serait pas drôle. Elle avait fait son temps, et malgré tout je tente encore de la sauver. Ça me coûtait la peau du cul à la réparer ainsi, mais que voulez-vous quant on aime ! Je n’arrive pas à me résoudre à la remplacer par l’une de ses voitures hybrides. Une dépanneuse est passée la chercher. J’aurais du rentrer avec le garagiste qui m’a proposé de me ramener mais j’avais encore un rendez-vous. Un passage éclair chez un professeur de yoga qui voulait que je lui ramène de l’encens aux jasmins. J’avais d’autre petit truc qui pourrait lui plaire dans mon carton : du thé noir, bougie à la framboise (une véritable tuerie).

J’arrive sur le quai et attends avec patience le long véhicule orange. Les gens trépignaient d’impatience, certains se balançaient sur leurs pieds comme si attendre ce wagon était une question de vie vitale. Ils avaient beaux regarder la grotte sombre avec un air désespéré, ça ne le ferrait pas venir plus vite. Comme à mon habitude je m’installe tranquillement sur un banc, carton sur les genoux, je sors mon portable de mon sac. Il faut bien passer le temps. Messages : Ma mère, un copain, une copine, deux clients. Rien de plus. Je tapote des mots pour chacun d’entre eux. Plusieurs texto plus tard, j’entends brusquement le bruit de roulement métallique du véhicule. Il s’immobilise et les usagers sont figés devant les portes qui s’ouvrent enfin. Je me lève, mon carton dans les bras.

Il y avait du monde en cet après-midi. Je zigzague entre les passagers, et un homme plutôt corpulent me bouscule. Mon carton m’échappe des mains et tombe prés des pieds d’une jeune femme.

Désolé !

M’excusais-je. Génial. Mes produits avaient disparus sous le siège où une veille dame était assise. Je m’agenouille pour les récupères et celle-ci me frappe avec son parapluie sur le sommet de mon crâne avant de se lever. Je lâche un « bordel » retentissements et la regarde s’éloigner. Je me lève, dépose mon carton sur sa place et me frotte la tête ;

Bon sang ! Je n’allais pas regarder sous votre jupe !

M’exclamais-je énervé contre la vielle peau qui s’était installé plus loin. Je pose mon regard sur la jeune femme blonde avant de lui demander.

Est-ce que mon carton à touché votre pied ?

Il y avait quelques bricoles. Pas forcément lourde mais ça faisait son poids. Peut-être qu’elle aussi avait envie de me frapper. Si c'est le cas, je préfère qu’elle s’abstienne.

Tailleur noir serré, talons, cheveux relevés en chignon sur mon crâne, je sors d'un pas rapide de l'immeuble. Chacun de mes pas claque sur le sol. Tac-tac-tac-tac. Je me fraye un chemin entre les passants dans la rue, pestant intérieurement à chaque fois qu'il m'était impossible de passer devant quelqu'un de trop lent, en train de discuter ou de lire ses sms en marchant. Quelle idée, aussi... Bref. Je suis pressée, plus par habitude de toujours courir qu'autre chose, finalement. Mais je n'ai pas un instant à moi ou à ma famille, qu'elle soit à l'autre bout de la terre ou non. Peut être est-ce mieux, qu'ils ne soient pas là, mais je suis bien trop attachée à ma fille et j'ai bien trop peur de ne jamais la revoir avant ma mort pour m'en convaincre totalement. Ma puce... Ma fille à moi. Celle qui porte mon nom, celle qui m'appelle maman. La mienne. Personne ne me l'arrachera, celle là. Ils veulent nous séparer en m'envoyant en mission à l'autre bout de la terre, ils veulent m'inquiéter en me menaçant de toucher à elle si je ne suis pas efficace ; je ne leur donnerai aucune raison d'agir. Donc je cours. Quitte à ne pas dormir – mes nuits de sommeil étant de toute manière bien courtes – je cours. Sortant d'un entretien avec la direction d'un grand groupe de médias écossais pour les convaincre de caser d'adhérer à une image positive de la monarchie vampirique, si possible même d'accepter de faire des interview, au lieu de véhiculer les polémiques déjà bien répandues, et pas forcément fausses. Mais la vérité m'importait peu. Ce n'était pas mon métier. Mon métier était de vendre une image, une marque, en l’occurrence une organisation pour qu'elle apparaisse sous son meilleur jour et non sous son jour véritable. Tout un art, qui allait du discours que je tenais en lui même à ce que je dégageais bien au delà, mon maintien, mon aptitude à la communication, tout ce que je pouvais dégager. Je forçais sur les muscles de mon visage toute la journée pour garder un sourire parfait, abusais des crèmes anti fatigue, ride et tout ce que vous voulez. Ca marchait plutôt bien. Ce n'était jamais assez et le travail était bien difficile ; mais j'ai toujours aimé les défi. Finalement, mon métier n'est que l'extension de ma nature d'illuminati : on y demande la même chose. Paraître, attirer la confiance. Ce monde n'est qu'apparences et hypocrise.

Et bientôt, il ne sera que feu et sang.

Elles reviennent toujours, ces visions, dès qu'il n'y a rien d'autre pour m'occuper l'esprit. Ou dès que la fatigue se fait trop forte. Elles me hantent, elles prennent toute l'espace, plus seulement mon esprit mais tout mon corps. Je le sens dans ma poitrine, le Chaos. Je sens ce monde comme s'il était tout entier contenu en moi, dans ma cage thoracique, prêt à exploser. Il pulse, il brise mes os, brise les quelques lueurs d'espoir qu'il me reste ; je ne dois pour autant pas les laisser s'éteindre toutes. Ou bien c'est la fin. Je me rends compte, aujourd'hui plus que jamais, que nous sommes bel et bien le dernier rempart de ce monde contre le Chaos, alors que, parallèlement, je comprends avec une violence inouie que nous aussi, nous avons une part de Chaos. L'Equilibre n'est qu'un savant mélange entre Bien et Mal. Et ce dernier a toujours eu tendance à empiéter plus vite sur son contraire dans le cœur des hommes. Je ne sais pas ce qui peut encore sauver l'humanité. Je cherche. Je continue à chercher. Je cherche encore, alors que je pose mes fesses sur le banc de la station de métro en attendant que celui ci arrive. Rendez vous à l'autre bout de la ville. Et entre les deux, devant les rails de métro vides, ces pensées qui reviennent. Il y a un raffut pas possible autour de moi ; les gens vont y viennent, les discussions vont bon train, créant un grand brouhaha résonnant dans la cavité souterraine. Mais j'en suis bien loin. Tout ça ne m'atteint pas. Je suis dans ce monde rouge, orange et jaune, où tous ces bruits de conversations ne se traduisent que par des coups et des cris.

L'arrivée de la rame me tire de mes pensées. Je me lève, comme un automate, alors qu'elle n'est même pas totalement arrivée. L'une des premières devant les portes, je m'engouffre comme un souffle à l'intérieur et m'assois à la première place que mes yeux repèrent. Le trajet risque d'être long. Serrée à côté d'une vieille dame avec un parapluie, je laisse ma tête partir en arrière jusqu'à rencontrer la vitre derrière. Et je ferme les yeux. Je suis certaine que je serais capable de m'endormir ici, de ce sommeil qui me plonge dans un océan de sang qui sera sûrement notre futur. Je n'en n'ai cependant pas le temps, de gros bruits me forçant à ouvrir les yeux et relever la tête, tandis que quelque chose heurte mon pied. Une jeune femme a apparememnt fait tomber ses affaires et s'empresse de les ramasser, tandis que la vieille dame à côté de moi semble prendre cela très mal. Je hausse les sourcils lorsqu'elle la frappe carrément avec son parapluie avant de se lever. J'ouvre la bouche pour l'interpeller mais n'en n'ai pas le temps – et ce serait de toute manière bien inutile. J'esquisse un sourire à l'attention de la jeune femme.

« Ce n'est rien, ne vous inquiétez pas... Tenez, asseyez vous. Vous avez tout ramassé ? »

Dis-je en regardant en bas s'il restait quelque chose, la laissant prendre la place de la vieille dame. Je déclare en me relevant sur le ton de la plaisanterie.

« Les personnes âges ne cessent de médire sur les générations plus jeunes, mais parfois ils sont bien pires ! J'espère qu'elle ne vous a pas fait trop mal. »

» Le karma, une blonde et moi | [Livre II - Terminé]